Chronique « Si on me laisse dire » publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure » en marge du procès de Marc Dutroux et consorts.
Quel cirque ! (42- 30 avril 2004)
Le jeudi n’est jamais une bonne journée à la Cour d’assises du Luxembourg. Les témoins défilent à un rythme infernal et la plupart du temps des tas de questions utiles à la manifestation de la vérité sont oubliées. Surtout quant il s’agit de Julie et Melissa. Il est vrai que, tant sur les bancs des parties civiles que sur ceux de la défense aucun avocat ne maîtrise ce volet -déciment maudit- de l’affaire Dutroux. On en a encore eu une parfaite démonstration lors de l’audience d’hier. Deux exemples. Primo, le témoignage de Béatrice Luyckfaseel. Cette dame habitait dans la même rue que Marc Dutroux à Marcinelle. Le 12 août 1995, elle pense avoir vu Melissa devant le pas de la porte de la maison de l’horreur. Martin aurait fait rentré l’enfant aperçu par le témoin. Mme Luyckfaseel est apparue comme très crédible… Jusqu’à ce que Me Quyrinen ait cru bon d’annoncer que cette dame avait aussi reconnu le procureur du Roi de Charleroi Thierry Marchandise, comme l’une des personnes ayant fréquentées le 128, chaussée de Marcinelle !
Quel propos maladroit ! Pour l’honneur du magistrat cité, mais aussi pour le témoin qui, du coup, pouvait apparaître comme une affabulatrice… Mme Luyckfaseel n’a jamais eu la volonté de nuire à qui ce soit. Peu après l’arrestation de Dutroux, elle a été invitée à témoigner sur les personnes qui passaient chez son voisin. Elle a identifié plusieurs personnes connues de ce dossier. Et, en toute sincérité, elle a dit avoir vu une personne qui roulait dans une Roover. Voyant M. Marchandise à la télé, elle a cru de bonne foi qu’il s’agissait de cet homme-là. Ensuite, les enquêteurs ont pu établir qu’un homme en Roover était bel et bien venu chez Dutroux à plusieurs reprises. Il s’agit de Christian D., son assureur. Une personne qui ressemble comme un frère jumeau à M. Marchandise.
Cette donnée est dans le dossier depuis des années… Mais personne ne le savait dans le rang des avocats. Il a fallu que l’avocat général Bourlet, seul acteur en toge dans cette salle à connaître le volet Julie et Melissa, rectifie le tir. Dans la mesure où les parents de ces enfants ne sont pas à Arlon, on aimerait l’entendre intervenir plus souvent de cette manière.
Toute l’étendue du manque de connaissance de cette partie du dossier est aussi apparue lorsque le témoin Guy Lieutenant est venu s’exprimer. Celui-ci a reconnu Pierre R. comme étant présent près du lieu du rapt de Julie et Melissa, le 24 juin 1995. On peut avoir un regard critique sur ce témoignage en le confrontant à d’autres éléments du dossier, mais le témoin est tout à fait sérieux et respectable. Pourtant, on ne l’a pas respecté. Pourquoi ? Parce que le juge Langlois et M. Demoulin avaient ridiculisé préalablement M. Lieutenant en disant qu’avant de reconnaître Pierre R., il avait mis en cause un acteur de cinéma. Ce n’est qu’après quelques rires gras, entendus notamment sur les bancs d’une partie civile, que M. Lieutenant a pu expliqué aux jurés qu’il n’était pas un farfelu. Il avait simplement voulu expliquer à des enquêteurs que la dégaine du personnage aperçu faisait penser à celle d’un acteur connu. Un procès-verbal qui avait suivi manquait de nuance… Comme la plupart des acteurs de ce procès, en cette fin d’après-midi, qui aurait pu se dérouler sous un chapiteau.