– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » sur RTL-TVI, le dimanche 10 octobre 2010 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match » (Belgique), le 14 octobre 2010 –
L’égalité des chances est un ciment essentiel de notre société. Mais elle n’est toujours qu’un mirage pour trop d’enfants issus des milieux sociaux les plus pauvres, oui se voient dirigés à ton vers l’enseignement spécialisé. Celui-ci a été créé fort utilement, il y a quarante ans, pour scolariser des enfants handicapés, pas pour se débarrasser d’élèves précarisés insuffisamment pris en charge dans l’enseignement ordinaire ! Incontestable, objectivée par de nombreuses études, cette facette du déterminisme social remet en question une croyance largement partagée dans les élites et les classes moyennes selon laquelle «il suffit de vouloir pour pouvoir». Toutefois, en Communauté française, plusieurs mesures correctrices ont été mises en chantier depuis 2009 et, nous assure-t-on au cabinet de la ministre de l’Enseignement, elles commencent à produire des effets très positifs.
Légende de la photo : Révoltée Mélinda (27 ans) a témoigné ce dimanche sur le plateau de« L’Info confidentielle Paris Match» sur RTLTVI : «Je n’ai toujours pas compris pourquoi j’ai été dirigée vers l’enseignement spécialisé».
Retrouvez l’intégralité de l’article dans l’hebdomadaire
Paris-Match Belgique du 14 au 20 octobre 2010, en page 78
Complément à l’enquête parue ce jeudi 14 octobre 2010 dans Paris Match : «On ne reste pas les bras croisés»
A la suite de nos entretiens avec tous ces experts qui dénoncent la sur-représentation des enfants issus des classes sociales défavorisées dans l’enseignement spécialisé (lire dans Paris Match paru en librairie ce jeudi 14 octobre), nous avons interpellé la ministre de l’Enseignement de la Communauté française, Marie-Dominique Simonet (CDH). C’est Jean-François Delsarte, le spécialiste de l’enseignement spécialisé au sein de son cabinet qui a répondu aux questions de Paris-Match.
Paris Match : Diverses experts relèvent qu’il y a une sur représentation d’enfants issus des classes sociales les plus défavorisées dans l’enseignement spécialisé (ES). Êtes-vous d’accord avec un tel constat ?
Jean-François Delsarte : Toutes les personnes que vous avez rencontrées ont des visions que je ne dirais pas subjectives mais que je ne qualifierais tout de même pas d’objectives. Pour objectiver un problème, il faut le quantifier, or en l’espèce, il manque d’études pour ce faire. Il n’existe aucune statistique exacte qui permettrait de donner une indication quand au nombre d’élèves extrêmement défavorisés sur le plan social et culturel qui fréquenteraient l’ES alors qu’ils ne souffriraient pas de troubles associés. Si des enfants arrivent dans l’ES, c’est qu’un centre agréé a déterminé qu’ils ont besoin d’aides qu’ils ne pouvaient obtenir que dans l’ES : on n’entre pas dans l’ES comme dans un moulin! Les critères d’orientation sont extrêmement stricts et sont évalués par les centres PMS ou par des centres de guidance.
En résumé, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Il y a tout de même une recherche universitaire, faite de manière scientifique, celle du doctorant Tremblay de l’Université Libre de Bruxelles sur laquelle s’appuie en partie le Délégué général aux Droits de l’Enfant. Mais j’aime bien mettre les choses dans un cadre relativement normatif : sinon on va croire que les écoles d’enseignement spécialisé sont gorgées d’élèves issus de classes socialement défavorisées, ce qui n’est tout de même pas la réalité. Cela dit, la recherche de M. Tremblay a mis en évidence que dans l’enseignement de type 8, spécifique pour les élèves ayant des troubles de l’apprentissage – en théorie les élèves dyslexiques, dysorthographiques, dyscalculiques – il y a une sur représentation des enfants issus de milieux socialement défavorisés. Ce n’est pas normal parce que le dyslexie touche toutes les classes sociales. Il se passe que dans les familles aisées ou moyennes, les parents vont intervenir en supplément de l’effort déjà consenti par l’école ordinaire pour aider leurs enfants en difficulté d’apprentissage; Ils engageront une logopède, un psychotechnicienne, des enseignants pour des cours complémentaires dans l’idée que leur enfant puisse rester le plus longtemps possible dans l’enseignement ordinaire. Cette réalité est connue depuis longtemps. En conséquence, il est exact que les enfants de milieux favorisés qui souffrent de ces troubles sévères de l’apprentissage se retrouvent finalement peu nombreux dans l’ES.
Il y a là donc bien quelque chose à corriger…
J’y viens. Mais je signale d’abord que l’étude du professeur Tremblay ne dit pas que les enfants de classes défavorisées qui se trouvent en ES ne seraient pas atteints de troubles sévères de l’apprentissage. Lesquels sont parfois complexes et, c’est vrai, trouvent parfois à avoir été amplifiés par des facteurs liés à une origine socioculturelle défavorisée. Voilà, j’en viens à la prise en compte du problème dont vous me parlez.
Je suis tout ouïe…
Dans le milieu de l’ES, une réflexion est née il y a quelques années déjà. On s’est rendu compte que des élèves qui nous étaient envoyés avec des tas de problèmes devenus complexes auraient pu être mieux aidés s’ils avaient été pris en charge précocement. Si, de manière préventive au sein même de l’enseignement ordinaire, on avait pris des mesures d’accompagnement pour éviter une telle orientation sur base d’échecs répétés. D’où la logique de l’intégration scolaire qui a fait l’objet d’une résolution votée à l’unanimité du parlement en 2008. Le résumé de ce texte, c’est qu’on doit intervenir de manière plus précoce dans l’enseignement ordinaire pour les élèves qui peuvent y rester moyennant un coup de pouce. Le décret du 5 février 2009 a mis en place ce que la résolution du parlement demandait. En conséquence de quoi, depuis le 1er septembre 2009, il y a 523 élèves qui sont inscrit purement administrativement dans l’ES sans l’avoir jamais fréquenté physiquement; Ils poursuivent leur études au sein de l’enseignement ordinaire à temps plein avec du personnel de l’ES qui accompagne les professeurs de l’enseignement ordinaire. En intervenant précocement, c’est à dire en première et en deuxième primaire, cela peut aider des enfant à passer un cap fondamental. L’année dernière, 213 écoles ordinaires et 76 écoles spécialisées ont été impliquées dans cette nouvelle politique. Désormais, on sent que la contagion est en train de s’établir : a terme, des tas d’élèves qui arrivaient autrefois au sein des écoles spécialisées après des échecs répétés n’y arriveront. Ils poursuivront une scolarité normale moyennant ces mesures d’accompagnement qui ont nécessité un investissement de 1.200.000 euros.
Par ailleurs, il a fallu agir sur l’ensemble des écoles ordinaires. En rapport notamment avec les résultats des enquêtes Pisa, il a fallu travailler en amont, pour renforcer les apprentissage de base. C’est pourquoi il y a eu les mesures P1, P2 : le renforcement de l’encadrement en première et en deuxième primaire. Il s’agit de diminuer le nombre d’élèves par classe et de permettre aux enseignants d’appliquer la pédagogie différenciée et la remédiation immédiate de manière plus efficace. Ces mesures P1 P2, c’est tout de même 17 millions d’euros et 900 emplois. En renforçant l’encadrement, on devrait aussi limiter l’orientation vers l’enseignement spécialisé.
D’autres choses encore ?
On sait tous que l’encadrement en maternelle est très important. Pour éviter qu’il y ait de trop grosse classe, 2 millions d’euros impliquant la création de 150 emplois complémentaires ont été investi. En outre, les mesures du contrat pour l’école du cabinet Arena en termes d’encadrement différencié sont poursuivies et amplifiées. Pour l’enseignement fondamental, cela représente 31 millions d’euros et 1350 emplois supplémentaires qui permettent d’empêcher de mauvaise orientations pour le public cible dont vous parlez. Les écoles ont ainsi la possibilité d’engager des logopèdes, par exemple; Ou encore des assistants sociaux pour mettre en oeuvre un travail d’accrochage avec les familles. Il y a enfin les mesures de capital temps supplémentaire qui concernent toutes les écoles de moins de 50 élèves. Cela a créé 350 emplois pour un investissement de 5 millions d’euro. L’ensemble de ces mesures ont créé 2.750 emplois avec l’objectif prioritaire d’aider les enfants des couches sociales les plus défavorisées.
Quand vous dites qu’il n’y a aucune statistique pour objectiver le problème dont on parle, ce n’est pas l’avis des experts que nous avons entendu…
Je voudrai savoir d’où ils tiennent leurs chiffres. Pour avoir des données statistiques, il faudrait analyser les 32.000 protocoles délivrés par les centres agréés dans lesquelles se trouvent toutes les anamnèse sociales et psychosociologiques de chaque élève. C’est impossible à réaliser. Le professeur Tremblay l’a fait mais pour 200 élèves uniquement en Région bruxelloise.
Et il a constaté le problème dans le type 8, c’est cela ?
Il a constaté le problème dans le type 8.
Quel était selon cette étude le pourcentage d’enfants venant de milieux sociaux défavorisés ?
70% d’enfants issus de milieux socialement défavorisés.
C’est tout de même beaucoup, non ?
Dans l’enseignement de type 8.
Quand on me dit qu’il y a 32.000 élèves dans l’ES, cela représente 3,5% de la population scolaire. Dans un pays à population comparable, tel le Danemark, il y a cinq fois moins d’élèves en spécialisé. Au niveau de l’OCDE, on estime que le taux de handicap dans la population est de 2%. Il y a donc une discordance avec le taux de scolarisation dans l’ES et cela pourrait être la conséquence de la mésorientation vers l’enseignement spécialisé d’enfants pauvres, non suffisamment pris en charge dans l’enseignement ordinaire…
Il faut comparer ce qui est comparable. Qu’entend-t-on par handicap? Hier le président d’une association qui s’appelle «Annonce du handicap» qui regroupe une quinzaine d’associations de parents estimais qu’il y a 5% de personnes handicapées dans la population. Il s’agit là de statistiques générales qui sont valable pour toute l’Europe.
Il y aussi les indicateurs de l’enseignement du Ministère de la Communauté française de Belgique? ATD-Quart Monde met en exergue l’indice socioéconomique du quartier d’habitation des élèves. Celui-ci a une valeur moyenne de 0. Quand on monte au dessus du 0, cela évoque des quartiers de populations socialement favorisées. Quand l’indice est en dessous de 0, il s’agit de l’expression statistique de quartiers pauvres. Sachant cela, on constate sans surprise que dans l’enseignement ordinaire, la valeur de l’indice socioéconomique des élèves est proche de 0. Tandis que dans l’enseignement spécialisé, l’indice est de… moins 0,43 !
C’est un indice statistique qui existe. Cela peut fluctuer selon les Régions.
Et ces autres chiffres? A l’âge de 15 ans, 64% des élèves qui fréquentent l’ES sont originaires du quart de la population la plus défavorisée sur le plan socioéconomique…
La question est de savoir d’où viennent ces statistiques.
De la dernière enquête PISA.
Alors, il n’y a pas à contester ces chiffres.
On voit tout de même bien qu’il y a un problème social.
Je veux être positif. On ne reste pas les bras croisés.
J’entends bien que des mesures positives ont été prises. Il est évident que les politiques ne sont pas dotés d’une baguette magique pour résoudre de tels problèmes du jour au lendemain. Mais quand vous admettez que 70% des élèves inscrit dans l’E.S. de type 8 à Bruxelles est originaire des milieux sociaux les plus défavorisés, c’est tout de même énorme!
Comprenez-moi bien. L’étude qui a mis cela en évidence ne dit pas ces élèves n’étaient pas handicapés par des troubles sévères de l’apprentissage.
Mais la suite du raisonnement, c’est que si ils avaient des parents plus riches, ils n’aurait abouti dans l’ES…
Oui. Je suis dyslexique moi-même et je ne suis pas allé dans l’ES. J’ai eu des cours de logopédie parce que mes parents les ont payés. Alors, c’est vrai, on sait bien que dans les milieux défavorisés les parents n’ont pas le même accès à l’information; Ces parents ne savent pas vers qui se tourner pour avoir de la logopédie, pour payer des enseignants le soir. Moi j’ai eu la chance d’avoir ces aides là mais tout le monde ne l’a pas.
Si vous n’aviez pas eu cette chance et que vous étiez passés par l’ES, seriez-vous là où vous êtes aujourd’hui d’un point de vue professionnel?
Pourquoi est-ce que je me bas pour eux à votre avis ?
Sincèrement, vous seriez là où vous êtes aujourd’hui ?
Je connais des enfants qui sont allés dans l’ES et qui, grâce à l’ES ont eu leur CEB. Qui ont ensuite accédé à l’enseignement général, technique ou professionnel et ont été diplômés… C’est là l’objectif même de l’enseignement spécialisé! Je voudrais vous éviter de vous enfoncer dans un article qui diaboliserait l’enseignement spécialisé à un moment où celui-ci arrive sur le terrain d’un partenariat avec l’enseignement ordinaire.
Mon article porte sur l’orientation vers le spécialisé d’élèves qui, aidés suffisamment, pourraient rester dans l’enseignement ordinaire. Or, il se fait que ces enfants pas assez aidés sont souvent d’origine socioéconomique pauvre.
Intellectuellement, personne ne peut admettre que des personnes issus de milieux socio-défavorisés qui n’auraient pas de troubles associés y soient orientés. Et donc, nous devons tout faire en Communauté française pour que les équipes éducatives et les centre PMS évitent des orientations inutiles. On doit agir au sein de l’enseignement ordinaire et les mesures dont je viens de vous parler vont dans ce sens-là.
Est-ce qu’il n’y a pas aussi un problème de formation des professeurs dans l’enseignement ordinaire ?
Pourquoi croyez-vous que le ministre Marcour a pour projet d’étendre la formation des maître de 3 à 5 ans. C’est inscrit dans la déclaration de politique communautaire. Je crois que si il y avait une meilleur formation en matière d’observation des élèves, de détermination de leur besoins et de prise en charge de cours particuliers, ce serait certainement très positif.
La nouvelle formation envisagée ne devrait-elle pas aussi conduire les enseignants vers une meilleure perception des réalités sociales? Différents intervenants dénoncent des mécanismes non dit, non assumés surtout, de rejet des enfants pauvres…
Cela ne correspond pas à l’esprit du gros dictionnaire qui se trouve dans toutes les écoles, à savoir le décret mission. C’est pourquoi, en sus des moyens supplémentaires déjà évoqués, la Commission de pilotage de l’enseignement a mis en place un système d’évaluations externes. Il s’agit de donner des indicateurs – aux enseignants et aux équipes en 2ème, 5ème et 6ème primaire, en 2ème et 5ème secondaire – du niveau qui doit être exigé des élèves et d’avoir une harmonie au sein de l’école. Cela doit aussi faciliter la mise en place ce qu’on appelle la pédagogie différenciée et une continuité des apprentissages. C’est donc cette addition de mesures qui va permettre à terme de faire évoluer positivement la situation. C’est très bien que des associations fassent des constats mais ceux-ci sont connus et on est déjà dans l’action.
Monsieur,
L’adresse mentionnée dans le présent article ne semble pas correcte: http://fioux.over-blog.com
Bien à vous
Je retire mon commentaire précédent, la césure n’était pas très claire dans l’article du magazine
Que fait Monsieur Tremblay? Il ajoute deux ou trois élèves en trouble d’apprentissage dans une classe « normale », et il y ajoute un deuxième enseignant. Que constate t il?
Que l’enfant faible intégré dans un groupe d’enfants forts progresse mieux (écarts statistiquement significatifs lors des évaluations), et ce sans ralentir les forts, qui, bien au contraire, vont
bénéficier de la deuxième explication de quelque chose qu’au fond, ils n’avaient peut être pas tout à fait compris.
Ce que Monsieur Tremblay découvre aussi, c’est que « c’est bien beau d’obliger les instits à faire des exercices différenciés. Ils ne savent pas. Mais quand on les met par deux, il y a aussitôt une
différenciation. Les classes intégrées, c’est aussi très formateur pour les enseignants. »
En pratique, quand nous avons un enseignant pour 29-30 élèves (ce qui est « normal »), on peut estimer qu’une dizaine de gosses vont avoir du mal à suivre (constante macabre d’Antibi). S’ils ne
suivent pas, ils risquent d’échouer, et donc de doubler. Donc les parents paient des cours particuliers pour ne pas que le gosse double.
A qui donc profite cette culture de l’échec et du redoublement?
Tant que le parent citoyen paie lui même le service public que l’Etat est sensé produire (le prof est payé par le denier public), il n’y a aucune raison de modifier ce système. Deux avantages :
c’est économique (sauf pour le parent citoyen) et ça évite à Madame Simonet de prendre des risques politiques.
Ajoutons un zeste de « mixité sociale »,supercherie qui ne sert qu’à diluer la pauvreté, pour cacher l’appauvrissement général, et le tour est joué : personne dans la rue, et pas de grève des profs,
ouf, quel beau travail.
« La réussite ne se décrète pas », ce sont les termes de notre ministre, en réponse à la question parlementaire de Monsieur Dupont de mercredi dernier, concernant le projet de création de quelques
écoles pilotes sans redoublement prévu dans la DPC.