Chronique « Si on me laisse dire », publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure » en marge du procès de Marc Dutroux et consorts.
1000 pilules. Pourquoi ? (39- Le 27 avril 2004)
Le 10 août 1996, au lendemain de l’enlèvement de Laetitia Delhez, Michel Nihoul livrait 1000 pilules d’ecstasy à Michel Lelièvre. Ce fait a été objectivé par plusieurs témoignages et constatations, dès les premières semaines de l’instruction du dossier Dutroux à Neufchâteau. Et pourtant Nihoul a nié l’évidence pendant plus de six ans. Entre août 1996 et juin 2002, on ne trouvait que des cris d’indignation et des démentis dans la bouche de l’escroc bruxellois : «La drogue me dégoûte. Je peux prouver que je suis étranger à l’ecstasy». Rideau. Nihoul ne sera pas inculpé du trafic de drogue par le juge Langlois.
En avril 2002, changement de décor. Le procureur du Roi de Neufchâteau rassemblait les éléments à charge de Nihoul dans ce volet «drogue» et traçait un réquisitoire de renvoi accablant. Il n’était plus possible pour Michel Nihoul d’encore nier la matérialité des faits. Et commençait alors une nouvelle stratégie de défense. On peut la résumer ainsi : «Oui, j’ai livré la drogue mais c’était pour le compte de la gendarmerie!»
Enorme? Oui, bien entendu. Mais pourquoi Nihoul se serait-il privé d’essayer alors que des gogos étaient prêts à le croire ? C’est d’abord médiatiquement, en effet, que cette nouvelle défense a été testée. Et ça a marché! Je ne résiste pas vous donner à lire quelques écrits publiés entre juin et octobre 2002 par certains honorables représentants du «quatrième pouvoir» : «Nihoul a réponse à tout. Les flics savaient tout». Ou encore, citant l’escroc : «des gendarmes de Dinant savaient que je possédais ces pilules. Ce sont eux qui me les ont remises. (…) Avec ces pilules, je devais appâter Lelièvre et faire en sorte de permettre à ces gendarmes de remonter la filière dont ils croyaient qu’ils faisaient partie». On a même eu droit à cela : «les flics m’ont demandé de faire patienter Lelièvre pour installer un dispositif policier pour le filer.»
Les avocats de Nihoul avaient ensuite confirmé avec grand fracas –et sans fou rire !- à l’entame de ce procès. Cette fois, ils allaient «prouver» que Nihoul travaillait en service commandé pour la l’ex-gendarmerie le 10 août 1996 ! Je dois avouer que je m’étais interrogé sur un tel aplomb… Mais aujourd’hui, je me suis souvenu de la grille de lecture qui convient pour décoder cette stratégie de défense : plus c’est gros, plus ça marche! C’est d’ailleurs un principe de base dans toutes les escroqueries. Et on sait, qu’en la matière, Michel Nihoul en connaît en morceau.
En quelques heures, hier, cinq gendarmes qui ont eu à connaître l’indicateur Nihoul en 1995 et en 1996 ont balayé les deux dernières années de mensonges de cet accusé. Nihoul -qui ne leur a jamais parlé de Dutroux ou de Weinstein- n’a a rien dit non plus de l’ecstasy qui était en sa possession depuis avril 1996. L’opération visant à «appâter» Lelièvre ? «Loufoque», s’est contenté de dire un commissaire. Après tant de mensonges, reste une vraie question à trancher pour les jurés : la livraison du 10 août était-elle liée aux enlèvements?