REMBOURSE DANS TOUTE L’EUROPE SAUF EN BELGIQUE
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » sur RTL-TVI, le dimanche 23 mai 2010 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match » (Belgique), le 27 mai 2010 –
Partout en Europe, le médicament Firazyr est remboursé par la sécurité sociale… Partout, sauf en Belgique, où ce traitement d’urgence qui peut sauver la vie des personnes atteintes d’ angioedème n’est accessible qu’au prix prohibitif de 1770 euros la dose. Ce n’est pas la balance de notre sécurité sociale qui est ici en péril – il n’y a que 250 personnes touchées par cette maladie rare sur notre territoire -, mais simplement une erreur d’estimation du coût de ce médicament pour les finances publiques.
«Arlon, ce 1er mai, l’un des membres de notre association de patients est mort par étouffement. Ce père de famille n’avait que 32 ans. Il avait sous-estime les dangers de l’angioedème héréditaire. Cette maladie génétique résulte du déficit d’une protéine dans le sang – le C1 inhibiteur. Elle se manifeste par des gonflements imprévisibles et douloureux de la peau. Le plus souvent, c’est le visage, les mains ou les pieds qui sont atteints. Mais parfois aussi, le larynx se met à enfler, empêchant de respirer… Cette pathologie rare se manifeste encore par des douleurs abdominales insupportables que les urgentistes confondent parfois avec une appendicite ou des coliques hépatiques. Sans parler de sensations de brûlure aux organes génitaux, des céphalées, des vertiges, des difficultés d’élocution et, enfin, de certaines paralysies partielles. Un cinquième seulement des patients sont touchés par des crises fréquentes. Dès lors, les autres ont tendance à relativiser. C’est une grave erreur, car 100 % des personnes souffrant d’angioedème pourront être touchées, un jour ou l’autre, par une crise aiguë. Et si elles ne réagissent pas de manière adéquate, elles pourront en mourir…»
Si Vinciane Berckmans nous a demandé de lui rendre visite dans son petit appartement de Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles), ce n’est pas pour nous faire un exposé sur la maladie génétique qui l’accompagne depuis si longtemps. Elle a compris de quoi elle souffre et elle l’accepte : «L’angioedème, qu’il soit héréditaire ou de novo (le premier cas d’une famille), n’empêche pas de mener une existence presque normale, de travailler et d’entretenir des relations sociales et affectives. A condition toutefois de gérer les crises correctement, d’être prêt à les contrer à tout moment. Ce qui n’est pas du tout impossible, puisque les médicaments pour ce faire existent. Encore faut-il que l’on puisse se les procurer facilement en Belgique. Et c’est là que le bât blesse».
Présidente d’une asbl rassemblant les patients belges (*), Vinciane nous guide ensuite dans le dédale des médicaments utilisés pour lutter contre les symptômes de cette maladie rare : «Ce ne sont pas les petites crises qui posent problème. Pour les contrer, on dispose de produits de première ligne bien remboursés et qui s’administrent par voie orale (Exacyl et Danatrol). En sus, trois dérivés plasmatiques permettent de soulager en quelques minutes les crises aiguës. C’est le cas du Berinert et du Cetor, qui existent depuis pas mal de temps déjà et relèvent du « Chapitre 4 » pour l’Inami». Traduction : les patients peuvent se faire prescrire du Cetor et du Berinert par des médecins belges, mais ils ne trouveront pas ces médicaments dans les pharmacies belges. «Le produit doit être acheté ou commandé à [étranger, ce qui implique de longs déplacements ou des délais de livraison. Conséquence : un accès pas très aisé, qui n’encourage pas les patients qui n’ont pas encore eu de crise aiguë à adopter une attitude préventive».
Ces deux médicaments sont toutefois remboursés par la sécurité sociale. Mais ils posent d’autres problèmes, dont témoigne encore notre interlocutrice : «Le Berinert et le Cetor doivent être conservés au frais. Ce qui réduit fortement la mobilité de ceux qui, parmi les patients, sont sujets à des crises fréquentes. C’est mon cas : pour bien faire, je devrais toujours avoir ces produits vitaux à disposition, ce qui implique des dépôts dans différents lieux stratégiques (domicile, travail, etc.) mais aussi l’utilisation d’un « porteur de vaccin », une sorte de mini-frigo, pour tout éloignement un peu conséquent de mon domicile, par exemple une journée à la Côte».
Autre désavantage, ces médicaments doivent être administrés par intraveineuse: «II n’est pas aisé de se l’injecter soi-même. C’est même tout à fait impossible pour des patients dont l’un des symptômes de crise est… le gonflement de mains !» reprend Vinciane. «Avec de tels produits, une crise aiguë implique de se rendre en urgence dans l’hôpital le plus proche… Votre intérêt est d’arriver en étant porteur de l’ampoule à injecter car, sauf rare exception, la pharmacie d’hôpital n’en disposera pas. A défaut de Cetor ou de Berinert, le médecin vous injectera autre chose, par exemple du plasma, qui peut entraîner des effets secondaires tout à fait indésirables. En cas d’œdème du larynx, il vous fera une trachéotomie qui n’aurait pas été nécessaire avec une simple injection des préparations idoines».
La Commission de remboursement des médicaments examine actuellement le dossier du Berinert – malheureusement pas celui du Cetor -, tandis que les patients espèrent que ces substances pourront bientôt être disponibles dans les pharmacies de notre pays, ce qui permettrait aussi aux hôpitaux d’en disposer pour les traitements d’urgence. «Encore qu’aujourd’hui, il s’agisse déjà d’un combat d’arrière-garde», ajoute Mme Berckmans. «II y a beaucoup mieux sur le marché, mais c’est beaucoup plus cher. En tout cas en Belgique, qui, dans ce dossier-là aussi, est à la traîne par rapport à tous ses voisins européens. En juillet 2008, le Firazyr a reçu l’agrément de l’EMEA (Agence européenne des médicaments) et donc, en vertu des accords internationaux qu’il a signés, l’Etat fédéral n’a d’autre choix que d’autoriser son utilisation. Il s’agit d’une petite seringue pré-remplie, peu encombrante, ne nécessitant pas l’usage d’un frigo portable pour être transportée. De plus, le Firazyr ne s’administre pas par intraveineuse mais en sous-cutané, ce qui est nettement plus facile pour le patient. On peut toujours l’avoir sur soi et, le moment venu, en quelques minutes à peine, ce médicament a le pouvoir d’éloigner le spectre d’une horrible mort par étouffement ou de mettre un terme à des douleurs insupportables au ventre. Une auto-administration qui présente aussi l’avantage d’éviter des séjours en hôpital coûteux pour les patients et pour la société».
Bon sang mais c’est bien sûr, voilà donc le traitement d’urgence idéal pour les patients souffrant d’angiodème ! Voici de quoi leur assurer une vie bien plus sereine, plus autonome, tout en permettant à la sécurité sociale de faire une économie en termes de frais d’hospitalisation… C’est comme cela qu’on voit les choses partout en Europe, mais pas en Belgique. «Chez nous, ce médicament n’a même pas été reconnu comme un « Chapitre 4 » !» tempête Vinciane. «Certes, vous pouvez vous faire prescrire du Firazyr par votre médecin traitant, mais vous devrez aller le chercher dans un autre pays européen. Et là, sans possibilité de remboursement. Moi, par exemple, je suis allé le chercher en Allemagne. Dont coût: 1 500 euros pour une dose. C’est prohibitif, et surtout injustifié, puisque chez tous nos voisins européens ce médicament est remboursé par la sécurité sociale !».
Et Vinciane de plaider pour que des mesures de précaution soient enfin généralisées : «II y a un travail de persuasion à continuer auprès des personnes atteintes de cette maladie rare, mais qui n’ont pas encore connu de crise aiguë. On doit les convaincre de se préparer à cette éventualité. Et un tel médicament, si facilement administrable, est la solution rêvée. Sauf qu’on ne la rend pas très tentante en la gardant si coûteuse… Voici donc le contexte dans lequel, début mai, s’est produit le drame d’Arlon. Si ce patient avait pu se procurer ce traitement d’urgence dans sa pharmacie de quartier, il est évident qu’il se serait retrouvé dans sa table de nuit. Une petite piqûre sous-cutanée et sa vie était sauve. Je trouve cela révoltant !». Pourquoi la Belgique fait-elle exception ? Comment expliquer que les autres pays européens remboursent ce médicament et pas elle ? «C’est à cause d’une mauvaise estimation du SPF Budget quant à l’ampleur des besoins», accuse Vinciane. «Nous ne sommes pas très nombreux en Belgique, et ce médicament ne doit servir qu’en cas d’urgence: crises aiguës, à l’abdomen ou au larynx. Or, le ministère a considéré que les patients en viendraient à l’utiliser pour toutes les crises, petites comme grandes, plusieurs fois par mois. Il a été alors question d’une enveloppe impayable de plusieurs millions d’euros, et cela a motivé le refus de remboursement. En réalité, il suffirait de débloquer un budget de 250 000 euros que la sécurité sociale compenserait largement par des économies en termes de jours d’hospitalisation. Ce pourrait être une opération blanche, voire même bénéficiaire pour les finances publiques». Contacté par Paris Match, le secrétaire d’Etat au Budget, Melchior Wathelet, réplique avec un message d’espoir pour les patients. «Mon administration n’a commis aucune erreur. Elle a fait l’estimation sur base de données qui lui ont été transmises par l’1NAMI et après que la Commission de remboursement du médicament ait déjà exprimé un avis négatif. Toutefois, le dossier a été réouvert et des négociations sont en cours. Je ne peux préjuger du moment de leur éventuel aboutissement, mais l’argument d’une économie en termes de frais d’hospitalisation me semble intéressant».
Courriel : haebelgium@gmail.com
Téléphone : +32 2 762 97 83
Adresse postale : HAE Belgium asbl – 87 rue des Floralies,Bte 77 – 1200 Bruxelles
« Des revendications légitimes »
Chef de la clinique d’immuno-allergologie de l’hôpital Brugmann, le professeur Olivier Michel connaît bien la problématique de l’angioedème héréditaire. Il nous confirme tout l’intérêt qu’il y aurait pour les patients de disposer de Firazyr en termes de traitement d’urgence. Mais ses explications relativisent l’erreur du SPF Budget : « Un certain flou thérapeutique a posé problème dans ce dossier. De très rares patients utilisant des échantillons offerts par le fabricant ont été autorisés par leur médecin traitant à user de Firazyr à doses importantes. Cela a influencé l’estimation du coût réalisé par les autorités fédérales, alors qu’en effet le Firazyr devrait être réservé aux crises aiguës. Ce qui serait tout à fait raisonnable sur le plan thérapeutique – d’autres médicaments moins chers produisent de très bons résultats en première ligne – et financier. » Une évidente question de contrôle pourrait se poser en cas de remboursement. Comment éviter que des patients utilisent ce médicament très cher de manière intempestive ? « II y a beaucoup de médecins en Belgique », remarque le professeur Michel. « On pourrait demander aux patients disposant de Firazyr à domicile de se le faire administrer par un généraliste qui jouerait en même un rôle de contrôleur de la bonne utilisation du produit. En cas d’urgence vita e, cela n’empêcherait toutefois pas le patient d’utiliser le produit lui-même, le généraliste exerçant une validation de l’acte a posteriori.»
C’est en cours….
Où en est-on dans la procédure qui permettrait à la Belgique de se mettre au diapason des autres pays européens en termes de remboursement ? Via son service de communication, la direction des spécialités pharmaceutiques de l’INAMI nous a répondu par un courriel au style somme toute assez télégraphique. Nous citons : «1) Firazyr : la demande de remboursement est en effet en cours (en fin de parcours). 2) Berinert : demande de remboursement en cours. 3) Cetor : pas d’info sur une demande de remboursement. Pour les deux premiers médicaments, tant que la décision finale n’est pas prise, nous ne pouvons pas vous communiquer davantage d’infos».
Nous n’avons pas reçu de réponse à une question portant sur l’erreur d’estimation des besoins dénoncée par Vinciane Berckmans. Toutefois, ce point a aussi été abordé au Parlement fédéral en novembre dernier par le député Open VLD Vankrunkelsven, lequel interpellait la ministre de la Santé : «Le calcul du coût pose question. Dans la décision (de refus de remboursement) de la ministre, il est question de 10 à 16 millions d’euros. Le Firazyr (…) requiert un budget de 250 000 euros, soit trente fois moins que l’estimation. L’opération devrait même être nulle, en économisant sur les frais d’hospitalisation. (…) La ministre pourrait-elle réexaminer la question et corriger cette erreur matérielle, afin que le médicament puisse être remboursé ?» Laurette Onkelinx avait clairement renvoyé la balle à son jeune confrère Melchior Wathelet (CDH) : «Je voudrais préciser que le secrétaire d’Etat au Budget a estimé que l’impact budgétaire potentiel du remboursement de cette spécialité était trop élevé. J’avais moi-même envoyé une demande d’accord, c’est-à-dire que jetais favorable à ce remboursement. Je ne puis accepter de remboursement sans avoir obtenu l’accord de mon collègue du Budget. (…) La firme peut déposer un nouveau dossier (…) Pour ma part, je reste favorable (…) L’examen de cette deuxième demande peut être accélère». C’est celle-ci qui est actuellement en cours. A toutes fins utiles, le professeur Olivier Michel rappelle que le Firazyr est périmé après un an, un paramètre qui intervient évidemment aussi en termes d’estimation des coûts pour la sécurité sociale, car même les ampoules non utilisées devront être remplacées par les patients.
Prévention
Vinciane Berckmans préside l’asbl Hereditary Angioedema Belgium, en abrégé HAE Belgium : «Tous les patients atteints par cette maladie rar> devraient avoir accès au Firazyr, ce traitement d’urgence qui peut leur sauver la vie. Non seulement ce serait une mesure de précaution élémentaire, mais en plus la sécurité sociale y trouverait son compte, car il y aurai bien moins d’hospitalisations de nos membres».
Imprévisible
L’angioedème, souvent après des épisodes de stress, provoque des gonflements subits des tissus et de la peau qui peuvent s’avérer très douloureux, et même mortels lorsqu’ils atteignent la zone du larynx.