Chronique "Si on me laisse dire" publiée dans le quotidien belge "La Dernière Heure" en marge du procès de Marc Dutroux et consorts (33 – 19 avril 2004).
Il est difficile de contenir son émotion quand on repense à ces terribles lettres écrites par Sabine Dardenne lors de sa séquestration. À Arlon, ce lundi, ce sera encore plus bouleversant : la victime est invitée à témoigner oralement de son calvaire ; un moment extrêmement important du procès. Comme le sera, mardi, le récit de captivité de Laetitia Delhez.
Restée plus de quatre-vingts jours à la merci de Marc Dutroux, Sabine peut mieux que quiconque décrire l’horreur de ce personnage ; son absence totale d’humanité, son caractère pervers et les sévices qu’il est capable d’infliger à une enfant sans défense. Sabine devrait aussi évoquer la difficulté à survivre à cette violence inouïe et l’infinie solitude qui a été la sienne pendant la séquestration. Pour reprendre les propos que me tenait naguère un enquêteur, « avec le témoignage de Sabine, Dutroux est mort ». Nul doute là-dessus : Dutroux qui était déjà condamné dans l’esprit des jurés après sept semaines de procès, le sera encore plus après l’audition de la jeune femme.
Après l’examen de ce volet du dossier Dutroux, on aura donc découvert l’enfer vécu par Sabine. La question de savoir si cette enfant aurait pu, aurait dû, être libérée plus tôt risque fort, en revanche, de rester entière. Les conseils de la victime jugent inopportun, dans le cadre du procès d’Arlon, d’interroger l’ex-gendarmerie sur la marche pour le moins chaotique de ses diverses enquêtes sur Marc Dutroux.
Pourtant, il ressort du dossier que le BCR de la gendarmerie a suivi de près les investigations de la cellule « Sabine Dardenne ». De très près même, et ce rapidement après l’enlèvement. Pour autant, et malgré le fait que la cellule d’enquête fut exclusivement composée de gendarmes, on doit déplorer des rétentions d’information similaires à celles constatées dans les dossiers Julie, Melissa, An et Eefje. Entre le 28 mai 1996 (jour de l’enlèvement) et le 20 juin 1996, le BCR ne fait aucune mention des informations collectées dans les mois précédents sur un potentiel kidnappeur d’enfants nommé Marc Dutroux. C’est plutôt étonnant alors que les enquêteurs de Neufchâteau expliquent aujourd’hui aux jurés que l’enlèvement de Sabine est le « calque » des rapts commis par Dutroux dans les années 1980…
L’apport du BCR a consisté essentiellement en la production d’un rapport d’un analyste criminel en date du 6 juin 1996. Lequel orientait prioritairement les soupçons… sur un membre de la famille de la victime ! Ce n’est que via un fax d’un policier de La Louvière, affecté à l’époque au Service général d’appui policier, que le nom de Dutroux est enfin apparu… au 23ᵉ jour du calvaire de Sabine. 6 jours plus tard, soit le 26 juin 1996, M. Debled, un gendarme du BCR, venait commenter cette piste Dutroux dans les locaux de la cellule « Sabine ». Il la déclarait « dépassée ». Toutes les informations sur Dutroux « ayant déjà été vérifiées par le gendarme René Michaux de la BSR de Charleroi ».
Comme l’a souligné la défunte commission d’enquête parlementaire, « cette considération était totalement inexacte ». Les commissaires ajoutaient qu’ « il paraît très étrange d’écarter aussi catégoriquement une piste possible dans une enquête qui, à ce moment, était dans l’impasse ». Finalement, Sabine ne sera sauvée que grâce à un étudiant qui avait relevé un numéro de plaque et l’avait communiqué à des enquêteurs de terrain. C’était dans le cadre d’autres investigations. Celles relatives à l’enlèvement de Laetitia Delhez…