Chronique « Si on me laisse dire » publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure » en marge du procès de Marc Dutroux et consorts
Les raisons de l’horreur (40 – Le 28 avril 2004)
De visu, les jurés de la Cour d’assises du Luxembourg ont pu constater toute l’horreur des conditions de séquestration des victimes de Marc Dutroux et consorts. Ils ont eu, devant eux, le meilleur de témoignages : la vision de cette sinistre cache, de ce réduit infect et humide dans lequel le geôlier de Marcinelle détenait ses proies sans défense. Et dire que c’est le même homme qui, plus tard, osera se plaindre de ses conditions de détention !
Si ce déplacement du tribunal était bel et bien un enjeu capital du procès d’Arlon, il ne peut être considéré – certains l’ont laissé entendre avant même qu’il ait eu lieu- comme l’acte ultime de ce procès. Hier, les jurés ont eu une confirmation du caractère monstrueux et indéfendable des actes posés par l’un des accusés qu’ils auront à juger. Et quand l’on voit cela, quand on imagine ce que cela a signifié pour les victimes, on ne peut se dire qu’une seule chose : Marc Dutroux ne devrait plus jamais sortir de prison !
Pour autant, le caractère épouvantable des constats opérés à Marcinelle ne doit pas aveugler. Même s’il donne envie de vomir, il ne doit pas conduire au même travers que celui constaté pendant l’enquête : condamner vite fait le monstre Dutroux et se dispenser de réfléchir plus avant. Au contraire, il s’impose plus que jamais de s’interroger sur la véritable nature de cette affaire.
Poser des questions sur les complicités potentielles d’un criminel tel Marc Dutroux était déjà une évidence. Aujourd’hui, pour les jurés qui exercent leur devoir de citoyen, c’est aussi devenu un devoir moral. Si la promptitude des questions qu’ils ont posées jusqu’à présent permet d’envisager qu’ils l’exerceront avec détermination et justesse, le chemin à parcourir paraît cependant encore long et périlleux.
Hier, notamment, le jury a eu une confirmation de ce qui avait été exposé par des témoins lors des premières semaines de ce procès : l’une des thèses fondatrices de l’instruction, celle selon laquelle Julie et Melissa auraient pu survivre seules en un tel lieu, pendant plus de trois mois, est contraire à l’élémentaire logique. Plus clairement encore qu’auparavant, il leur est apparu que Dutroux et Martin continuent à mentir sur ce qu’ont vécu ces enfants pendant leur séquestration. Et il est évident que des questions doivent plus que jamais les tarauder : si elles ne sont pas tout le temps restées dans cette cache, où sont-elles allées ? Avec qui ? Quand ? Pour qui ? Et pourquoi?
Il est malheureusement envisageable que ces questions qui ont été éludées volontairement, au nom d’a priori contestables, pendant sept ans d’instruction, ne connaissent pas de réponses définitives à la fin du procès. A l’impossible nul n’est tenu. Par contre, il serait inexcusable de ne pas, tout de même, poser ces mêmes questions avec force. Ici et maintenant, à Arlon, dans l’enceinte de cette Cour d’assises. Ce serait cela l’acte ultime et profondément démocratique de ce procès! Le seul acte qui, malgré le maigre espoir que l’on peur encore avoir, pourrait aider à découvrir les raisons de l’horreur.