« SI ON VEUT SAUVER LA BELGIQUE, BRUXELLES DOIT DEVENIR UNE REGION A PART ENTIERE »
– Entretien publié dans Paris-Match (Belgique), le 27 décembre 2007 –
Daniel Ducarme, le retour. Bien que réélu député à Bruxelles lors des dernières législatives, l’ex-président du MR et ministre-président de la Région bruxelloise a plutôt été discret depuis ses démêlés avec le fisc en 2004. Avec son nouveau look – imposé par la maladie qu’il combat depuis plusieurs années – et ses propos tranchés sur l’avenir de la Belgique, il revient au premier plan pour plaider une « association » de la Belgique francophone avec la France, si les Flamands devaient définitivement s’aventurer à remettre en cause la loyauté fédérale. Entretien avec l’homme politique mais aussi avec l’homme qui se cache, de moins en moins, derrière lui.
Paris Match Belgique. Votre récente apparition sur les écrans de la télévision belge a fortement marqué l’opinion publique. Par votre prise de position politique sur l’avenir du pays mais aussi, c’est évident, par votre apparence physique. Plus de barbe, plus un cheveu sur la tête… Vous allez bien ?
Je vais très bien. Je dirais même que j’ai la pêche. Bien sûr, j’ai été malade. Je n’ai jamais caché le cancer de la prostate que l’on m’a diagnostiqué en 2004. Je me soigne encore. Bien entendu, je puis comprendre que ma nouvelle apparence étonne : j’étais un paquet de poil ambulant et me voici chauve. Définitivement ? Je n’en sais rien et à vrai dire, peu m’importe. Des amis m’ont dit que mon nouveau look me rajeunissait, donc je ne suis pas chagrin. Loin de là, vraiment !
Dans un livre d’entretien avec Pascal Vrebos (1), vous avez déclaré à propos de votre maladie : « Ni guérison, ni rémission. L’espoir par la volonté ».
Oui, garder la volonté ! Et bien sûr se soigner, avec un suivi très régulier. Se dire aussi que les avancées de la recherche sont telles que l’on disposera bientôt de médications qui permettront de traiter cette maladie de manière différente. Ce qu’il faut par-dessus tout, c’est aimer la vie et je vous assure que je l’aime encore plus qu’avant cette épreuve. Plus et autrement ! C’est désormais ma vie d’homme qui a pris le pas sur celle du « tout pour la politique » que j’ai pu être.
La maladie a modifié l’apparence de votre corps. Diriez-vous donc qu’elle a aussi modifié l’intérieur de votre cœur ?
Si mon apparence a changé, ce n’est peut-être que provisoire… En revanche, mon cœur a été meurtri. Terriblement et définitivement. Et là, je ne parle plus de la maladie. J’évoque ce qu’on a dit de moi, ce qu’on a écrit sur ma personne. Je pense à des mises en cause injustes de mon honneur et de ma probité.
Vous évoquez bien entendu votre dossier fiscal ?
Oui. Le fait qu’on ait voulu me faire passer pour un fraudeur ou alors pour un distrait un peu stupide qui se serait mêlé de vouloir gérer la cité alors qu’il ne s’occupait même pas de remplir sa feuille d’impôt… J’ai tout expliqué et j’ai publié les preuves dans l’ouvrage que vous avez déjà cité (1). La réalité est très simple, limpide : fin des années 1990, début 2000, j’ai eu un conflit avec l’administration fiscale. Tel un homme libre, j’ai contesté le montant de mon imposition et puis, las d’un conflit qui ne débouchait sur aucune conciliation, j’ai décidé de me laisser imposer d’office à l’occasion de deux exercices, ce qui est parfaitement légal. C’est tout. Plus tard, j’ai gagné mes recours sur les sommes que je contestais. J’ai payé ce que je devais à l’Etat comme n’importe quel citoyen qui a légitimement défendu ses droits. Sans faveur, ni passe droit. Je ne dois pas un franc aux impôts. Je n’ai rien d’un fraudeur. Aucune faute n’a pu et ne pourra jamais m’être reprochée d’un point de vue éthique ou moral. Et encore moins, bien entendu, sur le plan pénal. D’ailleurs, dans le quotidien « La Libre Belgique », le meilleur journaliste fiscal du pays (N.d.l.r. : Patrick Van Campenhout) l’a écrit après avoir analysé mon dossier : « Ducarme blanchi par le fisc ». Qu’est-ce que je peux souhaiter de mieux ?
Il n’empêche : début 2004, votre différend avec l’administration fiscale vous a coûté votre poste de ministre-président de la Région bruxelloise. Et, plus de trois ans après, une partie de l’opinion vous voit encore comme un mauvais contribuable…
Si certaines personnes veulent rester sur une image fausse de la réalité, c’est leur problème, ce n’est plus le mien.
Cela vous énerve ?
Non, ce qui importe pour moi, c’est d’avoir pu tourner la page en prouvant mon honnêteté et, cerise sur le gâteau, en prouvant une fois encore ma capacité à rebondir face à l’adversité. Je vous rappelle qu’aux dernières élections législatives, j’ai pris le risque d’être cinquième sur la liste du MR à Bruxelles. J’ai été élu avec 10 000 voix de préférence. Pour un homme politique, n’est-ce pas la plus belle des réhabilitations ?
Après votre chute, vous êtes tombé malade parce que, inconsciemment, vous vouliez mourir ?
(Silence pendant dix secondes au moins.) Ce n’est pas à exclure. La maladie dont je souffre est présente dans la famille, mais il me semble que les obstacles que j’ai rencontrés sur mon chemin de vie en 2004 ont contribué à faire exploser cette faiblesse.
Qu’est-ce que l’épreuve a changé pour vous ?
Avant tout cela, pendant trente ans, je me suis comporté comme un « moine-soldat » au service de son parti. Tout le temps, entièrement. Corps et âme. De ce point de vue, j’ai fait ma révolution. Désormais, l’homme a sa vraie place à côté de l’homme politique.
L’homme ?
Oui, le père, le grand-père, l’ami bien plus attentif d’hommes et de femmes qui m’aiment pour ce que je suis, l’amoureux de ma femme, le curieux de tout, la personne avide de toujours découvrir des choses nouvelles, notamment sur le plan culturel.
Finalement, ce qui vous est arrivé est aussi une bonne chose… Vous appréhendez la vie autrement. Sans doute avec des valeurs plus signifiantes que précédemment…
Holà ! Attention aux poncifs. D’accord : ce que j’ai vécu, cela m’a fait réfléchir, mais j’ai le sentiment très net que cette manière peut-être plus sage de regarder l’existence était déjà naissante avant les événements de 2004. J’étais déjà en train de refaire ma vie avec ce regard plus détaché sur l’existence qui est aussi, je crois, une forme de maturité.
Quand vous regardez en arrière, vous vous dites que vous en avez fait trop ?
Non, que ce soit comme député, bourgmestre, chef de parti ou ministre, je garde un sentiment de devoir accompli. Bien sûr, j’ai souvent été très radical. Dans ce pays où règne une certaine tiédeur dans les débats d’idées, c’est une attitude qui déplaît. De sorte que je ne me suis pas fait que des amis… Dans le Hainaut, par exemple, en taillant des croupières aux socialistes. J’ai aussi secoué certains bien-pensants en dénonçant l’échec de l’intégration à Bruxelles. J’ai dû combattre pour créer le MR actuel, cela n’a pas été facile. Quand j’ai affirmé la nécessité de la prise en compte du fait régional bruxellois en menant une révolution de l’Iris, cela a créé un choc. Je l’ai fait consciemment parce que je ne suis pas quelqu’un de tiède. Il faut oser s’exposer et créer le débat. Je ne regrette rien.
Pas de regrets ? Même si vous avez reçu une « balle dans le dos » venant de votre propre camp politique au moment de vos « ennuis fiscaux » ?
En politique belge, quand véritablement vous marquez le coup, cela ne plaît pas.
On coupe les têtes qui dépassent ?
Tous les signes sont là pour le démontrer, non ? Même si nombreux sont ceux qui rentrent aux abris dès le premier danger ! Moi, j’assume mon franc-parler.
Des déceptions sur le plan humain, donc ?
Les déceptions sur le plan humain, elles sont énormes… J’ai beaucoup réfléchi à cela. J’ai pensé aux moments où j’ai exercé des responsabilités. Ai-je eu des comportements qui pourraient expliquer ces déceptions ? En toute honnêteté, j’estime avoir parfois été très dur sur le plan politique mais avoir toujours eu le souci de sauvegarder la dignité individuelle des gens… Dans ma propre meute, on a été dur avec moi sur le plan politique mais aussi sur le plan humain.
Ce qu’on vous a fait au sein même de votre famille politique, on pourrait appeler cela un lâchage ?
C’est allé du lâchage au lynchage.
Pour arriver là où vous êtes arrivé, il faut un côté « requin », non ? En d’autres termes, vous avez certainement fait cela à d’autres avant de le vivre vous-même ?
Non, vraiment pas.
Alors, vous ne comprenez pas ?
Je me dis qu’à partir du moment où j’avais mis la barre si haut dans tout ce que je faisais, ce qui s’est passé était relativement inévitable. Je croyais que cela ne m’arriverait pas. Comme le croit peut-être celle ou celui qui est en train de lire ce que je vous dis maintenant, qui est engagé comme je l’ai été… Et qui n’y échappera pas.
Mais votre fils Denis a embrassé une carrière politique ! Il est député… Vous auriez du le décourager de se lancer dans cette arène ?
On ne fait pas des enfants pour soi. J’ai toujours voulu que mes enfants soient des êtres autonomes et responsables. Capables de poser des choix par eux-mêmes. Mon message a toujours été qu’ils creusent leur propre sillon, pas qu’ils s’inscrivent dans le sillage de leur père ou de leur mère. Denis s’est lancé en politique parce qu’il avait de l’intérêt pour cette activité ; certainement pas à ma demande ou sur mon conseil. Il y a d’évidence, depuis mon père qui était gendarme jusqu’à mes fils qui sont passionnés par la chose publique, une envie dans la famille de servir l’Etat. Lucas, par exemple, s’intéresse de très près à tout ce qui touche à la qualité du service public en Belgique.
Après vos ennuis, il a renoncé à son mandat de sénateur…
Oui, c’est une décision qu’il a prise à 25 ans et je trouve que cela démontre qu’il a du caractère. C’est une personnalité très forte. Il sait où il va.
Etre le fils de Daniel Ducarme, c’est un avantage ou un inconvénient ?
Etre un «fils de», c’est toujours un inconvénient.
C’est tout de même plus facile d’entamer certaines carrières…
Les gens croient cela mais c’est tout à fait le contraire. Regardez en politique le nombre de « fils de » que l’on a jugé à l’aune du père. C’est comme les médecins et les avocats qui sont «fils de» et dont on se demandera toujours s’ils sont aussi bons que le père. C’est très difficile de se situer dans de telles filiations.
Vous avez qualifié votre milieu professionnel de « monde de brutes » ?
Oui, c’est très brutal… Le problème, c’est que le positionnement des personnes l’emporte sur le combat des idées. C’est la lutte des places et elle est renforcée par notre système électoral… Faire de la politique, cela ressemble parfois au jeu de la chaise musicale. Au début, c’est bon enfant. A la fin du jeu, quand il ne reste que les plus forts, cela peut devenir plus vif, voire très brutal.
Les noms de ceux qui ont «lâché» ou «lynché» au MR, cela reste une question taboue ?
Si vous acceptez des responsabilités telles que celles que j’ai exercées, cela vous donne du pouvoir, bien sûr, mais surtout un devoir de réserve. Quoiqu’il arrive, il faut garder le recul suffisant. Balancer des noms, ce serait une forme de laisser-aller personnel, un acte destructeur. Or, durant toute ma carrière politique, je n’ai eu d’autre ambition que celle de construire.
Du jour au lendemain, vous avez dû quitter l’un des sommets du pouvoir en Belgique. Que ressent-on en de telles circonstances ?
Il y a un sentiment de chute difficile à gérer, voire même à décrire… Mais ce qui m’a le plus éprouvé, c’est que j’avais des projets en cours, des choses à dire et à faire pour donner beaucoup plus de force et d’autonomie à la Région de Bruxelles-Capitale. Ce n’est même pas un combat inachevé, on m’a empêché d’en découdre comme je le voulais. J’ai été arrêté dans mon élan, comme un sportif qui se serait préparé pour une grande compétition et qui en aurait été interdit quelques jours seulement avant son début. Plus grave encore, c’est comme si on m’avait accusé de dopage pour révéler, après la fin de la compétition, que les tests étaient faux.
De votre enfance, on sait que vous en avez passé une partie dans un internat, c’est à peu près tout…
Mon enfance, c’est mon jardin secret.
Il faut parfois gratter dans le passé d’un homme pour comprendre les fondements de son action…
Dans mon enfance, l’une de mes grands-mères s’est beaucoup occupée de moi. On pourrait presque dire qu’elle m’a élevé. C’était une personne qui avait terriblement souffert de la guerre. Et c’est ce qui a déterminé mon engagement initial en politique. Un engagement européen pour une pleine réconciliation
des peuples.
En tant que président du MR international, vous passez pas mal de temps en France. Est-ce cela qui vous fait prendre les couleurs locales et vous amène à suggérer un rapprochement entre les francophones de Belgique et ceux d’outre-Quiévrain ?
Je me sens belge ! Mais il est exact que je connais bien la France et les Français. C’est d’ailleurs cette connaissance de l’Hexagone qui fait que je ne me suis jamais affiché comme rattachiste. Les Belges francophones ont à la fois une grande proximité culturelle avec la France et une identité tout à fait particulière. Je souhaite que nous cultivions cela dans le cadre d’une Belgique nouvelle et stabilisée. Mais j’ose effectivement dire que si la Flandre ne nous considère pas mieux, il est décent de s’assumer. Dans ce cas, il ne faut pas s’accommoder d’un rattachement pur et simple. Je plaiderais plutôt pour une « association » avec nos voisins de ce que j’appelle la « Belgique française » composée des régions wallonne, bruxelloise et germanophone… Et cela seulement, c’est évident, et je tiens à le répéter, s’il devait être définitivement établi dans un avenir plus ou moins proche que les Flamands ne veulent plus d’un destin commun dans un Etat belge repensé.
Que faudrait-il notamment « repenser », selon vous ?
Il est essentiel d’enfin donner un statut de Région à part entière à Bruxelles ! Il faut établir une parfaite égalité entre les communautés nationales. Mon discours est d’affirmer que si les Flamands refusent un nouveau pacte des Belges dont l’affirmation de Bruxelles est l’une des clés, nous devrons nous faire une raison… Et nous assumer sans craintes. Nous devrons alors être prêts à prendre en charge notre destin et notre autonomie.
Les mots que vous avez utilisés récemment devant une assemblée de militants du MCC sont très forts, voire définitifs : « Il ne faut plus se voiler la face. François Perin a raison. La Belgique est à bout. Je crois même qu’elle ne tient plus debout. Nous sommes arrivés à la croisée des chemins »… C’est fini, vous n’y croyez plus ?
La Belgique telle qu’elle existe maintenant, je n’y crois plus. On est arrivé au bout du processus de régionalisation et de communautarisation entamé à la fin des années 1960.
Nous sommes au bout d’un cycle, il faut bâtir autre chose. On a besoin de ce nouveau pacte des Belges qui se fondera, je le répète, sur l’affirmation régionale bruxelloise pour porter Bruxelles au rang des grandes métropoles européennes. Le Bruxellois doit être maître chez lui, avec une autonomie constitutive et financière lui permettant d’entamer des grands travaux. A partir de là, on pourra mieux travailler à la cohérence des francophones au travers de partenariats équilibrés entre les Régions bruxelloise et wallonne et, s’ils le veulent, avec les germanophones dont on connaît l’attachement à la Belgique. Face à une Flandre qui nous dit ce qu’elle ne veut plus, sans oser vraiment dire ce qu’elle veut, il faut être proactif. Si on veut sauver la Belgique, cela dépendra beaucoup plus qu’on ne le croit des francophones. Si nous nous contentons d’une attitude romantique et attentiste, il s’agira bien plus que d’une erreur : ce sera un comportement d’échec !
Que deviennent les Flamands de la capitale dans vos projets d’affirmation de l’identité, forcément francophone, de Bruxelles ?
Je continue à tendre la main aux Bruxellois flamands comme je l’ai fait quand j’ai négocié les accords du Lombard. Ils devraient bénéficier des dispositions de protection des minorités, etc… Mais on n’en est pas encore là. Il faut demander aux Flamands s’ils acceptent de donner un statut de Région à part entière à Bruxelles. S’ils sont d’accord de couler cela dans des textes, eh bien continuons ensemble. Si ce n’est pas possible, on ne va tout de même pas rester à se faire « baffer » !
Si un jour, on « s’associait » à la France, que deviendrait le Roi ?
Je suis attaché à la famille royale, au drapeau belge, à notre hymne… Dans le cadre d’une association, ces symboles ne disparaîtraient pas. La voie du pragmatisme passerait certainement par une mise en commun de certaines matières dites régaliennes, comme les Affaires étrangères ou la Défense nationale, mais la « Belgique Française » conserverait une identité propre et sa pleine autonomie dans la gestion de nombreuses compétences. J’insiste encore : on évoque ici le scénario catastrophe ! J’espère qu’on va pouvoir s’en sortir autrement…
Il faudra aussi revoir les frontières de la Région bruxelloise ?
C’est évident. Et il n’y a pas que le Brabant flamand qui soit concerné, il y aussi le Brabant wallon.
Waterloo, cela fait partie de Bruxelles ?
Si vous deviez avoir un referendum pour savoir à quelle région souhaitent appartenir les habitants d’un certain nombre de localités du Brabant wallon, voire même de certaines communes des provinces de Liège et du Hainaut, on serait étonné. Bruxelles et son influence rayonne très loin au-delà de ses frontières actuelles. C’est un débat que je veux lancer car il est très important pour l’avenir. Au-delà du rôle pivot des Etats nations, le développement des métropoles et leur maillage entre elles seront déterminants. Bruxelles ne doit pas rater son rendez-vous avec l’Histoire, les dix ou vingt années à venir vont être cruciales à cet égard.
Est-ce le sens de l’histoire pour la Région bruxelloise d’avoir un aéroport toujours plus grand, toujours plus bruyant et si près de zones habitées ?
Certainement pas. Et je ne parle pas uniquement en termes de nuisances. Il faudrait aussi aborder la question de la sécurité qui est posée par le survol continu de zones densément peuplées. Il n’y a qu’à Bruxelles que l’on voit que l’on voit cela, c’est invraisemblable. C’est pour cela aussi que des gens quittent les 19 communes pour aller s’installer en Wallonie, notamment dans le Brabant wallon.
Quelques mots sur l’échec de l’orange bleue ?
Je ne veux pas évoquer des négociations auxquelles je n’ai pas participées, ce ne serait pas correct. Je connais la difficulté de l’exercice et la facilité que d’aucun ont à le commenter…
On vient tout juste de trouver une « alliance » hétéroclite pour former un gouvernement intérimaire, ne serait-ce pas qu’un système D pour arrêter le compteur de la crise pendant les fêtes ?
C’était surtout la seule formule d’urgence à retenir. La sortie de crise était indispensable pour la crédibilité du pays à l’étranger. Mais aussi pour la crédibilité du monde politique au regard des citoyens alors que la longueur exceptionnelle de cette crise était de nature à renforcer l’antipolitisme et le sentiment que l’on ne s’occupe pas des vraies difficultés rencontrées par la population. La prise en charge du volet socio-économique par Didier Reynders va donc s’avérer bien utile. Pour le volet institutionnel, j’espère qu’Yves Leterme tirera les enseignements de ses échecs. Mais c’est une évidence : rien n’est encore réglé sur le plan institutionnel et le moment reste extrêmement critique !
Avec le recul que vous avez aujourd’hui, n’avez-vous pas le sentiment que le débat politique belge manque décidemment de hauteur, de grandeur. La terre est en train de mourir et ici on parle de BHV, ce n’est pas très sérieux…
Il faut poser la question aux flamands ! C’est à eux d’expliquer pourquoi tout ce qui échappe à leur agenda institutionnel n’a plus d’intérêt à leurs yeux. Vous dites que ce n’est pas très « sérieux » par rapport à des enjeux fondamentaux pour l’avenir de notre planète ? Je suis d’accord.
Nous savons que vous appréciez cette citation de J-F Kennedy : « Il ne faut chercher à rajouter des années à sa vie mais plutôt de rajouter de la vie à ses années ». C’est au fond l’enseignement qui traduit le mieux, ce qui est aujourd’hui votre état d’esprit ?
Certainement. Je vous le dis, j’ai fait ma révolution. Je m’occupe mieux de mes proches et de moi-même. Pour ce qui est de la politique, j’ajouterais cette expression populaire : « désormais, je suis sur la croûte du pain ». En d’autres termes, je vois les choses avec plus de recul, sans doute avec moins de passion. Je l’espère, avec plus de sagesse. J’ai appris que celui que ne connaît pas la traversée du désert ignore la richesse des oasis. Les préoccupations de devenir personnel sont derrière moi. J’ai été réélu, c’est ma plus belle victoire. Je ne suis pas à la recherche de mandats. Je ne désire que d’aider. Et bien sûr, je garde ma liberté de parole. C’est avec un sentiment d’utilité que je plaide très fortement pour l’autonomie constitutive de Bruxelles, exactement comme on l’a donnée à la Flandre et à la Wallonie. C’est vraiment le nœud gordien à trancher pour l’avenir de la Belgique ! L’incontournable dans le nouveau pacte des Belges que j’appelle de mes vœux.
(1) : « Daniel Ducarme règle ses comptes », entretiens avec Pascal Vrebos, Editions Luc Pire, 2006.
Petits conseils…
– Que diriez-vous à un jeune de 20 ans qui veut se lancer en politique ?
Ne cherche pas à faire carrière. Saches que tu dois prendre des risques, que le meilleur comme le pire peut arriver. Si tu n’es pas prêt à te battre, à exprimer haut et fort tes idées, même parfois en sachant que tu peux te tromper, laisse la place à d’autres.
– Des gens comme Reynders, Di Rupo, Milquet, moins Javaux sans doute, sont tellement dans leur truc ; Tellement prêts à en découdre, à être partout et tout le temps… On a l’impression la politique occupe toute leur vie. A l’aune de votre expérience, quel conseil leur donneriez-vous ?
Je leur dirais que cela devient dangereux quand l’action politique qui peut procurer une certaine ivresse devient le seul sens de la vie. C’est même dommage d’en arriver là. D’expérience, je dirais aussi qu’il est important d’être toujours entouré d’amis pour garder les pieds sur terre.