C’ETAIT LA VIE. C’EST LE NEANT.
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » (RTL-TVI), le dimanche 23 janvier 2011 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique » du 27 janvier 2011 –
Dimanche, 16 janvier 2011, 15h30. Trois enfants insouciants en ont un peu assez de jouer devant la maison de leurs parents, rue Albert Ier à Engis. Alison, Amélia et Corentin souhaiteraient faire une balade à vélo avec leur père. Fatigué, Philippe Decloux refuse de quitter le canapé familial où il discute tranquillement avec Sylvie, son épouse. La télé est allumée, le temps passe lentement. Paisiblement. Une fin de semaine comme tant d’autres, dans tellement de familles en Belgique. Dimanche, 16 janvier 2011, 15h55. Un enfant crie dans la rue Albert Ier : « Papa, papa, papa ! » Philippe comprend aussitôt que quelque chose de terrible vient de se passer. Corentin s’explique comme il peut. Très vite, avec les mots d’un petit bout de 8 ans. Terrorisé, paniqué, il pleure. Ses soeurs sont en train de se noyer dans le cours d’eau qui coule à moins de cent mètres de la maison familiale, dans cette Meuse au courant fort et froid en cette période de déc rue. Dans un fleuve sombre et cruel qui, déjà, à ce moment, a fini d’avaler les corps des deux petites. Un quart d’heure entre le bonheur calme d’un dimanche après-midi en famille et l’horreur. Un quart d’heure seulement. Entre la vie et le néant.
L’INTERMINABLE ATTENTE, LE DEUIL IMPOSSIBLE.
Jeudi 20 janvier 2011, en début d’après-midi. Micheline Decloux filtre les entrées chez Philippe et Sylvie, les parents d’Alison et Amélia. C’est que, depuis quelques jours, à la douleur et à l’angoisse de la disparition s’est ajoutée l’habituelle frénésie médiatique qui entoure les drames humains. Des journalistes, parfois trop pressés, souvent trop brutaux, se sont succédé à Engis devant le n°2 de la rue Albert Ier. Sonnant, questionnant, formant par moment des grappes aux allures menaçantes sur cette petite voirie où, il y a peu, trois enfants vivaient, jouaient, riaient.
Micheline nous apprend qu’elle est la tante de Philippe Decloux. Les yeux rouges, un mouchoir dans la main, elle nous explique que «le papa serait bien incapable de répondre à des questions. Il a dû prendre des médicaments pour ne pas perdre la tête. La souffrance est trop grande». Elle marque un temps d’arrêt. Elle réfléchit. Et puis, elle nous donne un aperçu de l’océan de douleur dans lequel cette famille tente de ne pas se noyer : «Philippe n’a aucune responsabilité dans ce qui est arrivé. Pourtant, il ne peut s’empêcher de culpabiliser. Quant à Sylvie, la maman, elle est en train d’errer seule, quelque part, sur les berges de la Meuse. L’un comme l’autre, à tour de rôle, ils s’en vont régulièrement se promener le long de l’eau. Sans espoir réel de voir les corps des petites, mais avec le sentiment de se rapprocher d’elles».
Nos regards se croisent. Bien sûr, il y a de la tristesse dans les yeux de cette femme, mais nous y décelons aussi de la colère. Un silence s’installe. Lourd. Long. A quoi sert-il de commenter l’implacable cruauté du destin ? Finalement, elle se lance. Parce qu’elle veut faire passer un message au nom de la famille. Parce qu’à l’état de choc s’est ajoutée une forme d’incompréhension et de dégoût. «N’est-ce pas assez difficile comme cela ?» interroge-t-elle. «Pourquoi des gens, notamment sur les réseaux sociaux comme Facebook, répandent-ils des rumeurs sur Philippe et Sylvie ? Où des inconnus trouvent-ils assez de méchanceté pour rendre les parents responsables du drame qui les frappent ?».
Le ressentiment que nous avions cru percevoir s’exprime alors pleinement : «Des personnes que nous n’avons jamais vues, qui n’ont sans doute jamais mis les pieds à Engis, commentent ce qui est arrivé avec des sous-entendus sur la situation sociale de mon neveu. Comme Philippe est malade depuis quelque temps et qu’il ne travaille plus, comme sa famille nombreuse ne roule pas sur l’or, cela suffit à nourrir les mauvaises langues. Les pauvres, pour certains esprits méchants, ne s’occupent pas bien de leurs gosses. C’est forcé. Voyez-vous la suite du raisonnement ? Ils n’auraient pas dû laisser leurs enfants sans surveillance, c’est de leur faute ce qui est arrivé. Certains pousseront-ils l’ignominie jusqu’à affirmer que notre famille n’a eu que ce qu’elle méritait… Je suis écoeurée. Toute la famille, choquée pour toujours par les faits, est aussi anéantie par ce que certains sont capables d’en dire».
L’immanente injustice de ce monde qui prive de vie des êtres à peine nés – Amélia n’avait que 6 ans, Alison, 12 – ne cesse d’interpeller. Ici, c’est l’eau qui a emporté des enfants ; là, c’est la maladie ; ailleurs, la faim ou la guerre. Incontrôlables effets de multiples hasards, le lieu où l’on voit le jour, le moment… Les conséquences d’un choix, d’une décision prise en quelques secondes. Comme celui d’aller se promener au bord d’un fleuve. Mais pour les Decloux, il ne peut être question de hasard. Il y a juste un mystère. Et ils ont des clés pour l’appréhender : «Nous sommes une famille très croyante», explique tante Micheline. «Je pense que tout cela était écrit. Bien sûr, nous sommes incapables de comprendre le sens de ce qui est arrivé, mais il y a là une volonté supérieure qui s’impose à nous».
Le cynisme de ceux qui jugent et condamnent renvoie cependant moins à la métaphysique qu’à la bêtise. Elle s’est déjà manifestée dans tellement d’autres affaires de disparition ou d’enlèvement ! Ne citons que l’épouvantable cas de Julie et Mélissa, quand des esprits peu éveillés avaient également tenté d’accuser les parents de défaut de surveillance. En dernière analyse, n’y-a-t-il pas là plus de peur que de méchanceté ? Les contempteurs des parents d’enfants disparus ne chercher pas, finalement, à se convaincre qu’un drame aussi insupportable ne pourrait jamais leur arriver ?
Comme si c’était aussi simple. Le destin auquel croit tante Micheline frappe partout, le hasard aveugle et implacable ignore les classes sociales. Bien sûr qu’il s’attaque notamment à des gens bien, à des personnes pas différentes des autres. Comme celles que cette femme veut maintenant nous décrire : «Philippe et Sylvie sont des parents exemplaires. Ils se sont toujours coupés en quatre pour que leurs enfants ne manquent de rien. C’est leur priorité, leur seule priorité. Dans le voisinage, personne ne s’y est jamais trompé : les enfants de cette famille nombreuses ont toujours été rayonnants, souriants, très gentils. Et cela, en tous cas, ce n’est pas le fruit du hasard !»
Pour appuyer son propos, elle rentre dans la maison à la recherche d’une photo qu’elle veut absolument nous montrer – elle se trouve à côté de nous au moment où nous écrivons ces lignes ; vous la voyez aussi en pages précédentes. Tous les enfants Decloux sont là. Souriant, innocents. Une photo insupportable parce qu’elle est trop belle. «De gauche à droite», décrit Micheline, «il y a Corentin, Alison, Amandine, Axelle, Clément, Andréa, Cédric et Amélia. Vous voyez, Alison était déjà une petite jeune fille. Elle était très responsable et, d’ailleurs, cela ne m’a pas étonné qu’elle ait plongé dans l’eau pour tenter de sauver sa sœur ».
Philippe, qui a peut-être entendu des bribes de notre conversation avec sa tante, apparaît alors dans le couloir. Tel une ombre. Pour la femme qui nous parle, c’est comme un signal indiquant que, maintenant, nous pouvons entrer dans cette maison où il y a beaucoup de monde. Des membres de la famille, des amis et, bien sûr, des enfants. Le papa d’Amélia et Alison nous salue alors d’un signe de tête à peine perceptible. Il restera encore muet pendant un long moment, près d’un quart d’heure. Avant de parler. «Si je tiens le coup, c’est grâce au soutien de tous mes proches et même des gens du voisinage qui ont été si gentils avec moi. Mais je ne parviens pas à accepter qu’elles ne soient plus là. Je ne ferai jamais le deuil de mes filles sans qu’on ait préalablement retrouvé leurs corps. Au fond de moi, je sais qu’elles ne sont plus là, mais je ne peux m’empêcher de garder un espoir. Je sais que ce n’est pas rationnel, mais je ne peux faire autrement. Je les vois revenir et frapper à la porte en disant : « Papa, Maman, on est là ! Papa, Maman, on est revenues ! N’ayez plus peur… » ». II pleure. Philippe confirme qu’il n’est pas un père plus imprudent qu’un autre. Ce funeste dimanche de janvier, il avait bien été convenu avec les enfants qu’ils ne devaient pas s’éloigner. «Ils jouaient devant chez nous, comme d’habitude. Ils n’étaient pas autorisés à aller près de la Meuse sans être accompagnés. Et pourtant, ce jour-là, pour la première fois, ils l’ont fait. Corentin nous a expliqué qu’ils avaient eu pour idée de trouver des bouchons de bouteilles en plastique. Dans l’école de la petite, on collecte ces bouchons pour soutenir une action en faveur des personnes handicapées… Et il y a, parmi les déchets que rejette la Meuse, des tas de bouteilles qui s’échouent le long de ses berges. Amélia a voulu en pêcher une. Elle est tombée. Sa grande sœur a plongé pour la sauver, non sans avoir d’abord pris la précaution de donner son GSM à Corentin. Quand Alison a vu qu’elle ne s’en sortait pas, elle a dit à son frère de courir me prévenir. Mon gamin a fait aussi vite qu’il a pu. Moi aussi, j’ai couru jusqu’à l’eau, mais quand je suis arrivé, il n’y avait déjà plus personne. Plus de remous, plus rien du tout. J’ai appelé les secours et ils sont très rapidement arrivés mais, malgré le dévouement exemplaire des plongeurs, des policiers et de tous ceux qui ont participé aux recherches, cela n’a servi à rien».
Sylvie, la maman, rentre maintenant dans sa maison et elle se joint à nous. Les yeux hagards, en évident état de choc. De retour de sa promenade quotidienne le long de Meuse, elle a cru pendant un moment avoir vu l’une de ses filles dans un amas de bois flottant. Espoir déçu. Vain. Ambigu aussi. Ne pas les trouver, c’est encore oser croire que tout de même, par miracle… «On se dit que cela n’arrive qu’aux autres et voilà, ce n’est donc pas vrai. Aujourd’hui, je ne peux que penser aux parents de Julie et Mélissa. C’est grâce à leur combat que des personnes comme nous sont mieux soutenues par les autorités. Nous n’avons, en effet, qu’à nous féliciter du travail qui a été réalisé par la cellule Disparitions de la Police fédérale. On ne remerciera jamais assez ces policiers spécialisés». Comme tante Micheline, malgré les prières, Sylvie et Philippe ne comprennent pas le sens de cette douleur qui leur est aujourd’hui imposée. Qu’ont fait ces enfants innocents pour être ainsi privés si vite de vie terrestre ? «C’est que cela devait arriver. Je ne suis en colère contre personne», dit le papa avec une calme résignation. Sylvie partage ce sentiment qui se trouve renforcé par ce qui ressemble aujourd’hui à une troublante prémonition: «Alison adorait une chanson de Mysha. Ces dernières semaines, elle la passait en boucle. Cela s’appelle « L’Amour éternel, partie deux » et c’est l’histoire d’une jeune fille qui commente sa propre mort. N’est-ce pas étrange ? » « Philippe aussi a eu une sorte de prémonition. Il y a trois semaines, il parlait de quitter cette maison trop proche du bord de l’eau», complète tante Micheline.
En sa compagnie, prenant congé de parents trop éprouvés pour encore parler, nous allons nous recueillir un moment sur les berges du fleuve. Par terre, près d’une bite d’amarrage, des bouquets de fleurs ont été déposés à même le sol. Ils s’envoleront, c’est évident, dès que le vent se lèvera. Un symbole encore du caractère éphémère de l’être. La nature est toujours la plus forte, et comme un policier l’a confié aux parents d’Amélia et Alison, c’est la Meuse qui aura le dernier mot. Acceptera-t-elle de rendre les corps de deux fillettes ? Au moins, elle pourrait concéder cela ! Mais il n’y a pas de réponse certaine. Cela pourrait être très bientôt, dans longtemps, peut-être jamais.
C’est finalement avec plus de points d’interrogation que de réponses que nous quittons Engis. Ces questions existentielles que les hommes se posent depuis l’apparition de la pensée. Depuis la nuit des temps.
Angoisse
Où sont-elles ? Les retrouvera-t-on jamais ? Chaque jour, des membres de la famille d’Alison et Amélia, comme ici leur grand-tante Micheline, inspectent les berges de la Meuse qui leur a volé ces enfants.
Pour quelques bouchons
Le fleuve vomit toutes sortes de détritus : des morceaux de bois, des boîtes de conserve, des bouteille en plastique… C’est en tentant de pêcher l’une de ces bouteilles qui flottait tout près du bord qu’Amélia est tombée dans la Meuse. Elle cherchait à récupérer des bouchons dans le cadre d’une collecte qui était organisée dans son école pour soutenir une action en faveur d’enfants handicapés.
C’ETAIT LA VIE. C’EST LE NEANT.
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » (RTL-TVI), le dimanche 23 janvier 2011 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique » du 27 janvier 2011 –
Dimanche, 16 janvier 2011, 15h30. Trois enfants insouciants en ont un peu assez de jouer devant la maison de leurs parents, rue Albert Ier à Engis. Alison, Amélia et Corentin souhaiteraient faire une balade à vélo avec leur père. Fatigué, Philippe Decloux refuse de quitter le canapé familial où il discute tranquillement avec Sylvie, son épouse. La télé est allumée, le temps passe lentement. Paisiblement. Une fin de semaine comme tant d’autres, dans tellement de familles en Belgique. Dimanche, 16 janvier 2011, 15h55. Un enfant crie dans la rue Albert Ier : « Papa, papa, papa ! » Philippe comprend aussitôt que quelque chose de terrible vient de se passer. Corentin s’explique comme il peut. Très vite, avec les mots d’un petit bout de 8 ans. Terrorisé, paniqué, il pleure. Ses soeurs sont en train de se noyer dans le cours d’eau qui coule à moins de cent mètres de la maison familiale, dans cette Meuse au courant fort et froid en cette période de déc rue. Dans un fleuve sombre et cruel qui, déjà, à ce moment, a fini d’avaler les corps des deux petites. Un quart d’heure entre le bonheur calme d’un dimanche après-midi en famille et l’horreur. Un quart d’heure seulement. Entre la vie et le néant.
L’INTERMINABLE ATTENTE, LE DEUIL IMPOSSIBLE.
Jeudi 20 janvier 2011, en début d’après-midi. Micheline Decloux filtre les entrées chez Philippe et Sylvie, les parents d’Alison et Amélia. C’est que, depuis quelques jours, à la douleur et à l’angoisse de la disparition s’est ajoutée l’habituelle frénésie médiatique qui entoure les drames humains. Des journalistes, parfois trop pressés, souvent trop brutaux, se sont succédé à Engis devant le n°2 de la rue Albert Ier. Sonnant, questionnant, formant par moment des grappes aux allures menaçantes sur cette petite voirie où, il y a peu, trois enfants vivaient, jouaient, riaient.
Micheline nous apprend qu’elle est la tante de Philippe Decloux. Les yeux rouges, un mouchoir dans la main, elle nous explique que «le papa serait bien incapable de répondre à des questions. Il a dû prendre des médicaments pour ne pas perdre la tête. La souffrance est trop grande». Elle marque un temps d’arrêt. Elle réfléchit. Et puis, elle nous donne un aperçu de l’océan de douleur dans lequel cette famille tente de ne pas se noyer : «Philippe n’a aucune responsabilité dans ce qui est arrivé. Pourtant, il ne peut s’empêcher de culpabiliser. Quant à Sylvie, la maman, elle est en train d’errer seule, quelque part, sur les berges de la Meuse. L’un comme l’autre, à tour de rôle, ils s’en vont régulièrement se promener le long de l’eau. Sans espoir réel de voir les corps des petites, mais avec le sentiment de se rapprocher d’elles».
Nos regards se croisent. Bien sûr, il y a de la tristesse dans les yeux de cette femme, mais nous y décelons aussi de la colère. Un silence s’installe. Lourd. Long. A quoi sert-il de commenter l’implacable cruauté du destin ? Finalement, elle se lance. Parce qu’elle veut faire passer un message au nom de la famille. Parce qu’à l’état de choc s’est ajoutée une forme d’incompréhension et de dégoût. «N’est-ce pas assez difficile comme cela ?» interroge-t-elle. «Pourquoi des gens, notamment sur les réseaux sociaux comme Facebook, répandent-ils des rumeurs sur Philippe et Sylvie ? Où des inconnus trouvent-ils assez de méchanceté pour rendre les parents responsables du drame qui les frappent ?».
Le ressentiment que nous avions cru percevoir s’exprime alors pleinement : «Des personnes que nous n’avons jamais vues, qui n’ont sans doute jamais mis les pieds à Engis, commentent ce qui est arrivé avec des sous-entendus sur la situation sociale de mon neveu. Comme Philippe est malade depuis quelque temps et qu’il ne travaille plus, comme sa famille nombreuse ne roule pas sur l’or, cela suffit à nourrir les mauvaises langues. Les pauvres, pour certains esprits méchants, ne s’occupent pas bien de leurs gosses. C’est forcé. Voyez-vous la suite du raisonnement ? Ils n’auraient pas dû laisser leurs enfants sans surveillance, c’est de leur faute ce qui est arrivé. Certains pousseront-ils l’ignominie jusqu’à affirmer que notre famille n’a eu que ce qu’elle méritait… Je suis écoeurée. Toute la famille, choquée pour toujours par les faits, est aussi anéantie par ce que certains sont capables d’en dire».
L’immanente injustice de ce monde qui prive de vie des êtres à peine nés – Amélia n’avait que 6 ans, Alison, 12 – ne cesse d’interpeller. Ici, c’est l’eau qui a emporté des enfants ; là, c’est la maladie ; ailleurs, la faim ou la guerre. Incontrôlables effets de multiples hasards, le lieu où l’on voit le jour, le moment… Les conséquences d’un choix, d’une décision prise en quelques secondes. Comme celui d’aller se promener au bord d’un fleuve. Mais pour les Decloux, il ne peut être question de hasard. Il y a juste un mystère. Et ils ont des clés pour l’appréhender : «Nous sommes une famille très croyante», explique tante Micheline. «Je pense que tout cela était écrit. Bien sûr, nous sommes incapables de comprendre le sens de ce qui est arrivé, mais il y a là une volonté supérieure qui s’impose à nous».
Le cynisme de ceux qui jugent et condamnent renvoie cependant moins à la métaphysique qu’à la bêtise. Elle s’est déjà manifestée dans tellement d’autres affaires de disparition ou d’enlèvement ! Ne citons que l’épouvantable cas de Julie et Mélissa, quand des esprits peu éveillés avaient également tenté d’accuser les parents de défaut de surveillance. En dernière analyse, n’y-a-t-il pas là plus de peur que de méchanceté ? Les contempteurs des parents d’enfants disparus ne chercher pas, finalement, à se convaincre qu’un drame aussi insupportable ne pourrait jamais leur arriver ?
Comme si c’était aussi simple. Le destin auquel croit tante Micheline frappe partout, le hasard aveugle et implacable ignore les classes sociales. Bien sûr qu’il s’attaque notamment à des gens bien, à des personnes pas différentes des autres. Comme celles que cette femme veut maintenant nous décrire : «Philippe et Sylvie sont des parents exemplaires. Ils se sont toujours coupés en quatre pour que leurs enfants ne manquent de rien. C’est leur priorité, leur seule priorité. Dans le voisinage, personne ne s’y est jamais trompé : les enfants de cette famille nombreuses ont toujours été rayonnants, souriants, très gentils. Et cela, en tous cas, ce n’est pas le fruit du hasard !»
Pour appuyer son propos, elle rentre dans la maison à la recherche d’une photo qu’elle veut absolument nous montrer – elle se trouve à côté de nous au moment où nous écrivons ces lignes ; vous la voyez aussi en pages précédentes. Tous les enfants Decloux sont là. Souriant, innocents. Une photo insupportable parce qu’elle est trop belle. «De gauche à droite», décrit Micheline, «il y a Corentin, Alison, Amandine, Axelle, Clément, Andréa, Cédric et Amélia. Vous voyez, Alison était déjà une petite jeune fille. Elle était très responsable et, d’ailleurs, cela ne m’a pas étonné qu’elle ait plongé dans l’eau pour tenter de sauver sa sœur ».
Philippe, qui a peut-être entendu des bribes de notre conversation avec sa tante, apparaît alors dans le couloir. Tel une ombre. Pour la femme qui nous parle, c’est comme un signal indiquant que, maintenant, nous pouvons entrer dans cette maison où il y a beaucoup de monde. Des membres de la famille, des amis et, bien sûr, des enfants. Le papa d’Amélia et Alison nous salue alors d’un signe de tête à peine perceptible. Il restera encore muet pendant un long moment, près d’un quart d’heure. Avant de parler. «Si je tiens le coup, c’est grâce au soutien de tous mes proches et même des gens du voisinage qui ont été si gentils avec moi. Mais je ne parviens pas à accepter qu’elles ne soient plus là. Je ne ferai jamais le deuil de mes filles sans qu’on ait préalablement retrouvé leurs corps. Au fond de moi, je sais qu’elles ne sont plus là, mais je ne peux m’empêcher de garder un espoir. Je sais que ce n’est pas rationnel, mais je ne peux faire autrement. Je les vois revenir et frapper à la porte en disant : « Papa, Maman, on est là ! Papa, Maman, on est revenues ! N’ayez plus peur… » ». II pleure. Philippe confirme qu’il n’est pas un père plus imprudent qu’un autre. Ce funeste dimanche de janvier, il avait bien été convenu avec les enfants qu’ils ne devaient pas s’éloigner. «Ils jouaient devant chez nous, comme d’habitude. Ils n’étaient pas autorisés à aller près de la Meuse sans être accompagnés. Et pourtant, ce jour-là, pour la première fois, ils l’ont fait. Corentin nous a expliqué qu’ils avaient eu pour idée de trouver des bouchons de bouteilles en plastique. Dans l’école de la petite, on collecte ces bouchons pour soutenir une action en faveur des personnes handicapées… Et il y a, parmi les déchets que rejette la Meuse, des tas de bouteilles qui s’échouent le long de ses berges. Amélia a voulu en pêcher une. Elle est tombée. Sa grande sœur a plongé pour la sauver, non sans avoir d’abord pris la précaution de donner son GSM à Corentin. Quand Alison a vu qu’elle ne s’en sortait pas, elle a dit à son frère de courir me prévenir. Mon gamin a fait aussi vite qu’il a pu. Moi aussi, j’ai couru jusqu’à l’eau, mais quand je suis arrivé, il n’y avait déjà plus personne. Plus de remous, plus rien du tout. J’ai appelé les secours et ils sont très rapidement arrivés mais, malgré le dévouement exemplaire des plongeurs, des policiers et de tous ceux qui ont participé aux recherches, cela n’a servi à rien».
Sylvie, la maman, rentre maintenant dans sa maison et elle se joint à nous. Les yeux hagards, en évident état de choc. De retour de sa promenade quotidienne le long de Meuse, elle a cru pendant un moment avoir vu l’une de ses filles dans un amas de bois flottant. Espoir déçu. Vain. Ambigu aussi. Ne pas les trouver, c’est encore oser croire que tout de même, par miracle… «On se dit que cela n’arrive qu’aux autres et voilà, ce n’est donc pas vrai. Aujourd’hui, je ne peux que penser aux parents de Julie et Mélissa. C’est grâce à leur combat que des personnes comme nous sont mieux soutenues par les autorités. Nous n’avons, en effet, qu’à nous féliciter du travail qui a été réalisé par la cellule Disparitions de la Police fédérale. On ne remerciera jamais assez ces policiers spécialisés». Comme tante Micheline, malgré les prières, Sylvie et Philippe ne comprennent pas le sens de cette douleur qui leur est aujourd’hui imposée. Qu’ont fait ces enfants innocents pour être ainsi privés si vite de vie terrestre ? «C’est que cela devait arriver. Je ne suis en colère contre personne», dit le papa avec une calme résignation. Sylvie partage ce sentiment qui se trouve renforcé par ce qui ressemble aujourd’hui à une troublante prémonition: «Alison adorait une chanson de Mysha. Ces dernières semaines, elle la passait en boucle. Cela s’appelle « L’Amour éternel, partie deux » et c’est l’histoire d’une jeune fille qui commente sa propre mort. N’est-ce pas étrange ? » « Philippe aussi a eu une sorte de prémonition. Il y a trois semaines, il parlait de quitter cette maison trop proche du bord de l’eau», complète tante Micheline.
En sa compagnie, prenant congé de parents trop éprouvés pour encore parler, nous allons nous recueillir un moment sur les berges du fleuve. Par terre, près d’une bite d’amarrage, des bouquets de fleurs ont été déposés à même le sol. Ils s’envoleront, c’est évident, dès que le vent se lèvera. Un symbole encore du caractère éphémère de l’être. La nature est toujours la plus forte, et comme un policier l’a confié aux parents d’Amélia et Alison, c’est la Meuse qui aura le dernier mot. Acceptera-t-elle de rendre les corps de deux fillettes ? Au moins, elle pourrait concéder cela ! Mais il n’y a pas de réponse certaine. Cela pourrait être très bientôt, dans longtemps, peut-être jamais.
C’est finalement avec plus de points d’interrogation que de réponses que nous quittons Engis. Ces questions existentielles que les hommes se posent depuis l’apparition de la pensée. Depuis la nuit des temps.
Angoisse
Où sont-elles ? Les retrouvera-t-on jamais ? Chaque jour, des membres de la famille d’Alison et Amélia, comme ici leur grand-tante Micheline, inspectent les berges de la Meuse qui leur a volé ces enfants.
Pour quelques bouchons
Le fleuve vomit toutes sortes de détritus : des morceaux de bois, des boîtes de conserve, des bouteille en plastique… C’est en tentant de pêcher l’une de ces bouteilles qui flottait tout près du bord qu’Amélia est tombée dans la Meuse. Elle cherchait à récupérer des bouchons dans le cadre d’une collecte qui était organisée dans son école pour soutenir une action en faveur d’enfants handicapés.
C’ETAIT LA VIE. C’EST LE NEANT.
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » (RTL-TVI), le dimanche 23 janvier 2011 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique » du 27 janvier 2011 –
Dimanche, 16 janvier 2011, 15h30. Trois enfants insouciants en ont un peu assez de jouer devant la maison de leurs parents, rue Albert Ier à Engis. Alison, Amélia et Corentin souhaiteraient faire une balade à vélo avec leur père. Fatigué, Philippe Decloux refuse de quitter le canapé familial où il discute tranquillement avec Sylvie, son épouse. La télé est allumée, le temps passe lentement. Paisiblement. Une fin de semaine comme tant d’autres, dans tellement de familles en Belgique. Dimanche, 16 janvier 2011, 15h55. Un enfant crie dans la rue Albert Ier : « Papa, papa, papa ! » Philippe comprend aussitôt que quelque chose de terrible vient de se passer. Corentin s’explique comme il peut. Très vite, avec les mots d’un petit bout de 8 ans. Terrorisé, paniqué, il pleure. Ses soeurs sont en train de se noyer dans le cours d’eau qui coule à moins de cent mètres de la maison familiale, dans cette Meuse au courant fort et froid en cette période de déc rue. Dans un fleuve sombre et cruel qui, déjà, à ce moment, a fini d’avaler les corps des deux petites. Un quart d’heure entre le bonheur calme d’un dimanche après-midi en famille et l’horreur. Un quart d’heure seulement. Entre la vie et le néant.
L’INTERMINABLE ATTENTE, LE DEUIL IMPOSSIBLE.
Jeudi 20 janvier 2011, en début d’après-midi. Micheline Decloux filtre les entrées chez Philippe et Sylvie, les parents d’Alison et Amélia. C’est que, depuis quelques jours, à la douleur et à l’angoisse de la disparition s’est ajoutée l’habituelle frénésie médiatique qui entoure les drames humains. Des journalistes, parfois trop pressés, souvent trop brutaux, se sont succédé à Engis devant le n°2 de la rue Albert Ier. Sonnant, questionnant, formant par moment des grappes aux allures menaçantes sur cette petite voirie où, il y a peu, trois enfants vivaient, jouaient, riaient.
Micheline nous apprend qu’elle est la tante de Philippe Decloux. Les yeux rouges, un mouchoir dans la main, elle nous explique que «le papa serait bien incapable de répondre à des questions. Il a dû prendre des médicaments pour ne pas perdre la tête. La souffrance est trop grande». Elle marque un temps d’arrêt. Elle réfléchit. Et puis, elle nous donne un aperçu de l’océan de douleur dans lequel cette famille tente de ne pas se noyer : «Philippe n’a aucune responsabilité dans ce qui est arrivé. Pourtant, il ne peut s’empêcher de culpabiliser. Quant à Sylvie, la maman, elle est en train d’errer seule, quelque part, sur les berges de la Meuse. L’un comme l’autre, à tour de rôle, ils s’en vont régulièrement se promener le long de l’eau. Sans espoir réel de voir les corps des petites, mais avec le sentiment de se rapprocher d’elles».
Nos regards se croisent. Bien sûr, il y a de la tristesse dans les yeux de cette femme, mais nous y décelons aussi de la colère. Un silence s’installe. Lourd. Long. A quoi sert-il de commenter l’implacable cruauté du destin ? Finalement, elle se lance. Parce qu’elle veut faire passer un message au nom de la famille. Parce qu’à l’état de choc s’est ajoutée une forme d’incompréhension et de dégoût. «N’est-ce pas assez difficile comme cela ?» interroge-t-elle. «Pourquoi des gens, notamment sur les réseaux sociaux comme Facebook, répandent-ils des rumeurs sur Philippe et Sylvie ? Où des inconnus trouvent-ils assez de méchanceté pour rendre les parents responsables du drame qui les frappent ?».
Le ressentiment que nous avions cru percevoir s’exprime alors pleinement : «Des personnes que nous n’avons jamais vues, qui n’ont sans doute jamais mis les pieds à Engis, commentent ce qui est arrivé avec des sous-entendus sur la situation sociale de mon neveu. Comme Philippe est malade depuis quelque temps et qu’il ne travaille plus, comme sa famille nombreuse ne roule pas sur l’or, cela suffit à nourrir les mauvaises langues. Les pauvres, pour certains esprits méchants, ne s’occupent pas bien de leurs gosses. C’est forcé. Voyez-vous la suite du raisonnement ? Ils n’auraient pas dû laisser leurs enfants sans surveillance, c’est de leur faute ce qui est arrivé. Certains pousseront-ils l’ignominie jusqu’à affirmer que notre famille n’a eu que ce qu’elle méritait… Je suis écoeurée. Toute la famille, choquée pour toujours par les faits, est aussi anéantie par ce que certains sont capables d’en dire».
L’immanente injustice de ce monde qui prive de vie des êtres à peine nés – Amélia n’avait que 6 ans, Alison, 12 – ne cesse d’interpeller. Ici, c’est l’eau qui a emporté des enfants ; là, c’est la maladie ; ailleurs, la faim ou la guerre. Incontrôlables effets de multiples hasards, le lieu où l’on voit le jour, le moment… Les conséquences d’un choix, d’une décision prise en quelques secondes. Comme celui d’aller se promener au bord d’un fleuve. Mais pour les Decloux, il ne peut être question de hasard. Il y a juste un mystère. Et ils ont des clés pour l’appréhender : «Nous sommes une famille très croyante», explique tante Micheline. «Je pense que tout cela était écrit. Bien sûr, nous sommes incapables de comprendre le sens de ce qui est arrivé, mais il y a là une volonté supérieure qui s’impose à nous».
Le cynisme de ceux qui jugent et condamnent renvoie cependant moins à la métaphysique qu’à la bêtise. Elle s’est déjà manifestée dans tellement d’autres affaires de disparition ou d’enlèvement ! Ne citons que l’épouvantable cas de Julie et Mélissa, quand des esprits peu éveillés avaient également tenté d’accuser les parents de défaut de surveillance. En dernière analyse, n’y-a-t-il pas là plus de peur que de méchanceté ? Les contempteurs des parents d’enfants disparus ne chercher pas, finalement, à se convaincre qu’un drame aussi insupportable ne pourrait jamais leur arriver ?
Comme si c’était aussi simple. Le destin auquel croit tante Micheline frappe partout, le hasard aveugle et implacable ignore les classes sociales. Bien sûr qu’il s’attaque notamment à des gens bien, à des personnes pas différentes des autres. Comme celles que cette femme veut maintenant nous décrire : «Philippe et Sylvie sont des parents exemplaires. Ils se sont toujours coupés en quatre pour que leurs enfants ne manquent de rien. C’est leur priorité, leur seule priorité. Dans le voisinage, personne ne s’y est jamais trompé : les enfants de cette famille nombreuses ont toujours été rayonnants, souriants, très gentils. Et cela, en tous cas, ce n’est pas le fruit du hasard !»
Pour appuyer son propos, elle rentre dans la maison à la recherche d’une photo qu’elle veut absolument nous montrer – elle se trouve à côté de nous au moment où nous écrivons ces lignes ; vous la voyez aussi en pages précédentes. Tous les enfants Decloux sont là. Souriant, innocents. Une photo insupportable parce qu’elle est trop belle. «De gauche à droite», décrit Micheline, «il y a Corentin, Alison, Amandine, Axelle, Clément, Andréa, Cédric et Amélia. Vous voyez, Alison était déjà une petite jeune fille. Elle était très responsable et, d’ailleurs, cela ne m’a pas étonné qu’elle ait plongé dans l’eau pour tenter de sauver sa sœur ».
Philippe, qui a peut-être entendu des bribes de notre conversation avec sa tante, apparaît alors dans le couloir. Tel une ombre. Pour la femme qui nous parle, c’est comme un signal indiquant que, maintenant, nous pouvons entrer dans cette maison où il y a beaucoup de monde. Des membres de la famille, des amis et, bien sûr, des enfants. Le papa d’Amélia et Alison nous salue alors d’un signe de tête à peine perceptible. Il restera encore muet pendant un long moment, près d’un quart d’heure. Avant de parler. «Si je tiens le coup, c’est grâce au soutien de tous mes proches et même des gens du voisinage qui ont été si gentils avec moi. Mais je ne parviens pas à accepter qu’elles ne soient plus là. Je ne ferai jamais le deuil de mes filles sans qu’on ait préalablement retrouvé leurs corps. Au fond de moi, je sais qu’elles ne sont plus là, mais je ne peux m’empêcher de garder un espoir. Je sais que ce n’est pas rationnel, mais je ne peux faire autrement. Je les vois revenir et frapper à la porte en disant : « Papa, Maman, on est là ! Papa, Maman, on est revenues ! N’ayez plus peur… » ». II pleure. Philippe confirme qu’il n’est pas un père plus imprudent qu’un autre. Ce funeste dimanche de janvier, il avait bien été convenu avec les enfants qu’ils ne devaient pas s’éloigner. «Ils jouaient devant chez nous, comme d’habitude. Ils n’étaient pas autorisés à aller près de la Meuse sans être accompagnés. Et pourtant, ce jour-là, pour la première fois, ils l’ont fait. Corentin nous a expliqué qu’ils avaient eu pour idée de trouver des bouchons de bouteilles en plastique. Dans l’école de la petite, on collecte ces bouchons pour soutenir une action en faveur des personnes handicapées… Et il y a, parmi les déchets que rejette la Meuse, des tas de bouteilles qui s’échouent le long de ses berges. Amélia a voulu en pêcher une. Elle est tombée. Sa grande sœur a plongé pour la sauver, non sans avoir d’abord pris la précaution de donner son GSM à Corentin. Quand Alison a vu qu’elle ne s’en sortait pas, elle a dit à son frère de courir me prévenir. Mon gamin a fait aussi vite qu’il a pu. Moi aussi, j’ai couru jusqu’à l’eau, mais quand je suis arrivé, il n’y avait déjà plus personne. Plus de remous, plus rien du tout. J’ai appelé les secours et ils sont très rapidement arrivés mais, malgré le dévouement exemplaire des plongeurs, des policiers et de tous ceux qui ont participé aux recherches, cela n’a servi à rien».
Sylvie, la maman, rentre maintenant dans sa maison et elle se joint à nous. Les yeux hagards, en évident état de choc. De retour de sa promenade quotidienne le long de Meuse, elle a cru pendant un moment avoir vu l’une de ses filles dans un amas de bois flottant. Espoir déçu. Vain. Ambigu aussi. Ne pas les trouver, c’est encore oser croire que tout de même, par miracle… «On se dit que cela n’arrive qu’aux autres et voilà, ce n’est donc pas vrai. Aujourd’hui, je ne peux que penser aux parents de Julie et Mélissa. C’est grâce à leur combat que des personnes comme nous sont mieux soutenues par les autorités. Nous n’avons, en effet, qu’à nous féliciter du travail qui a été réalisé par la cellule Disparitions de la Police fédérale. On ne remerciera jamais assez ces policiers spécialisés». Comme tante Micheline, malgré les prières, Sylvie et Philippe ne comprennent pas le sens de cette douleur qui leur est aujourd’hui imposée. Qu’ont fait ces enfants innocents pour être ainsi privés si vite de vie terrestre ? «C’est que cela devait arriver. Je ne suis en colère contre personne», dit le papa avec une calme résignation. Sylvie partage ce sentiment qui se trouve renforcé par ce qui ressemble aujourd’hui à une troublante prémonition: «Alison adorait une chanson de Mysha. Ces dernières semaines, elle la passait en boucle. Cela s’appelle « L’Amour éternel, partie deux » et c’est l’histoire d’une jeune fille qui commente sa propre mort. N’est-ce pas étrange ? » « Philippe aussi a eu une sorte de prémonition. Il y a trois semaines, il parlait de quitter cette maison trop proche du bord de l’eau», complète tante Micheline.
En sa compagnie, prenant congé de parents trop éprouvés pour encore parler, nous allons nous recueillir un moment sur les berges du fleuve. Par terre, près d’une bite d’amarrage, des bouquets de fleurs ont été déposés à même le sol. Ils s’envoleront, c’est évident, dès que le vent se lèvera. Un symbole encore du caractère éphémère de l’être. La nature est toujours la plus forte, et comme un policier l’a confié aux parents d’Amélia et Alison, c’est la Meuse qui aura le dernier mot. Acceptera-t-elle de rendre les corps de deux fillettes ? Au moins, elle pourrait concéder cela ! Mais il n’y a pas de réponse certaine. Cela pourrait être très bientôt, dans longtemps, peut-être jamais.
C’est finalement avec plus de points d’interrogation que de réponses que nous quittons Engis. Ces questions existentielles que les hommes se posent depuis l’apparition de la pensée. Depuis la nuit des temps.
Angoisse
Où sont-elles ? Les retrouvera-t-on jamais ? Chaque jour, des membres de la famille d’Alison et Amélia, comme ici leur grand-tante Micheline, inspectent les berges de la Meuse qui leur a volé ces enfants.
Pour quelques bouchons
Le fleuve vomit toutes sortes de détritus : des morceaux de bois, des boîtes de conserve, des bouteille en plastique… C’est en tentant de pêcher l’une de ces bouteilles qui flottait tout près du bord qu’Amélia est tombée dans la Meuse. Elle cherchait à récupérer des bouchons dans le cadre d’une collecte qui était organisée dans son école pour soutenir une action en faveur d’enfants handicapés.
C’ETAIT LA VIE. C’EST LE NEANT.
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » (RTL-TVI), le dimanche 23 janvier 2011 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique » du 27 janvier 2011 –
Dimanche, 16 janvier 2011, 15h30. Trois enfants insouciants en ont un peu assez de jouer devant la maison de leurs parents, rue Albert Ier à Engis. Alison, Amélia et Corentin souhaiteraient faire une balade à vélo avec leur père. Fatigué, Philippe Decloux refuse de quitter le canapé familial où il discute tranquillement avec Sylvie, son épouse. La télé est allumée, le temps passe lentement. Paisiblement. Une fin de semaine comme tant d’autres, dans tellement de familles en Belgique. Dimanche, 16 janvier 2011, 15h55. Un enfant crie dans la rue Albert Ier : « Papa, papa, papa ! » Philippe comprend aussitôt que quelque chose de terrible vient de se passer. Corentin s’explique comme il peut. Très vite, avec les mots d’un petit bout de 8 ans. Terrorisé, paniqué, il pleure. Ses soeurs sont en train de se noyer dans le cours d’eau qui coule à moins de cent mètres de la maison familiale, dans cette Meuse au courant fort et froid en cette période de déc rue. Dans un fleuve sombre et cruel qui, déjà, à ce moment, a fini d’avaler les corps des deux petites. Un quart d’heure entre le bonheur calme d’un dimanche après-midi en famille et l’horreur. Un quart d’heure seulement. Entre la vie et le néant.
L’INTERMINABLE ATTENTE, LE DEUIL IMPOSSIBLE.
Jeudi 20 janvier 2011, en début d’après-midi. Micheline Decloux filtre les entrées chez Philippe et Sylvie, les parents d’Alison et Amélia. C’est que, depuis quelques jours, à la douleur et à l’angoisse de la disparition s’est ajoutée l’habituelle frénésie médiatique qui entoure les drames humains. Des journalistes, parfois trop pressés, souvent trop brutaux, se sont succédé à Engis devant le n°2 de la rue Albert Ier. Sonnant, questionnant, formant par moment des grappes aux allures menaçantes sur cette petite voirie où, il y a peu, trois enfants vivaient, jouaient, riaient.
Micheline nous apprend qu’elle est la tante de Philippe Decloux. Les yeux rouges, un mouchoir dans la main, elle nous explique que «le papa serait bien incapable de répondre à des questions. Il a dû prendre des médicaments pour ne pas perdre la tête. La souffrance est trop grande». Elle marque un temps d’arrêt. Elle réfléchit. Et puis, elle nous donne un aperçu de l’océan de douleur dans lequel cette famille tente de ne pas se noyer : «Philippe n’a aucune responsabilité dans ce qui est arrivé. Pourtant, il ne peut s’empêcher de culpabiliser. Quant à Sylvie, la maman, elle est en train d’errer seule, quelque part, sur les berges de la Meuse. L’un comme l’autre, à tour de rôle, ils s’en vont régulièrement se promener le long de l’eau. Sans espoir réel de voir les corps des petites, mais avec le sentiment de se rapprocher d’elles».
Nos regards se croisent. Bien sûr, il y a de la tristesse dans les yeux de cette femme, mais nous y décelons aussi de la colère. Un silence s’installe. Lourd. Long. A quoi sert-il de commenter l’implacable cruauté du destin ? Finalement, elle se lance. Parce qu’elle veut faire passer un message au nom de la famille. Parce qu’à l’état de choc s’est ajoutée une forme d’incompréhension et de dégoût. «N’est-ce pas assez difficile comme cela ?» interroge-t-elle. «Pourquoi des gens, notamment sur les réseaux sociaux comme Facebook, répandent-ils des rumeurs sur Philippe et Sylvie ? Où des inconnus trouvent-ils assez de méchanceté pour rendre les parents responsables du drame qui les frappent ?».
Le ressentiment que nous avions cru percevoir s’exprime alors pleinement : «Des personnes que nous n’avons jamais vues, qui n’ont sans doute jamais mis les pieds à Engis, commentent ce qui est arrivé avec des sous-entendus sur la situation sociale de mon neveu. Comme Philippe est malade depuis quelque temps et qu’il ne travaille plus, comme sa famille nombreuse ne roule pas sur l’or, cela suffit à nourrir les mauvaises langues. Les pauvres, pour certains esprits méchants, ne s’occupent pas bien de leurs gosses. C’est forcé. Voyez-vous la suite du raisonnement ? Ils n’auraient pas dû laisser leurs enfants sans surveillance, c’est de leur faute ce qui est arrivé. Certains pousseront-ils l’ignominie jusqu’à affirmer que notre famille n’a eu que ce qu’elle méritait… Je suis écoeurée. Toute la famille, choquée pour toujours par les faits, est aussi anéantie par ce que certains sont capables d’en dire».
L’immanente injustice de ce monde qui prive de vie des êtres à peine nés – Amélia n’avait que 6 ans, Alison, 12 – ne cesse d’interpeller. Ici, c’est l’eau qui a emporté des enfants ; là, c’est la maladie ; ailleurs, la faim ou la guerre. Incontrôlables effets de multiples hasards, le lieu où l’on voit le jour, le moment… Les conséquences d’un choix, d’une décision prise en quelques secondes. Comme celui d’aller se promener au bord d’un fleuve. Mais pour les Decloux, il ne peut être question de hasard. Il y a juste un mystère. Et ils ont des clés pour l’appréhender : «Nous sommes une famille très croyante», explique tante Micheline. «Je pense que tout cela était écrit. Bien sûr, nous sommes incapables de comprendre le sens de ce qui est arrivé, mais il y a là une volonté supérieure qui s’impose à nous».
Le cynisme de ceux qui jugent et condamnent renvoie cependant moins à la métaphysique qu’à la bêtise. Elle s’est déjà manifestée dans tellement d’autres affaires de disparition ou d’enlèvement ! Ne citons que l’épouvantable cas de Julie et Mélissa, quand des esprits peu éveillés avaient également tenté d’accuser les parents de défaut de surveillance. En dernière analyse, n’y-a-t-il pas là plus de peur que de méchanceté ? Les contempteurs des parents d’enfants disparus ne chercher pas, finalement, à se convaincre qu’un drame aussi insupportable ne pourrait jamais leur arriver ?
Comme si c’était aussi simple. Le destin auquel croit tante Micheline frappe partout, le hasard aveugle et implacable ignore les classes sociales. Bien sûr qu’il s’attaque notamment à des gens bien, à des personnes pas différentes des autres. Comme celles que cette femme veut maintenant nous décrire : «Philippe et Sylvie sont des parents exemplaires. Ils se sont toujours coupés en quatre pour que leurs enfants ne manquent de rien. C’est leur priorité, leur seule priorité. Dans le voisinage, personne ne s’y est jamais trompé : les enfants de cette famille nombreuses ont toujours été rayonnants, souriants, très gentils. Et cela, en tous cas, ce n’est pas le fruit du hasard !»
Pour appuyer son propos, elle rentre dans la maison à la recherche d’une photo qu’elle veut absolument nous montrer – elle se trouve à côté de nous au moment où nous écrivons ces lignes ; vous la voyez aussi en pages précédentes. Tous les enfants Decloux sont là. Souriant, innocents. Une photo insupportable parce qu’elle est trop belle. «De gauche à droite», décrit Micheline, «il y a Corentin, Alison, Amandine, Axelle, Clément, Andréa, Cédric et Amélia. Vous voyez, Alison était déjà une petite jeune fille. Elle était très responsable et, d’ailleurs, cela ne m’a pas étonné qu’elle ait plongé dans l’eau pour tenter de sauver sa sœur ».
Philippe, qui a peut-être entendu des bribes de notre conversation avec sa tante, apparaît alors dans le couloir. Tel une ombre. Pour la femme qui nous parle, c’est comme un signal indiquant que, maintenant, nous pouvons entrer dans cette maison où il y a beaucoup de monde. Des membres de la famille, des amis et, bien sûr, des enfants. Le papa d’Amélia et Alison nous salue alors d’un signe de tête à peine perceptible. Il restera encore muet pendant un long moment, près d’un quart d’heure. Avant de parler. «Si je tiens le coup, c’est grâce au soutien de tous mes proches et même des gens du voisinage qui ont été si gentils avec moi. Mais je ne parviens pas à accepter qu’elles ne soient plus là. Je ne ferai jamais le deuil de mes filles sans qu’on ait préalablement retrouvé leurs corps. Au fond de moi, je sais qu’elles ne sont plus là, mais je ne peux m’empêcher de garder un espoir. Je sais que ce n’est pas rationnel, mais je ne peux faire autrement. Je les vois revenir et frapper à la porte en disant : « Papa, Maman, on est là ! Papa, Maman, on est revenues ! N’ayez plus peur… » ». II pleure. Philippe confirme qu’il n’est pas un père plus imprudent qu’un autre. Ce funeste dimanche de janvier, il avait bien été convenu avec les enfants qu’ils ne devaient pas s’éloigner. «Ils jouaient devant chez nous, comme d’habitude. Ils n’étaient pas autorisés à aller près de la Meuse sans être accompagnés. Et pourtant, ce jour-là, pour la première fois, ils l’ont fait. Corentin nous a expliqué qu’ils avaient eu pour idée de trouver des bouchons de bouteilles en plastique. Dans l’école de la petite, on collecte ces bouchons pour soutenir une action en faveur des personnes handicapées… Et il y a, parmi les déchets que rejette la Meuse, des tas de bouteilles qui s’échouent le long de ses berges. Amélia a voulu en pêcher une. Elle est tombée. Sa grande sœur a plongé pour la sauver, non sans avoir d’abord pris la précaution de donner son GSM à Corentin. Quand Alison a vu qu’elle ne s’en sortait pas, elle a dit à son frère de courir me prévenir. Mon gamin a fait aussi vite qu’il a pu. Moi aussi, j’ai couru jusqu’à l’eau, mais quand je suis arrivé, il n’y avait déjà plus personne. Plus de remous, plus rien du tout. J’ai appelé les secours et ils sont très rapidement arrivés mais, malgré le dévouement exemplaire des plongeurs, des policiers et de tous ceux qui ont participé aux recherches, cela n’a servi à rien».
Sylvie, la maman, rentre maintenant dans sa maison et elle se joint à nous. Les yeux hagards, en évident état de choc. De retour de sa promenade quotidienne le long de Meuse, elle a cru pendant un moment avoir vu l’une de ses filles dans un amas de bois flottant. Espoir déçu. Vain. Ambigu aussi. Ne pas les trouver, c’est encore oser croire que tout de même, par miracle… «On se dit que cela n’arrive qu’aux autres et voilà, ce n’est donc pas vrai. Aujourd’hui, je ne peux que penser aux parents de Julie et Mélissa. C’est grâce à leur combat que des personnes comme nous sont mieux soutenues par les autorités. Nous n’avons, en effet, qu’à nous féliciter du travail qui a été réalisé par la cellule Disparitions de la Police fédérale. On ne remerciera jamais assez ces policiers spécialisés». Comme tante Micheline, malgré les prières, Sylvie et Philippe ne comprennent pas le sens de cette douleur qui leur est aujourd’hui imposée. Qu’ont fait ces enfants innocents pour être ainsi privés si vite de vie terrestre ? «C’est que cela devait arriver. Je ne suis en colère contre personne», dit le papa avec une calme résignation. Sylvie partage ce sentiment qui se trouve renforcé par ce qui ressemble aujourd’hui à une troublante prémonition: «Alison adorait une chanson de Mysha. Ces dernières semaines, elle la passait en boucle. Cela s’appelle « L’Amour éternel, partie deux » et c’est l’histoire d’une jeune fille qui commente sa propre mort. N’est-ce pas étrange ? » « Philippe aussi a eu une sorte de prémonition. Il y a trois semaines, il parlait de quitter cette maison trop proche du bord de l’eau», complète tante Micheline.
En sa compagnie, prenant congé de parents trop éprouvés pour encore parler, nous allons nous recueillir un moment sur les berges du fleuve. Par terre, près d’une bite d’amarrage, des bouquets de fleurs ont été déposés à même le sol. Ils s’envoleront, c’est évident, dès que le vent se lèvera. Un symbole encore du caractère éphémère de l’être. La nature est toujours la plus forte, et comme un policier l’a confié aux parents d’Amélia et Alison, c’est la Meuse qui aura le dernier mot. Acceptera-t-elle de rendre les corps de deux fillettes ? Au moins, elle pourrait concéder cela ! Mais il n’y a pas de réponse certaine. Cela pourrait être très bientôt, dans longtemps, peut-être jamais.
C’est finalement avec plus de points d’interrogation que de réponses que nous quittons Engis. Ces questions existentielles que les hommes se posent depuis l’apparition de la pensée. Depuis la nuit des temps.
Angoisse
Où sont-elles ? Les retrouvera-t-on jamais ? Chaque jour, des membres de la famille d’Alison et Amélia, comme ici leur grand-tante Micheline, inspectent les berges de la Meuse qui leur a volé ces enfants.
Pour quelques bouchons
Le fleuve vomit toutes sortes de détritus : des morceaux de bois, des boîtes de conserve, des bouteille en plastique… C’est en tentant de pêcher l’une de ces bouteilles qui flottait tout près du bord qu’Amélia est tombée dans la Meuse. Elle cherchait à récupérer des bouchons dans le cadre d’une collecte qui était organisée dans son école pour soutenir une action en faveur d’enfants handicapés.
pour avoir très bien connu les petites ainsi que Sylvie Philippe la maman de Sylvie ainsi que ses frères
je suis vraiment plus que attristés de cette tragédie
de grâce que personne ne se permettent de juger quoi que ce soi c est déjà bien malheureux assez
et je puis vous dire que je connais presque tout les enfants du couple et ils sont bien élevés polis gentils
et les parents sont de bon parents
ca me révolte de voir que les gens puissent êtres aussi méchants dans leur propos
je souhaite un énorme courage a Sylvie et Philippe et encore depuis ce soir depuis la retrouvailles de alisson 1 semaine après amélia et je serai la pour eux si ils le souhaitent
de tout cœur avec eux
Serge