Chronique « Si on me laisse dire » publiée dans le quotidien « La Dernière Heure » en marge du procès de Dutroux et consorts -1 Le 1er mars 2004
C’était un soir de juillet 1995. A l’époque, Julie Lejeune et Melissa Russo avaient disparu depuis quelques jours à peine. Carine, la maman de Melissa m’avait demandé de venir à Grâce-Hollogne. Pas pour écrire un article. Uniquement pour parler. Pour réfléchir à des hypothèses. Qu’était-il arrivé à ces deux petites filles de huit ans ? J’étais sensé pouvoir dire quelque chose d’utile parce que, quelques années plus tôt, j’avais co-écrit un livre sur les réseaux de traite des êtres humains en Belgique. Mais que peut dire un journaliste dans de telles circonstances ? D’ailleurs, que sait vraiment un journaliste au-delà de quelques vérités apparentes ?
Pendant cette soirée de juillet 1995 et d’autres rencontres, les jours suivants, j’ai donc surtout écouté. Et c’est moi qui suis sorti de ces premiers entretiens avec une conviction nouvelle : malgré la douleur indicible qui était la leur, les Russo et les Lejeune ne voulaient pas se laisser submerger par leur statut de victimes. Ils voulaient lutter plutôt que de laisser le sort de leurs enfants aux seules mains d’autorités judiciaires et policières qui, déjà, leur semblaient défaillantes. Surtout, ils exprimaient une conviction forte : «A défaut d’informations contraires, nos enfants sont en vie ! Il est possible que Julie et Melissa soient séquestrées par des pédophiles. Peut-être en Belgique. La juge d’instruction chargée du dossier, les policiers et les gendarmes, doivent travailler avec un sentiment d’urgence. Au moment où nous parlons, les petites sont peut-être en train de souffrir.»
Les Lejeune et les Russo avaient raison. Au moment où ils lançaient ce cri dans le désert, Julie et Melissa étaient vie; détenues dans une maison de la région de Charleroi. Chez un certain Marc Dutroux, bien connu des services de police. Qui plus est, à cette même époque, des gendarmes de Charleroi, de Seraing (Cellule Julie et Melissa) et de Bruxelles (ex-Bureau central de renseignement de l’état-major) avaient déjà reçu des informations désignant ce pervers psychopathe comme l’auteur probable de l’enlèvement.
Ils auraient pu, ils auraient dû sauver Julie et Melissa. Ils ne l’ont pas fait. Pourquoi ? Malgré, les travaux d’une commission d’enquête parlementaire, la question reste ouverte. J’y reviendrai prochainement dans cette chronique.
Mais huit ans plus tard, que sait-on vraiment quant au sort tragique qu’ont connu les petites fillettes de Grâce-Hollogne ? Finalement, très peu de choses. Les seules certitudes se limitent à ceci : Julie et Melissa ont été enlevées à Grâce-Hollogne le 24 juin 1995, elles ont été séquestrées, victimes de tortures morales et physiques, violées jusqu’à leur mort. On a retrouvé leurs corps, le 17 août 1996, dans le jardin de Marc Dutroux à Sars-la-Buissière.
Pour le reste, on ne dispose que de renseignements partiels et peu étayés par l’instruction du juge Jacques Langlois. En effet, les quelques « vérités » simplistes proposées par le magistrat instructeur ne contribuent pas à dissiper le brouillard épais qui entoure encore le vécu de Julie et Melissa entre le 24 juin 1995 et la date –toujours indéterminée – de leur décès. Par qui, comment, pourquoi ont-elles été enlevées ? Combien de temps et où ont-elles été séquestrées ? Qui les a violées ? Comment et quand sont-elles mortes ? Ce seront là les premières questions qui se poseront aux jurés de la cour d’assises d’Arlon. Dès demain, je tenterai de vous éclairer sur ces trop nombreuses zones d’ombre qui subsistent.