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L'insoutenable cruauté d'une décision administrative

La famille Petrossian

La famille Petrossian

Une enquête publiée dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 21 septembre 2006

Installée depuis 7 ans en Belgique, une famille entière bientôt expulsée ?

Pseudo démocratie minée par une corruption omniprésente, l’Arménie est un enfer sur terre pour l’immense majorité des gens qui peuplent cette ex-république socialiste soviétique. Confronté personnellement à l’arbitraire d’un régime qui s’appuie sur une police extrêmement répressive et un système carcéral moyenâgeux, Artak Petrossian a un jour pris une très grave décision : laisser sa maison, quitter son travail, sa famille et ses amis. Ne plus rien posséder, sauf sa dignité. Et partir… Le plus loin possible! Dans l’espoir de construire un avenir meilleur pour sa famille. C’était il y a sept ans déjà. Le hasard d’un convoi de la Croix Rouge a fait aboutir Artak en Belgique. Un pays dont il ne connaissait rien mais dont il espérait beaucoup. Alors, pour ne pas rater ce qu’il considérait être la chance de sa vie, il a tout fait pour s’intégrer. Lui et sa femme Nayri ont appris le français. Ils ont travaillé sans relâche et ils ont imprégné leurs enfants – Spartak, 13 ans et Arsen, 8 ans- d’une véritable culture de l’effort et d’une soif d’apprendre qui pourraient être montrées en exemple à tant de nos petites têtes blondes blasées par le confort hypnotique de leur existence. Attachants, cultivés et serviables, les Petrossian se sont fait beaucoup d’amis à Dinant où ils habitent en bord de Meuse. Depuis sept ans, Artak qui n’a rien, absolument rien, d’un assisté espère obtenir un petit bout de papier appelé «autorisation de séjour» pour être engagé par l’un de ces nombreux employeurs qui se réjouiraient de rémunérer ses talents exceptionnels de tailleur de pierre. Il y a quelques jours, c’est un autre papier qui est arrivé. Un «ordre de quitter le territoire»…

En cette fin d’été, le temps est clément et la Meuse suit son cours, paisiblement, à l’ombre de la Citadelle et du rocher Bayard. Qu’il semble faire bon vivre à Dinant! C’est dans cette petite ville à dimension humaine, il y a déjà plus de deux ans, que les Petrossian ont déposé leurs valises. Un peu comme à l’hôtel. Sans tout oser déballer parce que, du jour au lendemain, des policiers fédéraux pourraient débarquer, les emmener dans un centre de transit avant de les «rapatrier» manu militari vers l’Arménie.

Accompagné d’Artak, son papa, c’est le petit Arsen, 8 ans, qui nous ouvre la porte du petit appartement que la famille habite sur les berges du fleuve : sourire d’un enfant qui parle avec un léger accent belge et qui rêve qu’un jour peut-être, quand il sera joueur de foot professionnel, il pourra défendre les filets des Diables Rouges. «C’est un très bon gardien!», nous dit fièrement son père, «depuis deux ans, il s’entraîne avec dans un petit club des environs, mais bien sûr, comme il n’a pas de papiers d’identité, il ne peut pas jouer le dimanche». Arsen n’avait que 11 mois en 1999, quand il est arrivé en Belgique. Autant dire qu’il ne connaît que notre pays et que, dans sa tête comme dans son cœur, ce pays est le sien. Mais, officiellement, Arsen n’existe pas.

A la différence des autres enfants de sa classe du collège Notre-Dame de Bellevue où il mène une scolarité brillante et disciplinée, Arsen n’a pas le droit de rêver. Ce petit bout ne le sait pas, mais quelque part, très loin d’ici, à Bruxelles, dans la capitale de son pays, une fonctionnaire du ministère de l’Intérieur (Office des étrangers) le lui a interdit. Un document officiel daté du mois d’août dernier qui traîne sur la table du salon de ses parents le notifie sans ambages : «les intéressés sont priés d’obtempérer à l’ordre de quitter le territoire».

Une décision froide, quasi-mécanique comme en atteste certaines motivations qui sont utilisées pour justifier l’expulsion. Un exemple ? Dans leur demande d’ «autorisation de séjour», Artak Petrossian et sa femme Nayri invoquent la situation difficile dans laquelle se trouveraient Arsen mais aussi son frère Spardag (13 ans) en cas de retour en Arménie. Ces gosses ne connaissent rien de la transcaucasie, ils vont perdre le tissus social dans lequel ils ont grandi, leur scolarité qui se passe très bien en Belgique va être interrompue, voire durablement compromise vu qu’ils ne pratiquent pas l’arménien. Réponse de la fonctionnaire de l’office des Etrangers ? «Les requérants invoquent la scolarité des enfants en insistant sur le fait que les enfants ne parlent pas albanais (sic !). Cependant, un changement de système éducatif et de langue d’enseignement est l’effet d’un risque que les requérants ont pris en s’installant en Belgique (…) contre lequel ils pouvaient prémunir leurs enfants en leur enseignant leur langue maternelle».

Traduction : tant pis pour la situation objective à laquelle vont être confrontés ces gosses, ils n’ont qu’à s’en prendre à leurs parents ! Assez odieux et très léger dans le même temps car, on vient de lire, la fonctionnaire se trompe de langue en évoquant l’apprentissage de l’albanais en lieu et place de l’arménien! Peut-être était-elle pressée ? Devait-elle prendre son train de 16 heures pour aller chercher ses moutards à l’école ? Chacun son chemin, chacun son destin…

Celui de la famille Petrossian a basculé en 1999. Artak s’attable dans sa modeste salle à manger et il raconte : «De profession, je suis tailleur de pierre. Avec la formation que j’ai suivie, je suis d’ailleurs en mesure d’enseigner ce métier. En Arménie, la vie n’est pas facile du tout parce que la corruption est omniprésente, notamment dans les rangs de la police et des administrations qui vous harcèlent pour un oui ou pour un non. Malgré tout, on parvenait à vivre décemment grâce à mon boulot. En tant que père de deux petits enfants, j’étais considéré comme soutien de famille et, par conséquent, je ne devais pas faire mon service militaire. Ce droit m’a été reconnu par l’Etat arménien mais, en 1998, par je ne sais quelle magouille administrative, j’ai tout de même été convoqué. En Arménie, il n’y a pas moyen de contester les choses par la voie légale comme on le ferait en Belgique. Sauf bien sûr, si vous partie de la petite tranche de la population qui est très fortunée… Soit, j’acceptais cette injustice et ma femme et mes enfants allaient se retrouver sans le moindre revenu pendant deux ans. Soit je refusais de répondre à la convocation et je risquais alors de me retrouver en prison pour plusieurs années. Ayant un métier en main et de l’énergie à revendre, j’ai choisi une troisième solution. Celle de tout quitter pour reconstruire notre vie dans un pays où l’on ne serait plus victime de l’arbitraire».

C’est un convoi de la Croix-Rouge qui conduira la famille Petrossian jusqu’en Belgique. «Quand on est parti, je n’avais aucune idée de ce que serait notre destination. Dans ces moments-là, on a l’impression de se jeter dans le vide», reprend Ardag. «Finalement, on a abouti dans un centre pour réfugiés à Yvoir. On y est resté plus de quatre ans, attendant que notre demande d’asile soit examinée par les autorités belges. Là-bas, on s’est montrés le plus actif possible, on a appris le français. Le temps aidant, il nous apparaissait de plus en plus évident que nous trouverions le salut en faisant tout pour nous intégrer dans la société belge. C’était possible : des employeurs étaient prêts à utiliser mes compétences professionnelles dès que j’aurais des papiers, les enfants aimaient leur école et ils avaient de bons résultats. Il manquait juste les papiers… Au bout de quelques années, ce n’était plus tenable de vivre ainsi dans un centre pour réfugiés et on a finalement trouvé ce logement à Dinant».

En nous servant un café arménien –il réveillerait un mort-, Nayri l’épouse d’Artak affiche un léger sourire qui ne parvient à effacer la profonde tristesse qui envahit ses yeux. A force d’attendre, de n’avoir aucune perspective d’avenir, cette femme est tombée en dépression. Mais elle continue à vouloir à y croire, à étudier le français. «Je n’ai pas le droit de craquer. Tous nos espoirs sont ici», résume-t-elle en regardant tendrement son petit Spartak. Très calé en sciences, cet enfant rêve d’observer les étoiles. Pas celles, éphémères, de la Star’Ac comme beaucoup de gosses de son âge. Non, les vraies. Celles du ciel. Il voudrait devenir astronome…

«Sept années se sont déjà écoulées depuis l’arrivée des Petrossian en Belgique : les renvoyer maintenant serait tout à inhumain. Pour moi, c’est un dossier prioritaire. On ne peut pas détruire des gens comme cela ! J’ai déjà introduit deux recours au Conseil d’Etat mais j’ai encore d’autres atouts dans ma manche. D’autres familles qui ont connu des situations semblables ont déjà été régularisées. De plus, du temps où ils séjournaient à Yvoir en 2000, les Petrossian auraient pu bénéficier d’une mesure de régularisation comme d’autres réfugiés qui se trouvaient là mais il n’en ont pas été informé ! Ce qui ne fait qu’accroître l’injustice dont ils sont victimes», témoigne leur avocat dinantais, Dominique Remy. Lorsqu’il nous reçoit dans son cabinet de la rue Barré, l’homme de loi aligne les nombreux arguments qui plaident en faveur des ses clients. «Tout ce qu’ils vous expliqué est prouvé par de multiples documents et attestations qui se trouvent dans leur dossier (Ndlr : c’est exact, nous avons pu le consulter). La situation politique instable et la corruption en Arménie, le risque d’emprisonnement d’Artak, la mise en péril de l’équilibre et de la scolarité des enfants, les promesses d’embauche si Monsieur Petrossian obtenait un permis de travail, leur intégration parfaite à Dinant où ils sont soutenus par tout leur voisinage, par l’école de leurs enfants et même par le bourgmestre».

Richard Fournaux (MR), le mayeur de la cité mosane, confirme : «Je comprends mal qu’on puisse vouloir expulser des gens comme eux. J’ai déjà écrit deux fois au ministre de l’Intérieur pour qu’il accorde une attention toute particulière à cette affaire. Et très franchement, je ne me vois pas envoyer des policiers chez les Petrossian pour les faire repartir en Arménie. Pour moi, c’est très clair : ces personnes ont développé de nombreuses amitiés dans ma ville où il se comporte comme des citoyens exemplaires. Ils ne courent pas derrière les aides sociales. Artak Petrossian a de très bonnes capacités professionnelles qui intéressent des employeurs dans la région. Ce sont des personnes qui sont en mesure de nous apporter de la richesse, tant sur le plan humain que financier. Les expulser est un non sens et c’est en plus totalement inacceptable de le faire après autant d’année !»

Au Collège Notre Dame de Bellevue, c’est aussi la mobilisation générale. «Des parents et des élèves sont en train de se regrouper pour les soutenir. Nous estimons en effet qu’une expulsion serait tout à fait dommageable sur le plan psychopédagogique pour ces deux très bons élèves que sont Arsen et Spardag. Si l’on devait aller au bout d’un tel processus, cela ferait honte à notre démocratie!», dénoncent en chœur MM. Koene et Hubert qui sont respectivement directeur et directeur adjoint de cet établissement scolaire réputé.

Avec leurs mots, les élèves du Collèges disent aussi leur incompréhension dans deux lettres qu’ils nous ont remises. Les copains de classe d’Artak écrivent : «Nous, les élèves de la classe de 1ère F du Collège de Bellevue, nous nous permettons d’écrire cette lettre afin de demander la régularisation de notre camarade Spartak Petrossian (…) Notre ami a effectué la majeure partie de sa scolarité en Belgique et a tissé des liens forts avec de nombreux élèves. De même, il a parfaitement intégré notre langue et notre culture. Cependant, Spartak et son entourage ont appris qu’ils avaient l’ordre de quitter le territoire belge. Nous nous refusons à accepter cette décision. (…) Dans un pays libre et démocratique, le sort réservé à cette famille est inhumain et va à l’encontre du droit au bonheur propre à chaque être humain. (…) Nous demandons que que Spartak et sa famille puissent poursuivre leur vie en Belgique.».

Les amis du petit Arsen sont aussi «révoltés» : «Nous avons appris que notre ami Arsen et sa famille sont menacés d’expulsion (…) Nous aimons beaucoup Arsen et nous marquons notre révolté et notre incompréhension face à ce qui lui arrive. Arsen est un super ami apprécié de toute la classe et de toute l’école. Il est très bien intégré dans notre groupe et personne ne désire qu’il s’en aille. Nous prions donc les autorités concernées de bien vouloir intervenir favorablement afin qu’Arsen puisse continuer à travailler, à jouer, à rire avec nous à l’école et à vivre encore de longue années dans notre beau pays».

Puissent ces lettres être lues par le ministre de l’Intérieur avant que des policiers fédéraux embarquent la famille Petrossian vers la ruine et le néant!

Une adresse de contact pour soutenir la famille Petrossian par vos messages de soutien :

Me Dominique Remy, Rue Barré, 32 à 5500 Dinant. info@avocatsremybarth.be

Un magistrat dinantais : «Cette histoire me donne envie de hurler !»

«S’ils en arrivent à expulser cette famille, je m’enchaînerai aux barrières du ministère de l’Intérieur! Ce n’est pas possible une chose pareille. Notre pays ne peut pas faire preuve de tant d’inhumanité». Surplombant la Meuse, la demeure bourgeoise où nous reçoit le juge dinantais Pierre Brouwez n’a pas l’habitude d’accueillir la presse. «Cela fait 11 ans que je suis magistrat et j’ai toujours été attentif à respecter mon devoir de réserve. Mais là, c’est trop insupportable. J’ai envie d’hurler!», précise ce père de quatre enfants dont le plus jeune, Jean, est le meilleur ami du petit Spartak Petrossian.

Pendant que nous parlons, des rires d'enfants transpercent les murs de l’imposante bâtisse. «Jean et Spartak s’entendent comme larrons en foire», décode M. Brouwez. «Ils se connaissent depuis deux ans et demi. Ils sont tellement proches, qu’on dirait deux frères. Je ne peux pas m’imaginer qu’un bureaucrate, quelque part à Bruxelles, décide de casser cette belle amitié du jour ou lendemain. Surtout, je pense à l’épreuve que l’on voudrait infliger à Spartak et à son frère cadet. Ils ont grandi chez nous. Ils partagent nos valeurs, notre culture, notre langue. Ce sont de vrais petits belges et cela même s’ils n’ont pas ces fameux papiers officiels qu’une administration sans âme refuse de donner à leurs parents. Qui oserait prétendre que ce ne soit pas terriblement contraire à l’intérêt de ces enfants d’être renvoyés en Arménie, un pays dont ils ne parlent pas la langue, dont ils ne connaissent rien ou presque? Un pays où, de plus, leur père risque de se retrouver en prison! Que se passera-t-il si, là-bas, Artak était mis dans l’impossibilité de travailler? Qui va les nourrir? Ce n’est pas d’un retour en Arménie dont il s’agit dans ce dossier. Ce que l’on risque de faire, c’est de mettre une famille à la rue. C’est choquant en soit, mais ce l’est encore plus alors qu’il est tellement évident qu’ici les Petrossian ont toutes les cartes en mains pour réussir leur vie. Monsieur a un métier et un contrat d’emploi qui l’attend en cas de régularisation, Madame est extrêmement intelligente, les deux sont parfaitement intégrés et en plus les enfants réussissent magnifiquement à l’école. En bref, ils apportent de la valeur ajoutée à notre pays!»

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Michel Bouffioux


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