Chronique « Si on me laisse dire » publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure » en marge du procès de Marc Dutroux et consorts -2- Le 2 mars 2004
Il fallait bien sûr s’y attendre. Le grand cirque a commencé avant même la première audience du procès d’Arlon. Voilà donc que Dutroux nous parle d’un «système mafieux impliquant Michel Nihoul». Pour avoir été l’un des rares journalistes francophones de ce pays à avoir écrit –quand toute la presse ou presque le blanchissait- qu’il y avait assez de charges pour renvoyer l’escroc bruxellois vers les assises, je devrais me réjouir… Et bien non, j’inviterais plutôt à la prudence par rapport à ces déclarations publiques de Dutroux, lesquelles, soulignons-le, surviennent après… sept ans d’instruction.
D’ailleurs, le propos de Dutroux est-il vraiment neuf? Si on se réfère au dossier de Neufchâteau, on constate que dans les derniers mois de l’enquête, déjà, l’homme de Marcinelle dénonçait un réseau… dont il n’aurait pas fait partie, ou si peu. Extrait de sa dernière audition, en juillet 2002, devant le collège d’experts psychiatres qui a étudié son cas : «Moi, on me muselle pour que je ne dise pas ce que j’ai appris en treize ans de prison. Il y a même les services secrets qui sont intervenus… (…) C’est finalement une affaire d’Etat qui va se passer à Neufchâteau ! C’est ça le réseau, mais je ne suis pas dedans !». Et le pervers citait alors des noms qui n’avaient rien à voir avec Nihoul, mais avec des petits truands de la région de Charleroi liés à la «bande de Courcelles». Il faisait aussi allusion aux témoins X, aux morts mystérieuses de certains témoins en marge de l’affaire qui porte son nom… et même au Roi! Pourquoi ne pas impliquer aussi le pape ?
En fait, Dutroux varie ses propos en fonction de l’actualité et de ses lectures (dans le dossier d’instruction, des livres ou dans les médias) pour mettre à sa sauce des éléments déjà connus de la justice. Mais, depuis ses aveux d’août septembre 1996, il n’a pas livré un nom inconnu, pas un élément vérifiable qui permette de faire progresser l’enquête en direction de complices qui auraient échappé à la justice. Il n’a pas donné non plus d’information de nature à découvrir des vérités inédites ou des faits nouveaux. Pour l’heure, il convient donc de considérer qu’on est plutôt dans le domaine de la manipulation que dans celui de la révélation. En fait, Dutroux s’amuse de l’intérêt que le monde lui porte. Il se vit certainement comme la ‘star’ du procès du siècle. Et nous, journalistes, nous lui servons de porte-voix. C’est un jeu dangereux parce que, durant le procès, Dutroux dira encore beaucoup de choses… Et notamment des choses particulièrement nauséabondes sur ses relations avec ses victimes. Jusqu’où lui donnera-t-on la parole?
Bien sûr, Marc Dutroux a le droit de se faire entendre. Mais s’il connaît des éléments utiles à la manifestation d’une vérité encore inconnue de la justice – ce qui est certainement le cas- qu’il les donne. Complètement. En d’autres termes, il n’est pas suffisant de laisser entendre que Nihoul est la charnière d’un réseau. Il faut aussi dire pourquoi, comment, depuis quand… Sauf à jouer le jeu de l’escroc bruxellois qui pourra ensuite se targuer d’être l’objet d’accusations gratuites et infondées. Peut-être que le président de la Cour, Stéphane Goux, parviendra-t-il à faire tout dire à Dutroux. Mais rien n’est moins sûr. Hier… l’accusé dormait dans son box.
PS : J’avais annoncé hier, que j’évoquerais l’une des zones d’ombre relative au volet ‘Julie et Melissa’. La première sortie de Dutroux m’en a empêché. Mais ce n’est que partie remise.