Chronique « Si on me laisse dire » publiée dans le quotidien belge « La Dernière Heure » en marge du procès de Marc Dutroux et consorts. le 24 mars 2004
Les jours passant, les audiences se succédant, je ressens de plus en plus une impression de déjà vu à la Cour d’assises d’Arlon. Je veux parler de cette manière qu’ont les enquêteurs de présenter leur travail. Pour ce faire, ils ouvrent leurs grandes fardes et commencent à lire. Pas de place pour une quelconque improvisation. Plutôt que de témoignage, il conviendrait de parler de tentative de démonstration d’un point de vue. L’exercice s’articulant systématiquement autour de la présentation d’innombrables slides. En l’espèce, il s’agit des schémas et des notes projetée sur l’écran de la salle, lesquels sont sensés résumer l’information de ce dossier gigantesque pour les jurés. Une telle uniformité dans la manière de présenter l’information, mais aussi, pour reprendre une expression souvent utilisée par ces policiers, les «déclarations constantes et concordantes» des enquêteurs ouvrent sur une certaine interpellation.
Sommes-nous dans une cour d’assises ou avons-nous à faire à des représentants de commerce qui ont un produit à nous vendre? Cela en devient tellement caricatural que l’un des avocats à la cause, Me Xavier Magnée a relayé une question qui circulait chez les observateurs de ce procès depuis quelques jours déjà. Les policiers qui témoignent à la cour d’assises d’Arlon ont-ils été spécifiquement préparés à cet exercice ? Une telle hypothèse, si elle devait se vérifier, poserait question en termes d’indépendance des témoins. Par conséquent, M.Demoulin a répondu tout de suite que «Non, il n’y a pas eu de préparation». De toute évidence, cette question-là n’était pas prévue dans le cours que les policiers qui témoignent à Arlon ont reçu… sur le fonctionnement de la Cour d’assises. Bien sûr, admet M. Demoulin un ancien président et un avocat ont participé à cette formation. Mais cela, jure-t-il, ne concernait pas directement le procès d’Arlon. Comprenez qu’il s’agissait d’un cours particulier dans le cadre d’un cours général intitulé «techniques de communication». Dont acte.
On a beau s’appeler «police fédérale», on en garde pas moins les vieilles tactiques des gendarmes. Pendant les travaux de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Dutroux et consorts, en 1996-1997, les ex-locataires de la rue Fritz Toussaint avaient aussi été quelque peu drillés pour «bien» témoigner. A l’époque, il s’agissait de pouvoir déclarer, la main sur le cœur, qu’il n’y avait aucun lien entre l’enquête parallèle baptisée «Othello» et les soupçons spécifiques qui pesaient sur Dutroux quant à l’enlèvement de Julie Lejeune et Melissa Russo… Et, en bon petits soldats, certains gendarmes avaient poussés l’exercice jusqu’au ridicule. Mais bon, on nous promet que ce n’est pas cela qui se passe à Arlon.
Pour en finir, sur le sentiment de déjà vu, il y a une autre constante, qui désormais devient de plus en plus criante, jour après jour, slide après slide : les déclarations de Michelle Martin sont véritablement centrales dans tous les exposés des enquêteurs. Ainsi, le témoignage de cette accusée est jugé comme crédible quant elle déclare que Dutroux et Lelièvre se sont rencontrés en juillet 1995. Alors qu’elle le fait au bout de plus de six ans d’enquête et après avoir déclaré six ou sept fois précédemment que ces deux-là s’étaient connus bien plus tôt… Autre constante enfin, les évocations très sommaires en ce qui concerne Michel Nihoul. Nos policiers renvoient systématiquement au spécialiste de ce «volet spécifique» qui viendra à la barre, d’après le planning… dans deux mois. Reste que M. Demoulin a tout de même été le chef d’enquête pour les enlèvements et qu’il me semble étonnant qu’il n’ait pas pu répondre hier à la question de savoir quelle était la nature de la panne de l’Audi 80 de Nihoul, début août 1996 !