Un entretien publié dans l'hebdomadaire belge Ciné-Télé Revue, le 22 septembre 2005
«Il y a des moisissures sur les plafonds, j’en attrape fréquemment des crises d’asthmes. (…) Dans le salon, les murs se fissurent. (…) Ici, il ne vaut mieux pas que le chauffage tombe en panne à la veille d’un week-end (…) Quand on rentre dans mon immeuble, on est pris par une odeur d’urine persistante. Il faudrait entretenir la tuyauterie (…) Chez moi, l’ascenseur fonctionne un jour sur deux». Voici quelques propos parmi d’autres tenus par des locataires de la «Carolorégienne», la plus grande société de logement social de la région de Charleroi : 2.770 maisons et appartements. Jusqu’il y a peu, les locataires se contentaient de râler : la «Carolo» n’étant pas en bonne santé financière, on pouvait comprendre que certaines réparations tardent. Mais depuis quelques jours, le temps est plutôt à l’amertume, voire carrément à la colère. En cause, la révélation par le député Olivier Chastel (MR) d’un audit mettant en cause, notamment, un possible enrichissement personnel de certains administrateurs socialistes de la société de logement. L’instruction ouverte depuis peu pour «abus de biens sociaux» tranchera. Piqués au vif, certains membres du PS de Charleroi taxent leur accusateur libéral d’avoir joué le jeu de l’extrême droite. Coup de gueule en retour de Chastel : «Je n’ai fait que révéler des faits et comportements ahurissants. Plutôt que de m’injurier, certains mandataires socialistes devraient assumer leurs responsabilités. Ce sont justement des dérives telles que celles qui sont apparues à la Carolorégienne qui sont de nature à jeter une ombre sur la relation de confiance indispensable entre les citoyens et le monde politique».
- Alors Monsieur Chastel, vous qui êtes conseiller communal depuis 1993, président de la Fédération du MR du Hainaut et vice-président de la Chambre des représentants, vous ne seriez qu’un vulgaire suppôt de l’extrême droite ?
- Cela fait près de dix ans maintenant que je me suis investi en politique et je n’ai pas besoin que l’on me décerne un brevet de bon démocrate. Je n’ai fait que mon boulot d’élu en donnant connaissance à la population de faits ahurissants qui portent gravement atteintes à l’intérêt général. Très sincèrement, j’aurais préféré que certains me répondent par des contre arguments convaincants, plutôt que par l’injure. Mais cela est symptomatique d’un mode de défense, ici à Charleroi : lorsque vous mettez en lumière un dysfonctionnement, on dit que vous faites le lit de l’extrême droite. Il me semble pourtant évident que ce sont ceux qui commettent des actes illégaux sous couvert de leurs mandats publics qui rendent un très mauvais service à la démocratie. Fonctionnant dans un système de majorité absolue depuis de trop nombreuses années, certains mandataires socialistes semblent éprouver un sentiment d’impunité. Ils ne veulent rendre de compte à personne. Lorsque l’opposition les interpelle, ils ne répondent pas, ils mordent. Dans cette affaire, les mêmes se sont montrés très agressifs à l’égard de journalistes qui avaient l’outrecuidance de leur poser des questions critiques. Et bien maintenant, ils faudra bien qu’ils répondent à celles de la justice puisqu’une instruction a été ouverte par le parquet de Charleroi pour abus de biens sociaux. Cela dit, et étant justement très allergique au discours simplificateur de l’extrême droite, je ne met pas tout le PS dans le même sac. De même, je crois que les efforts d’Elio Di Rupo pour faire de son parti un outil moderne et efficace sont tout à fait sincères. Toutefois, son message a encore du mal à passer dans certaines baronnies locales et particulièrement à Charleroi.
- Il n’en reste pas moins que la donne électorale est particulièrement préoccupante en Hainaut. Lors des dernières élections régionales, le FN a parfois atteint la barre de 15%. Vous n’avez pas peur qu’avec ce genre d’affaire qui éclate à un an des communales, cela fasse quelques dégâts supplémentaires ?
- Devais-je alors me faire complice d’un silence coupable? Je vous rappelle que l’audit que j’ai porté à la connaissance de l’opinion n’est que le rapport de suivi d’un précédent audit… Datant lui de novembre 2002. Or, ce rapport de 2002 était resté totalement secret. Pas vu, pas pris. Fallait-il que j’acquiesce sans mot dire à une deuxième enterrement de première classe? J’ai d’abord pensé aux locataires concernés. Beaucoup d’entre eux vivent dans des habitations qui ont besoin d’un coup de neuf. Ce n’est déjà pas très agréable mais en plus on leur demande d’autres efforts injustes. Par exemple, ceux qui ont versé trop de charges ne sont pas remboursés en vertu d’un prétendu système de solidarité… Et parallèlement à cette politique d’austérité imposée aux locataires, un audit dénonce le fait que l’argent de leur société de logement vole par les fenêtres… pour apparemment retomber dans la poche des certains administrateurs. En révélant ces faits, je crois avoir rendu service aux locataires mais aussi à la démocratie. J’ai montré qu’il pouvait y avoir un réel contrepouvoir, même dans une région à hégémonie socialiste comme celle du Hainaut. C’est justement là un message essentiel dans le combat contre l’extrême droite. La toute grande majorité des gens qui votent FN ne le font pas pour des raisons idéologiques ou parce qu’ils seraient sensibles à des argumentaires de type racistes, mais simplement parce qu’ils se disent que politiquement, vue l’hégémonie du PS sur la région, il est difficile de changer le paysage : les autres partis démocratiques étant systématiquement rejetés dans l’opposition. Les conditions de vie difficiles aidant, ils se replient sur un vote rejet systématique. Cela a deux conséquences : le PS garde ses majorités absolues – et on voit à quel dérive cela peut conduire- et le FN envoie des personnes incompétentes dans les assemblées qui brillent essentiellement par leur absence. Pour sortir de ce cercle vicieux, les gens déçus devraient comprendre que l’alternative est de donner plus de poids aux autres formations démocratiques. Cela ouvrirait la perspective de majorités pluralistes et partant, cela favoriserait une meilleure gouvernance. Quand un parti est trop longtemps seul au pouvoir, il n’y peut y avoir que des dérives. Les hommes sont ce qu’ils sont.
- Plus de 18.000 euros de frais de restaurant et 10.000 euros pour l’achat de bouteille de vin en une seule année pour l’administrateur délégué de la Carolorégienne. Le président du CA qui se fait rembourser 3500 euros de frais pour une année où il ne travaillait pas encore pour la société. La mise en évidence de fournisseurs privilégiés dont certains semblent avoir des liens, soit avec des membres du Comité de gestion (notamment la société du président du CA), soit avec le PS (notamment le cabinet d’avocat Van Cauwenberghe). Le payement d’assurances et d’entretiens pour des véhicules n’appartenant pas à la société. Des indemnités de licenciement faramineuses accordées à des anciens responsables qui avaient pourtant commis de multiples fautes de management, l’Audi A6 Quatro du directeur-gérant (plus de 28.000 euros à charge de la société) C’est…
-… Tout à fait invraisemblable! Et il faut mettre cette énumération en rapport avec les aspects de l’audit locatif. Soit la demande de garanties abusives, de frais d’entrée et de sortie illégaux, le non remboursement du «trop payé» des charges, le mauvais entretien du parc immobilier. Sur ce thème, je viens de découvrir des documents dont personne n’a encore parlé. Ce sont les rapports du réviseur d’entreprise de la Carolorégienne qui sont annexés, chaque année, au compte de la société. Je vous cite le réviseur : «La société perçoit auprès de tous les locataires une redevance mensuelle dite de «risque divers», elle perçoit aussi des montants de frais récupérés liés à l’entrée ou la sortie d’un logement. Ces deux types de montants supplémentaires demandés aux locataires sont non conformes à la réglementation en vigueur. Ils influencent positivement le compte de résultat à conséquence de 246.000 euros». Traduction : 10 millions d’anciens francs demandés abusivement aux locataires et d’après les documents dont je dispose aujourd’hui, cela s’est passé en 2002, en 2003 et en 2004…
- Un autre fait renvoie à ce que vous disiez tout à l’heure sur la culture du pouvoir absolu de certains mandataires socialistes carolo. Je veux parler de ce fameux «comité de gestion» ?
- A cet égard, il faut préciser que le conseil d’administration de la Carolorégienne est déjà très peu pluraliste : il y a trente socialistes pour 3 MR et un Ecolo. Mais cette domination n’était pas encore suffisante alors ils ont créé ce comité de gestion totalement illégal pour «préparer» le travail entre amis. Et comme, on n’est jamais mieux servi que par soi-même les douze membres de ce comité se sont alloués une indemnité mensuelle de 471 euros pour la participation aux réunions de cette structure parallèle. Attention, c’est l’indemnité qui était mensuelle, pas les réunions. En 2001, il y en aurait eu deux. En 2004, il y en a eu 7… A mon sens, ces sommes doivent être remboursées à la société.
- La justice fera le tri de ce qui relèvera de l’action pénale. Les personnes mises en cause pourront aussi se défendre. Mais, déjà à ce stade, le dossier apparaît accablant. Et pourtant, les trois échevins socialistes mis en cause dans n’ont pas démissionné…
- Au moment de notre entretien –dimanche 18 septembre- ils n’ont démissionné que de leurs fonctions au sein de la société de logement et ils restent échevin. C’est une gifle de plus à la démocratie. D’ailleurs, même des socialistes sont choqués. Elio Di Rupo a jugé la sanction insuffisante. Le député permanent Jean-Pierre De Clerq a dit qu’il «fallait faire le ménage». Cela risque encore de bouger dans les jours à venir. Mais au final, si ces personnes ne devaient pas prendre leurs responsabilités, que le PS Carolo ne vienne plus jouer les donneurs de leçons sur les dangers de l’extrême droite!