Marie Noëlle Bouzet
Un entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 22 juillet 2004
Rentrée en Belgique depuis la découverte du corps d’Elisabeth, sa maman s’exprime pour la première fois.
– Marie-Noëlle, depuis votre retour en Belgique, vous aviez refusé de vous exprimer dans les médias. La douleur était trop forte?
– Dans un premier temps, elle ne regardait que moi. Bien que je sois très touchée par les marques de sympathie et l'intérêt sincère de beaucoup de Belges pour Elisabeth et sa famille, il fallait d'abord que je parvienne à gérer cet électrochoc. J'ai ressenti le besoin de me recueillir. De réfléchir. J'ai beaucoup parlé avec Thomas, mon fils. Et avec tous les membres de ma famille. C'était cela, le plus important. Pas de répondre à un intérêt médiatique qui s'est avéré très variable selon les époques. Une autre priorité était aussi de voir de mes yeux les lieux où ma fille a été séquestrée et tuée. Je suis allée à Floing, près de Sedan, là ou Fourniret l'a d'abord emmenée. Et puis au château du Sautou.
– Cela a dû être particulièrement éprouvant…
– C'était surtout indispensable. Je veux savoir ce qui est arrivé à Elisabeth. Tout savoir. Ce qu'elle a vu avant de mourir faisait partie des questions incontournables. Mais la démarche a quelque chose d'insupportable. De terrifiant. A Floing, j'ai été frappée par le contraste entre le caractère bucolique de la localité et le dégoût qu'inspire ce taudis sordide dans lequel Fourniret a séquestré Elisabeth. Paradoxalement, au château du Sautou, je n'ai pas ressenti cette même nausée. Je me suis raccrochée à une idée :l'endroit naturel où Elisabeth a été enterrée est relativement préservé et sauvage, avec une rivière qui coule. C'est un lieu apaisant. Il y avait des jeux d'enfants tout près de là où son corps a été exhumé…
– Quand vous vous êtes rendue à Sedan, vous étiez accompagnée de Cédric Visait de Bocarmé. Cette présence du procureur du Roi de Namur vous a-t-elle aidée?
– Certainement. Et surtout dans la mesure où sa démarche était cohérente avec la manière très humaine dont il a communiqué avec moi depuis les aveux de Fourniret. Le procureur du Roi de Namur a fait preuve de beaucoup de professionnalisme et de respect dans la manière de communiquer avec moi. Il est à la fois direct et délicat. Je l'en remercie. Je le sens émotionnellement proche. Vraiment touché par ce qu'il découvre en même temps que moi.
– Vous avez lu les aveux de Fourniret?
– Oui. Et j'ai été projetée violemment dans la pièce où il a tué Elisabeth. C'est comme si j'avais assisté en direct au meurtre de ma fille, jusqu'au dernier moment. Cela a été terriblement pénible à lire, mais maintenant, j'ai dépassé cette souffrance-là. J'ai la sensation d'avoir pu interposer mon regard entre celui d'Elisabeth et celui de son meurtrier au moment où elle est morte.
– Après avoir lu cela, avez-vous l'impression de tout savoir?
– Je crois savoir l'essentiel, mais pas tout. Il y a des questions qui restent ouvertes. Par exemple, que se passe-t-il dans la voiture immédiatement après l'enlèvement? Comment a-t-il maîtrisé Elisabeth? Fourniret admet lui-même qu'elle s'est révoltée à un moment où elle était assise à l'arrière et qu'il conduisait. Il raconte qu'elle poussait avec ses pieds sur les sièges, qu'elle pleurait et qu'elle criait. Il l'aurait menacée de la frapper pour qu'elle se cache entre les sièges avant et arrière et qu'elle se taise. Et elle aurait alors obéi. Cela ne me semble pas crédible. Il n'était pas capable de la frapper en conduisant…
– Est-ce possible pour vous de parler des sévices qu'il a infligés à votre fille?
– Non. Je ne le veux pas. Cela ne regarde que la famille d'Elisabeth et la justice. A cet égard, je lance d'ailleurs un appel aux journalistes n'ajoutez pas de la souffrance à la souffrance. Je sais que les procès-verbaux vont inévitablement circuler dans les rédactions. Cependant, je demande de taire les détails de sévices infligés à Elisabeth. Cela n'apporte rien à la compréhension de cette affaire. C'est de l'horreur à l'état pur. Qui ne peut que traumatiser des enfants qui la découvriraient… Ou qui donnerait un malsain plaisir de lecture à certains pervers. Pour sa mémoire et celle de tous les enfants martyrisés, ces procès-verbaux n'ont pas leur place dans la presse, quelle qu'elle soit…
-Y a-t-il l'expression d'un quelconque remords, d'un peu d'émotion, dans les aveux de l'assassin de votre fille?
-Jamais, à aucun moment! C'est un mélange de politesse et de cruauté : il dit de manière très posée des choses horribles. Jamais il ne semble éprouver le moindre sentiment.
– Les propos d'un malade?
– Je dirais plutôt ceux d'un personnage qui a poussé l'égocentrisme à son point ultime. Ce n'est pas un malade. C'est quelqu'un de contrôlé. Qui a vraiment réfléchi à la psychologie d'un enfant ou d'une jeune fille. Qui a froidement et méthodiquement étudié la manière de les enlever et de les supprimer. Qui, pour cela, a utilisé sa femme, mais aussi son propre gosse. C'est quelqu'un qui n'a aucun scrupule. Dont le seul but est d'arriver à ses fins.
– On a tendance à comparer Fourniret avec Dutroux…
– Les journalistes aiment bien les comparaisons, mais je ne ressens pas les deux personnages de la même façon. Dutroux séquestrait plusieurs victimes pendant de longues périodes. Ce qui pose des questions sur les vrais mobiles de son action criminelle. On ne sait d'ailleurs toujours rien du vécu véritable de Julie, Mélisse, An et Eefje. J'ai toujours partagé à cet égard le questionnement de leurs parents. ainsi que leurs critiques de l'instruction du juge Langlois. Pour l'instant, je n'entrevois pas de complicités dans le cas de Fourniret. A la différence de Dutroux, celui-là semble vraiment être un « pervers isolé ». Les aveux de Fourniret me semblent crédibles. Ce qu'il dit d'Elisabeth correspond à son modus operandi habituel. Il ne garde jamais ses victimes très longtemps : il les enlève, il les viole et il s'en débarrasse. Dès qu'il a consommé, il va en rechercher une autre… Je ne sais comment dire : ce qu'il raconte avec tant de froideur et de précision est criant de vérité. Il y a un enchaînement logique des faits dans son récit macabre. Je dis cela sous réserve d'éventuelles découvertes à venir des enquêteurs. Ce n'est pas encore l'heure des vérités définitives.
– Comment voyez-vous le rôle tenu par Monique Olivier?
– Elle ne participe pas à l'assassinat ou aux sévices sexuels… Mais c'est elle qui « fait le lit »… Elle facilite. Elle rend le terrain propice…
– Elle était présente au moment de l'enlèvement?
– Oui, mais ce n'est pas elle qui dit qu'il y a un enfant malade pour convaincre Elisabeth de monter dans la voiture. Elle ne dit rien. Elle rend la chose possible. Elle accepte d'utiliser son propre fils pour que son mari puisse tuer des enfants.
– Selon ses avocats, Olivier aurait parlé pour « soulager sa conscience »… ?
– La conscience qu'elle n'a pas eue pendant toutes ces années de silence? Il y a aussi l'hypothèse qu'elle a parlé parce qu'elle avait peur d'une éventuelle remise en liberté de Fourniret. N'était-elle pas le principal témoin de tous ses crimes? Un témoin qu'il aurait pu éliminer après un séjour d'une année en prison. Il faut chercher l'intérêt personnel qu'elle a voulu tirer de ses confessions tardives.
– Quand vous étiez au Canada, vous m'aviez dit que vous vouliez parler à Fourniret. Est-ce encore le cas ?
– Il y a peu de temps, j'en avais encore envie. Mais je suis épuisée. Et puis, depuis que j'ai lu les procès-verbaux, je me suis fait une idée du personnage. De son caractère insignifiant. Je crois qu'il se glorifie de ce qu'il a fait. Pourtant, ce n'est pas difficile d'abuser de la confiance d'enfants! Ce qui m'interpelle beaucoup plus, c'est l'attitude des professionnels : ils expliquent les comportements déviants, puis ils philosophent sur la nature humaine, ce qui, inévitablement, induit l'acceptation de ces comportements. Il n'y a plus de règles claires, des règles que chacun puisse comprendre et intégrer. C'est la civilisation du « je possède, donc je suis ». Dans cette société-là, Fourniret est un gars d'une banalité consternante. L'extraordinaire, dans cette affaire, ce n'est pas lui, mais la cruauté des actes posés.
– Et pourtant, comme Dutroux précédemment, Fourniret devient une sorte de « star » négative. Et il semble éprouver un certain plaisir à observer que des dizaines de policiers, des juges, des journalistes cherchent à décoder ses actes…
– Bien sûr! Les médias doivent tenir compte de cela. Fourniret a la télévision dans sa cellule et est très attentif aux séquences qui le concernent… Il faudrait qu'on lui supprime cet avantage. C'est indécent. Fourniret se gargarise de ce qu'on dit de lui. Il se repaît du plaisir qu'il a eu à violer ces filles. D'ailleurs, il le fera jusqu'à la fin de ses jours…
– Mais que faut-il faire d'un type comme celui-là?
– C'est difficile. En tant que victime…
– Vous avez un sentiment de vengeance?
– Il n'existe plus. C'est difficile à expliquer. Pour moi, Fourniret n'a pas de matérialité humaine. C'est un instrument du mal. Sans conscience.
– Qu'il faut empêcher de nuire. Définitivement ?
– C'est évident. D'autant plus que la justice française lui a déjà offert plusieurs chances de rentrer dans le droit chemin. Mais je voudrais surtout qu'il ne puisse plus se souvenir de ce qu'il a fait. Je sais que c'est possible. Un ami psychiatre me l'a expliqué. Cela se fait dans certains asiles pour les cas difficiles. Je voudrais qu'on le lobotomise…
– Qu'on le lobotomise? Mais pourquoi?
– Parce qu'il continue et qu'il continuera à jouir de ce qu'il a fait… Ce que je veux surtout, c'est tuer les souvenirs monstrueux dont il se régale. Je veux aussi qu'il ne puisse plus nuire…
– Ce n'est pas prévu par la loi…
– Je suis bien consciente que ma suggestion n'aura pas d'écho chez ceux qui ont un pouvoir de décision… Voire qu'elle sera critiquée. Dans cette société, il faudra pourtant choisir entre la protection des prédateurs – qu'ils soient isolés ou non – et la protection des enfants.
– Mais il y a aussi un débat possible sur les peines incompressibles…
– Resterait-il en prison toute sa vie, cela ne l'empêcherait pas de trouver du plaisir au souvenir du meurtre de ma fille. De ce point de vue-là, cela ne me satisfait pas du tout qu'il soit enfermé aux frais de la collectivité. Avec aussi certains privilèges, parce que ces prédateurs doivent ensuite être « protégés » des autres détenus. Le paradoxe, c'est que ce sont ces criminels les plus terribles qui ont aussi le plus d'égards pendant leur détention. Il y a là quelque chose de… pervers.
– De toute façon, il faudrait qu'il ne sorte jamais…
– S'il était lobotomisé, si ses pulsions de prédateur étaient définitivement éradiquées de son cerveau, ce ne serait même plus un problème qu'il sorte ou pas.
-Aujourd'hui que l'on connaît les auteurs des faits, peut-on se dire qu'il y avait des indices qui auraient permis de les identifier plus tôt ?
– Il m'étonne qu'une voiture avec une plaque française ait pu stationner pendant plusieurs heures devant la maison de Vanessa sans que personne n'ait vu ce véhicule.
– Le « détective » André Rogge, qui a autrefois travaillé pour vous, estime que des complices ont dû renseigner Fourniret préalablement à l'enlèvement…
-Je préférerais qu'il se taise. Je n'ai plus de contacts avec ce personnage depuis de nombreuses années et je ne m'en suis pas portée plus mal. Il n'y a pas lieu d'émettre des hypothèses qui n'ont aucun fondement. Et surtout pas dans un moment qui devrait plus inspirer au recueillement qu'à des gesticulations démagogiques. Le jour de l'enlèvement. Fourniret était parti « en chasse ». Il cherchait une proie dans les rues de Namur. Une fois qu'il a vu Elisabeth, il a décidé que ce serait elle. Il a attendu qu'elle sorte de chez sa copine Vanessa. Mais si cela n'avait pas marché ce jour-là, il serait revenu un autre jour.
– Quand il a appris les aveux de Fourniret, votre ex-mari, Francis Brichet, a déclaré qu'il était « soulagé ». C'est également le terme que vous utiliseriez?
– Au moment du coup de fil de la juge d'instruction Dubé, oui, le soulagement a été mon tout premier sentiment. Et puis, une projection arrière s'ensuivit. J'ai eu le sentiment de revivre le 20 décembre 1989. Cette angoisse que l'on ne saurait décrire, cette peur panique que l'on ressent quand son enfant ne revient pas à la maison. Aujourd'hui, j'ai pris conscience que quinze années s'étaient écoulées. Je peux de nouveau vivre dans le présent.
– Quinze ans d'angoisse, de cauchemar?
– Quinze ans sans oser vivre. Sans s'en donner le droit. Parce que cette absence inexpliquée vous mange de l'intérieur. Elle vous emprisonne. Pour moi, la disparition d'Elisabeth, c'était hier. Depuis quinze ans, le temps s'était arrêté en enfer… On ne vit pas en enfer. On s'y consume. Même quand on se bat pour trouver l'issue. C'est d'ailleurs la même chose pour mon fils, Thomas. Aujourd'hui, il a 30 ans, et la moitié de sa vie a été mise entre parenthèses. Il n'a pas eu l'adolescence à laquelle il avait droit. Il a sacrifié quinze ans de sa vie pour me permettre de survivre.
– Quel homme est-il devenu ?
– Dans le même temps, c'est un homme d'une grande maturité et un enfant encore fragile. Il est très sensible. Très ouvert aux problèmes des autres. Son angoisse par rapport au destin de sa soeur a été immense. Je crois qu'il a vécu quelque chose de similaire à ce que je disais de moi-même. Pour lui aussi, le temps s'était arrêté. A ses 15 ans. En fait, à l'époque où Elisabeth était encore là et où nous étions heureux. Je pense que, pour lui, le fait de savoir sera le moment d'un nouveau départ dans la vie.
– Dans un cas comme celui-là, n'a-t-on pas tendance à culpabiliser? Même si l'on sait que l'on n'est pas responsable de ce qui est arrivé?
– Tout a fait. C'est pour cela que ce que je sais maintenant est d'une importance cruciale. Notamment sur les circonstances de l'enlèvement. Elisabeth était une petite fille espiègle et pleine de vie. Elle connaissait cependant les règles de prudence. Je les lui avais apprises. Aujourd'hui, je sais qu'elle n'a pas commis de faute. Elle n'a pas été insouciante. C'est même le contraire. Elle a voulu rendre service. Il y avait un enfant malade et elle a accordé son aide. Cela lui ressemble. Je la reconnais…
– Pouvait-elle échapper à ce terrible destin?
– Aujourd'hui, je sais que non. C'était inévitable. Elle s'est comportée comme elle le devait, mais, malgré tout, c'est arrivé. De toute manière, il serait revenu. Ses aveux montrent qu'il voulait Elisabeth.
– Cela montre aussi que vous n'y pouviez rien…
– Outre les auteurs des faits, personne n'en peut rien. Sauf, bien sur, les professionnels qui n'ont pas su ou voulu prendre la mesure de sa dangerosité.
– Ne vous dites-vous pas « Pourquoi elle? »
– Pourquoi elle, pourquoi les autres victimes ?… Un prédateur terriblement cruel et rusé est passé sur son chemin. C'est tout ce que l'on peut se dire.
– Si vous deviez tout de même parler avec Fourniret, que lui diriez-vous ?
– Que durant ces quinze années, j'ai développé une énergie presque surnaturelle. C'est une force qu'il ne peut comprendre. Je suis devenue d'une densité que je compare à celle d'un trou noir. Il n'y a plus aucune lumière qui peut s'échapper de moi, mais je peux en avaler beaucoup. Je lui dirais que moi, quand je regarde la voie lactée, je sens que l'énergie qui est en moi y a déjà sa place. Lui, il va se désintégrer en poussière, et à ce moment, il sera encore la proie de ses pulsions, qu'il ne pourra plus satisfaire.
– Parlez-vous parfois avec Elisabeth ?
– Oui. Elle a sa photo à côté de mon lit. Je lui parle tous les jours. Elle est encore là. C'est très bizarre, il y a un mois environ, je lui ai dit : « Maintenant, je suis prête à entendre ce que tu as vécu… »
– Vous tenez à voir son corps?
– C'est indispensable.
– Durant toutes ces années, vous avez parfois secoué la justice, les enquêteurs. Vous le regrettez?
– Pas du tout! J'ai joué mon rôle de mère. J'ai soupçonné tout qui avait eu un comportement anormal. Je voulais que l'on vérifie. Sans préjugés. Simplement parce que l'enquête devait explorer toutes les pistes.
– Vanessa, la copine d'Elisabeth, sera invitée aux funérailles?
– Si elle vient, elle sera la bienvenue. Il n'en reste pas moins que j'aurai du mal à pardonner l'attitude que sa famille a eue à mon égard après la disparition d'Elisabeth. Dans ces moments d'intense détresse, ses parents m'ont fermé la porte au nez. C'est aussi cela qui avait alimenté des suspicions…
– Il y a quelques années, un policier namurois qui ne fait plus partie de la cellule d'enquête actuelle avait lancé la rumeur selon laquelle vous auriez pu être l'auteur de l'enlèvement. Ça vous fait encore mal?
– Je préfère ne plus y penser. Avec les enquêteurs actuels, les choses sont reparties sur de bonnes bases. Je veux entretenir un climat de confiance avec eux.
– Quand vous ne saviez pas, vous émettiez des hypothèses. Un meurtre immédiat, un réseau de prostitution… L'horreur que l'on a découverte actuellement, c'est le pire des scénarios?
– Non, je ne le crois pas. Je me dis qu'il n'a pas réussi à nous la changer. Qu'elle est morte comme elle était. Qu'elle n'a pas été transformée par un réseau de prostitution. Il n'en a pas fait une autre Elisabeth que je n'aurais pas connue.
-Quel est votre souhait pour les funérailles d'Elisabeth ?
-Je voudrais du calme. De la dignité. Pas de prises de position revanchardes, politiques ou autres. J'ai compris ces derniers jours que beaucoup de Belges se sentent encore concernés par ce qu'Elisabeth a vécu. Qu'ils désirent lui rendre hommage. La messe sera donc publique, et j'accepte aussi l'idée qu'elle soit retransmise à la télévision. Cette cérémonie, je veux qu'elle soit porteuse de messages. On y lira des passages des Evangiles. Notamment la parabole des talents : chacun doit faire ce qu'il peut, avec ses moyens, pour faire avancer le monde vers le bien. Mais je voudrais aussi que les autres grandes religions soient présentes et que quelqu'un qui représente une sensibilité laïque puisse s'exprimer.
– Après, vous retournez au Canada ?
– Oui, assez vite. A moins que mon fils ne me demande de rester plus longtemps.
– Désormais, votre vie est là-bas?
– Oui, j'y ai reconstruit des relations. Je me suis investie aussi dans un travail bénévole d'aide à une association de femmes autochtones (des Indiennes d'Amérique) qui ont notamment été victimes de viols. Je suis entièrement à leur écoute. J'essaie de faire ce qu'elles attendent de moi sans leur dire ce qu'elles ont à faire, ce qui a trop souvent été le cas dans leurs relations avec les immigrants.
– Vous avez le sentiment d'être en position de pouvoir « revivre »?
– Je ne sais pas si ce sera réellement le cas, mais c'est en effet le sentiment que j'éprouve aujourd'hui.
– Reviendrez-vous sur le Vieux Continent pour le procès de Fourniret et de son épouse?
– Ce que j'ai vu du procès Dutroux ne m'en donne pas l'envie. Pour l'instant, je dirais non : je n'ai pas à défendre ma fille et je n'ai pas à me venger de Fourniret. Je n'ai pas plus envie d'entendre les discours prévisibles de ses avocats. Ma grande préoccupation, c'est que Fourniret ne puisse plus faire de mal à des enfants.
– Dans ces conditions, qu'il y ait un méga-procès en France regroupant tous les faits à charge de Fourniret ou un procès spécifique au « volet Brichet » en Belgique vous importe peu?
– Il est trop tôt pour répondre à cette question. Ce que je peux dire, c'est que je me sens solidaire des autres victimes et de leurs familles. Je suis allée parler avec Marie-Asumpcion, la jeune fille qui avait été l'objet d'une tentative d'enlèvement à Ciney, grâce à qui on a pu arrêter Fourniret. Par ailleurs, un projet de regroupement des parents des victimes de Fourniret est à l'ébauche. Si cela voit le jour, j'en serai partie prenante. Je crois que c'est une bonne idée.
– Le lieu où reposera Elisabeth est-il choisi?
– Ce sera à Saint-Servais. Tout près de là où un monstre a décidé de lui voler sa vie. Il y a quinze ans…