23 Mai 2004
Chronique "Si on me laisse dire" publiée dans le quotidien belge "La Dernière Heure" en marge du procès de Marc Dutroux et consorts
Que sait-on de plus ? (54 - Le 24 mai 2004)
569 témoins auront donc défilé devant les jurés de la Cour d’assises d’Arlon. Pour autant en sait-on plus aujourd’hui qu’il y a douze semaines ? La réponse à cette question ne peut malheureusement être que très mitigée. Ceux qui, au cours des dernières années, avaient suivi l’affaire Dutroux d’un regard distrait auront sans doute trouvé surprenant de constater tellement de lacunes dans l’instruction des faits par le juge chestrolais Jacques Langlois.
A cet égard, des exemples marqueront durablement les esprits : la non prise en compte du témoignage du maître-chien dans le cadre du volet d’enquête relatif aux circonstances de l’enlèvement de Julie Lejeune et Melissa Russo; La mise hors-jeu du mythe fondateur de l’instruction selon lequel la connaissance du vécu de captivité des victimes vivantes de Dutroux – Sabine Dardenne et Laetitia Delhez- suffisait pour expliquer ce qu’ont dû subir les quatre victimes décédées; La mise en évidence du caractère aberrant de cette croyance du magistrat – fondée sur les déclarations de Dutroux et Martin- selon laquelle Julie et Melissa auraient pu survivre seules et pendant plus de 100 jours dans la minuscule et sordide cache de Marcinelle; Les dérives corollaires à cet incroyable présupposé, comme des refus de perquisitions et de divers actes d’enquête qui ne correspondait par à «l’hypothèse» du chef de l’enquête…
Pêle-mêle, certains auront encore été soufflé de voir des enquêteurs se plaindre de n’avoir pas pu «aller jusqu’au bout» de leur investigations. On pense notamment à ces pistes dites «périphériques» et trop peu explorées. Ainsi en va-t-il de celle des «Fiesta rouge» et de l’«Hôtel Brazil» qui sont apparues tellement complémentaires lors du débat public. Les mêmes se seront sans doute étonnés en découvrant que le personnage d’un Michel Nihoul n’a décidément rien de la «prestance» que lui avait attribuée le magistrat instructeur en début de procès. Malgré leur indubitable talent, les avocats du quatrième accusé n’ont pas plus réussi à imposer cette image de petit escroc et du partouzeur sympathique qui aurait été embarqué dans une affaire qui ne le concerne en rien. Les thèses évolutives de Michel Nihoul sont ainsi apparues au grand jour, notamment en ce qui concerne la problématique des pilules d’ecstasy livrées à Michel Lelièvre au lendemain de l’enlèvement de Laetitia Delhez.
Ce procès aura aussi été celui d’une remise en perspective lacunaire des mystères entourant certaines enquêtes policières sur Marc Dutroux et consorts. Certes, la Cour d’assises n’était sans doute pas le lieu idéal pour reposer des questions sur le rôle incompréhensible de l’ex-gendarmerie dans le cadre de l’opération Othello… Mais c’était aussi la dernière occasion de s’y employer pour certaines parties civiles. Résultat : néant. Pire, on sortira de ce procès avec l’idée que les longs travaux de la commission d’enquête parlementaire n’avaient débouchés que sur des explications très incomplètes des actions secrètes de l’ex-gendarmerie en 1995. De manière symbolique, lors de la dernière journée d’audition des témoins, un ancien du BCR de la gendarmerie est venu répéter les mensonges qui étaient ceux de son ancien corps de police aux premiers jours de la commission d’enquête en 1996. Comme si le parlement n’était que quantité négligeable.
De cela comme de toutes les incohérences et zones d’ombre apparues lors de ces douze semaines, certains auront donc été étonnés, surpris, soufflés… Mais pas les parents de Julie, Melissa, An et Eefje : tout cela, ils le savaient déjà. Ce qu’ils ne savent pas, par contre, n’a pas avancé d’un pouce : qu’est-il arrivé à leurs enfants après qu’ils furent kidnappé durant l’été 1995?
Voir le profil de Michel Bouffioux sur le portail Overblog