Entretien publié dans l’hebdomadaire belge « Ciné-Télé Revue », le 30 décembre 2004.
Agé de 53 ans et père de deux enfants, Alain Courtois dispose d’un curriculum vitae particulièrement riche. Juriste de formation, spécialisé en droit administratif, l’homme a fait ses premières armes dans le monde politique. D’abord comme chef de cabinet d’un bourgmestre bruxellois et, dès 1979, comme conseiller du ministre des réformes institutionnelles. En 1981, il devient magistrat et occupe une fonction de substitut du procureur du Roi au parquet de Bruxelles. Sept ans plus tard, nouveau tournant : il prend en charge la destinée de l’Union Royale Belge de Football. Il marque cette fédération de son empreinte pendant plus de 14 ans en se signalant notamment par d’incontestables qualités de gestionnaire et de communicateur. On lui doit notamment l’impeccable organisation de l’Euro 2000. Début 2002, il se lance un nouveau défi en acceptant de prendre en charge la destinée du Royal Sporting Club d’Anderlecht. Un intermède de 10 mois seulement. Les réformes qu’il envisageait pour maintenir Anderlecht dans l’élite des clubs européens n’ont pas été acceptées. Quand on voit les résultats actuels du premier club du pays en Ligue des Champions, on se dit qu’il n’avait peut-être pas tout à faut tort! Mai 2003, nouveau virage : Alain Courtois est élu député à Bruxelles sur la liste du MR. A l’époque, avec son colistier Marc Wilmots, il annonce sa ferme intention de «doter la Belgique d’une politique sportive ambitieuse» parce notre pays «se situe à la traîne des pays développés» en la matière. Mais en politique, il faut beaucoup de patience…
– Peu de temps avant d’être élu, en mai 2003, vous aviez alerté l’opinion sur la situation catastrophique du sport en Belgique. Vous disiez notamment : «Chacun perçoit les valeurs et les avantages immenses du sport pour la population d’un pays… Et pourtant, la Belgique se situe à la traîne des pays développés en matière de pratique sportive. Il n’y a aucune politique sportive ambitieuse, aucun plan global» Avec enthousiasme, vous annonciez que si vous étiez élu, vous tenteriez de faire ratifier un «pacte» entre les pouvoirs publics et le monde sportif pour faire du sport, «une des priorité de l’action politique» ? Où en êtes-vous?
- Nulle part! Quand j’ai été élu, j’ai demandé au premier ministre d’organiser une conférence officielle réunissant tous les ministres de ce pays dont les compétences touchent de près ou de loin au sport. L’idée a été acceptée par M. Verhoofstadt et deux réunions préparatoires ont eu lieu au sein de son cabinet. Et puis, cela n’a plus bougé. Il est vrai que la matière est très morcelée. Il n’y a pas moins de six ministres du sport en Belgique! C’est le double du nombre de médailles qu’on a gagnées aux derniers jeux olympiques… Il y a le ministre flamand du sport, le ministre bruxellois du sport, le ministre wallon du sport, le ministre de la communauté française en charge du sport. Il y a aussi un ministre pour la Communauté germanophone. Et puis, il y a un ministre peu connu, celui de l’Economie qui est charge des institutions bicommunautaires. Par exemple, la Fédération belge de Football. Et si l’on veut prendre la problématique du sport à bras le corps, il faudrait encore convier plusieurs ministres fédéraux. Ceux qui ont en charge l’emploi, la fiscalité, la sécurité sociale… Cela demande une véritable volonté politique.
– Elle fait défaut ?
– J’ai l’impression de prêcher dans le vide. Et moi, quand je perds mon temps, je m’en vais. Où alors je pousse un coup de gueule. Tourner en rond, ce n’est pas mon truc! Je dois dire que je ne comprends pas très bien le manque d’intérêt du monde politique pour le sport. Sauf, bien entendu quand il y a un truc prestigieux. Par exemple quand Henin-Clijsters jouent la finale de Roland Garros, le TGV porte parfaitement son nom : «Tout le Gourvernement y Va». Ils sont tous là, au premier rang. Et tous ils aiment le sport! A côté de cela, il y a des tas de petits clubs amateurs qui n’en sortent plus, une absence de politique globale pour favoriser la pratique du sport par tous et dès le plus jeune âge, la disparition de plus en plus évidente des sportifs de haut niveau en Belgique, la pénurie de résultats probants dans presque toute les compétition internationales. Je dois dire que je ne comprends pas l’immobilisme actuel. En entrant en politique, je me sentais en mesure de faire bouger plus facilement les choses. Il me semblait disposer d’arguments imparables et très fédérateurs. Par exemple, ceci : le sport est très populaire en Belgique car pas moins de 800.000 de nos concitoyens sont affiliés à un club sportif. Un véritable mouvement social! Et pourtant, le budget du sport en Belgique ne représentent pas plus de 0.5% de l’ensemble des budgets de l’Etat (Etat fédéral, Communautés et Régions). C’est une honte! Faudra-t-il bientôt organiser un Téléthon pour sauver les clubs sportifs?
– Ne s’agit-il que d’une question de gros sous ?
– Bien sûr que non. Déjà le monde du sport serait content d’être entendu, respecté. Et puis des idées simples peuvent être facilement mise en pratique sans que l’Etat ne doivent délier sa bourse. Par exemple, j’ai déposé une proposition de loi pour la création de «chèques sport et culture», un équivalent des chèques repas qui seraient octroyés par des entreprises à leurs salariés. Bon, cette proposition a fait l’unanimité au parlement et on attend les arrêtés d’exécution. 1800 entreprises sont déjà prêtes à se lancer. Un autre exemple : un chômeur peut-il contribuer bénévolement à des tâches d’encadrement ou d’aide dans un club sportif amateur? Ce n’est pas clair et donc cela bloque pas mal de vocation. Il y a des tas de gens qui sont au chômage que cela intéresserait certainement d’aller aider, encadrer des jeunes mais qui n’osent pas de peur de perdre leurs allocations. Il y a aussi la question des volontaires, soit des bénévoles qui touchent une indemnité de 1000 euros par an non taxables. Si on acceptait d’augmenter l’immunité fiscale jusqu’à 2000 euros, on éviterait beaucoup de transactions en noir et il y aurait aussi plus de candidats. Une autre mesure simple pourrait aussi soulager beaucoup de familles, surtout celles où plusieurs enfants font du sport ou une activité culturelle A savoir, la déductibilité des cotisations. Au début de l’année scolaire, quand les parents reçoivent des invitations à payer 8000 francs pour le foot, 2000 francs pour le judo et 5000 pour le cours de piano, c’est la cata! Si ces mesures pouvaient passer d’ici à la fin de la législature, ce serait déjà ça…
– Mais tout ne serait pas résolu pour autant ?
– Loin s’en faut. Ce qu’il faudrait, c’est un grand élan. Une vision. Or, en Belgique on a l’impression que le sport, c’est du plic et du ploc : «vous êtes le copain de, vous allez recevoir quelque chose». Et bien sûr l’inverse : « vous n’êtes pas le copain de, vous n’aurez rien». Exemple : la Région wallonne va aider certains clubs, la Région bruxelloise ne «parvient» pas à le faire. Autre exemple : en 1998, on investit plus d’un milliard d’anciens francs dans le Stade Roi Baudouin. Ensuite, on y fait le match inaugural et la demi-finale de l’Euro 2000. Quatre ans plus tard, le stade est déjà usé. Parce qu’on a pas planifié son entretien à long terme. Il faut le savoir, la Belgique est larguée en termes d’infrastructures… Comme ses sportifs le sont de plus en plus sur les terrains. Dernièrement, j’ai vu de Radiguès. Il me disait : «C’est fini. Quand il n’y aura plus Henin et Clisters, il n’y aura plus personne». Et pourquoi ? Parce que l’on ne favorise pas la découverte des sports dès le plus jeune âge et bien entendu, rien n’est fait non plus pour repérer et mettre en valeur les talents de demain. Pendant ce temps-là, le monde bouge. Depuis la chute du mur du Berlin, les nouvelles nations comme la Croatie, la Lettonie, la Tchéquie, la Lituanie ou la Slovaquie ont beaucoup investi dans le sport. Ils savent que le sport contribue à forger l’image d’un pays. Pendant ce temps, en Belgique, on dort. Où alors
on s’occupe des sodas dans les écoles mais pas de la condition physique des gosses. L’élément principal du dossier, c’est pourtant cela : le mouvement, l’éducation physique. Comment se fait-il que la Belgique soit l’un des seul pays d’Europe où l’on ne parvienne pas à instaurer une après-midi sportive dans le secondaire? Qui fait le check de la santé des enfants aujourd’hui ? Ce sont les clubs sportifs. Ce sont eux qui envoient les gosses chez le toubib. 67% des enfants qui sont dans les écoles sont aussi dans des clubs sportifs, c’est tout de même énorme! Le mercredi après-midi, les clubs sportifs sont les plus grand baby sitter du Royaume! Ceux qui s’y investissent ont le sentiment que le monde politique leur dit : «occupez-vous des petits et fermez-là». Ils se sentent méprisés. Il n’y a pas de budget pour les aider ? Comment n’admet-on pas l’idée qu’en favorisant la pratique sportive de toutes les classes d’âge – et cela dès la maternelle-, on ferait d’énormes économies en termes de sécurité sociale! C’est l’évidence. Comment on ne comprend pas cela ? A moins que l’on doive chercher les raison de l’immobilisme ailleurs : le sport étant un des derniers éléments fédérateurs dans ce pays, c’est peut être pour cela que certains, et pas seulement les partis extrémistes, ne veulent pas le favoriser.
– Avant d’être élu, vous évoquiez la nécessité de créer un poste de «commissaire fédéral aux sports». Qu’est devenue cette idée ?
– Je l’ai soumise à plein de gens. J’avais même donné son nom : je pense qu’Eddy Merckx aurait été parfait dans ce poste. Moi si j’étais premier ministre, je le nommerais aussitôt. Mais bon, cela n’a pas été jugé intéressant de disposer de quelqu’un qui aurait eu un point de vue global sur le sport en Belgique. Dans le même ordre d’idée, il faudrait d’ailleurs refédéraliser le sport professionnel. Cela permettrait d’enfin disposer d’un budget pour créer un Centre fédéral de formation des sportifs de haut niveau. On est l’un des seuls pays au monde qui n’en a pas. Même Luxembourg, Chypre ou Malte disposent de cela! Ce serait un endroit où l’on trouverait les meilleurs dans toutes les disciplines olympiques. Mais non, la encore il n’y a pas d’argent public pour cela. Alors, il faut utiliser des ficelles. On est en train de mettre sur pied une très grande salle à Forest national. 18.000 places! Je suis dans ce projet et j’ai demandé qu’1 % des recettes soient versé à un fond pour le sport amateur. Voilà où on en est! C’est presque la charité. Ce fond sera géré par des sportifs. Pas de politique là dedans! Eddy Merckx, Van Himst, Roelandts, des gens comme cela. Ils sont d’accord. Eux, ils savent ce que c’est un petit club amateur qui est dans le besoin. Moi aussi. Récemment encore, j’ai été contacté par une petite équipe amateur de judo de la région bruxelloise. Ces gens s’étaient qualifiés pour un championnat d’Europe. Ils devaient aller à Saint-Pétersbourg mais ils n’en avaient pas les moyens…
– Pour vous qui avez aussi choisi la voie politique, c’est un peu décevant ?
– Manifestement, ce n’est pas la politique qui va faire évoluer le sport en Belgique. Donc on doit trouver d’autres moyens. Toutefois, je continuerai tout de même à me battre au niveau parlementaire jusqu’à la fin de mon mandat.
Là, vous en avez marre…
C’est vrai… Le monde politique devrait aussi prendre conscience du ras-le-bol du monde du sport. Si cela continue, il va y avoir du mouvement. Croyez-moi, cela va faire mal! Imaginez-vous qu’il n’y ait pas de sport pendant tout un week-end. Les cinq grandes fédérations! Football, Basquet, Handball, Hockey, Volley. La presse devra bien expliquer pourquoi! On est en train de travailler à cela.
– Le monde du sport ne doit-il pas aussi balayer devant sa porte. Par exemple, il y a le problème du dopage qui est de plus en plus récurrent.
– Je suis d’accord. D’où le «pacte» que je propose. Dans la vie, c’est comme cela. Il y a des droits et des obligations. Vous avez parlé du dopage. Ca c’est un fléau qu’on n’éradiquera jamais à fond. Mais il faut lutter sans répit. Il y aussi des abus en termes d’esprit de compétition : on doit arrêter cela avec des gamins de 13 ans auxquels on propose déjà des contrats. C’est de la folie pure. Il faut aussi disposer de gens sérieux et compétents pour encadrer les jeunes dans les clubs, pas des docteurs Mabuse. C’est l’esprit de ce qui se passe en Catalogne. Une région qui a investit quatre milliards de francs dans le sport. On aurait besoin d’une sorte de Plan Marchal pour le sport belge.
– Si vous étiez ministre des sports et que vous aviez toute latitude pour prendre une série de mesures immédiates que feriez-vous ?
– Primo, l’obligation de l’apprentissage de la psychomotricité dans les écoles maternelles. C’est là que l’on apprend le mouvement. Il y a des tonnes de kiné qui sont sans emploi et dont ce pourrait être le premier boulot. Secundo, trois heures minimum d’éducation physique dans le secondaire et 1 heure 30 dans le primaire. Tertio : créer des passerelles immédiates entre les écoles et les clubs sportifs et les associations culturelles. Pour savoir si un gosse a une vocation pour tel sport ou telle activité culturelle, il faut qu’il y ait au moins trois ou quatre jours par trimestre d’éducation au sport et d’éducation aux activités culturelles. C’est comme cela que l’on permettra au sport et à la culture de jouer à plein leur rôle social. Ce sont en effet des domaines où le talent prime sur les origines sociales : le fils d’Albert Frère ne sera jamais avant-centre d’Anderlecht s’il ne sait pas jouer. Par contre, un gamin qui a très peu de moyen financier, si il a le talent… Mais pour cela, il faut aller le chercher! C’est ce qu’on ne fait pas. A l’école, on bosse en math mais on ne va jamais demandé à un gamin s’il aimerait essayer du piano. A mon sens, il faut travailler à deux niveaux : faire de l’accès de tous au sport et à la culture, un enjeu prioritaire. Et dans le même temps, mettre en œuvre une vraie politique de détection des talents. Ceux là, ils iraient dans le Centre de formation. Lequel d’ailleurs pourrait aussi assurer des possibilités de reconversion pour des sportifs en fin de carrière. Ils y transmettraient leur expérience aux jeunes. Je préfèrerais qu’un médaillé olympique comme De Burgrave fasse cela… Plutôt que de vendre des chaussures!