Chronique "Si on me laisse dire", publiée dans le quotidien belge "La Dernière Heure" en marge du procès de Marc Dutroux et consorts -38 – 26/04/2004
Cela va faire bientôt neuf ans que j’ai écrit mon premier article sur l’enlèvement de Julie et Melissa. Bientôt neuf ans aussi que je vois se reproduire les mêmes dysfonctionnements dans la justice et dans les médias. Ce qui me choque particulièrement, c’est cette incrédulité bête et méchante qui est parfois présentée comme de la rationalité. Elle se manifeste particulièrement, en ce moment, par la reprise d’un sport médiatique national que l’on avait déjà connu précédemment : la chasse aux témoins. Actuellement, on met généralement en cause ceux qui ont vu Nihoul, quelque part dans les Ardennes, à une date proche de l’enlèvement de Laetitia Delhez. Mais je suis certain que d’autres feront l’objet d’un traitement identique dans les jours à venir.
Je ne doute pas que cela parte, dans le chef de certains confrères, d’une bonne intention. Il faut être critique par rapport à toutes les sources d’informations. C’est d’ailleurs la base du métier de journaliste. Mais cette critique doit s’exercer à propos de toutes les sources et de tous les acteurs de l’affaire que l’on couvre. Et c’est bien là que le bât blesse dans ce dossier Dutroux. Car d’analyse critique des innombrables mensonges de Michel Nihoul, que ce soit à propos de son emploi du temps ou de sa livraison de drogue à Lelièvre –au lendemain de l’enlèvement de Laetitia, notamment– on en trouve peu.
Certes, le juge Langlois ne croyait pas à la culpabilité de Nihoul dans les enlèvements. Certes, il n’a pas plus inculpé l’escroc bruxellois pour la livraison de l’ecstasy à Lelièvre alors que huit témoins en attestaient et qu’il y avait des preuves matérielles accablantes. Dans le même temps, je peux comprendre que certaines plumes qui ont encensé l’instruction du juge Langlois pendant si longtemps aient du mal à brûler ce qui a été adoré par le passé. Notez que l’instruction de Mme Doutrèwe et le travail de l’ex-gendarmerie avaient été médiatiquement honorés de la même manière en 1995. C’était, bien sûr, avant que l’on ne puisse plus nier le pot aux roses ; avant la découverte des corps de Julie et Melissa et avant la commission d’enquête parlementaire…
Je veux donc bien imaginer qu’on n’ait pas envie d’écrire que l’on s’est encore trompé. Que oui, on a reproduit deux fois la même erreur, en accordant trop peu de crédit à la parole de témoins capitaux de la bonne marche de l’instruction : les parents des enfants. Il ne me semble pas plus inexplicable que certains aient fait mine, pendant ce procès, d’avoir découvert la lune lorsqu’il a été établi que Julie et Melissa n’auraient pas pu survivre dans la cache de Marcinelle comme l’avaient prétendu Martin et Dutroux pendant toute l’instruction Langlois. Il ne me semble pas tout à fait illogique non plus d’avoir constaté que l’on n’ait pas signalé à l’opinion… que c’était là l’une des faiblesses magistrales de l’instruction qui était dénoncée par les parents des enfants depuis des années.
Ces mécanismes sont tellement humains… On cherche à être cohérent, n’est-ce pas ? Et donc, si l’instruction Langlois a été bien faite, c’est que Nihoul doit être forcément blanc comme neige. C’est aussi en raison de ce syllogisme que certains n’ont pas apprécié les questions sur l’enquête posées dans les premières semaines du procès d’Arlon. Mais de là à en devenir aveugle, à ne pas souligner les contradictions multiples de l’accusé Nihoul pour s’en prendre uniquement aux témoins, il y a un pas que je ne croyais pas que l’on franchirait. On a reproché à ceux qui s’inquiétaient des dysfonctionnements de l’instruction d’être les « alliés objectifs » de Marc Dutroux. On sait aussi, plus clairement que jamais, qui sont les « alliés objectifs » de Michel Nihoul.