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29 Mai 2019
Entouré deux autres lauréats, le journaliste David Leloup (à gauche) et Mehdi Kassou, porte-parole de la Plateforme citoyenne de Soutien aux Réfugiés (Photo : Théo Poelaert - RésistanceS. be)
Ce samedi 25 mai 2019 a été remis, pour la première fois, un prix à "des associations, des militants, des personnalités publiques (journalistes, réalisateur et humoriste) et des citoyens ordinaires qui luttent, à leur manière, au quotidien, contre les partis, les idées et l’influence de l’extrême droite dans notre société." Ce prix, le Triangle rouge d’or, est proposé par le web-journal RésistanceS.be, son asbl éditrice, RésistanceS, en partenariat avec le MRAX (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie). Il a été remis au Théâtre de Poche par Francine Esther Kouablan, la directrice du MRAX, et Manuel Abramowicz, le rédacteur en chef de RésistanceS.be. Avec mon confrère David Leloup, j'ai recu le "Triangle rouge d'or du journalisme d'investigation pour la société civile".
J'avais préparé un petit discours pour l'occasion. Je ne l'ai pas lu lors de la remise du prix pour ne pas prendre un trop grand temps de parole. Je vous le livre ici.
"Je vous remercie.
Je remercie Valérie, ma femme, qui connait l’envers du décor.
Honnêtement, je ne vois aucun intérêt à vous dire un mot de moi.
Je préfère vous inviter à un moment d’intense silence.
Je voudrais que, pendant ce moment de silence, nous cherchions à entendre des voix qui nous réclament justice, des voix qui nous disent : « plus jamais cela », les voix de ceux, si nombreux, qui ont été dans l’histoire de ce monde, les victimes de la haine, les victimes des totalitarismes, les victimes de l’intolérance, les victimes du racisme.
Ce sont des voix qui parlent à notre cœur, à notre conscience mais aussi à notre intellect. Car les semeurs de haine ignorent que toutes les avancées majeures de l’humanité ont été le résultat de partages de savoirs et d’expérience, de collaborations et d’échanges. C’est en coopérant que les hommes avancent. C’est pour cela qu’il convient de dénoncer les réactionnaires qui cherchent à ce que les hommes se déchirent, se rejettent et s’affrontent. C’est pour cela qu’il convient d’encourager ceux qui créent des ponts.
Je ne sais pas quelles voix vous entendrez pendant ce moment de silence. Il y en a tellement. Il y en a trop. Moi aussi, je ne sais plus…
Cependant je voudrais vous dire un mot de quelques-unes d’entre elles que j’ai rencontrées à l’occasion de mes enquêtes les plus récentes. C’est injuste parce que, depuis plus de 30 ans que je fais ce métier, j’en ai entendu beaucoup d’autres. Soit…
Entendez-vous comme moi la voix de la petite Mawda ? Mawda, 2 ans, tuée par un tir policier, lors d’une opération de chasse aux migrants sur une autoroute belge. Lors de l’une de ces opérations « Médusa » mises en place par un ministre de l’Intérieur qui, par ailleurs, déclara un jour, que ceux qui avaient collaboré avec les nazis pendant la guerre, avaient « leurs raisons ». Mawda, née sur les routes de l’exil, sans domicile fixe de la première à la dernière minute de sa courte existence. Mawda qui réclame JUSTICE.
Venant de très loin, j’entends aussi la voix d’un résistant. Celle du chef Lusinga qui, non loin du lac Tanganyika, à la fin du 19ème siècle, contesta la volonté d’hégémonie d’un militaire belge qui était venu coloniser son pays. Alors ce militaire belge fit incendier ses villages, il fit tuer des dizaines de personnes, il organisa des pillages. Alors ce militaire belge, un certain Emile Storms, fit décapiter Lusinga et il ramena son crâne en Belgique pour qu’il serve à des démonstrations pseudo-scientifiques, à des exposés imbéciles, visant à affirmer une prétendue infériorité des noirs. Ce crâne se trouve toujours dans un musée à Bruxelles, à quelques centaines de mètres d’ici. Au Musée de Tervuren, on expose toujours les statuettes pillées à Lusinga. Et au square de Meeus, en face de l’ancien siège de la Sûreté de l’Etat, un buste rend hommage au général Storms.
Je voudrais aussi vous faire entendre la voix d’un homme né en 1891 à Manheim en Allemagne. Adolph Wolrauch devint apatride parce qu’il était juif, puis il fut contraint à l’exil en Belgique peu de temps avant la guerre parce qu’il était juif et à ce titre persécuté par les nazis, puis il fut « interné » dans un centre fermé à Marneffe parce qu’il était « sans papier », puis il fut transféré par les Belges dans le camp de Gurs (France), sans pouvoir prendre ses bagages, parce qu’en mai ’40 lors de l’invasion de la Belgique, il était un étranger suspect. Ensuite, il fut transféré par les collabos de Vichy à Drancy parce qu’il était juif, puis il fut déporté par les Allemands à Majdanek parce qu’il était juif, camp où il trouva la mort en 1943.
Lors d’une récente enquête, j’ai consulté les archives du Centre du Marneffe où Adolph Wolrauch fut « interné ». Ses bagages, comme ceux de tant d’autres réfugiés qui étaient passés par là, y étaient restés en déshérence pendant des années. Alors, en 1962, l’Etat belge, plutôt de chercher les familles de ces réfugiés juifs morts en déportation pour permettre une restitution de leurs biens, organisa une « vente publique aux enchères » dans un café à Marneffe. Ce jour-là, on vendit 884 livres, de la vaisselle, des « ustensiles de ménage », des « linges de corps et de maison ».
L’affiche imprimée pour faire la publicité de l’évènement était muette quant à l’origine des objets encombrants dont les pouvoirs publics cherchaient à se débarrasser. La vente rapporta 4315 francs belges, soit quelques 800 euros actuels, en tenant compte de l’inflation… Ainsi fut tournée la dernière page de l’histoire méconnue du « Centre d’internement des réfugiés juifs » de Marneffe, en province de Liège. Par la vente au plus offrant de biens ayant appartenu à des déportés juifs assassinés dans les camps d’extermination nazis.
Que pourrait nous dire la voix d’Adolph Wolrauch ? Peut-être ceci : « Peu importe mes bagages, il y a pire. Ne voyez-vous pas que certains voudraient recommencer les crimes du passé, que la bête immonde cherche à renaître ? »
Il n’y a pas que les voix des morts, il y aussi les cris des vivants. Paradoxalement, les cris de vivants : ceux qui sont aujourd’hui et maintenant sur les routes de l’exil, ceux qui sont aujourd’hui et maintenant victimes des guerres, victimes de tyrans, victimes de dictatures, ceux qui sont exploités, ceux qui sont affamés, paradoxalement, toutes ces voix-là, il se peut qu’on les entende encore moins.
Il y a quelques jours, dans « Le Monde », le savant Yuval Noah Harari écrivait ces mots que je vous partage : « Les pires crimes de l’histoire ont été pour la plupart commis non par haine mais par indifférence. Ils ont été engendrés par des gens qui auraient pu faire quelque chose mais qui n’ont pas même pris la peine de lever le petit doigt. L’indifférence tue. Peut-être que votre indifférence ne vous tuera pas, vous, mais il est probable qu’elle tuera quelqu’un d’autre. »
Ce samedi 25 mai 2019 a été remis, pour la première fois, un prix à des associations, des militants, des personnalités publiques (journalistes, réalisateur et humoriste) et des citoyens ordinaires qui luttent, à leur manière, au quotidien, contre les partis, les idées et l’influence de l’extrême droite dans notre société.
Ce prix, le Triangle rouge d’or, est proposé par le web-journal RésistanceS.be, son asbl éditrice, RésistanceS, en partenariat avec le MRAX (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie). Il a été remis au Théâtre de Poche, dans le Bois de la Cambre (1000 Bruxelles), devant un public important, par Francine Esther Kouablan, la directrice du MRAX, et Manuel Abramowicz, le rédacteur en chef de RésistanceS.be.
Voici les lauréats de l’édition 2019 de ce prix :
Triangle rouge d’or de l’humour contre la bêtise et la haine
> A l’humoriste Cécile Djunga, victime du racisme ambiant alimenté par des discours politiques.
Triangle rouge d’or du journalisme d’investigation au service de la société civile
> A Michel Bouffioux, pour ses révélations dans Paris Match sur les silences et les sabotages de l’enquête sur l’affaire Mawda.
> A David Leloup, pour ses enquêtes sur des affaires politico-financières, notamment publiées dans Le Vif et Medor. Pour le soutenir dans les poursuites judiciaires dont il est aujourd’hui victime.
Triangle rouge d’or du film de cinéma pour nous éclairer de la réalité sur les mouvements radicaux sectaire
> Au réalisateur belge Lucas Belvaux pour « Chez nous », l’un des meilleurs films sur l’extrême droite et ses différentes facettes : électorale, extrémiste, violente, terroriste …
Triangle rouge d’or de l’association militante engagée pour les droits humains
> A la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés pour le travail de ses milliers de membres qui apportent quotidiennement, jour et nuit, semaine après semaine, un hébergement et une aide en Belgique aux exilés persécutés du monde entier. Prix remis en main propre à Mehdi Kassou.
Triangle rouge d’or de l’institution publique au service de la sensibilisation citoyenne
> Au Musée Juif de Belgique, victime d’une attaque terroriste antisémite le 24 mai 2014 (il y a cinq ans jours pour jour + un jour), pour sa participation au « vivre ensemble ».
Triangle rouge d’or du livre pour un société sans discriminations et pour l’égalitaire (à titre posthume)
> Au dessinateur de presse de Charlie Hebdo Charb, assassiné le 7 janvier 2015 à Paris par des terroristes fanatisés par les discours de haine politico-religieux des djihadistes conservateurs, pour son livre « Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes » (éditions parisienne Les Echappés).
Triangle rouge d’or de l’action à l’étranger pour un monde meilleur (prix international)
> A Daryl Davis, musicien noir américain qui lutte – par la discussion – contre les leaders suprémacistes du Ku Klux Klan (KKK).
Triangle rouge d’or du courage citoyen contre le danger de l’extrême droite et le racisme
> A Véronique Lhoir et Christian Jordens, un couple qui est venu en aide à des jeunes bruxellois poursuivis par des militants néonazis lors de la Marche contre le Pacte de Marrakech, organisée le 16 décembre 2018 à Bruxelles par le Vlaams Belang et d’autres organisations d’extrême droite, avec le soutien de Theo Francken, leader de l’aile ultra droite de la N-VA.
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