Chronique « Si on me laisse dire » publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure » en marge du procès de Marc Dutroux et consorts.
Ce que tous nous savons (20 – 29 mars 2004)
Voici donc que, ce lundi, Mme Carine Collet est invitée à témoigner devant la Cour d’assises d’Arlon. Ce nom ne vous dit rien ? Il a pourtant été souvent cité lors du premier mois de procès de Marc Dutroux et consorts. Carine Collet, comme l’ont nommé à plusieurs reprises les enquêteurs et le juge Jacques Langlois, c’est en fait Carine Russo, la maman de Melissa.
J’ai rencontré Carine, pour la première fois, il y a déjà près de 9 ans. C’était peu de temps après cette horrible journée du 24 juin 1995. A l’époque, les médias évoquaient «la disparition» de sa petite fille et de son amie Julie Lejeune. Le terme «enlèvement» viendra plus tard. Carine, comme Louisa, Jean-Denis et Gino avait pressentis, immédiatement, ce qui était arrivé à leurs enfants. Dès l’été 1995, ils l’ont dit. Ils l’ont crié. La justice mais aussi les médias ne les ont pas entendus : chercher des enfants «en vie» séquestrés dans une maison en Belgique? Foutaise. Comment les esprits «rationnels» de l’époque auraient-ils pu croire qu’un scénario comme celui de ce qu’on appellera plus tard –trop tard- «l’affaire Dutroux» fut possible? Une affaire Dutroux et consorts, on n’en avait pas encore découverte en Belgique… donc cela ne pouvait pas exister n’est-ce pas ?
Des gendarmes, pourtant, savaient que cela était possible. Ils connaissaient le nom de Dutroux, ses antécédents et même ses projets d’enlèvement, de séquestration, de viol… comme le leur avait dévoilés des informateurs… Mais lorsque Carine et les autres parents tentaient de d’expliquer leur sentiment que l’enquête dysfonctionnait qui les a pris en considération? Ils ne pouvaient qu’être aveuglés par la douleur, n’est-ce pas?
Bien sûr, après août 1996, beaucoup ont dit que les «parents» avaient eu raison. Quelle belle reconnaissance ! Julie et Melissa étaient mortes. Les mois, les années ont passé… Et cela a recommencé : lorsque Carine, la personne qui connaît le mieux le dossier de Neufchâteau en Belgique, a refusé de prendre pour argent comptant les déclarations «concordantes» de Dutroux et Martin, elle s’est une nouvelle fois trouvée en contradiction… avec ce qu’il était généralement de bon ton de penser de l’affaire Dutroux. Rebelote : on l’a suspecté elle comme les autres parents d’être une perpétuelle «insatisfaite». De s’égarer. Le juge Langlois avait bien l’affaire en main, n’est-ce pas?
Aujourd’hui, on comprend que Carine, Gino, Louisa et Jean-Denis s’interrogeaient avec pertinence sur la survie de Julie et Melissa dans la cache de Marcinelle pendant les 104 jours de détention de Dutroux. On se rend compte de la faiblesse de certains raisonnements de l’instruction si «rationnelle» du juge Langlois… Comme celui qui a consisté à baser toute la reconstitution de l’enlèvement sur un témoignage trop peu fiable. Carine avait donc raison. Aujourd’hui, on va peut-être lui reconnaître cela à elle et aux autres parents… Tout en soulignant, voyez-vous, que la justice est humaine. Qu’il restera toujours des zones d’ombres. Que, donc, personne n’en peut rien. Dans ce dossier, pourtant, je ne crois pas que l’on puisse honnêtement affirmer que «personne n’en peut rien»!
Je ne sais pas si Carine viendra ce lundi. Personne ne le sait. Ce que je sais par contre c’est que le courage, la détermination, la lucidité et la dignité de cette femme est un exemple pour nous tous. Cela d’ailleurs, tout le monde le sait! Alors, que Carine vienne ou pas, évitons surtout de porter le moindre jugement à cet égard. Moralement, nous n’en avons pas le droit.