Chronique "Si on me laisse dire" publiée dans le quotidien belge "La Dernière Heure", en marge du procès de Marc Dutroux et consorts
Une question de mesure (23 - Le 1er avril 2004)
«Si votre maison flambe et que quatre enfants disparaissent dans les flammes, vous en voudrez prioritairement à l’incendiaire. Et c’est tout à fait normal. Toutefois, si dans le même temps, vous constatez que vos enfants auraient pu être sauvés et qu’ils ne l’ont pas été. Si vous constatez que les pompiers sont arrivés quatre jours trop tard et qu’ils ont arrosé la maison d’à côté, vous en voudrez aussi aux pompiers. Et vous chercherez à comprendre pourquoi ils n’ont pas rempli correctement leur mission.» La tirade est de Me Xavier Magnée, l’avocat de Marc Dutroux et elle porte sur l’une des questions fondamentales posée par le procès d’Arlon. Faut-il, oui ou non, que les débats portent sur les dysfonctionnements innombrables qui ont jalonné les enquêtes judiciaires sur les activités criminelles de Marc Dutroux et consorts ? Faut-il aller au-delà du cadre strict de l’acte d’accusation rédigé par le procureur du Roi Bourlet, en évoquant au travers du débat contradictoire des pistes jugées trop peu étayées par différentes parties au procès ? A cet égard, la position du ministère public s’est clairement affirmée au cours des deux dernières audiences. Contrairement au ténor bruxellois, mais en opposition aussi à plusieurs parties civiles, M. Bourlet veut que l’on se concentre uniquement sur les inculpés, les actes qu’ils ont posés. Le magistrat dit refuser que le procès d’Arlon devienne une commission parlementaire bis et/ou un comité disciplinaire.
Je crois que, de part et d’autre, les arguments doivent être entendus. La faiblesse du dossier qui est porté à la connaissance des jurés d’Arlon, le passé trop malheureusement connu -mais qui reste aussi grandement mystérieux- de cette affaire, impliquent inévitablement que les parties civiles mais aussi la défense des accusés cherchent à éclaircir des zones d’ombre. Et surtout qu’elles obtiennent les réponses qu’il est encore possible d’obtenir! Leur refuser ce droit ne ferait qu’alimenter la rumeur et le soupçon. L’idée selon laquelle des informations seraient éludées, voire cachées à Arlon ne servirait pas la démocratie.
Dans le même temps, réchauffer de vieux plats comme la piste Ferette, multiplier les questions à l’envi au point que l’on ne comprenne plus rien au sens de cette affaire et à l’objet de ce procès m’apparaît tout autant contestable. Ce n’est pourtant pas une raison pour déraper comme l’a fait hier l’avocat général Andries en sortant l’accusation de «poujadisme» lorsqu’un avocat évoquait des interrogations légitimes sur le fonctionnement de l’institution judiciaire dans ce dossier.
Avant de parler de poujadisme, M. Andries doit s’interroger sur les raisons qui ont conduit les débats d’Arlon dans leur configuration actuelle. On a en encore eu un bon exemple hier : un policier de Liège ayant une nouvelle fois évoqué toute la «fragilité» du seul témoin sur lequel le juge Langlois a basé la reconstitution de l’enlèvement de Julie et Melissa. C’est aussi à partir de ce témoignage que le dénommé Georges Frisque a construit ses théories fumeuses sur la piste Ferette... Puisque Mme Henrotte disait que les petites étaient montées dans une voiture conduite par quelqu’un qu’elles semblaient connaître