« MUSELLE NE DEVRAIT JAMAIS SORTIR DE PRISON »
– Quinze ans après l’assassinat de sa sœur, Cathy Malmendier (23 ans) parle pour la première fois du drame qui a bouleversé sa vie. C’était sur le plateau de l’Info Confidentielle-Match sur RTL/TVI, le 16 septembre 2007 et le 21 septembre 2007 dans «La Libre Match» –
Condamné à la prison à perpétuité en décembre1996, Thierry Muselle est entré dans les conditions légales pour obtenir une libération conditionnelle. Entre le 10 et le 18 juillet 1992, avec son complice Thierry Bourgard, ce prédateur avait semé la terreur dans le Sud du pays : multiples agressions d’une extrême violence, vols, viols. Trois meurtres aussi. Celui de Lucien Schmitz, un père de famille âgé de 36 ans ; ceux de Marc Kistermann et Corine Malmendier, deux jeunes amoureux en excursion. Ils étaient âgés de 21 et 17 ans à peine. Il y a trois mois, lors d’une rencontre en prison avec Jean-Pierre Malmendier, le père de Corine, Thierry Muselle a avoué ce qu’il niait depuis quinze ans : oui, il a bien tué la jeune femme. L’homme regrette ses méfaits et se dit prêt à recommencer une nouvelle vie… Qu’en pense Cathy, la sœur de Corine ?
Vous n’aviez que 8 ans quand votre sœur a été sauvagement séquestrée, violée, puis assassinée par le duo Muselle-Bourgard. A l’époque, vous n’avez sans doute pas perçu toute l’horreur des faits…
C’est vrai, il y a des mots qu’on ne vous dit pas quand vous avez 8 ans ; des mots que l’on ne comprend pas aussi. Il y a des actes si horribles qu’on n’imagine même pas qu’ils puissent être commis par des êtres humains. La souffrance qui a dû être celle de Corine, je ne l’ai appréhendée que plus tard, pour autant que ce soit possible. Par contre, sa disparition du jour au lendemain, j’en ai bien souffert. Immédiatement. Malgré mes 8 ans. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je vois encore très distinctement ce matin de juillet 1992 où j’ai dit à ma maman que Corine n’était pas là. A l’époque, on dormait ensemble dans le même grand lit et, cette nuit-là, elle n’était pas rentrée. J’ai encore l’image de ma mère en pyjama dont les traits se décomposent à l’idée qu’il pouvait être arrivé quelque chose à ma sœur. Corine était une personne fort attentionnée et prévoyante. Elle pensait beaucoup au confort moral de ceux qu’elle aimait. Impossible qu’elle disparaisse sans prévenir. Maman a tout de suite pensé que quelque chose de grave avait dû arriver. Je l’ai très fort ressenti. A 8 ans, on comprend tout de même beaucoup de choses, sauf peut-être la mort. La disparition à tout jamais d’un être aimé, on ne s’imagine pas très bien ce que cela représente. Il m’a fallu du temps pour intégrer ce concept…
Dans votre univers d’enfant, Corine était quelqu’un d’important…
Quelqu’un d’essentiel. Elle avait neuf ans de plus que moi. Ce n’était pas qu’une sœur, il y avait aussi quelque chose de maternel dans son attitude. Ce sentiment protecteur, je le ressentais d’autant plus que mes parents travaillaient beaucoup. Corine était une ancre, un repère. Un élément solide dans un environnement qui se fragilisait déjà avant sa disparition. A cette époque, mes parents étaient en instance de divorce, leur séparation était déjà annoncée. Et puis, il y a eu Corine. Dans les premiers jours qui ont suivi sa disparition, on m’a mise à l’écart pour me protéger. J’ai été trimballée à droite et à gauche. Je me vois revenir à la maison… Ce n’était plus ma maison. Il y avait beaucoup de monde, des gens partout, la police. Mon frère aîné ne m’avait jamais semblé aussi froid. Tétanisé. En état de choc. De nous tous, il était la personne la plus proche de ma sœur. Mon père et ma mère m’attendaient dans le salon. Je vois encore leur tête, j’entends encore leurs mots. Ils m’ont dit : « Il est arrivé quelque chose de très grave ». Je n’ai pas compris. J’ai cru que ma sœur était à l’hôpital et qu’il fallait partir pour aller la voir. Et puis, mon père m’a dit : « Ils l’ont tuée ». Ce moment a bouleversé ma vie. Pour très longtemps, sans doute pour toujours.
De quelle manière ?
J’ai trop bien perçu que tout pouvait s’écrouler. Très vite. Le temps d’un souffle. Que tout était fragile. Cela a débouché sur un sentiment de peur permanente, sur des crises d’angoisse qu’aujourd’hui seulement – à 23 ans et après des visites chez un psy – je commence à mieux gérer. Pendant tout un temps aussi, j’ai voulu croire que Corine reviendrait. Même si j’avais assisté à son enterrement, je rêvais qu’elle réapparaissait… Bien sûr, elle n’est jamais revenue et, désormais, j’étais seule dans mon lit. Mes parents ne vivaient plus ensemble. Mon père s’est lancé dans un combat admirable, mais cela le prenait entièrement. Mon frère est parti vivre avec lui. Il n’était plus le même. Traumatisé, lui aussi, il s’était refermé comme une huître. Avec le temps, il a magnifiquement remonté la pente, réussissant sa vie de famille, sa carrière. C’est un exemple pour moi. Mais aujourd’hui encore, il ne veut pas parler de ce drame qui a bouleversé notre vie. Ma mère, bien sûr, était envahie par une souffrance indicible. Elle aurait pu être noyée dans cette douleur, mais elle n’a jamais baissé les bras. Bref, après la disparition de ma sœur, il ne restait que des ruines du bonheur passé. Il a fallu des années pour que l’on reprenne pied. Pendant l’adolescence, ce vécu m’a obsédé. Je dormais mal. C’est alors que j’ai découvert par moi-même la signification des mots que je ne comprenais pas quand j’étais petite : viol, séquestration, torture. Mort. Je me suis enfermée dans un monde très macabre, sombre et sans espoir. Je faisais des cauchemars : les visages de Muselle et Bourgard que j’avais vus dans les journaux, l’impression trop réelle d’être pourchassée, d’être une proie dans un bois. Pendant toute une période, quand je rentrais dans une pièce, je cherchais immédiatement par où il était possible de m’enfuir si nécessaire. Que pouvais-je prendre en main pour me défendre ?, etc. Aujourd’hui, cela va beaucoup mieux.
Et voilà que Muselle demande sa libération. Vous réagissez comment ?
Je voudrais d’abord m’inquiéter de la manière dont on a rapporté les propos de mon père sur cette question.
Il a dit qu’il était « favorable » à cette libération conditionnelle, sous réserve d’une expertise psychiatrique préalable du meurtrier, non ?
Ce n’est pas tout à fait cela. Mon père prend acte de la situation : il sait que, vu la législation actuelle, Muselle sortira tôt et ou tard. Il n’est pas « favorable » ; il admet simplement que la décision est du ressort du tribunal parce qu’il respecte les institutions.
Quel est alors son avis ?
Je doute qu’il se réjouisse à l’idée qu’un personnage pareil, même s’il exprime des regrets depuis peu, se retrouve dans la nature. Cela étant, je ne veux pas parler à la place de mon père. (N.d.l.r. : lire plus bas l’interview de Jean-Pierre Malmendier).
Parlons alors de votre avis sur la question de la libération de Muselle ?
Pour moi, c’est évident, Muselle ne devrait jamais sortir de prison. Rien que d’imaginer qu’il puisse être libéré, je recommence à angoisser, à faire des cauchemars. S’il sort, il me faudra une aide psychologique que je ne peux pas me payer en ce moment. Je ne suis pas prête ! Au-delà de mon cas, je trouve qu’une libération après quinze ans, alors qu’il a été condamné à la perpétuité, serait amorale, totalement injuste. La vie de ma sœur, il l’a prise à tout jamais. Je ne suis pas partisane de la peine de mort, cela n’a pas de sens d’ajouter de la mort à la mort. Par contre, je trouve indispensable que la sanction soit réelle et proportionnée. Il n’y a aucun esprit de vengeance dans ce que je dis. Je pense simplement qu’il n’y a rien qui justifie que l’on prenne le risque de remettre ce prédateur en situation d’être à nouveau dangereux pour la société.
Au moment de son procès, les experts psychiatres ont dit de Muselle qu’il avait tous les traits de caractère correspondant à ceux d’une « personnalité antisociale ». La littérature scientifique est peu rassurante sur les capacités d’évolution et de non-récidive de ce type de personnage…
C’est bien pour cela que mon père a demandé au tribunal de le faire encore examiner par des psys avant de prendre une éventuelle décision de libération conditionnelle. Mais c’est désormais la responsabilité des magistrats. Ils devront assumer leur décision si cela tournait mal. En tant que victime, on nous permet de donner un avis. Pour le reste, on est impuissants. Tout ce que je peux faire, c’est témoigner de mon inquiétude. Rappeler aussi que Muselle avait déjà été condamné à une lourde peine avant de tuer ma sœur et son ami. Par conséquent, on ne lui donnerait pas une seconde chance en le libérant, mais une troisième ! Ma sœur, elle, n’a pas eu de seconde chance. Quoique ce gars fasse, il n’y a rien de rattrapable. Il ne suffit pas de dire, quinze ans après : « J’avoue et je regrette ». Même si c’est sincère, ce qui est loin d’être garanti !
Pourquoi ?
Cet homme a été décrit par les experts comme extrêmement manipulateur. Peut-être que la seule chose qu’il regrette, c’est d’être encore derrière des barreaux et ne pouvoir entamer une nouvelle vie avec son amie qui l’attend à l’extérieur. Alors, pourquoi ne pas dire aux familles des victimes ce qu’elles attendent, si c’est le prix à payer pour sortir plus vite ? Pendant le procès, je sais que cet homme a regardé mon père droit dans les yeux en lui prétendant qu’il était totalement innocent de l’assassinat de ma sœur. Sa conviction était aussi grande que celle avec laquelle il exprime ses regrets actuels. Aujourd’hui, cela ne lui coûte plus rien d’avouer. Par contre, il sait très bien que cela peut lui rapporter.
Evoquant sa rencontre avec Muselle, il y a trois mois, votre père a déclaré à un confrère : « Il n’y a pas deux sortes d’êtres humains : d’un côté, les victimes ; de l’autre, les criminels. Cette rencontre m’a permis de voir Muselle sous un autre jour. Il regrette et je le crois sincère ». Un commentaire ?
Muselle était présent lors de la récente audience du tribunal d’application des peines à Arlon. L’apercevant, je me suis dit que je n’avais jamais vu des traits pareils. Il était terriblement accablé, vieilli, usé. S’il ne regrette pas vraiment, ce serait une comédie, comment dirais-je, vraiment monstrueuse ! Je compte le rencontrer moi-même pour me faire une idée. Je voudrais qu’il me fasse alors des aveux complets, parce qu’il n’a pas encore tout dit sur ce qu’il a infligé à Corine. Je n’ai pas envie de donner de détails, mais il n’a pas tout raconté à mon père. Je veux aussi qu’il assume ses responsabilités.
Qu’entendez-vous par là ?
Je sais qu’il a dit à mon père qu’au moment de commettre ses viols et ses meurtres, il n’était pas lui-même. Qu’il était habité par le diable. C’est de la foutaise ! Il est l’auteur de ce qu’il a fait. « Le diable », c’est encore une manière de fuir ses responsabilités, après avoir nié pendant des années. C’est une façon de dire qu’il n’en peut rien, qu’il ne comprend pas ce qui lui est arrivé… Quand j’entends cela, je crains que « le diable » décide de lui rendre encore visite après sa sortie de prison.
On laisse entendre que tout ne s’est pas très bien passé à Arlon lorsque vous avez dû donner votre avis aux magistrats du tribunal d’application des peines…
En soi, c’était déjà une épreuve de me rendre en un tel lieu, dix jours à peine après avoir reçu une lettre annonçant que ce meurtrier pourrait éventuellement être libéré à plus ou moins court terme. J’ai préparé un texte, je l’ai raboté jusqu’à ce qu’il représente sept minutes de parole. Durant l’audience, j’ai dû insister à trois reprises pour aller au bout. Je prenais enfin la parole après quinze ans de silence mais, pour l’une des magistrates présentes à l’audience, ce n’était pas assez rapide. Pour avoir suivi de près le combat de papa, je savais que les victimes sont un peu dérangeantes dans le processus judiciaire. Là, j’en ai eu un aperçu concret.
Que pensez-vous du combat mené depuis des années par votre père ?
Il a tout sacrifié pour aller au bout de ses idées. Je me demande où il va puiser cette énergie qui lui permet de ne jamais s’arrêter. On lui a parfois fermé des portes, il a été critiqué, mais il est toujours resté debout. Il a une faculté incroyable de toujours garder son calme et de tenir un discours positif. J’admire son combat. Je l’admire en tant qu’homme. Je suis fière d’être sa fille.
Mortelle randonnée
Muselle et Bourgard font connaissance dans l’appartement d’une toxicomane verviétoise et, dès le lendemain de cette rencontre, le samedi 11 juillet 1992 à l’aube, ils agressent le veilleur de nuit d’une maison de passe à Angleur, lui volant son portefeuille et la recette. Deux jours plus tard, sur un parking d’autoroute à Eysden, ils donnent plusieurs coups de couteau à un livreur de journaux pour lui voler son portefeuille.
Le 14 juillet, le duo braque une station-service à Jemeppe. L’exploitant se rend compte que l’arme n’est qu’un pistolet d’alarme et demande aux deux agresseurs de s’en aller. Thierry Bourgard saute par-dessus le comptoir et assène de violents coups sur la tête du pompiste au point de briser son arme, puis, après avoir reçu un jet de bombe lacrymogène, lui porte trois coups de poignard et s’enfuit.
Le 15 juillet, les prédateurs décident de se procurer une voiture et une arme. Dans une armurerie liégeoise, ils achètent un riot-gun, une boîte de cartouches et une grenade factice, puis s’arrêtent sur une aire de repos de l’autoroute E42, à hauteur de Liège. Dans l’habitacle d’une Passat, deux jeunes étudiants de Plombières, Corine Malmendier (17 ans) et Marc Kistermann (21 ans), les voient venir vers eux et sont séquestrés. Muselle et Bourgard les forcent à quitter l’autoroute E42 pour celle des Ardennes. Ils sortent à Lierneux. Corine est violée, puis abattue de deux balles de riot-gun dans le dos. Marc est tué de la même manière.
Leurs corps ne seront retrouvés que le 22 juillet, le long d’une route, à 3 km de la sortie de Lierneux. Le 16 juillet, en début d’après-midi, à Angleur, Bourgard et Muselle surgissent dans la propriété d’une dame qui parvient à s’enfuir en hurlant. Quelques heures plus tard, sur les hauteurs de Verviers, à Ensival, ils agressent les deux passagers d’une Ford Escort au moment où ceux-ci regagnent leur véhicule. Le conducteur, Lucien Schmitz (36 ans), est enfermé dans le coffre tandis que sa compagne prend place dans l’habitacle. La voiture prend une nouvelle fois la direction de Lierneux avant de s’enfoncer dans les bois. La passagère est violée. Le conducteur sera tué : quatorze coups de couteau.
Au cours de la même soirée, Thierry Muselle et Thierry Bourgard braquent une station-service à Neupré. Muselle est arrêté le samedi 18 juillet à Angleur. Le lendemain, Thierry Bourgard, accompagné de ses parents, se présente à la prison de Verviers. A l’époque des faits, ce dernier était en congé pénitentiaire et Muselle en… liberté conditionnelle. Celui qui exprime aujourd’hui des regrets a eu, en effet, des démêlés avec la justice depuis son adolescence.
En octobre 1982, à 19 ans, une première peine de deux mois sanctionne deux vols. Deux ans plus tard, le tribunal correctionnel de Liège prononce une peine de deux ans, avec sursis pour la moitié, pour vols, recels et faux. Mais surtout, en novembre 1984, la cour d’appel de Liège le condamne à dix ans pour homicide involontaire, viol sur une mineure de plus de 16 ans et non-assistance à personne en danger. La petite amie de l’époque de Thierry Muselle, âgée de 16 ans, était morte des suites d’une overdose alors qu’elle inhalait du Sassi en compagnie de Muselle et d’un autre homme. Constatant son décès, Muselle et son complice avaient décidé d’abandonner le corps de la jeune fille dans les bois de Seraing… Avant de participer aux recherches aux côtés des parents de l’adolescente.
Lors des deux procès qui ont suivi la meurtrière randonnée de 1992, le collège d’experts psychiatres et de psychologues avait exclu une application de la loi de défense sociale ou toute atténuation de responsabilité pour Bourgard et Muselle en dépit de la drogue qu’ils avaient consommée pendant les faits. Il concluait que ces deux « personnalités antisociales », faisant preuve d’un « égoïsme forcené » et d’une « absence d’altruisme », représentaient un « risque majeur pour la société ».
Entretien réalisé en collaboration avec mon confrère Olivier Mukuna et publiée dans La Libre Match du 21 septembre 2007.
Jean-Pierre Malmendier : « Je ne ressens aucune clémence pour ces individus »
Fin septembre, le tribunal d’application des peines d’Arlon devrait se prononcer sur l’éventuelle libération conditionnelle de Thierry Muselle. Une attente difficile pour Jean-Pierre Malmendier. Légaliste, le père de Corine s’en remet à la clairvoyance de la justice. Mais reste circonspect quant à la « sincérité » des regrets tardifs émis par l’assassin de sa fille. Mise au point avec l’ex-sénateur MR sur la lente évolution du droit des victimes.
Certains médias ont laissé entendre que vous seriez « favorable » à la libération conditionnelle de Thierry Muselle…
Que je sois favorable ou non à sa libération ne change rien. C’est le tribunal d’application des peines qui décidera.
Quel est votre point de vue ?
Si le tribunal décide de le libérer, je veux avoir le maximum de garanties possibles. Et il en va de la responsabilité des magistrats de prendre celles-ci… La principale d’entre elles, c’est une expertise psychiatrique approfondie. J’attends que soit soumis aux juges un rapport d’expertise fouillé à partir duquel ils pourront rendre leur décision.
Les assassins de Corine ont été décrits comme des personnalités antisociales, voire psychopathes …
« Psychopathe » est un terme un peu générique qui englobe tellement de choses. Je n’ai aucune qualification pour définir ce qu’ils sont. Par contre, j’aimerais que leurs personnalités ne présentent plus les mêmes caractéristiques que lorsqu’ils sont entrés en prison. Qu’il y ait une amélioration et des chances, plus que raisonnables, de voir réussir la réinsertion prévue !
Si la décision d’accorder cette libération vous revenait, que souhaiteriez-vous ?
Si la décision ne dépendait que de moi ? Muselle resterait en prison jusqu’à la fin de ses jours ! Je ne ressens aucune clémence envers ces individus. A lire certains journaux, on pourrait penser que je suis favorable à leur libération. Ce n’est pas le cas, mais je n’ai aucune influence sur la décision du tribunal. Je n’ai aucun outil pour mesurer les possibilités de succès de leur réintégration sociale. Après mon entretien avec Muselle, mon impression a été positive. Il reconnaît les faits, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Il m’a dit que c’était irréparable… Il allait peut-être me demander pardon, mais j’ai pris les devants en lui signalant d’emblée que ce qu’il avait commis était impardonnable. Sur cette base, on peut croire qu’il regrette, mais il ne faut pas oublier à qui on a affaire : un manipulateur et une personne qui résiste très peu à la frustration.
Muselle a-t-il adopté ce comportement dans le seul objectif d’obtenir sa libération conditionnelle ?
C’est possible. Je l’ignore …
En marge de l’« affaire Aït Oud », un psychiatre nous disait que ce type de personnalité antisociale n’évolue pas : il reste tel quel toute sa vie…
Je le crains… J’ai tendance à partager cet avis, mais je n’ai aucune qualification pour en parler. Raison pour laquelle je renvoie ce problème aux experts psychiatres.
Aujourd’hui, la victime peut s’exprimer. Est-ce suffisant ?
Non, il en faudrait davantage. Concernant le droit des victimes, il y a eu des avancées. Puisque nous venions de nulle part, ce qu’on a obtenu n’est pas mal du tout. Avant, on octroyait à la victime une certaine somme censée réparer le préjudice et puis, basta ! Aujourd’hui, la victime bénéficie d’un accueil dans les palais de justice et d’une proximité de la part des assistantes de justice durant un procès d’assises. C’est le cas au parquet d’Arlon, mais pas encore dans tout le pays. En revanche, une fois que le verdict est tombé, la victime n’est plus tenue au courant. Jusqu’au jour où elle reçoit un pli judiciaire lui signalant que Monsieur X est admissible à la libération conditionnelle. La lettre précise aussi que vous pouvez vous exprimer par rapport aux conditions que vous souhaitez voir imposées au libérable dans votre propre intérêt… Moi, j’ai eu le triste privilège de me battre pendant des années et de rencontrer des personnes qui m’ont humainement soutenu. Ce qui m’a permis d’aborder cette nouvelle avec une relative sérénité. Mais la plupart des gens concernés n’y entendent rien ! Ils reçoivent un pli judiciaire les informant de l’examen de la libération de celui qui a tué leur proche. Eh bien, ils disent « Non ! » Il est indispensable qu’il y ait un meilleur accompagnement des victimes durant l’accomplissement des peines. Une aide qui prépare non seulement à la sortie du criminel, mais surtout à aider les victimes à reprendre pied, le plus sereinement possible, dans la société. Au long de ces quinze années, j’ai connu plusieurs victimes qui sont mortes d’alcoolisme ou du cancer, d’autres qui souffrent de maladies psychosomatiques ou sont devenus dépendantes aux médicaments…
Vous critiquez aussi le fonctionnement des SAV (Services d’Aide aux Victimes)…
Organisées par les Communautés, les asbl d’aide aux victimes évoluent. Mais je souhaiterais que le personnel qui y travaille soit mieux formé. Je ne leur en veux pas, ils sont généralement de bonne volonté. La victimologie est une matière spécifique qui nécessite un véritable approfondissement de la compréhension de la victime. Parmi les personnels des SAV, certains suivent les cours de l’Institut belge de victimologie, un institut privé dont le minerval s’élève à 1 700 euros par an. C’est donc peu accessible et je plaide pour que cette formation soit prise en charge par les pouvoirs publics.
En matière d’accès au dossier, les choses n’ont-elles pas évolué favorablement pour la victime ?
Oui, le « petit Franchimont » a ouvert des portes essentielles. Néanmoins, la consultation d’un dossier requiert matériellement l’aide d’un avocat. Selon le conseil que vous choisirez, cela aboutira vite à débourser une petite fortune ! Depuis 2000, la loi que j’ai fait passer permet à certaines catégories de victimes d’obtenir une copie gratuite du dossier. Il s’agit principalement de parents d’enfants concernés par un acte criminel. Cet accès à l’entièreté de la copie du dossier est donc gratuit, mais la procédure pour l’obtenir reste payante via les services d’un avocat. Je pense qu’il y a là une belle mission pour les associations d’aide aux victimes. Il ne s’agit pas de prendre le pain de la bouche des avocats, mais de rendre accessible un droit. Disposer d’un droit qu’on ne peut finalement pas se payer, cela n’a aucun sens …
Vous êtes aussi à l’origine d’une autre évolution positive concernant les soins…
Ce fut un succès presque inespéré ! La loi prévoit désormais que les soins soient entièrement remboursés à la victime qui en fait la demande. Sans aucune limite de montant ni de temps. Une victime d’un acte intentionnel de violence qui a besoin de soins jusqu’à la fin de ses jours devra être intégralement remboursée. Maintenant, il ne faudrait surtout pas négliger les soins psychologiques. Si vous laissez quelqu’un s’enfoncer dans son traumatisme, qu’il soit physique ou psychique, il ne faut pas s’attendre à ce que cette personne soit sereine lorsque, dix ou quinze ans plus tard, vous lui annoncez : « Le gars qui t’a fait ça, on va lui donner une seconde chance » …
Laurette Onkelinx avait le projet de « mutualiser » les frais de Justice. Qu’en pensez-vous ?
J’avais déposé une proposition de loi qui organisait l’intervention de l’assurance familiale à raison de 3 millions dans le cas d’une atteinte à la personne… Laurette Onkelinx, elle, voulait une mutualisation pour tout, tant au pénal qu’au civil. Ce qui, à mon sens, ressemblait plus à un attrape-nigaud qu’à une réelle justice accessible. En résumé, vous aviez des « chèques-justice » qui vous permettaient de vous constituer partie civile et d’avoir deux ou trois consultations avec votre avocat. Après cela, le chèque était épuisé et vous deviez y aller de votre poche ! Certaines personnes se seraient laissé entraîner par l’illusion de ces chèques et se seraient retrouvées coincées à mi-parcours en devant payer des sommes importantes. Finalement, aucun des projets n’a été retenu. Rien n’a bougé …
Vous n’êtes plus sénateur. Que faites-vous à présent ?
Il me reste pas mal de boulot pour faire fonctionner ce que je suis parvenu à faire voter. Sur un plan plus privé, je continue à m’occuper de victimes en lien avec l’asbl Marc et Corine. Au MR, je vais remplir une fonction de consultant pour avancer dans le même domaine, mais en l’élargissant aux victimes d’erreurs médicales, d’accidents de la route ou de catastrophes naturelles et techniques.
Que pensez-vous de l’« affaire Maddie » ? Les parents sont désormais soupçonnés d’avoir tué leur fille et d’avoir fait disparaître son cadavre…
Dans cette affaire, j’estime que le relevé des traces de sang vient un peu tard. Pourquoi cela n’a-t-il pas été réalisé au lendemain de la disparition ? La première chose à faire est de sécuriser les lieux où il était possible de retrouver des traces, notamment la chambre de l’enfant ! Lorsque vous rencontrez des lacunes dans le démarrage d’une enquête, finalement, quelqu’un doit porter le chapeau. En général, ce sont les victimes proches… En dirigeant la suspicion vers les parents McCann, je me demande si la police portugaise n’essaie pas de faire diversion sur son incapacité ou sur l’impossibilité de trouver une réponse.
Votre combat a-t-il davantage progressé en tant que politique que comme citoyen engagé dans l’asbl Marc et Corine ?
Oui. D’ailleurs, malgré nos différends, je suis rassuré du fait que Carine Russo se soit aussi engagée en politique. Je n’y suis plus, mais il y a quelqu’un qui peut prendre la relève. C’est important parce qu’il s’agit d’une présence dans la conscience des autres parlementaires. Votre parole n’est pas perçue sur le plan de la philosophie politique, mais sur un plan humain. Je ne dis pas que toutes les victimes doivent faire de la politique, mais il est vrai que ça fait avancer les choses plus vite. Par exemple, au départ, au Sénat, tout le monde était contre la gratuité des soins dont je vous ai parlé et puis, grâce à mon argumentation, le vote a été unanimement favorable. Mais la proposition n’était pas encore passée par la Chambre en fin de législature. Elu député lors de la suivante, j’ai donc recommencé mon plaidoyer. En commission, beaucoup craignaient l’impact budgétaire de la proposition et semblaient s’y opposer. Le jour du vote, elle a été acceptée à l’unanimité ! Un autre parlementaire n’aurait peut-être pas eu la force de persuasion qui a été la mienne à ce moment-là. Sur le plan humain, je crois aussi qu’il était impossible de voter contre..
Dans le champ politique, avez-vous le sentiment que cela reste une priorité de préserver la société d’assassins tels que Bourgard, Muselle, Dutroux ou Fourniret ?
A la suite de l’« affaire Dutroux », des choses concrètes ont quand même été mises en place, dont la Cellule nationale des disparitions d’enfants. Par contre, il y a aussi eu des aspects négatifs comme la création de Child Focus afin de neutraliser l’asbl Marc et Corine. Cet organisme a été la réponse dont Jean-Luc Dehaene avait besoin pour dire : « Je m’en occupe ! » Face à toutes les interpellations, il avait cette réponse : Child Focus ! L’asbl Marc et Corine était devenue un tel groupe de pression qu’elle est apparue insupportable sur le plan politique. On avait sorti une pétition – signée par 2700.000 concitoyens – rapidement appelée : « Pétition pour des peines incompressibles ». Or, si on lit le texte, nous disions que nous approuvions la suppression de la peine de mort ainsi que son remplacement par des peines pédagogiques, dont les peines incompressibles. Celles-ci étant destinées à signaler aux victimes que la gravité des faits avait été prise en compte. L’instauration des peines incompressibles était donc un aspect de notre pétition, mais beaucoup ont préféré faire le raccourci. Aujourd’hui, je reste un défenseur des peines incompressibles, y compris de la perpétuité effective pour les cas extrêmes tant que ne seront pas mis en place les outils et les moyens nécessaires à un bon accompagnement des victimes durant l’exécution de la peine. Sur ces questions, si la pression citoyenne est démobilisée, le politique ne va pas se fatiguer…
Pendant ces quinze années de combat pour les victimes, à quoi vous êtes-vous raccroché dans les moments de doute ou de déprime ?
Au souvenir de Marc et Corine. Celui-ci a toujours énormément de valeur. Il est également important de transmettre un témoignage à mes deux autres enfants. Leur montrer qu’il y a des choses vraiment importantes dans la vie… Quand François Kistermann a lancé l’asbl Marc et Corine avec moi, on avait zéro moyens et que des dettes ! J’ai dit aux autres personnes du conseil d’administration : « Tout dépendra de l’intensité de la volonté avec laquelle on veut atteindre nos objectifs ». Cela ne s’est jamais démenti… Le but ultime est d’arriver à une société où chacun est considéré comme un être humain et qu’on arrête de nous leurrer avec des beaux principes qui cachent, en réalité, des considérations bassement matérielles, financières, politiques voire démagogiques.
Marc Nève : « En quinze ans, Muselle a beaucoup évolué »
Avocat réputé au barreau de Liège, Me Marc Nève est le conseil de Thierry Muselle depuis quinze ans. Il tient à préciser que son client « n’a pas demandé sa remise en liberté comme l’ont résumé un peu vite certains médias. En fait, la procédure d’examen de son éventuelle libération conditionnelle s’est enclenchée automatiquement après quatorze ans de détention. C’est la loi qui trouve ici à s’appliquer, ni plus ni moins. Cela dit, il est exact que Thierry Muselle se dit prêt à sortir, à entamer une vie respectable. En quinze ans, cet homme a beaucoup évolué. Je crois aussi à la sincérité des regrets qu’il exprime et dont il a fait part personnellement au papa de Corine Malmendier. »