UNE PAROISSIENNE EN COLERE
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’Info confidentielle Paris Match » (RTL-TVI), le dimanche 6 novembre 2010 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique », le 10 novembre 2010 –
L’autre dimanche, à la fin de la messe, Monique Hautier s’est levée pour crier son incompréhension : «Mon fils a été abusé par un abbé dont l’Eglise connaît les antécédents. Cet homme, logé et nourri par mon Eglise, donne encore les sacrements et est toujours mentionné comme n’importe quel autre prêtre, avec son numéro de téléphone, sur le site internet du doyenné de Gembloux. J’en ai assez de cette forme d’impunité, de ces fautes dégoût qui ressemblent à une gifle pour les victimes de cet homme !»
C’est bien sûr le genre d’affaire où, à tout moment, on ne perdra pas de vue le principe de présomption d’innocence. L’abbé dont il est question dans ces lignes n’a fait, à ce jour, l’objet d’aucune condamnation. Mais, dans le même temps, comment ne pas comprendre aussi la colère d’une mère qui, depuis trop longtemps, attend le verdict delà justice ?
Monique Hautier, une sacristine fort impliquée dans la vie de la paroisse Sainte-Barbe à Mazy (Gembloux), témoigne dans ces pages, comme elle l’a fait dimanche dernier sur le plateau de «L’Info confidentielle Paris Match» sur RTL-TVI : «Cela fait sept ans que mon fils s’est constitué partie civile contre un prêtre qui a abusé sexuellement de lui sur une longue période. Les faits ne me semblent pas si complexes qu’il soit nécessaire de consacrer autant de temps à les instruire et à les juger. A vrai dire, je n’en veux pas aux magistrats mais à un système qui, par manque de moyens sans doute, fonctionne au rythme d’un escargot. Je lui en veux car, pendant ce temps, le vicieux qui a fait du mal à mon enfant continue à parader dans ses habits de prêtre. En toute impunité. Il a toujours son salaire, il est toujours logé par l’Eglise et même s’il a été écarté de la paroisse où il oeuvrait, il continue à donner la messe, notamment dans des homes. D’ailleurs, il a bien compris que ces délais interminables lui assurent un salut provisoire : pendant ce temps, l’Eglise a figé la situation au nom de la présomption d’innocence et il conserve son statut. Alors, bien sûr, il a fait ce qu’il fallait, au travers de la demande de devoirs d’instruction complémentaires, pour que l’enquête dure et dure encore».
Déjà contrariée par ces constats, Monique Hautier explique qu’elle n’aurait pas poussé une gueulante si elle n’avait pas découvert la «cerise sur le gâteau» (1) : «En visitant le site internet du doyenné de Gembloux, j’ai remarqué que le nom de l’abuseur de mon fils était indiqué au même titre que n’importe quel autre prêtre. Ce site web donnait son numéro de téléphone, son adresse postale, son adresse mail de telle manière qu’une personne ne connaissant pas le parcours scabreux de l’intéressé pourrait très bien l’appeler pour célébrer un baptême ou toute autre cérémonie. Après les viols et attentats à la pudeur dont cet homme est inculpé, ce manque de prudence est aussi une faute de goût insupportable. Je ne comprends pas l’Eglise, je ne comprends pas la politique de Mgr Léonard qui connaît très bien l’affaire depuis plusieurs années puisqu’avec mon fils, nous étions allés le trouver alors qu’il était encore évêque de Namur. Il aurait déjà eu la possibilité de le faire déménager dans une autre région. Car, pour le moins, ce prêtre devrait se faire discret. Et ce n’est pas le cas. Il y a ce site, il continue à célébrer dans des homes et, je le sais, à se rendre dans des familles, à rencontrer des jeunes. Je suis écoeurée».
Monique dit avoir pris contact avec le doyen de Gembloux pour se plaindre de son site internet, mais sans succès. «II a fait la sourde oreille. Le 17 octobre, j’ai donc décidé de crier mon indignation. A l’issue de la messe qui était célébrée à Sainte-Barbe, je me suis levée et j’ai pris la parole. J’ai dit à tout le monde qu’il m étonnait de retrouver le prête abuseur mentionné comme n’importe quel autre sur le site internet du doyenné, alors qu’il avait été interdit de toute activité paroissiale. Mais le curé qui faisait la messe m’a coupé la parole, disant que je ne racontais pas la vérité. Ce négationnisme m’a scandalisé et déçue. Force est de constater que, malgré le climat actuel, l’Eglise préfère toujours le silence à la transparence sur la question de ses prêtres pédophiles. Et je vous assure que celui-ci semble pourtant avoir connu une longue carrière d’abuseur pour laquelle la justice, je l’espère, le condamnera sévèrement».
Une «longue carrière d’abuseur» ? Ce sera aux tribunaux de le déterminer. L’abbé dont parle Monique a été vicaire dominical dans les paroisses de La Roche-en-Ardenne, Bossière, Beuzet, Mazy et Isnes. Il a également été professeur de philosophie au Grand Séminaire de Namur, à (Institut de musique (IMEP) et à I Ecole des jésuites de Namur. Déjà du temps où il était enseignant, des rumeurs de comportements suspects avec des étudiants circulaient. Elles ont été recoupées par l’enquête déclenchée en 2004 par le Parquet de Namur à la suite de la constitution de partie civile de Christophe Hautier, le fils de Monique. Un certain Jean- Pierre, ancien séminariste à Namur, avait détaillé aux enquêteurs des faits qui avaient valu à son ancien professeur d’être inculpé d’«attentat à la pudeur avec violence ou menaces sur une personne de sexe masculin avec la circonstance que le coupable a abusé de l’autorité ou des facilités qui lui confèrent ses fonctions de prêtre».
L’abuseur présumé a aussi été aumônier dans le cadre de camps de vacances Jeunesse et Santé. C’est dans ce cadre qu’il a été inquiété une première fois par la justice en 1991, trois enfants de 13 ans l’accusant d’attouchements sexuels lors d’un séjour organisé à Coxyde où l’abbé avait reçu le surnom assez explicite de «tripoteur fou». Le révérend avait toutefois nié en bloc. Avec des phrases types qui sont également présentes dans le dossier actuel : «je tombe des nues», «je ne sais pas pourquoi cet enfant a déclaré cela…». Avertissement sans frais : dans ce dossier, le 10 avril 1992, le prêtre a bénéficié d’un non-lieu prononcé par la Chambre du conseil de Neufchâteau.
En juin 2003, c’était donc au tour de Christophe Hautier, le fils de Monique, de se plaindre d’abus sexuels commis par la même personne, mais d’abord et seulement auprès de l’évêché de Namur, qui était dirigé à cette époque par Mgr Léonard. Dans le dossier répressif qui s’en est suivi, la victime a ainsi relaté cette rencontre : «J’ai pu obtenir rapidement un rendez-vous. Je dois vous dire que j’ai tout expliqué à Mgr Léonard sur ce qui s’était passé avec [le prêtre]. Il était dégoûté et m’a parlé des antécédents de ce dernier. Il m’a dit qu’il avait eu des problèmes en tant que prof de philo à l’école de musique de Namur. Des jeunes se seraient plaints de son comportement. Il aurait fait de même dans des camps pour enfants. Mgr Léonard se disait disposé à ouvrir un tribunal [sic] et à avertir le Vatican». De fait, un «procès canonique» a été entamé mais son cours a été interrompu en attendant le verdict de la justice séculière. Jusque-là, l’abbé avait juste été privé de paroisse et c’est la faiblesse de cette mesure partielle d’écartement, le doute aussi d’un étouffement de l’affaire, qui a conduit Christophe Hautier a également dénoncer les faits au Parquet de Namur en 2004. L’instruction permettant ensuite l’identification de trois autres victimes potentielles du prêtre, lequel a été inculpé de viols et d’attentats à la pudeur.
De fait, comme le suggérait Monique Hautier, la période infractionnelle retenue par le parquet de Namur est longue : 1986 à 2003, soit dix-sept ans ! David, par exemple, l’une des victimes présumées, retrouvé en 2006 par les enquêteurs, a évoqué pour la première fois des faits qui auraient été commis à La Roche-en-Ardenne à la fin des années 80. Cette victime présumée, âgée de 35 ans, brisait ainsi le silence sur un sujet paraissant tabou, qu’il n’avait pas osé évoquer avec ses parents très pratiquants et qui l’avait traumatisé : «Je n’osais pas en parler. Je me suis posé des dizaines de questions. Ne sachant plus quoi penser, je m’interrogeais sur ma propre sexualité», a-t-il confié à la police.
Le ministère public a tracé en 2009 des réquisitions demandant le renvoi devant le Tribunal correctionnel du pervers présumé, lequel continue à nier tous les témoignages des jeunes qui se sont plaints de sa déviance sexuelle (NDLR : il y en a tout de même eu sept depuis 1991). Retardée par les devoirs complémentaires demandés par la défense, la Chambre du conseil qui doit trancher cette question devrait finalement se réunir en janvier 2011. De source autorisée, on nous laisse entendre que l’affaire pourrait être jugée avant la fin de l’année prochaine. Les voies de la justice belge étant parfois aussi impénétrables que celles du seigneur, on attendra de voir. Tel saint Thomas…
(1) Nous connaissons de fait ce témoin depuis 2005 et c’est la première fois que Mme Hautier a accepté, dimanche dernier, de témoigner sur un plateau de télévision. Ce qui témoigne d’une colère nouvelle.
DES IMAGES PAS TRES CATHOLIQUES (1er encadré)
Durant toute l’instruction de cette affaire par la justice, le prêtre a nié tous les témoignages le mettant en cause. Cet homme qui, en 2005, collaborait à la rédaction d’un ouvrage intitulé «Dieu à l’épreuve des images», n’a cependant pas pu contester la présence de photos pas très saintes sur le disque dur de son ordinateur. Il est en effet inculpé d’avoir «sciemment possédé des photos ou autres supports visuels représentant des positions ou des actes sexuels à caractère pornographique, impliquant ou présentant des mineurs, en l’espèce des mineurs non identifiés». Philosophe, proche de l’Action chrétienne rurale des femmes (ACRF), un mouvement d’éducation permanente qui déclare avoir de «fortes convictions citoyennes et démocratiques», ce déviant présumé a aussi marqué de son empreinte le groupe de travail interdiocésain «Sectes et nouvelles croyances». On le retrouve enfin comme délégué auprès de la coordination pastorale «Nouvelles Croyances et dérives sectaires» de l’Eglise de France. Sur le site internet de l’ACRF, on peut lire que «ses membres savent que les traditions spirituelles sont porteuses de sens et méritent d’être entendues dans les grands débats éthiques, sociaux et politiques. Mais elles sont par ailleurs inquiètes face à l’émergence d’expressions religieuses à tendance intégriste, voire sectaire. Un discernement s’impose donc à leurs yeux […] C’est pour contribuer à l’apprentissage d’un tel discernement que l’ACRF publie une étude consacrée aux croyances religieuses et aux dérives sectaires. [Le prêtre inculpé] y trace un chemin de « prudence » qui veut respecter la liberté de conscience et d’association, tout en étant vigilant à l’égard de comportements qui mettent en péril les droits fondamentaux. Selon lui, aucun groupe n’échappe au risque de tels comportements, ce qui rend cette vigilance nécessaire non seulement à l’égard d’autres groupes, mais aussi à l’égard de soi-même et de son propre groupe. La « prudence » s’impose d’autant plus qu’il s’agit fréquemment de dérives, c’est-à-dire de comportements qui glissent de la légitimité à l’abus, la frontière entre les deux étant imprécise et dès lors difficile à repérer». Parole de spécialiste ?
Consternation
Dans le petit village où
il donnait la messe, l’abbé
inculpé avait autre fois
bonne réputation.
«JE PRIE POUR TOUT LE MONDE » (2ème encadré)
Doyen de Gembloux, le prêtre Etienne Kaobo nous dit «ne vouloir pas s’attarder sur la mention du nom du prêtre inculpé sur le site internet, parce que celle-ci a déjà été supprimée». Cet abbé dit avoir aussi «compris la position de Mme Hautier, qui estime que la présence du nom du prêtre avec son numéro de téléphone et son adresse pouvait prêter à confusion». Mais le doyen insiste surtout sur le fait que «cette affaire est déjà entre les mains de la justice depuis sept ans». Et à cet égard, rejoignant le sentiment de Monique Hautier, il déplore que «les tribunaux, et c’est dommageable pour les deux parties, tardent à juger. Les polémiques, comme celles que l’on a vécues ces derniers jours, étant la conséquence de cette lenteur». En attendant, dit-il, «je comprends et je respecte la douleur de madame Hautier et de son fils. Je prie pour tout le monde, les deux parties et le juge en charge de l’affaire». A l’instar du prêtre contesté, le curé de Bossière, l’abbé Philippe Coibion, n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Toutefois, il s’était exprimé en ces termes quelques jours auparavant : «De fait, à la fin de l’eucharistie dominicale, au moment des annonces, une paroissienne avait fait une intervention que j’ai qualifiée d’intempestive et dont je me suis dit désolé auprès des autres paroissiens venus à l’eucharistie. Par souci de clarté, j’ai aussi rectifié l’information à propos de l’interdiction de célébrer. L’abbé n’est pas suspendu, mais n’a effectivement plus de ministère paroissial (*) » Une information a circulé selon laquelle le prêtre contesté pourrait être envoyé dans un autre doyenné pour calmer les esprits mais, renseignements pris auprès de l’évêché de Namur, cela semble tout à fait prématuré. En vertu de la présomption d’innocence dont bénéficie l’intéressé, celui-ci pourrait s’opposer à une telle mesure d’écartement par divers recours juridiques. Rien ne bougera donc dans l’attente d’un jugement prononcé par la justice des hommes.
(*) Christian Laporte, « La Présence gênante de l’ancien curé », La Libre Belgique, le 26 octobre 2010.