Chronique « Si on me laisse dire » publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure » en marge du procès de Marc Dutroux et consorts (11), le 15 mars 2004).
Depuis le début du procès de Marc Dutroux et consorts, Laetitia Delhez n’a pas encore parlé. Comment ne pas la comprendre : l’horreur a été si intense, la peur si forte. Ce que Laetitia entend dire aujourd’hui du destin tragique des autres victimes de Dutroux, celles que lui (et d’autres ?) ont tuées, la bouleverse encore plus : Laetitia sait ce qu’elle a vécu. Entendant le tragique destin de Julie, Melissa, An et Eefje – pour ce que l’on croit en savoir en tous cas –, elle perçoit ce qui aurait pu lui arriver si elle n’avait pas été libérée, un soir du 15 août 1996.
Pudique, discrète, intelligente : voilà le souvenir que j’ai gardé de ma première rencontre, il y a quelques années déjà, avec cet enfant qui est aujourd’hui devenu une jeune femme. Je crois que le silence actuel de Laetitia s’explique par ces trois aspects de sa personnalité. Laetitia parlera sans doute. Toutefois, elle choisira le moment. Celui où elle aura la force de dire, le sentiment que ce sera utile. Un jour, Laetitia m’a confié ce texte qu’elle a écrit. Il raconte la peur qui s’est installée en elle avec son enlèvement et sa séquestration. Je ne l’avais pas encore publié. J’ai attendu que Laetitia marque son accord. C’est un texte fort, émouvant, écrit avec des mots simples. Des mots d’enfant, car Laetitia a écrit cela peu de temps après sa libération. Des mots, encore, que Laetitia ne renie en rien. Elle m’a fait savoir que ce qui est ici écrit, elle le ressent encore. Peut-être qu’aujourd’hui, la femme qu’elle est devenue n’utiliserait plus les mêmes termes. Toutefois, elle dirait exactement la même chose.
«Qu’est-ce que la peur ? Moi, je le sais.
Mais vous, personne qui parlez tant, avez-vous déjà eu peur ?
Peur d’un homme qui pose son regard sur vous ; son regard, mais aussi ses mains ;
Mains dont on aura toujours peur, peur que cela recommence ;
Peur d’être en souffrance, souffrance qui restera à jamais dans son cœur ;
Cœur qui ne battait que pour l’amour d’une mère et d’un père;
Mais merde, pourquoi ? (…)
Moi j’en ai marre d’avoir peur ;
Marre de ne pas pouvoir faire ce que je voudrais faire. J’aimerais me balader seule sans avoir peur. Sans me méfier de personne ;
Je voudrais pouvoir rire, sans avoir envie de pleurer, et sans avoir cette boule au fond de ma gorge qui me donne envie de m’effondrer, même parfois envie de mourir tellement j’en ai marre. Mais non, ça je ne peux pas : je ne dois pas perdre courage (…).
Je dois aussi avoir des forces pour pouvoir aider tous les autres enfants qui souffrent et qui souffriront encore, parce que personne ne les croit ou ne veut les croire. (…) C’est très important de pouvoir vivre en ayant confiance en quelqu’un. (…) Faites dans votre vie de plus tard le plus beau cadeau pour vos enfants, donnez-leur de l’AMOUR. »
Le témoignage de Laetitia invite à réfléchir. Outre les effets de manches que l’on peut voir dans les prétoires et sur les plateaux de télévision, des victimes qui attendent beaucoup du procès qui se déroule à Arlon. Il faudrait que ce procès se termine, non pas sur des certitudes – il semble déjà acquis que cette affaire gardera une grande part d’ombre –, mais je crois que Laetitia aurait peut-être moins peur si elle pouvait avoir le sentiment que tout a été entrepris pour trouver les quelques parts de vérités qui restent encore accessibles à ce stade de la procédure.
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