Interview publiée dans l’hebdomadaire belge « Ciné-Télé Revue », le 30 décembre 2004
Après l’affaire Arena, le sénateur Alain Destexhe persiste et signe
«Il faut supprimer les cabinets ministériels!»
Depuis longtemps, Alain Destexhe (MR) milite pour la suppression des cabinets ministériels. A défaut d’une mesure aussi radicale, ce sénateur préconise, au minimum, d’instaurer des règles de fonctionnements plus claires permettant un contrôle parlementaire aujourd’hui inexistant. Notamment en termes de dépenses. Un sujet tabou pour le monde politique belge… En tous les cas, jusqu’à une récente affaire Arena. Rencontre avec un parlementaire qui ne mâche pas ses mots, au risque d’être parfois accusé de «cracher dans la soupe».
– Il y a un an, vous avez publié un livre intitulé «Démocratie ou particratie?»(1). Vous vous inquiétiez déjà des dépenses importantes et non contrôlées occasionnées par les cabinets ministériels. Mais votre propos dépassait largement cet aspect financier. Vous faisiez de la réforme en profondeur, voire de la disparition des cabinets ministériels un enjeu démocratique. En écrivant notamment ceci : «Disons-le tout net, les cabinets ministériels en Belgique ne sont pas une institution démocratique, ils représentent plutôt la forme quasi-achevée de la particratie puisqu’ils conduisent à subordonner l’État non point seulement à une autorité politique et à un programme de législature, mais à des structures partisanes, sortes d’excroissances des partis politiques – des structures qui, de surcroît, tendent à coloniser l’administration.» Ce n’était pas vraiment de la langue de bois!
– Pas vraiment, non !
– Comment le monde politique belge a-t-il réagit quand vous avez jeté ce pavé dans la mare?
– Pour rappel, je ne l’ai pas jeté seul. J’avais deux co-auteurs, Alain Eraly qui est professeur à l’Université Libre de Bruxelles et Eric Gilet, un avocat spécialisé dans le droit public et administratif. Les réactions ? Il y en a eu deux types. Des parlementaires m’ont dit approuver notre analyse sur la particratie en Belgique. Certains estimaient même que la situation était pire que ce que l’on décrivait et qu’on aurait pu aller plus loin dans la démonstration en donnant des exemples. Par ailleurs, au niveau des responsables de partis, la réaction fût plutôt tiède.
– Tiède ?
– Pour ne pas dire moins…
– Ne vous a-t-on pas reproché «d’avoir craché dans la soupe» ?
– Le parlementaire (ndlr : le MR Jacques Simonet) qui a dit cela donnait ainsi l’impression que la politique n’était qu’une affaire alimentaire ! J’espère que pour la plupart, c’est d’abord une question de convictions. Il est absurde qu’un homme politique ne puisse critiquer le système politique dans un souci démocratique. De même qu’un enseignant doit avoir le droit d’exprimer un regard critique sur l’enseignement, qu’un journaliste doit pourvoir s’interroger publiquement sur le fonctionnement de la presse ou un fonctionnaire doit pouvoir parler ouvertement de l’administration. Dans le cas contraire, et je pèse mes mots, cela relèverait du corporatisme ou de la loi du milieu. Peut-être, avons-nous mis le doigt sur un certain nombre de non-dits, de tabous. En tout cas, je remarque que l’actualité nous donne raison : l’absence de règles claires, sauf celles que les gouvernements se fixent eux-mêmes, l’opacité du fonctionnement des cabinets ministériels débouchent sur des situations délicates. Des crises évitables, si il y avait eu un code de bonne gouvernance et plus de contrôle possible pour le parlement.
– On l’a vu pendant les débats relatifs à l’affaire Arena, tout qui s’interroge des dysfonctionnements du système politique est rapidement qualifié de «poujadiste»…
– Mais pourtant c’est l’inverse! Refuser qu’il y ait une critique démocratique des institutions et des mœurs politiques, c’est cela qui fait le jeu de l’extrême droite. Le non-dit, à la longue, peut alimenter beaucoup de dérives, d’interprétations et de récupérations malsaines. De plus, ce n’est en cassant le thermomètre qu’on supprime la fièvre. Ce sont des phénomènes tels que l’excès de cabinets ministériels, la politisation de l’administration, le poids excessif de partis dans la vie politique qui aliment le vote rejet ; pas le fait d’en parler ou de chercher des améliorations bénéfiques pour notre démocratie. La démocratie serait profondément malade si elle laissait le monopole de la critique du système politique aux extrémistes. Je suis de ceux qui sont particulièrement inquiets en constatant que l’extrême droite francophone a fait 7% aux dernières élections.
– Pourtant, l’argument du «poujadisme» a été utilisé ces jours-ci par un ténor du parti socialiste en la personne de Philippe Moureaux?
– Il n’y a pas que lui! M. Walry, le chef de groupe du PS au parlement de la Communauté française a dit aussi que le débat sur l’affaire Arena «faisait le jeu de l’extrême droite». Mais il se trompe : ce sont les dérives du système politique qui servent l’extrême droite! Il faut tout de même remettre l’église au milieu du village. De toute manière, je n’ai pas envie de m’attarder sur le cas spécifique du cabinet Arena. A mon sens, il faut profiter de cette actualité pour élargir le débat. Quelles règles fixera-t-on à l’avenir pour que le parlement puisse enfin contrôler le fonctionnement des cabinets ministériels ? Voilà la question. Et elle amènera peut-être à une prise de conscience : des cabinets hypertrophiés pouvant compter plus de 100 personnes, cela ne se voit qu’en Belgique! Nulle part ailleurs dans le monde! Même dans des pays comme la France ou l’Italie où il y a également des cabinets ministériels, on est loin de l’inflation belge. Ces structures tournent avec 10 ou 20 personnes. Au grand maximum. A la Commission européenne, c’est la même chose : chaque commissaire a droit à une dizaine de collaborateurs. Pas plus. Alors je pose la question, pourquoi cela ne serait-il pas possible en Belgique?
– Justement pourquoi? Cela tiendrait-il à la culture politique de ce pays?
– Oui, à une culture politique. Et au fait sans doute que les avantages des cabinets sont tellement importants pour le ministre qui a la possibilité légale de s’entourer de 50 à 100 personnes entièrement vouées à son service… Et aussi, au service de sa réélection. C’est là un autre des effets pervers des cabinets : en fin de législature, certains d’entre eux se transforment en machines électorales…
-Et donc financées par de l’argent public ?
– Exactement. Or, on a déjà une loi sur le financement des partis politiques et il n’est guère normal que le citoyen finance en plus ces «structures électorales bis», lesquelles au surplus faussent l’équité du jeu électoral entre les candidats.
– Idéalement, cela doit servir à quoi un cabinet ministériel ?
– Le ministre a besoin de collaborateurs directs pour assurer son secrétariat personnel, pour recevoir des conseils politiques et pour assurer sa communication avec la presse. Pour ces tâches-là, 5 conseillers et 8 personnes pour l’exécution pourraient suffire. C’est d’ailleurs l’idée générale du plan Copernic. Pour le reste, il faudrait supprimer les cabinets ministériels sous leur forme actuelle. A charge pour le ministre et ses proches collaborateurs de travailler avec les hauts fonctionnaires de l’administration. En Hollande et en Angleterre, cela fonctionne très bien ainsi. Les ministres ne disposent que de quatre ou cinq collaborateurs, lesquels travaillent en étroite relation avec une administration neutre et loyale. Si le gouvernement dit à l’administration anglaise de privatiser ou de nationaliser les chemins de fer, elle exécutera la tâche de la même manière et sans état d’âme. Evidemment, cette manière de voir n’est réaliste que si dans le même temps, on réforme l’administration.
– C’est-à-dire qu’on la dépolitise?
– Exactement. Car il serait désastreux pour la démocratie que les ministres se retrouvent pris en otage, dépendants du bon vouloir d’une administration réticente à mettre en œuvre leur politique.
– Et c’est bien cette crainte-là qui est utilisée en Belgique pour justifier de l’existence de cabinets ministériels très «peuplés»…
– En d’autres termes, on prend le problème à l’envers! Surtout on crée un cercle vicieux. On gonfle les cabinets pour faire soi-disant contrepoids mais, en fin de législature, que deviennent la plupart des collaborateurs des ministres? Ils sont réinjectées dans l’administration! Parfois sans avoir passé les examens nécessaires ou sans avoir les compétences requises. Pour arriver à quel résultat ? Outre les perturbations que cela peut engendrer dans l’organisation du travail, on débouche sur une plus grande politisation de l’administration! En plus, quel désastre sur les mentalités quand des fonctionnaires en arrivent à constater que certaines promotions dépendent davantage d’une carte politique que des mérites et de la compétence!
– Comment sortir du cercle vicieux. Cela ne semble pas évident ?
– Je crains que la récente actualité conduise à la seule réforme des cabinets… Ce n’est pas suffisant. C’est le fonctionnement général du système politique et administratif qui est en cause. Et donc, ce je proposerais c’est un vrai débat au parlement ou entre les partis. Il faut tout mettre à plat. Les thèmes pourrait être les suivants : comment faire de notre pays une démocratie moderne du 21ème siècle, avec un exécutif fort, certes, mais aussi avec de vrais contrepouvoirs? Comment limiter le poids excessif des partis dans le système politique belge? Comment faire pour arriver à une administration, neutre politiquement et exécutant loyalement les décisions publiques résultant du jeu démocratique ?
– Lourde tâche…
– En ce qui concerne la réforme de l’administration, une partie du chemin a déjà été fait au niveau du fédéral. Je crois que le plan Copernic apportait certaines bonnes idées : le système des mandats révocables et limités dans le temps pour les hauts dirigeants, à la place des nominations à vie. Les profils de fonctions, les objectivations des promotions à l’ancienneté, au mérite et aux compétences… Beaucoup reste encore à faire, c’est vrai, au niveau de la région wallonne et de la communauté française. A quand les engagements de tous les agents publics sur base de critères objectifs? A cette fin, des outils de recrutement existent : ce sont les examens du Selor. Mais plus de 40% des fonctionnaires wallons actuellement en poste sont des contractuels. Un mode de recrutement sans règle. C’est l’arbitraire, le copinage, la porte ouverte à tous les dérapages. De même, il faut des évaluations régulières. Mais les évaluations d’aujourd’hui sont assez bidons. En région wallonne, plus de 95% des agents voient leur évaluation positive automatiquement reconduite depuis près de 10 ans. Autant dire qu’on s’y assied sur les principes de compétences et de mérite.
– Suppression des cabinets ministériels, dépolitisation de l’administration, réformes visant à limiter la particratie… Tout cela c’était déjà dans votre bouquin, en 2003 ?
– Oui et à l’époque, personne n’a contesté les constats. Personne n’a prétendu que l’administration fonctionnait bien, que les cabinets ministériels étaient une bonne chose, ou que les partis ne disposaient pas de pouvoirs excessifs. Malgré cette forme d’unanimité, le sujet reste assez tabou. Je le regrette.
– La politique de l’autruche ?
– Malheureusement, en Belgique, il faut souvent une crise majeure pour qu’on réforme en profondeur. Il a fallu Julie et Melissa pour qu’on s’attaque sérieusement à la réforme de la police. Il a fallu la mort des paras au Rwanda pour qu’on envisage une réforme de l’armée. Il a fallu la dioxine pour que l’on réforme la sécurité alimentaire. Maintenant qu’on a une nouvelle affaire très médiatisée, peut-être que cela va un peu bouger. Mais encore une fois, la question est beaucoup plus large que celle des cabinets ministériels. Sur les plans économiques et sociaux, beaucoup de réformes ont été faites depuis 1999, mais en ce qui concerne la « gouvernance » on est loin du compte.
-Les idées que vous évoquez ne devaient-elles pas être débattues au sein de la «Commission du Renouveau Politique» instaurée au parlement en 1999?
– Cette commission n’a, hélas, rien donné. Pas une réforme n’est sortie de là.
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas. Je vous renvoie à une réponse précédente : peut-être faut-il une crise profonde pour que les choses évoluent.
– La suppression des cabinets dans leur forme actuelle et leur remplacement par des structures restreintes travaillant en étroite relation avec l’administration, cela ferait une forte économie ?
– Peut-être, mais je ne saurais dire dans quelle proportion. En fait, la question actuelle n’est pas tellement celle du montant brut consacré aux cabinets. C’est plutôt le fait que la ventilation de ces dépenses échappe largement au contrôle parlementaire.
– Quelques sept milliards d’anciens francs par an pour le fonctionnement de tous les cabinets en Belgique, c’est tout de même une somme importante…
– La somme est considérable et il est légitime de s’interroger à cet égard. Mais dans la situation actuelle il est difficile de savoir si cela est exagéré ou justifié.
– En tous cas, les chiffres des cabinets francophones et flamands sont très différents ?
– Il y a en effet une énorme différence. Dans le budget 2005, les cabinets du gouvernement flamand (ndlr : Région flamande plus communauté) coûtent environ 39 millions d’euros. Ceux du gouvernement wallon et de la communauté française engloutissent pas loin de 60 millions…
– Une explication ?
– J’aimerais bien la découvrir… Il semble que ce n’est pas seulement parce qu’il y a deux institutions francophones et une seule en Flandre.
– Il y a d’autres chiffres interpellant. Les «frais de fonctionnement» 2005 de la ministre président Arena (1.050.000 euros) laquelle a aussi l’enseignement dans ses compétences sont supérieurs aux frais cumulés du ministre président du gouvernement flamand (355.000 euros) et du ministre flamand de l’enseignement, du travail et de la formation (356.000 euros)… Ce sont là des chiffres que vous avez vous-mêmes révélés…
– C’est ce qui apparaît dans les budgets, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de s’acharner là-dessus. Il faut privilégier une réforme des structures pour l’avenir.
– Une précision tout de même. C’est quoi ces «frais de fonctionnement» ?
– Le papier, les photocopieuses, le matériel de bureau, les restaurants, les réceptions, les voyages. Comme on le voit, ces dépenses cumulées portent sur des montants relativement importants. Je souhaite que les cabinets fournissent à l’avenir un budget plus détaillé et accessible aux parlementaires. Il s’agit de règles qui s’imposent aux PME ou aux ASBL. Je ne vois pas pourquoi le personnel politique ne devrait pas les respecter. Avec ma collègue Françoise Bertieaux, j’ai déposé une proposition de décret en ce sens.
– Quand un ministre dépense 4800 euro pour se payer un meuble de bureau, cela peut apparaître excessif ?
– Cela semble élevé. Mais encore une fois le problème c’est l’absence de règles précises. Sans celles-ci, ce type de dépense devient une question d’éthique personnelle. A mon sens, on ne peut pas fonctionner en démocratie en se basant uniquement sur l’éthique personnelle de chacun. Il faut fixer des limites et un cadre commun à tous les gouvernements : rappelons que nous avons sept et près d’un cinquantaine de ministres.
– Les projecteurs se sont dirigés sur Mme Arena, mais le manque de transparence dans les comptes et le fonctionnement des cabinets ministériel est une question qui touche toutes les familles politiques. Récemment, sur les ondes de la RTBF, Mme Milquet évoquait une somme de 900.000 euro dépensée en frais de rénovation par le cabinet de l’ex-ministre wallon de l’Economie, Serge Kubla (MR)…
– Je lui laisse la responsabilité de ses propos. Je ne pense pas qu’il y ait eu de telles dérives dans les cabinets libéraux. Si Mme Milquet a des accusations précises, qu’elle sorte les pièces. Ce serait un peu trop facile de régler l’affaire actuelle en disant que cela se passait partout.
– Comment va-t-on en finir avec toute cette opacité ?
– Les réformes n’ont une véritable efficacité que si elles sont voulues par les acteurs. Si les partis et les ministres veulent jouer au chat et à la souris avec le parlement, ils pourront le faire. Et ils auront le dernier mot. Malheureusement, en Belgique, on a rarement vu un parlement imposé ses vues à un exécutif. Ce qui pose d’ailleurs un autre vrai problème : celui de contre pouvoir face aux gouvernements.
– Dans l’immédiat, il y a donc peu de chance que l’on en finisse avec les cabinets ministériels?
– De fait, je crois qu’il ne faut pas se faire trop d’illusions. C’est pour cela qu’avec d’autres je propose des mesures intermédiaires. La mise en place d’un code de bonne gouvernance, des critères de recrutements basés sur la compétence, un contrôle parlementaire des dépenses, sur base notamment de lignes budgétaires claires. Cela ne veut pas dire que les cabinets ne pourront plus acheter un taille-crayon sans en référer au parlement. Il s’agit seulement de fixer des limites raisonnables. En outre, je crois qu’il faudrait profiter de ce débat pour rompre avec une pratique très répandue : l’utilisation par les cabinets de fonctionnaires détachés.
– De quoi s’agit-il ?
– Des fonctionnaires sont sortis de l’administration pour travailler dans des cabinets. Le plus souvent, ces fonctionnaires passent quelques années dans les cabinets et puis ils retournent dans l’administration… Avec un grade supérieur. C’est donc encore une manière d’accroître la politisation de l’administration. De plus, ces départs et ces retours déstabilisent l’administration. Pendant l’absence du fonctionnaire, c’est une personne faisant fonction qui occupera son poste. Quel sera la motivation de celle-ci alors qu’elle pourra être rétrogradée au retour de l’agent titulaire de son poste. Surtout, les fonctionnaires « apolitiques » se sentiront souvent lésés en constatant que le passage chez un ministre favorise les promotions. Cela pose un réel problème d’égalité des chances. Je connais le cas d’un fonctionnaire, disons qu’il s’appelait Monsieur A. Il était le chef de Monsieur B., moins ancien que lui. Monsieur B. est passé par un cabinet pendant deux ans et quand il est revenu dans l’administration, il a été nommé chef de Monsieur A. Je peux vous dire que la confiance dans les institutions de Monsieur A. en a été fortement ébréchée… En plus, la pratique des fonctionnaires détachés permet gonfler les cabinets ministériels en masquant le coût réel pour la société. Leur traitement reste en effet à charge de l’administration et le cabinet ne leur verse qu’une allocation complémentaire. Il s’agit donc d’un artifice budgétaire contestable. Enfin, ces fonctionnaires pourraient tout aussi bien remplir des missions spécifiques pour des ministres tout en restant dans leur administration. .
– Vous êtes entré en politique en 1995. Votre expérience de parlementaire correspond-elle à l’idée que vous vous en faisiez en quittant la direction de Médecin sans Frontières?
– Je ne connaissais pas ce fonctionnement avant d’être parlementaire…
– Posons la question autrement. Quels enseignements tirez-vous de votre expérience de parlementaire ?
-Je regrette que le parlementaire ne dispose pas de plus de liberté. Je ne dis pas qu’elle n’existe pas mais le fonctionnement des parlements gagnerait à laisser plus d’autonomie au parlementaire, notamment pour tout ce qui ne figure pas dans les accords de gouvernement. On oublie que l’origine du parlement, c’est aussi le contrôle de l’exécutif. Et en l’espèce, il ne s’agit pas seulement d’une affaire de majorité et d’opposition. Même lorsqu’il est dans la majorité, le parlementaire doit garder un regard critique, mais constructif par rapport à l’action d’un gouvernement.
– Les parlementaires belges disposent-ils d’assez d’autonomie vis-à-vis de leur parti ?
– C’est vrai que le système belge, plus que d’autres, rend les parlementaires structurellement dépendants de leur parti. Ne fusse qu’au niveau de la composition des listes électorales. Dans d’autres systèmes, le parlementaire a un lien plus direct avec son électorat et cela le rend plus indépendant. Je pense à la France et à l’Angleterre, notamment, avec leur scrutin majoritaire.
– Où se trouve le vrai pouvoir politique en Belgique ?
– Très clairement chez les présidents de parti. Par rapport à ces derniers, les ministres ont un pouvoir très relatif. Ce qui n’est pas normal non plus. Les gouvernements devraient avoir plus d’autonomie par rapport aux partis. Ce n’est pas un hasard si Verhofstadt a récemment lutté pour garder le contrôle de son parti alors qu’il était premier ministre. Comprenons-nous bien, il faut des partis. Ceux-ci sont indispensables à la démocratie. Mais je suis contre la particratie, c’est-à-dire le régime quasi exclusif des partis Ainsi, il n’est pas normal qu’autant de nominations, à tous les niveaux, dépendent directement ou indirectement des présidents de partis.
– Qu’espérez-vous comme réaction politique à la crise des cabinets ministériels ?
– J’espère que ce problème pourra être d’abord réglé au niveau de la communauté française. Et qu’ensuite, cela fera tâche d’huile dans les autres gouvernements. Les solutions, elles existent. J’en ai déjà parlé : un code de bonnes pratiques de gouvernance, un budget plus clair et accessible au contrôle parlementaire. Par exemple, quel montant a été affecté aux voyages à l’étranger, au frais de représentation, de rénovation, d’achat de matériel… Il convient aussi de mieux définir la nature des relations entre les cabinets et les administrations. On verra bien le sort qui sera réservé à nos propositions parlementaires. Sans doute est-ce un peu utopique, mais j’espère aussi que ce moment pourrait être celui du débat plus large auquel j’aspire. Et que peut-être l’on cherche enfin à répondre aux questions du livre que nous avons écrit il y a un an, avec Alain Eraly et Eric Gillet…
– Quelles étaient ces questions ?
– La Belgique est-elle gouvernée comme une démocratie moderne ? Les institutions et les administrations sont-elles adaptées aux exigences de la modernité et aux défis du siècle ? Comment réhabiliter la politique en renforçant la gouvernance et la démocratie ? Comment rétablir une confiance ébranlée dans les partis politiques et les institutions ?
(1) Alain Destexhe, Alain Eraly, Eric Gillet, «Démocratie ou particratie ? 120 propositions pour refonder le système belge», Editions Labor, 2003