Les documents confidentiels qui dérangent (II), un article publié dans Télémoustique, le 31 octobre 1996.
Sur la base du rapport confidentiel du procureur Velu, Télé-moustique poursuit cette semaine sa contre-enquête sur les trop nombreux dysfonctionnements qui ont émaillé l'enquête sur Marc Dutroux. Avec, cette-fois, des révélations sur les silences coupables d'un magistrat du parquet de Charleroi qui n'a, de toute évidence, pas pris les suspicions qui pesaient sur Dutroux dès l'enlèvement de Julie et Melissa avec le sérieux qui s'imposait.
Pour bien comprendre les enjeux du dossier de cette semaine rappelons d'abord les principaux éléments de l'épisode précédent. Depuis le mois d'octobre 1993, le maréchal des logis P de la gendarmerie de Charleroi dispose du témoignage d'un informateur qui lui a affirmé que "Dutroux effectuerait des travaux dans une de ses maisons situées à Marchienne-au-Pont et ce pour y loger des enfants en attente d'être expédiés à l'étranger". Début novembre 1993, l'information est communiquée au juge d'instruction carolo Lorent qui, à ce moment, s'intéressait déjà à Dutroux dans le cadre d'un dossier de vol.
Cinq perquisitions sont organisées dans les maisons de l'assassin d'enfants, le 8 novembre 1993.
A Marchienne-au-Pont, la gendarmerie constate bien que Dutroux travaille à creuser deux galeries souterraines et à abaisser d'un mètre 50 le niveau d'une cave… Mais cela n'est pas considéré comme un indice :
– Dutroux ayant déclaré qu'il "aménage ses caves sans plus"
– malgré le fait qu'il' s'agit là à tout le moins d'une indication crédibilisant le témoignage de l'informateur et qu'on ne peut raisonnablement ignorer en 1993 que Dutroux a déjà été condamné quelques années plus tôt pour avoir séquestré et violé des Fillettes.
Au sujet du résultat de ces perquisitions manquées, on relève d'ailleurs une contradiction entre les témoignages des qendarmes et celui du juge d'instruction Lorent dans le rapport confidentiel sur l'enquête rédigé par le procureur général Velu.
D'après une lettre du 11 septembre de M. Lorent, celui-ci n'aurait pas été informé de la découverte de travaux de terrassement à Marchienne-au Pont!
En janvier 1994, une première "mise sous observation" de Dutroux est autorisée dans le cadre de son dossier "vol" par le juge Lorent, c'est l'opération "Décime", que nous relations en détail dans notre précédente édition. Mais un mois plus tard, on arrête les frais: "Le dossier est clôturé par manque d'éléments probants". En juin 1994, les gendarmes retournent néanmoins dans la maison de Marchienne-au-Pont et constatent que "les travaux n'ont pas évolué depuis la perquisition du 8 novembre 1993".
A partir de là, les déclarations de l'informateur d'octobre 1993 sur les projets de "caches" de Dutroux dorment dans un tiroir. Personne au parquet de Charleroi n'est au courant. Et le juge Lorent ne s'en préoccupe apparemment plus.
Le 24 juin 1995, Julie et Mélissa sont enlevées à Grâce-Hollogne et des gendarmes de Charleroi font le rapprochement avec Dutroux. Dès le 7 juillet, leurs collègues liégeois en sont avertis par fax. Entre le 9 et le 25 août, selon les versions des acteurs du dossier, la juge d'instruction liégeoise Doutrewe est avisée de cette piste. Un document du BCR de la gendarmerie situe plus précisément ce tournant de l'enquête à la date du 16 août 1995.
Martine Doutrewe n'inclut pas "Dutroux" dans son instruction, décidant de laisser cette enquête au parquet de Charleroi juste avant d'entamer un « séjour touristique en France ».
Cette décision aura notamment pour conséquence que des perquisitions ultérieures chez Dutroux, soit en décembre 1995, seront autorisées dans le cadre du dossier "vol" de Charleroi et non pas dons le cadre du dossier "Julie et Melissa" à Liège, ce qui implique qu'il ne sera pas possible pour la gendarmerie de faire usage de moyens spéciaux (chien pisteur, caméra infrarouge, etc.).
Qu'en est-il de ('information dont dispose le parquet de Charleroi à ce stade? Si on s'en réfère au rapport du procureur général Velu, elle est nulle: "Jusqu'au 24 août 1995, le parquet de Charleroi a été tenu dans l'ignorance de divers faits et actes de la gendarmerie en rapport avec les suspicions dont Dutroux faisait l'objet du point de vue enlèvement d'enfants".
Nous avons relevé ces différents actes d'investigation de la gendarmerie dans le n° 3691 de Télémoustique.
"Ce jour-là, poursuit Velu, dans l'avant-midi, selon la gendarmerie de Charleroi, Madame le Premier Substitut du procureur du Roi Robert fut avertie téléphoniquement par le commandant Legros, officier adjoint au district de la gendarmerie de Charleroi, du cadre général et des circonstances d'un appui du POSA (Peloton d'observation de surveillance et d'arrestation, une unité spéciale de la gendarmerie] pour une mise sous observation de Dutroux en raison de ces suspicions. Mme Robert exerce, depuis des années au parquet de Charleroi, la direction de la section Jeunesse. Pendant la seconde quinzaine du mois d'août 1995 elle faisait fonction de procureur du Roi. (NDLR: Question, peut-être perfide: quelqu'un à la gendarmerie avait-il intérêt à attendre la période d'intérim de Mme Robert à la fonction de procureur du Roi pour avertir de la mise sous observation de Dutroux? La suite des événements, comme on va le lire, pourrait le laisser penser.)
"(… ) Le commandant Legros se rendit dans l'après-midi du même jour dans le cabinet de Mme le Premier Substitut Robert pour lui remettre deux exemplaires du document confidentiel de la gendarmerie de Charleroi daté du 25 août 1995 (…) et ayant pour objet l'opération "Othello"." Pour rappel, la version intégrale de ce document se trouve dans le n°3688 de Télémoustique. On précisera simplement que Dutroux y est présenté comme un suspect dans la disparition de Julie et Mélissa, on évoque les aménagements de caves, le constat de ses travaux de terrassement, etc.
Le 3 septembre dernier, le procureur Velu avait un long entretien à huis clos au sujet du rapport du 25 août avec Mme Robert. II vaut le détour.
M. Velu. – Que ce soit par l'entretien (NDLR: avec le commandant Legros) ou par la lecture du rapport, vous avez eu connaissance, je suppose, de ce que, depuis 1993, et ce à plusieurs reprises, des rumeurs persistantes faisaient état de ce que le nommé Dutroux aménageait les caves de diverses de ses maisons pour y loger des enfants en attente d'être expédiés à l'étranger?
Mme Robert. – Je l'ai lu en tout cas.
M. Velu. – Vous avez su, le 25 août, que dans le cadre d'un autre dossier, une série de perquisitions avaient été menées dans une maison de Marchienne-au-Pont, que des travaux de terrassement avaient été constatés dans les caves et qu'interrogé sur ces faits, Dutroux avait déclaré qu'il aménageait ses caves sans plus ?
Mme Robert. – Je l'ai lu.
M. Velu. – Vous avez su que le 10 août 1995, deux informateurs avaient informé un membre de la brigade de Charleroi des propositions faites par le nommé Dutroux, à savoir: "Dutroux aurait proposé à certaines personnes de participer à des rapts d'enfants dans la région de "Malinnes"(sic), la possibilité „ de gagner facilement de l'argent (150.000 francs belges), en se postant à la sortie d'une école, d'enlever une jeune fille. Dutroux aurait confirmé les transformations dans les caves de ses immeubles afin d'y aménager un genre de cellule pour accueillir les filles avant de les expédier à l'étranger"?
Mme Robert. – Je l'ai lu aussi. Il est certain que j'ai lu ce document avec attention avant de donner l'autorisation de non opposition à la surveillance qui m'était demandée. (…)
Dans son rapport confidentiel, le procureur Velu relève que malgré cette lecture attentive du rapport Othello du 25 août "aucun devoir particulier n'a été demandé par Mme le Premier Substitut Robert, qui a visé le document pour accord. (…)
Cet accord signifiait-il simplement que l'autorisation sollicitée était accordée ou bien avait-il une autre portée?"…
Réponse de Mme Robert: "La mention "vu pour accord" (…) avait pour objet d'autoriser l'observation. Je ne l'ai donnée qu'en attente de rapports d'observations qui me seraient communiqués éventuellement".
"Éventuellement" le dernier mot prononcé par Mme Robert montre le sérieux avec lequel l'information Dutroux est prise. Pourtant, il n'y avait que quelques semaines que les petites Lejeune et Russo venaient d'être enlevées! N'avait-on pas assez collé d'affiches dans la région de Charleroi ? Dans un procès-verbal de synthèse du 20 août 1996, la gendarmerie enfonce d'ailleurs le clou: "Ce magistrat n'aurait pas jugé utile de demander la rédaction d'un P-V initial au vu des renseignements fournis et de l'exploitation de ceux-ci".
Alors qu'à cette époque toute la Belgique est sensibilisée à la disparition des petites Filles de Grâce-Hollogne, Mme Robert ne trouve pas plus utile d'avertir les autorités judiciaires liégeoises de la mise sous observation de Dutroux dans le cadre de l'opération Othello. "En ma qualité d'autorité judiciaire, expliquait-elle le 3 septembre dernier au procureur Velu, je n'ai pas eu le réflexe de procéder à cette vérification. Il s'agissait pour moi d'une farde confidentielle; à ma connaissance, les informations contenues dans les fardes confidentielles ne sont pas échangés entre parquets." Allez, circulez, le règlement, c'est le règlement…
D'ailleurs, ajoutait Mme Robert: "En ce qui me concerne, il était certain que les autorités de gendarmerie du pays étaient au courant de la naissance de l'opération Othello". Sous-entendu: ils n'avaient qu'à faire circuler l'information vers Liège. Mais comme les gendarmes affirment aujourd'hui qu'ils estimaient que le parquet de Charleroi devait transmettre les infos au parquet de Liège… Bref, comme l'indique ensuite le rapport du procureur Velu, "il n'y eut plus de contact entre la gendarmerie de Charleroi et Mme Robert ou un autre magistrat du parquet de Charleroi jusqu'au 1er septembre 1995".
A cette date, alors qu'il y a eu déjà une première journée d'observation par le Posa dès le 28 août, le commandant Legros de la gendarmerie de Charleroi envoie une demande confidentielle à "Madame le Procureur du Roi". En fait, le destinataire est le 1er substitut Robert. Relatif à l'opération Othello, ce document dont nous disposons porte le numéro CD1190/170 M/CP et informe du placement d'un "time laps", soit une caméra fixe à Sars-la-Buissière.
Comme le relève le procureur Velu, "ce document porte à la page 2 la mention ""Vu le 4" suivie de la signature de Madame Robert". Or, à la date du 4 septembre 1995, le 1er substitut Robert ne faisait plus fonction de procureur du Roi et par conséquent, la demande aurait dû se trouver entre les mains de l'intérimaire suivant à la tête du parquet de Charleroi, le 1er substitut Marius Lambert !
Les explications de Mme Robert à ce sujet se trouvent dans le rapport Velu: "J'ai dû recevoir une communication téléphonique de la gendarmerie le 1er septembre alors que je ne faisais plus fonction de procureur du Roi, me demandant de donner l'autorisation de poser un "time laps". (…) J'ai confirmé cette autorisation par écrit le 4 septembre par la remise d'un document à un porteur de la gendarmerie".
M. Velu. – A quel titre le 4 septembre avez-vous continué à traiter cette affaire?
Mme Robert. – La seule explication que je peux donner, c'est que le 1er septembre, je remplaçais le procureur du Roi par ce que c'était la rentrée solennelle de la Cour d'appel et que,le 4 septembre, j' ai cru pouvoir confirmer l'autorisation que j'avais donnée verbalement le 1er septembre.
M. Velu. – A l'époque, avez vous eu l'occasion d'exposer à M. le Premier Substitut Marius Lambert qui faisait fonction de procureur du Roi les éléments d'information que la gendarmerie vous avait communiqués par ses rapports des 25 août et 1er septembre 1995?
Mme Robert. – Je ne pense pas avoir eu l'occasion d'exposer à Monsieur le Premier Substitut Marius Lambert les données contenues dans la farde BIC.
Un mot d'explication: la farde Bic qu'évoque Mme Robert n'est rien d'outre que le dossier confidentiel du parquet de Charleroi qui contient les documents relatifs à l'opération Othello. On soulignera donc que Mme Robert qui, depuis quelques jours, a connaissance d'une opération d'observation du suspect Dutroux dans le cadre d'investigations qui pourraient avoir un lien avec la disparition de Julie et Mélissa ne juge pas nécessaire d'en informer son successeur à la tête du parquet de Charleroi. Chacun appréciera ce silence. Il perdure d'ailleurs dans les semaines qui suivent.
En effet, à la date du 23 octobre 1995, alors qu'il vient de prêter serment l'actuel procureur du Roi ce Charleroi M. Marchandise ignore encore tout de l'opération Othello. Lors de son audition par M. Velu, Mme Robert déclare à ce sujet: "Je ne lui en ai pas parlé lors de sa prestation de serment mais ultérieurement".
Quand exactement? Mme Robert ne répond pas. Mais comme on le lira plus loin, il semble bien d'après la suite de l'enquête du procureur Velu que ce soit après qu'un autre substitut du parquet de Charleroi, Mme Troch, apprend fortuitement l'existence des suspicions pesant sur Dutroux. Non seulement Mme Robert ne pipe mot de l'opération Othello à ses successeurs mais en plus, elle ne met même pas le "dossier à représenter", ce qui aurait impliqué que ceux-ci auraient été obligatoirement informés des suites de l'observation de la gendarmerie.
Explication avancée par Mme Robert en ce qui concerne ce point-là: "Je n'ai plus reçu après le 4 septembre de nouvelle dans le cadre du dossier Othello. Je ne m'en suis plus occupée. (.. .) J'étais certaine que tout élément nouveau résultant des observations (… ) serait porté à la connaissance du Procureur du Roi ou à ma propre connaissance, auquel cas j’en aurais référé à M. le Procureur du Roi".
Et c'est donc sans que quiconque s'en préoccupe vraiment au parquet de Charleroi que la gendarmerie poursuit ses démarches dans le dossier Dutroux.
Des observations sont encore menées par les spécialistes du Posa, les 8 et 19 septembre 1995, les 13 et 16 octobre 1995. A ce moment, les gendarmes s'intéressent notamment à un certain P., un ancien militaire de carrière qui avait été aperçu dans un véhicule à proximité de chez Dutroux. Mais la piste est abandonnée. Les observations ne donnant pas plus de résultats. Après avoir fait confiance aveuglément à la gendarmerie, ne lui ayant demandé aucun devoir, ni même de comptes précis, s'étant seulement contentée d'attendre la suite des événements avant de carrément oublier la piste Dutroux, Mme Robert n'en garde pas moins des certitudes.
Interrogée le 3 septembre dernier par le procureur Velu à propos d'éventuelles protections de Dutroux à Charleroi, elle répondait tout de go: « J'ai lu cela dans la presse. Cela m'a sidérée parce que ces informations venaient d'un amalgame d'informations que la presse a l'habitude de se procurer. Pour moi, je considère comme une évidence que Dutroux n'a pas bénéficié de protections de la part d'autorités judiciaires ou de police dans l'arrondissement judiciaire de Charleroi ». Un avis crédible?
Poursuivant sur cette lancée, cette magistrate de Charleroi justifiait encore ses silences de la manière suivante:
Mme Robert. – J'ai considéré, comme je l'ai déjà dit dans une autre partie de mon audition, que ces informations avaient été portées à la connaissance des différentes gendarmeries du Royaume. Pour moi, il était indéniable que les magistrats concernés dans les autres arrondissements que celui de Charleroi étaient au courant.(s..)
M. Velu. – Vous présumiez donc que le parquet de Liège avait été avise des informations contenues notamment dans le rapport du 25 août 1995. C'était une présomption. Pourquoi, étant donné la gravité des faits que constituait la disparition de Julie et Mélissa, n'avez-vous pas estimé devoir vous assurer que cette présomption correspondait à la réalité? (NDLR: Un appui qui aurait peut-être convaincu Mme Doutrewe qu'il était plus important de s'occuper de Dutroux que d'aller visiter les châteaux de la Loire.)
Mme Robert. – Parce que j'étais certaine que l'information avait circulé. J'en étais certaine. Et l'entretien se poursuit sur la base des mêmes certitudes. Inébranlables. Malgré le drame qui est en train de se jouer dans une maison de Marcinelle et dont on entrevoit aujourd'hui toute l'horreur.
M. Velu. – A la lumière de l'expérience actuelle, agiriez-vous encore comme vous l'avez fait?
Mme Robert. – (…) J'aurai eu toujours la même certitude quant à la transmission des éléments. Je serai toujours persuadée que les enquêteurs et éventuellement le magistrat instructeur ou le magistrat de parquet chargés d'un dossier d'enlèvement étaient au courant. (…) Je tiens à souligner que mon intervention dans le cadre du dossier Othello, en ce qui me concerne, était faite de la même manière suivant laquelle je m'efforce de travailler, c'est-à-dire avec diligence et en essayant toujours de protéger l'intérêt public, en tout cas, I intérêt des enfants, puisque c'est à la section Jeunesse que j'exerce mes fonctions.
Commentaire du procureur Velu: "Ayant eu connaissance de ces explications de Mme Robert, le colonel Lemasson et le commandant Legros ont fait observer qu'il (leur) aurait paru tout aussi clair et logique que, dans le cadre d'une telle affaire, le parquet de Charleroi informe celui de Liège des devoirs menés par un corps de police sur son ressort concernant un suspect". Et comme de son côté la juge d'instruction liégeoise Doutrewe avait autre chose à faire que de s'occuper de Dutroux…
Restent enfin les silences du substitut Robert au sein même du parquet de Charleroi. Du 1er septembre 1995 au 23 octobre 1995, le premier substitut Lambert prend les rênes du parquet de Charleroi. Mais le procureur du Roi intérimaire ignore tout de l'opération Othello. Interrogé lui aussi par le procureur Velu qui lui demandait « si Mme Robert n'aurait pas dû le tenir au courant de existence des documents du 25 août et du 1er septembre ou, tout au moins, des renseignements de la gendarmerie qu'ils contenaient », le magistrat carolo venait à la rescousse de sa collègue: "Lorsque la farde Bic relative à l'opération Othello a été ouverte, soit le 25 août 1995,j'étais en congé et le procureur du Roi faisant fonction était Mme Robert. Je puis peut-être ajouter que lorsqu'une farde Bic avait été ouverte concernant des événements antérieurs à mon entrée en fonction, je ne l'apprenais que quand un élément nouveau amenait ou pouvait amener un nouveau devoir. (…) C'est le motif pour lequel moi je n'ai été informé ni de cette opération, ni de la farde Bic la concernant".
Traduction: alors que Julie,Mélîssa An et Eefje sont entre les griffes du réseau Dutroux, il est tout à fait normal que le dossier concernant l'observation du monstre reste enfoui dans un tiroir en attendant d'éventuelles nouvelles de la gendarmerie puisque la coutume est de ne pas s'informer automatiquement de ce type d'opération quand un magistrat remplace l'autre à la fonction de procureur du Roi intérimaire.
Résultat des courses: lorsqu'il prête serment en qualité de procureur du Roi, M. Marchandise ignore tout, lui aussi, de l'opération Othello. Et comme Mme Robert traite "avec diligence" d'autres dossiers visant à "protéger l'intérêt des enfants", il le reste jusqu'au début novembre 1995. Epoque à laquelle la substitute Troch apprend de la bouche du gendarme M. l'existence de l'opération Othello et l'en avertit aussitôt.
Les détails édifiants de cet épisode sont consignés dans le rapport Velu. On découvre ainsi que suivant la gendarmerie de Charleroi, « la rencontre du maréchal des logis M. et de Mme le Substitut Troch eut un caractère fortuit. (…) M. le Procureur du Roi Marchandise prit pour la première fois connaissance du dossier Othello le 2 novembre 1995 par Mme le Substitut Troch qui lui rendit compte de sa conversation avec le chef M. ". En d'autres termes, on peut s'estimer heureux que le gendarme M. ait ressenti le besoin de se confier à un magistrat, sinon le dossier Othello restait dans son tiroir pour cause d'absence d'éléments nouveaux…
C'est aussi ce qui ressortait de l'audition de Mme Troch, le 3 septembre dernier devant le procureur général Velu.
Mme Troch. – (…) Monsieur M., membre de la BSR de Charleroi, est venu en mon bureau afin de me demander si j'étais au courant d'une opération Othello, Monsieur M. sachant évidemment que ,je m'occupais de dossiers relatifs aux cas de maltraitance infantile.
M. Velu. – Mme Robert n'avait pas pris l'initiative de vous parler de cette opération. (…)?
Mme Troch. – Non. Lorsque j'ai appris l'existence de cette opération (…), j'ai effectué une démarche auprès de M. le Procureur du Roi Marchandise afin d'en connaître l'objet. (…)
M. Velu. – (…) Celui-ci vous a t-il paru connaître l'existence du dossier Othello?
Mme Troch. – Pas à ma connaissance. (…) Je pense qu'il en a eu connaissance suite à mon entretien.
Ensemble, Troch et Marchandise consultent alors les documents relatifs à cette si discrète opération "Othello". Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises.
Mme Troch. – J'ai marqué mon étonnement quant à la rédaction du rapport du 25 août (NDLR: la première demande de la gendarmerie de mise sous observation de Dutroux que le magistrat Robert s'était contentée de signer sans demander de devoirs particuliers, ni même de mettre le dossier "à représenter" dont les éléments me paraissaient insuffisants. J'ai suggéré à M. le Procureur du Roi de convoquer le rédacteur de ce rapport. (…) (Dans le rapport du 25 août) L'objet des rumeurs persistantes n'était pas explicité. On faisait état d'une perquisition effectuée en 1993 dans le cadre d'un dossier mais sans spécifier le contenu de ce dossier.
M. Legros mentionnait l'existence de deux informateurs non codés. Pourquoi ces informateurs n'étaient-ils pas codés? Quelle était l'identité de ces deux informateurs? Quelle est l'identité du gendarme qui avait ces informations?
Lorsqu'il prend à son tour connaissance du rapport du 25 août, le procureur du Roi l'annote et demande lui aussi "un certain nombre de vérifications". Le 4 septembre dernier, alors qu'il était auditionné par le procureur Velu à propos des éventuelles imprécisions de la demande de démarrage de l'opération Othello, le commandant de gendarmerie Legros apportait un certain nombre d'éclaircissements, ainsi que ce commentaire lapidaire renvoyant la balle dans le camp du parquet de Charleroi et plus particulièrement de la très silencieuse Mme Robert: « J'estime que si le magistrat souhaitait avoir de plus amples explications NDLR: en août 1995), il suffisait de poser la question. Nous aurions donné une réponse précise ! ».