LE COUP DE GUEULE DU REALISATEUR PASCAL ADANT
– Dossier évoqué sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris Match sur RTL/TVI, le 3 janvier 2010 et dans Paris Match, le 7 janvier 2010 –
Dans le domaine du court-métrage, Pascal Adant a bonne réputation. Par deux fois déjà, les films de ce réalisateur belge ont été sélectionnés pour le Festival de Cannes où l’un d’eux a reçu le «Rail d’or» de la semaine de la critique. Outre le fait d’avoir été honoré par de nombreux prix en Belgique et à l’étranger, cet autodidacte qui adore le cinéma américain, a un maître-atout : ses œuvres rencontrent généralement l’intérêt des spectateurs ce qui, à l’entendre, devient presqu’une particularité «vu le nombre de films francophones belges qui sont trop élitistes, voire carrément hermétiques.. ». Dans «L’Info Confidentielle Paris Match », ce dimanche, Pascal Adant a poussé un fameux coup de gueule contre la Commission de sélection des films de la Communauté française qui distribue des aides à la production, à l’écriture d’œuvres audiovisuelles. «Elle laisse en rade des réalisateurs qui ont fait leurs preuves et soutient parfois des fantoches qui ne connaissent rien au cinéma!», accuse-t-il. (à droite, image extraite de l’un des films d’animation du réalisateur)
«La Commission de sélection des films de la Communauté française, qui choisit les projets cinématographiques méritant d’être aidés par un financement public, soutient trop souvent des « réalisateurs » qui n’ont pas le sens de la mise en scène, ne comprennent pas la musique de film, ne savent pas faire la différence entre un téléobjectif et un grand angulaire, ne connaissent pas le principe de la soustraction des couleurs qui est pourtant la base de la cinématographie, ignorent tout des pellicules, etc. Bref, c’est comme si la Communauté française donnait des subsides à des peintres qui ne sauraient même pas que c’est en mélangeant du jaune et du bleu qu’on obtient du vert.»
Ces propos acerbes sont tenus par Pascal Adant, un passionné de cinéma. Un autodidacte qui, après quinze ans de carrière, est devenu un professionnel reconnu par la critique et ses pairs. Un original aussi, une sorte de Rémy Bricka du cinéma belge. Il écrit des scénarios, il tient la caméra, il crée des effets spéciaux, il dessine, il réalise, il produit… En fait, il sait tout faire et il le fait généralement bien. La rançon heureuse d’un manque permanent de moyens financiers, lequel n’a pas empêché ce trentenaire débrouillard d’arriver à tout de même sortir une quinzaine de films. Des courts métrages de fiction et d’animation qui, pour ceux qui ont été montrés dans les salles et à la télé, ont toujours rencontré un beau succès.
«Je veux faire des films depuis l’adolescence », raconte-t-il. «J’ai tout appris sur le tas sans faire d’école de cinéma. Au départ, comme je n’avais pas de contacts dans ce milieu et encore moins les moyens d’engager des acteurs, j’ai choisi de m’exprimer au travers de films d’animation. Et mon premier essai, en 1998, a été sélectionné pour la Semaine de la critique au Festival de Cannes. Une chance extraordinaire, une vitrine sans pareille… Et un piège en même temps, car depuis lors certains ne voient en moi qu’un spécialiste de l’animation. Alors que mon ambition est de réaliser des longs métrages de fiction avec de vrais acteurs.»
«Dérapages», «Boom», «Destination Londres», «Série Noire»… Voici quelques titres parmi d’autres d’œuvres réalisées par Pascal Adant qui, avec un sens certain du rythme, de l’humour et de l’ironie, touche l’air de rien à nombre de débats de société. Pour ceux qui voudraient s’en faire une idée, une compilation de ses courts métrages, intitulée «One-Man Shorts», est distribuée par Belga Films, à la vente et à la location. Mais malgré les nombreux éloges qu’il reçoit, l’artiste peine à poursuivre sereinement son chemin créatif vers l’aboutissement rêvé, logique aussi, de sa carrière : la réalisation d’un long métrage. Pour mener à bien un tel projet, il ne suffit pas d’avoir des idées, des compétences et du talent. Il faut aussi de l’argent. Et c’est bien pour cette raison que les pouvoirs publics ont imaginé des systèmes de subsides et avances sur recettes. Des gages souvent indispensables pour que les montages financiers imaginés par les producteurs puissent se concrétiser. En Communauté française, le premier guichet où l’on adresse les demandes de financement s’appelle la Commission de sélection du film (CSF). Elle distribue des aides à l’écriture et à la production, tant pour les projets de longs métrages que pour les courts, ou encore pour des téléfilms et des documentaires. Les montants alloués vont de 12 500 euros (aide à l’écriture) à 620 000 euros pour un long métrage réalisé par un auteur qui en est au moins à sa troisième œuvre. Le réalisateur d’un court métrage devra, lui, se contenter d’un montant maximum de 50 000 euros pour un film d’animation et de 42 500 euros pour une fiction.
On trouvera tous les détails du système d’attribution dans l’entretien que nous a accordé le président de la Commission (voir plus bas), mais il importe de retenir que celles-ci se définissent comme des avances sur recettes. Si un film aidé par la Communauté française fait des entrées, la CSF est censée récupérer sa mise. «Cela fonctionnerait si les choix de la CSF n’étaient pas si mauvais», commente Pascal Adant. «La commission a une fâcheuse tendance à favoriser des films barbants avec systématiquement des sujets qui relèvent de la psychosociologie. Il faut un fond social, politique. Des gens torturés. Surtout pas trop d’action. Et pas d’effets spéciaux. A partir de là, les choix soutiennent souvent des gens qui sont nuls sur le plan de la réalisation. Certains peuvent être carrément qualifiés de fantoches ! Il n’y a vraiment pas de quoi être étonné si les films belges francophones ne touchent souvent qu’un public limité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on peut véritablement parler de succès si un film belge atteint les 10 000 spectateurs. Malgré cette évidence, l’administration refuse toute critique à l’égard de la CSF. Pire, la Communauté française préfère parler d' »éduquer les spectateurs », comme si le public était lui-même responsable de l’échec du cinéma belge francophone. Mais la réalité est là : chaque année, avec l’argent du contribuable, des avances sur recettes sont octroyées à des films dont tout le monde sait qu’ils ne feront pas recette ! Au lieu d’investir dans des films garantissant un minimum de retour, ce qui créerait un système vertueux, la Communauté française dépense l’argent public pour financer des films que le contribuable ne voudra jamais voir. Une poignée de gens incompétents décide de quoi sera fait le paysage cinématographique belge de demain, en se servant de l’argent public comme si c’était le leur, pour soutenir, bien trop souvent, des « cinéastes » incompétents ! C’est exactement ce qui s’est passé en Espagne, il y a quelques années. Et ils ont changé leur fusil d’épaule. Ils ont à nouveau pensé au public plutôt qu’à leur nombril, pour faire des comédies, des films de nature à donner aux spectateurs l’envie de revenir voir des productions locales dans les salles. Et cela a marché !»
Pour soutenir son argumentation, Pascal Adant nous montre le bilan d’activité de la CSF en 2007. Y sont recensés les films qui ont été soutenus par elle et, en ce qui concerne les longs métrages, le nombre de spectateurs qui ont payé une entrée pour aller les voir en Belgique et à l’étranger. «Ce type de rapport, d’année en année, rappelle toujours les grands succès du passé… « Le 8e Jour », « La Promesse », « Rosetta », « Les convoyeurs attendent », « Le Roi danse », « Quand la mer monte », « L’Enfant », et quelques autres encore. Mais ce sont des arbres qui cachent un énorme champ de navets cultivés depuis des années avec une impressionnante constance», dénonce le réalisateur.
En moyenne, vingt longs métrages sont soutenus chaque année. Il y a en a un, deux, voire trois qui marchent. Après, c’est le désert. En 2007, «Odette Toulemonde» a fait 950 000 entrées, puis vient «Irina Palm» avec 200 000 entrées, «Pom le Poulain» (92 000 entrées), «Nue propriété» (88 000 entrées). Ensuite, c’est la chute libre : «Si le vent soulève les sables » (32 000), «Blanche neige, la suite» (26 000), «Cages» (10 000), «Ça rend heureux» (9 700), «Voleurs de chevaux» (5 500), «Miss Montigny» (4 800), «La Couleur des mots» (4 800), «Komma» (3 600), «Les Fourmis rouges» (2 100), «Control X» (1 700), «Cabale à Kaboul» (1 500), «David Susskind – Sois un mensch, mon fils !» (1 400), «La Marea » (l 100), « Le Cercle des noyés » (1 000), « El Ejido, la loi du profit » (420), « Là-bas » (350), « Vous êtes ici » (279)… Le bilan 2008 de la CSF est très comparable. Derrière des succès comme « Le Silence de Lorna », « Eldorado », « Rumba », « Cow-boy » et « Home », c’est le désert. Dix des dix-huit des films soutenus par la CSF qui sont sortis en 2008 ont fait moins de 5 000 entrées. (NDLR : Nous avons relu les critiques qui étaient parues sur ces films au moment de leur sortie. Elles ne sont guère brillantes. Le lecteur intéressé peut faire la même expérience en tapant ces titres dans le moteur d’un site spécialisé comme www.cinebel.be. Il peut lire aussi ce qu’en dit le président de la CSF, Dan Cukier, dans son interview en page suivante.)
«Le surréalisme à la belge, la femme battue, le fils déchu… Tout cela c’est très bien, mais il faudrait aussi laisser place à des comédies, à un cinéma tourné vers le grand public», commente encore Adant. Mais si ce réalisateur est très critique contre la CSF, c’est aussi parce qu’il estime en être l’une des victimes : «Comme d’autres, j’ai bénéficié d’aides financières octroyées par la CSF. Mais depuis des années, tous mes projets sont recalés. J’ai fait un film d’animation qui s’appelle « Le Vilain Petit Cône noir », qui traite du rejet de la différence. Eh bien, je me sens de plus en plus proche du personnage principal lorsque je dépose un projet devant la Commission de sélection du film ! On m’a refusé un financement au motif que mon film, je cite, « fait gentiment sourire mais ne caresse pas l’âme »… J’ai la lettre ! Je peux vous la montrer (voir encadré). Mais, par ailleurs, j’ai vu des films subsidiés qui sont des merdes intégrales, des trucs pas montrables. Plutôt que de citer des noms, je vous raconterai une anecdote. J’ai assisté un jour à la projection du court métrage nombriliste d’une consoeur qui avait reçu un financement de la CSF. Dans la salle, personne n’avait compris ce que ce film voulait exprimer. C’était totalement indéchiffrable. Elle a alors expliqué qu’elle avait « mis en image une métaphore très personnelle ». 50 000 euros pour un film qu’elle a fait pour elle toute seule, cela fait vraiment beaucoup. »
A entendre Pascal Adant, il faudrait aussi revoir la composition de la Commission. «Qu’il y ait de la subjectivité dans les choix d’une commission qui attribue des aides, c’est incontournable. De plus, je connais des producteurs qui y ont siégé par le passé et qui votaient en faveur de films qui n’étaient pas leur tasse de thé parce que, de façon objective, ils reconnaissaient que le dossier était bien monté et que le projet du candidat cinéaste tenait la route. Ceux-là comprennent le rôle d’une commission. C’est malheureusement rarement le cas aujourd’hui. Néanmoins, oserais-je m’interroger, au risque de me brûler les ailes, sur d’éventuels renvois d’ascenseur ? La CSF est composée de membres élus pour trois ans qui peuvent se retirer à tout moment, pour raison professionnelle ou pour déposer un projet, et ensuite revenir siéger. Il y a aussi plusieurs collèges. Pour les premiers films, les deuxièmes, et ceux des réalisateurs confirmés. Pour les longs et les courts métrages. Ajoutez à cela que toutes les personnes qui siègent au sein de la CSF sont des « professionnels de la profession » (producteurs, monteurs, réalisateurs, exploitants de salle, acteurs…). A l’arrivée, cela crée une situation où les mêmes personnes physiques sont tantôt demandeurs de subsides, tantôt distributeurs de subsides. Des gens peuvent siéger dans un collège alors qu’un projet à eux est examiné par un autre collège. D’autres examinent le projet de quelqu’un qui a accepté le leur dans une précédente commission. Je ne dis pas qu’il y a du copinage mais qu’on a créé des conditions qui permettent qu’il y en ait. En soi, c’est déjà un problème.»
En novembre dernier, un autre réalisateur belge – qui a aussi dénoncé la volonté de la CSF de soutenir essentiellement des films à contenu social – s’était déjà interrogé publiquement, chiffres à l’appui, sur la distribution des aides. Dans une intervention remarquée sur Canal C (2), il expliquait que sur 92 projets soutenus en 2008 par la commission, 27 étaient des films produits ou réalisés par des membres de la Commission. Peut-être est-ce mathématiquement incontournable, dans la mesure où le système d’attribution fait appel à l’expertise de personnes actives dans le secteur en Belgique ? Cette question mériterait en tous cas d’être examinée à la loupe par un organe de contrôle habilité. Mais ce n’est pas la seule question des gros sous…
Beaucoup d’exploitants de salles ne désirent plus programmer de courts métrages afin de ne pas allonger la durée des séances, et pour laisser tout le temps disponible avant le «grand film» à la pub. La Communauté française donne donc aussi des subventions visant à encourager la diffusion des courts métrages en salle. Cette aide à la diffusion est octroyée à tout producteur dont le court métrage a été vu par minimum 5 000 spectateurs dans au moins deux cinémas différents de la Communauté française, sur base des bordereaux de recette du long métrage devant lequel le court est passé. Mais selon Pascal Adant, le système est détourné. «Des producteurs peu scrupuleux se mettent financièrement d’accord avec des exploitants de salles pour toucher les subventions à la diffusion même si les courts métrages ne sont pas projetés. Des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros sont ainsi détournés chaque année. Certains distributeurs et producteurs vont jusqu’à distribuer 40 ou 50 courts métrages par an. Et ils ont des récupérations sur tous. Cela veut dire que l’enveloppe budgétaire disponible ne suffit plus et que, du coup, la répartition de chacun doit être rabotée.» Conséquence : la Communauté française rogne sur les forfaits de tout le monde. Ainsi, en tant que producteur de films qui ont été réellement vus par 30 000 ou 40 000 personnes en salle, je ne touche qu’entre 50 et 75 % de ce qui me devrait me revenir comme subsides. Toute cela s’articulant autour d’une magouille relative à des films qui n’ont été vus par personne », accuse le réalisateur en colère.
Une prochaine réforme de l’aide à la diffusion est supposée mettre un terme à cette situation et de permettre enfin une répartition équitable des aides, mais Pascal Adant n’y croit pas. Une utopie, selon lui, car le nombre de films pouvant bénéficier de cette aide ne va pas baisser : «II faudra répondre à au moins deux des trois critères suivants : avoir les 5 000 entrées, avoir au moins un achat télé, avoir un certain nombre de sélections dans des festivals. L’idée est de permettre aux producteurs de courts métrages plus longs (15 ou 20 minutes, trop pour les salles) d’avoir accès à cette aide supplémentaire. A mon sens, cela va surtout éliminer des salles les rares courts métrages qui y passent réellement – comme mes films – et faire disparaître pour de bon les films distrayants. La diffusion en salle, déjà très difficile aujourd’hui, sera un vrai chemin de croix, car les producteurs favoriseront les festivals et les diffusions télévisées. Comme beaucoup de producteurs déboutés par la CSF, j’ai pris à chaque fois le risque de réaliser mes films sur fonds propres en me disant que je pourrais récupérer mon investissement grâce à la diffusion en salle. Avec cette réforme, quasi plus personne n’osera prendre de tels risques. Dès lors, il ne restera plus que les films de la Commission ! Autrement dit, la Communauté française s’apprête à fermer le seul et unique guichet qui permettait de contourner l’élitisme de la CSF.»
En marge de cet entretien, Paris Match a contacté plusieurs réalisateurs de courts métrages qui nous ont exprimé des points de vue proches de celui de Pascal Adant, tout en nous demandant de la discrétion au motif qu’il serait téméraire, pour ne pas dire suicidaire, d’oser critiquer publiquement une CSF dont l’intervention est indispensable. «C’est le premier guichet qui ouvre la porte à tous les autres. Si son volet se ferme, vous pouvez dire adieu à votre projet », décode l’un de ces anonymes. Ces craintes sont peut-être exagérées, mais le simple fait qu’elles existent pose question. Quand des créateurs et des artistes n’osent pas pousser des coups de gueule publics sur les conditions dans lesquelles ils tentent d’exercer leur art, c’est en soi un problème de démocratie.
(1) www.audiovisuel.cfwb.be
(2) http://www.canalc.be/content/view/5689/561/
DES FILMS QUI « NE CARESSENT PAS L’ÂME »
Voici la motivation qui a été exposée par la CSF pour expliquer son refus d’aider le dernier projet de Pascal Adant. Chacun jugera. «La Commission a apprécié le projet d’animation intitulé « Le Petit Oiseau va sortir ». La plupart des membres se déclarent en effet séduits par le scénario et le storyboard, simples et efficaces. Le réalisateur est au coeur de son univers, qu’il parsème de jolies idées poétiques et de petites références au monde du cartoon. Le dossier est abouti, limpide et constitue un gage de professionnalisme. Le film peut toucher autant les enfants que les adultes. Certains membres, s’ils acquiescent à ce qui précède, se montrent toutefois moins enthousiastes, même si les films de Pascal Adant, « Dérapages » et « Coup de coeur », présentés lors de la séance de vision, sont de jolis courts métrages, pleins de fraîcheur, bien réalisés, et font gentimen sourire. Sans doute le nouveau projet du réalisateur promet-il tout autant. Mais au-delà du côté bien fait et sympathique, ces films « ne caressent pas l’âme » ; ils sont assez proches des petites bandes dessinées que l’ont trouve dans les quotidiens. En conclusion de ces avis, le projet ne rencontre pas une adhésion suffisante de la Commission qui se déclare au regret de ne pas accéder à la demande d’aide a la production. Elle émet néanmoins un vote positif quant à une éventuelle seconde présentation du projet.» Pascal Adant commente : «A la seconde présentation, le film a été refusé à l’unanimité alors qu’il ne manquait qu’une seule voix la première fois. »
Complément d’info : L’interview complète du président de la Commission de sélection des films de la Communauté française : « C’est une des commissions les plus admirées par nos confrères à l’étranger » (Dan Cukier)
Paris Match Belgique : Le boulot de la Commission est ingrat. Il y a beaucoup de projets qui sont refusés et donc beaucoup de gens qui critiquent vos décisions…
Dan Cukier : De fait, il y a 450 projets déposés chaque année dans toutes les catégories et seulement 25% d’entre eux sont sélectionnés. Dès lors, c‘est exact qu’il y a des gens qui ne sont pas satisfaits. Des personnes qui pensent qu’on aurait dû les aider parce qu’elles se considèrent très bonnes par rapport à d’autres ou parce qu’elles sont atypiques et qu’elles considèrent que nous sommes le seul guichet auquel elles peuvent frapper pour obtenir de l’aide.
Quid du reproche qui est fait à la CSF de parfois soutenir des réalisateurs qui ne connaissent rien aux techniques de base du cinéma…
C’est une critique subjective. La Communauté française a mis en place un système d’attribution d’aide qui fonctionne avec l’apport de gens proches et très proches du monde du cinéma. Juridiquement, les membres -une quarantaine de personnes- sont nommés par la ministre sur base d’une série de noms soumis par les associations professionnelles (techniciens, réalisateurs, producteurs, exploitants de salles, scénaristes, comédiens…). Cela ne pose pas de problème à ma connaissance. Il y a trois commissions par an avec plusieurs collèges en fonction des différents types de projets. Le secrétariat constitue les collèges en fonction des disponibilités et en écartant ceux qui sont dans un projet qui est déposé. Dans tous les jury, il y a au moins un technicien de l’image, du son ou du montage. Un producteur, un scénariste, un réalisateur et un cinéphile, c’est à dire moi.
Vous voulez dire par là que ce sont des experts qui choisissent?
Des gens très proches du cinéma… Je veux insister sur le fait que la décision politique a été prise il y a des années d’aider principalement des jeunes : 40 à 45% du budget va à des gens qui n’ont encore rien réalisé dans la catégorie où ils postulent (un premier court-métrage, un premier long, un premier documentaire…). Dans ce budget, il y a l’enveloppe expérimentale qui vise à soutenir des travaux très pointus sur le son, l’image, la manière de réaliser.
Oui et…
Il y a deux choses indiscutées et indiscutables! Primo, les quatre personnes de l’administration qui gèrent les dossiers sont d’un dévouement sans limite. Secundo, les lecteurs qui siègent dans la commission font leur travail avec une attention toute particulière. Certes, il peut arriver que quelqu’un ait un avis complètement débile. Certains jugent sur des questions uniquement éthiques et de scénario. D’autres, sur des critères esthétiques. Mais je n’ai jamais rencontré dans les débats quelqu’un qui aurait dit « je n’ai pas bien lu, j’ai survolé».
Comment cela se passe concrètement?
Les membres de la commission sélectionnés pour faire partie d’un jury reçoivent les dossiers environ trois semaines avant la délibération. Quand on entre en séance, il y a d’emblée un tour indicatif où tout le monde prend la parole. En fin de journée, il y a un vote anonyme. Un projet ne passe qu’à la majorité des deux tiers. C’est tout à fait possible qu’après cela quelqu’un ne soit pas content. On peut être injuste. D’ailleurs, je vais vous dire, si on était tous bon, on seraient tous producteurs et on seraient très riches! On peut toujours estimer qu’un jury se trompe mais fondamentalement, celui-ci ne subit aucune pression, aucune digression ni morale, ni sociale…On nous reproche de ne soutenir que des films sociaux! Mais ce n’est pas vrai!
C’est une critique que l’on entend souvent!
Je ne critique pas votre travail exploratoire mais je ne peux croire que vous l’ayez beaucoup entendue! Je peux vous citer des titres qu’on a aidé. Des polars, des films burlesques comme « Rumba », des films difficiles et intellectuels comme « Mister Nobody », des films sociaux bien sûr comme ceux des frères Dardenne qui ont été deux fois palme d’or et occupent donc un peu le segment. Des films loufoques comme ceux de Bouli Lanners. Des films très esthétisants comme ceux de Chantal Akerman. Des films décalés… Cette critique n’est donc pas fondée. Et elle ne l’est pas non plus dans le domaine du court métrage où l’on a une diversité encore plus extraordinaire.
N’y-a-t-il pas un problème dans la composition des collèges dans la mesures où les gens qui attribuent des aides sont les mêmes qui à d’autres moment les sollicitent?
Ce sont des professionnels qui siègent, oui.
Est-ce que cela ne peut pas créer des suspicions d’arrangement? « Tu soutiens mon projet aujourd’hui et quand ce sera mon tour de siéger, je soutiendrai le tiens… »
Pas du tout. Le 7 janvier, je vais recevoir les caisses contenant les 150 premiers projets de la session 2010. Rien n’est encore fait (entretien le 18/12/2009), personne ne sait ce qui va se passer. C’est le secrétariat qui va orienter les gens dans tel ou tel collège. La composition du jury est véritablement très aléatoire. Maintenant, si au moment du scrutin secret un type vote contre un autre parce qu’il lui a pris sa petite amie, je ne peux rien y faire! Les arrangements n’existent pas et d’ailleurs personne ne se plaint, sauf de temps en temps l’une ou l’autre personne… 2/3 des voix, cela demande un certains consensus alors si vous faites un projet extraordinairement atypique qui ne suscite pas un engouement par sa différence, c’est un peu plus dur. Il faut alors aller chez un producteur qui fait un petit financement préalable et revenir ensuite vers nous. Il existe une rubrique que permet de rencontrer ce genre de cas : les aides à la finition.
Certains se plaignent de décisions peu cohérentes. On nous parle du cas d’un projet accepté à l’unanimité lors d’un collège mais non financé pour des raisons de limites budgétaire. On dit au producteur de revenir à la session suivante. Le même projet est donc redéposé et il est alors l’objet d’un refus à l’unanimité…
Cela ne se dit jamais comme cela. La règle est claire. Vous présentez un projet et si il n’est pas retenu, vous pouvez automatiquement le présenter une seconde fois. Si c’est un nouveau refus, il y a un vote à la majorité simple pour l’autoriser à revenir une troisième fois. On s’y oppose quand on a l’impression que l’auteur est allé au bout de son discours. Cela se fait encore au travers d’un vote anonyme. Maintenant, il est vrai qu’une commission n’est pas tenue de respecter les avis de la précédente. Qu’une autre commission peut en effet trouver le projet moins intéressant mais est-ce critiquable? Un livre peut être accepté par un éditeur et refusé par un autre… C’est une des commissions les plus admirées par nos confrères à l’étranger. Les Français nous envient… Certains préfèreraient peut-être un despote éclairé mais dans notre régime démocratique, c’est le meilleur système d’attribution que l’on ait trouvé. Et j’ajouterais qu’il est extraordinairement bien rôdé.
Les critiques de certains réalisateurs ne sont pas fondées?
Oh, dans l’histoire de la littérature que je connais un peu, je peux vous citer 40.000 cas de types qui ont été sous-estimés. Je peux envisager l’hypothèse que, peut-être, parfois, en matière de court métrage, on a tué Mozart! Qu’on a refusé quelqu’un qui a du talent et qui a abandonné. Mais quand on regarde ce qui sort, j’ai plutôt tendance à dire que nos choix ne sont pas trop mauvais. Sur 11 ans de présidence, j’ai tout de vu 4 palmes d’or et tellement d’autres prix.
Beaucoup de long-métrages soutenus par la CSF font très peu d’entrées en salle. Est-ce parce qu’ils ne sont pas bien distribués? Peut-on se contenter d’une telle explication?
Non. Au cas par cas, je pourrais vous donner des tas d’explications. Globalement, je pense que la francophonie belge préfère les films français. Par contre, la communauté flamande a toujours aimé son propre cinéma. Parfois villageois, parfois local. Avec une fréquentation importante. Les francophones font des films qui séduisent dans les festival, les flamands ne séduisent pas du tout, par contre ils font de l’audience. Mais c’est en train d’évoluer. Depuis un certain temps, le Vlaams Audiovisuel Fond cherche plus la reconnaissance internationale. En outre, à la Communauté française, nous sommes un guichet culturel où nous soutenons parfois des projets sans nous préoccuper de savoir s’ils vont rapporter de l’argent mais parce qu’on les trouve intelligents, beaux et qu’on espère qu’ils rencontreront leur public. Aujourd’hui, toutes sortes de plans sont préparés pour que la francophonie puissent découvrir et apprécier ses films. Des « prix des lycéens» ont été inventés depuis deux ans, la formation à l’image etc…
Etes vous de ceux qui pensent qu’il faut «éduquer » le public?
Je suis un extérieur, je préside la Commision de Sélection du film. Pour ce qui est de l’éducation à l’image, voyez avec le secrétariat général de la Communauté française.
Quand un film fait 1500 entrées, estimez-vous qu’il y a eu une erreur de choix?
Nous avons aidé le premier film des frères Dardenne et s’il a fait 2 entrées, c’est beaucoup. On l’a aidé parce qu’on a cru que c’était intelligent. Leur deuxième film n’a pas fait beaucoup mieux et cela les a fait réfléchir. Ils se sont dit qu’ils allaient travailler autrement. Ils ont fait « La Promesse » et ils ont été palme d’or. Nous soutenons aussi ce qui, subjectivement c’est vrai, nous paraît être prometteur. On se trompe parfois, mais il y a peu de réalisateurs dans le monde qui ont eu deux palmes d’or, un prix du scénario et un prix de la meilleure interprétation.
Dans le même temps, il est impossible de ne jamais se tromper…
Je pense à un long métrage que nous avons aidé parce que son réalisateur avait précédemment fait un court métrage extraordinaire. A l’arrivée, c’était moins abouti que ce qu’on pouvait espérer. Dans le même temps, on savait que ce type de film n’allait pas faire les audiences des ch’tis. Ce projet visait un public vraiment très pointu. Et donc le film tourne dans des festival où il rencontre des avis qui sont très élitaires, c’est vrai. Mais c’est aussi notre rôle de soutenir ce type de création.
Ce n’est pas contestable si il y a une sorte de panaché avec des films plus accessibles par ailleurs?
Vous allez voir, il y a un polar qui se tourne en ce moment à Kinshasa. S’il correspond à nos attentes, il va être pétant!