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Les a priori du juge Langlois. (07/03/2004)

 

Article publié dans le quotidien belge "La Dernière Heure", le 7 mars 2004 (version intégrale) 

  

Julie et Melissa

Les a priori du juge Langlois

 

Pour le magistrat, il était établi que Julie Lejeune et Melissa Russo n’ont jamais quitté la maison de Marc Dutroux… avant que l’enquête sur les circonstances de leur séquestration ait vraiment commencé.

 

En octobre 1997, des enquêteurs de Neufchâteau prenaient connaissance du témoignage d’Hélène F., une dame qui disait avoir vu Julie Lejeune et Melissa Russo à Charleroi. Vers le mois de septembre 1995, ce témoin aurait aperçu les deux petites liégeoises alors qu’elles entraient, accompagnées d’un jeune homme, dans une boîte de nuit proche du domicile de Marc Dutroux à Marcinelle et de la gare du sud.

 

Cette piste a fortement intéressé le parquet de Neufchâteau en raison de la personnalité de propriétaire de l’établissement désigné par Madame F. Très présent dans le monde de la nuit à Charleroi, celui-ci était aussi une proche relation de Michel Piro, un restaurateur de la région qui avait été assassiné en novembre 1996…  Soit peu de temps après qu’il eu fait savoir qu’il avait des «révélations» à fournir sur l’affaire Julie et Melissa.

 

Bien plus tard, l’enquête judiciaire sur l’assassinat de Piro n’aboutira pas à la conclusion qu’il ait été tué pour une raison liée aux enlèvements d’enfants. C’est son épouse, Véronique Laurent, qui a finalement été condamnée comme commanditaire du meurtre. Le mobile serait d’ordre privé. Toutefois, le fait que le ministère public ait également cité Mme Laurent et plusieurs membres de la famille Piro à comparaître au procès d’Arlon laisse présager que le procureur du Roi Bourlet et l’avocat général Andries se posent encore des questions sur ce dossier.

 

Quoiqu’il en soit, en 1997, au moment où Madame F. témoignait, l’affaire Piro n’avait pas encore livré sa vérité officielle et d’autres témoignages présents à cette époque dans le dossier de Neufchâteau étaient de nature à poser question sur un lien potentiel entre l’établissement désigné par le témoin et Marc Dutroux. Des gendarmes chargés de ce volet d’enquête, mais aussi le procureur du Roi Bourlet étaient donc d’avis qu’il ne serait pas inutile de perquisitionner la boîte de nuit…

 

Ordonnance négative

 

Pas le juge d’instruction Jacques Langlois. Nous pouvons ici révéler le contenu de l’ordonnance négative rédigée par ce magistrat instructeur en date du 30 octobre 1997. Il s’opposait fermement à la perquisition envisagée au motif que le témoignage de Mme F. était «tardif et imprécis».  De fait, Mme F. témoignait en 1997 d’un évènement qu’elle avait vu en 1995. Elle ne pouvait pas être tout à fait certaine que les petites filles qu’elle avait aperçues étaient bien Julie et Melissa. Elle ne pouvait enfin situer le jour exact de cette rencontre fortuite.

 

Ce premier argument sur le caractère tardif du témoignage peut donc être entendu. Toutefois, le magistrat croyait bon de motiver son ordonnance par d’autres convictions qui, elles, semblaient très précoces. Un an seulement après avoir repris ce dossier, le juge Langlois estimait déjà que : «Le contenu de ce témoignage (…) est contraire aux données objectives actuelles du dossier qui permettent de penser raisonnablement que les victimes de Marc Dutroux n’ont jamais quitté l’immeuble de Marcinelle et étaient l’objet de sa part d’un conditionnement psychologique incompatible avec une quelconque insertion dans un réseau pédophile : ainsi notamment le témoignage de Sabine Dardenne – séquestrée durant une période relativement longue – est éclairant sur ce point.»

 

Tranchant. Définitif. Cinq ans avant la clôture officielle de son dossier, le juge d’instruction Langlois se disait donc convaincu de la thèse d’un Dutroux, prédateur isolé. Surtout, il se croyait déjà assez certain de l’idée selon laquelle Julie et Melissa n’auraient jamais quitté la maison de Marcinelle pour refuser une perquisition! Il faut bien comprendre la portée d’une telle considération : elle cautionnait notamment la partie le plus invraisemblable des aveux de Marc Dutroux et de Michelle Martin.

 

106 jours

 

A l’époque de cette ordonnance Langlois, Dutroux et Martin prétendaient en effet que Julie et Melissa avaient survécu près de 106 jours, seules, dans le sinistre cachot de Marcinelle. Entre le 6 décembre 1995 et le 20 mars 1996, Marc Dutroux était en prison. Selon ses déclarations à l’instruction, il aurait enfermé les petites, tandis que Martin était chargée de «s’en occuper». C'est-à-dire, principalement, de les nourrir.

 

A Marcinelle, Martin aurait surtout nourri ses chiens. En janvier 1996, elle se serait résolue à déposer des sacs de nourriture à destination de Julie et Melissa mais ses déclarations diverses et contradictoires sur ce point ne permettent pas de se faire une idée claire et précise du «ravitaillement» qu’elle aurait laissé aux enfants. Dutroux, lui, a déclaré dans le dossier de Neufchâteau qu’en décembre 1995, il avait laissé un stock de nourriture «pour deux mois». Il faut le croire sur parole. D’ailleurs, devant les jurés d’Arlon, il prétend aujourd’hui qu’il avait laissé des vivres «pour un mois», seulement. Fin mars 1996, Dutroux aurait trouvé Julie et Melissa agonisantes dans la cache dont elles ne seraient jamais sorties pendant les 106 jours.

 

Voilà les seules données «objectives» dont disposait le juge Langlois en octobre 1997 lorsqu’il décrétait que Julie et Melissa n’avait jamais quitté Marcinelle et que ce dossier n’implique pas de personnes tierces à Dutroux, Martin, Lelièvre et feu Bernard Weinstein. En d’autres termes, ce sont les propos de Dutroux et de Martin qui étaient donc considérés comme des «données objectives». Dès 1997, les certitudes du juge Langlois se forgeaient aussi sur un syllogisme : «Sabine Dardenne n’a vu que Dutroux. Donc les autres victimes n’ont vu que Dutroux».

 

Ce raisonnement que l’on a beaucoup entendu ces dernières semaines, notamment aux travers des très médiatiques plaidoiries de Me Rivière, l’avocat de Sabine, n’apparaît donc pas comme une conclusion formulée après sept ans d’investigations. Il s’agissait plutôt d’un a priori de l’instruction menée par le juge Langlois.

 

La preuve ? Ce ne sera que le 17 juin 1998 que ce magistrat demandera à un expert architecte de «décrire de manière détaillée l’aménagement de l’équipement (de la cache), notamment quant à son système d’ouverture et d’aération ainsi que son alimentation en électricité.» Traduction : Julie et Melissa disposaient-elle du minimum de confort pour survivre seules, pendant 106 jours dans cette cache…  La réponse de cet expert détaille le caractère terrible du lieu de détention (froid, humidité, pas de minimum sanitaire, éclairage éblouissant…) et le caractère aléatoire des constats qu’on peut faire (le système d’extraction d’air était-il suffisant ?, le chauffage évoqué par Dutroux était-il bien présent ?...).

 

Ce ne sera que le 30 novembre 1998 que le juge Langlois demandera à expert nutritionniste de l’UCL de se pencher sur la question de la nourriture. Sur deux bases : les déclarations de Dutroux et Martin sur les stocks de nourritures laissés aux victimes et l’alimentation trouvée dans la cache à la libération de Sabine et Laetitia en août 1996.  Là encore, l’expert est bien forcé de constater qu’il serait bien audacieux de prendre les déclarations de Dutroux et Martin… pour argent comptant.

 

Ce 4 mars 2004, devant la Cour d’assises d’Arlon, trois enquêteurs ont en outre dit publiquement que ce n’est que le 17 mars 1999 que le juge Langlois a décidé qu’«on aborde enfin l’examen global du dossier Julie et Melissa» avec, notamment pour «priorité» de déterminer les «circonstances de leur séquestration»… N’aurait-il pas été plus logique de déterminer ces «circonstances» avant de décréter que Julie et Melissa n’avaient jamais quitté Marcinelle ?

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Michel Bouffioux


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