Enquête évoquée sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris-Match » le 22 mai 2011 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique », le 26 mai 2011.
Comme personne ne l’ignore, les magistrats ont le devoir d’être impartiaux. Cette garantie de neutralité est si importante pour la crédibilité de la Justice qu’il est même exigé des juges qu’ils veillent à éviter tout comportement pouvant donner ne fût-ce que l’apparence de la partialité. Dans une affaire d’homicide involontaire instruite à Namur, le juge d’instruction Olivier a-t-il franchi le Rubicon?
« On ne peut plus supporter cet état de fait ! On voit venir la prescription, le déni de justice. Cela va faire plus de quatre ans que l’instruction est en cours relativement aux circonstances de la mort de François… et on ne peut plus supporter que le juge d’instruction Olivier reste les bras croisés ! A l’entame du dossier, ce magistrat a ordonné la réalisation de quatre devoirs d’enquête élémentaires. Ensuite, on a eu droit a une longue année de silence, suivie enfin d’un premier accès au dossier qui fut le point de départ d’un parcours du combattant. « Depuis lors, c’est nous, la partie civile, qui faisons l’instruction à la place du magistrat instructeur. On a dû demander la réalisation de vingt-deux devoirs d’enquête complémentaires par le biais de quatre requêtes successives ! Des actes évidents n’ont pas été posés par M. Olivier. Aujourd’hui encore, des devoirs importants restent à faire. On a vraiment l’impression d’être baladés dans cette procédure alors que, dans le même temps, certains comportements du juge ne lui donnent pas toutes les apparences de l’impartialité. »
Sans voix
Les parents de François regrettent de n’avoir pas été invités à expo¬ser leur point de vue devant la chambre des mises en accusation à propos du séjour contesté par eux du magistrat Philippe Oli¬vier au Togo: «Le juge d’instruction a été en-tendu, hors notre pré-sence puisque la loi l’impose. Dans notre requête, nous invo-quions des vacances avec le frère du chirur-gien A. Le juge a argué – à huis clos – d’un voyage académique. Comment une haute cour de justice peut-elle trancher dans un dossier aussi lourd de conséquences pour des justiciables sans leur donner la parole?»
Françoise et Benoît Goffin ne peuvent plus taire leur indignation. Elle est avocate, il est ingénieur. Tous deux connaissent parfaitement bien le dossier dont ils s’inquiètent de l’avancement. Ils pourraient sans doute le décliner par cœur. Et pour cause ! Il s’agit de l’instruction qui doit déterminer si, comme ils le suspectent, leur fils est mort à cause d’erreurs graves commises par des médecins exerçant au sein d’une clinique namuroise.
Sur un site internet dédié à cette triste affaire (1), ces parents en colère donnent leur version des faits : « Le 20 février 2007, vers 14 heures, François, sportif assidu et étudiant en dernière année d’ingénieur industriel, est renversé par un camion alors qu’il circule en vélo à Rhisnes. Une roue lui a écrasé les jambes. Sa cuisse droite est très gonflée. Il souffre énormément. Conscient, il peut raconter l’accident aux ambulanciers. Arrivé aux urgences d’une clinique namuroise, il relate une fois encore l’accident. Après radiographie des jambes et prise de sang, le Dr B., urgentiste, affirme à la maman de François qu’il n’y a pas de fracture, mais uniquement des éraflures et des hématomes. « Par simple mesure de précaution » et « pour mettre au point son traitement par antidouleurs », François restera pour une nuit à l’hôpital. Cette décision est prise par le médecin urgentiste B. et par l’orthopédiste de garde, le D’A., sans que ce dernier ait examiné François.
Avant le transfert en hospitalisation, une échographie de la cuisse droite est réalisée, dont les résultats n’ont jamais été transmis aux parents. Le Dr A. n’ausculte toujours pas François. Vers minuit, soit dix heures après l’admission dans la clinique, la maman du jeune homme alerte le personnel infirmier : François fait un arrêt cardiaque et doit être réanimé. Effectué après la réanimation, le scanner révèle que les reins sont bloqués et les analyses de sang montrent des paramètres très gravement perturbés. Transféré aux soins intensifs, François est opéré à deux reprises aux jambes dans les jours qui suivent, car les artères des deux jambes ont été comprimées ; De nombreuses autres complications s’ensuivent. Après sept jours de lutte, François décède. »
En avril 2007, sur plainte des parents de François, le parquet met le dossier à l’instruction contre X pour homicide involontaire. Immédiatement, la famille de François se constitue partie civile contre l’urgentiste B., l’orthopédiste A. et la clinique. Un collège d’experts est désigné, lequel estimera dans un rapport préliminaire que la mort du jeune homme a été causée par « l’évolution majeure d’un crush syndrome avec libération d’endotoxines à l’origine de troubles du rythme cardiaque, crush syndrome se compliquant par une insuffisance rénale et une insuffisance hépato-cellulaire. »
«NOUS DEVONS MENER L’ENQUETE EN LIEU ET PLACE DU MAGISTRAT»
Ce « crush syndrome » ou « syndrome de décompression » a été mis en lumière par un médecin britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. Il constatait alors que des victimes des bombardements qui avaient eu des membres écrasés par des décombres pouvaient décéder quelques temps après leur sauvetage alors qu’elles ne semblaient pas souffrir de lésions majeures apparentes. La décompression de la masse musculaire écrasée provoque une nécrose, impliquant la libération dans la circulation sanguine de quantités excessives de potassium, de myoglobine, de créatine kinase et d’urates. Le décès, qui survient rapidement après l’installation du « crush syndrome », est le plus souvent causé par une insuffisance rénale aiguë. D’où la nécessité vitale de mettre préventivement les patients victimes d’un écrasement important sous dialyse.
Dans le rapport précité, les experts estiment que le témoignage de François expliquant au médecin urgentiste B. qu’il avait eu les jambes écrasées par un camion «n’a pas été pris suffisamment en considération». Et que «le diagnostic du crush syndrome aurait pu être posé plus tôt ». Un avis partagé par le Pr Philippe Boxho de l’Institut médico-légal de l’Université de Liège, qui s’étonne dans un autre rapport que les contrôles sanguins indispensables n’aient pas été entrepris, tant au service des urgences de la clinique namuroise qu’en son service d’orthopédie où travaille le docteur A. Des examens de biologie médicale qui auraient démontré l’installation du crush syndrome et incité à la mise en œuvre de soins adaptés. Il est aussi reproché au Dr A. d’avoir accepté la prise en charge de ce patient dans son service sans même l’avoir examiné, sur base de la « fausse rassurance » qui lui avait été donnée par le Dr B. La conclusion de ce rapport Boxho est pour le moins tranchante : « Sans ces négligences, M. Goffin ne serait vraisemblablement pas décédé. »
C’est évidemment à la justice de déterminer les responsabilités dans ce dossier. Cela passe par la conduite à terme de l’instruction qui devrait, espèrent les parents de François, se conclure par la tenue d’un débat public devant un tribunal. Encore faut-il que l’instruction soit menée à terme dans un délai raisonnable, autant pour les personnes mises en cause que pour les parties civiles. Et que toutes les questions, à charge comme à décharge, soient soupesées avec diligence par le magistrat instructeur. Or, pour la famille Goffin, on est loin du compte. La maman de la victime accuse encore : « Depuis plusieurs années, les devoirs ordonnés d’initiative par Philippe Olivier se résument vraiment à peau de chagrin. Au départ, il a demandé la levée du dossier médical préparé par la clinique et l’audition de quelques témoins, et a désigné un collège de médecins experts avant d’en terminer par un réquisitoire complémentaire pour rendre l’expertise contradictoire. En fait, l’instruction a démarré à cloche-pied, sur base du postulat un peu naïf que la clinique, également mise en cause dans la constitution de partie civile, allait spontanément donner tout le dossier médical. » « Tout le reste du dossier est lié à des demandes de devoirs complémentaires que nous avons introduites à partir de juillet 2008!» poursuit Benoît Goffin. «Qu’il s’agisse de connaître les qualifications professionnelles de tel intervenant médical ou de saisir des pièces essentielles à la manifestation de la vérité qui n’avaient pas été spontanément communiquées par la clinique. Ou encore de vérifier l’exactitude de certaines déclarations en les recoupant, d’entendre plusieurs témoins clés, notamment les infirmières qui ont été témoins des négligences commises par les médecins… D’ailleurs, si, près de trois années après le début de l’instruction, il y a eu une perquisition à la clinique pour empêcher la disparition de certains éléments de preuve, c’est aussi à la suite d’une de nos requêtes. On est forcés de pousser l’instruction à la place du juge, avec les moyens d’action limités dont dispose la partie civile dans une instruction pénale! Le juge se contentant de faire exécuter les demandes que nous introduisons. »
«C’ETAIT DONC BIEN PLUS DES VACANCES QU’UN SÉJOUR DE TRAVAIL!»
Proximité
Peu importe que le voyage au Togo fût académique ou pas. Inévitablement, ce type de séjour de groupe implique des moments de détente et de proximité. Que ce soit à la table d’un déjeuner au bord du piscine, où le juge est assis en face du frère de l’orthopédiste A., ou à l’occasion d’une excursion d’une journée chez un roi coutumier. Dans cette publication, les visages souriants des participants ont été dissimulés par souci de protection de leur vie privée, mais les pièces originales, de nature à accréditer le reproche de partialité apparente, pourront être utilisées en procédure par la famille Goffin.
Le papa de François continue: «Alors que nous déplorions déjà cet invraisemblable immobilisme, nous avons constaté la possible proximité du juge avec le bâtonnier A., qui n’est autre que le frère de l’orthopédiste A. mis en cause dans notre affaire ! A deux reprises au moins, lors de réceptions officielles du barreau de Namur, nous avons vu que le bâtonnier A. et le juge d’instruction Olivier passaient l’essentiel de la soirée ensemble, à discuter et à rire. Pour nous, ces réceptions furent les seules occasions d’apercevoir le juge d’instruction. De loin. Il n’a jamais estimé utile de nous rencontrer en notre qualité de partie civile. Par la suite, nous avons découvert que le juge et ce bâtonnier A. ont tous les deux participé à un séjour touristique au Togo entre le 23 novembre 2008 et le 3 décembre 2008, c’est-à-dire après le début de l’instruction du dossier portant sur la mort de notre fils. »
En conséquence de quoi, le 23 juin 2010, les parents Goffin introduisaient une requête sur base de l’article 136 du Code d’instruction criminelle devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège. Ils exprimaient ainsi le souhait que le travail du magistrat instructeur fasse l’objet d’une mise sous tutelle par cette juridiction. Me Michel Graindorge, leur avocat, exposait notamment que « les requérants ont le sentiment que le magistrat instructeur ne met pas dans cette affaire la détermination qu’ils sont en droit d’attendre d’un magistrat efficace », que « ce sont eux, à plusieurs reprises, qui ont demandé des devoirs complémentaires multiples et précis », qu’« ils ont le sentiment d’être les seuls acteurs d’une procédure extrêmement délicate et importante puisqu’elle concerne la mort de leur enfant».
A propos du voyage au Togo, l’avocat des Goffin écrivait alors que ses clients « sont inquiets et perplexes quant au fait que le magistrat instructeur est parti en vacances en novembre 2008 avec le frère d’un des médecins impliqués, ce frère étant avocat au barreau de Namur». Estimant que cette « proximité avec le frère de l’un des médecins impliqués interpelle les requérants qui, en d’autres circonstances, n’en auraient pas fait état mais sont obligés de l’évoquer, dès l’instant qu’ils constatent qu’aucune initiative concrète n’est formulée par le magistrat instructeur. »
Le 27 septembre dernier, la chambre des mises en accusation décidait de ne pas donner une suite favorable à cette requête. Estimant, ce qui est étonnant au regard du peu de devoirs réalisés d’initiative par le juge d’instruction, que le travail de ce dernier avait été « minutieux » et « complet ». Soit. A propos du voyage africain contesté, les magistrats de la cour d’appel de Liège se contentaient de prendre acte de ce que « le juge d’instruction a précisé n’avoir aucun lien autres que professionnels avec Me A., avocat au barreau de Namur, qui serait le frère de l’un des médecins concernés. Il a cependant indiqué qu’il s’était trouvé au Togo en même temps que M » A., avec d’autres avocats et magistrats et ce à l’occasion d’un voyage académique, ce qui rentre dans la sphère strictement professionnelle et ne permet pas de mettre en cause l’impartialité ou l’apparence d’impartialité du juge d’instruction. »
Un voyage académique qui rentre dans la sphère professionnelle? Au regard des documents, photos et témoignages apparaissant dans notre enquête, la formule utilisée par le juge d’instruction et relayée par ses collègues liégeois est, disons, assez réductrice. « J’ai participé à ce séjour et je ne l’ai pas mis dans mes frais professionnels parce qu’il s’agissait plutôt d’un voyage mixte. Certes, les avocats qui y ont participé ont eu un peu de travail, mais ils ont eu aussi beaucoup de moments de détente. On ne peut qualifier cela de voyage académique, en tout cas ! » nous confie l’avocat namurois Marc Pieters.
« II s’agissait de nouer des contacts avec nos confrères togolais et de faire du tourisme », poursuit cet interlocuteur. « Les sept avocats qui composaient notre groupe ont fait quelques plaidoiries gratuites pour des détenus togolais. En gros, on a travaillé trois demi-journées. Pour le reste, il y a eu des visites, la plage, le marché aux fétiches – où j’ai conseillé le juge Olivier pour l’achat de masques africains, dont il est friand -, et une journée chez un roi coutumier, un certain Lawson 8, si je ne m’abuse. Des repas. Des cocktails. Ah oui, on est aussi allés voir des reptiles… C’était donc bien plus des vacances qu’un séjour de travail ! Un voyage mixte, je reviens sur cette idée. Quelque chose qui mélange l’utile à l’agréable, mais avec plus d’agréable que d utile. »
Pour remédier à l’imprécision de l’arrêt rendu en cette affaire par la chambre des mises en accusation de Liège, on soulignera que l’ex-bâtonnier A. qui a participé au voyage au Togo est bien le frère du chirurgien A., impliqué dans le dossier Goffin instruit par Philippe Olivier. « Je partageais la chambre de Me A. », reprend Me Pieters. « II était présent pour donner un peu de lustre à notre délégation, vu son statut d’ex-bâtonnier du barreau de Namur. Le juge d’instruction était là parce qu’il a manifesté son désir d’y être. C’est un ami de l’organisateur du voyage. Toutefois, sa présence n’était pas indispensable. Ce séjour était organisé par et pour des avocats. Il se serait passé exactement de la même manière sans la présence de M. Olivier. »
La belle vie
Certes, ce voyage «académique» au Togo a connu des moments protocolaires, notamment dans l’immense villa du bâtonnier de Lomé, et même des plages de vrai travail pour les avocats participants. Mais il y eut aussi beaucoup de temps libre, où des rapports amicaux et complices ont pu se nouer. Que ce soit à l’occasion d’un verre, d’une visite touristique, d’une journée de plage, d’emplettes sur les marchés locaux ou d’une soirée consacrée à fêter l’arrivée du beaujolais nouveau à Lomé. Voici une petite partie de l’album qui nous a été confié par l’un des participants.
Me Pieters ajoute que « dans le programme du voyage, deux conférences ont été inscrites qui devaient être données sar le juge Olivier. En définitive, il n’a fait qu’un petit speech devant dix personnes dans une salle du barreau de Lomé. Cela 3 pris une demi-heure, peut-être une heure avec les courtoises questions qui suivirent. Je me souviens que l’expression « par exemple » était revenue souvent dans ce très court exposé. Une autre causerie était prévue. Philippe Olivier devait aborder « la déontologie du magistrat » devant des avocats togolais qui n’ont visiblement pas jugé utile de se déplacer pour assister à ‘événement. Ce soir-là, tout le groupe belge s’est retrouvé Dour fêter l’arrivée du beaujolais nouveau à Lomé. »
Selon l’avocat namurois, « il n’est donc pas exact de parler de voyage académique ». Et il ajoute que « c’est encore plus abusif en ce qui concerne les deux invités extérieurs au groupe d’avocats, Philippe Olivier et l’expert judiciaire Jean-Pierre Lepape. Ce dernier a passé l’essentiel de son séjour à Faire des photos. »
Nous avons rencontré M. Lepape à Erpent (Namur). A propos du séjour au Togo, c’est assez éclairant, ce témoin utilise le terme de « vacances ». Et à propos des « académiciens » du barreau de Namur, l’expert décrit un «groupe de gais lurons», au sein duquel l’un des participants – pas le juge – était particulièrement accroché à la dive bouteille. Durant ce voyage, l’expert a fait quelques trois cents photos, qu’il nous 3 dit ne plus posséder aujourd’hui. Ce qui ne nous a pas empêché d’en trouver quelques-unes (voir ci-contre).
Personne n’a cependant confié à Paris Match que le juge Olivier et le frère du chirurgien auraient, à Lomé ou ailleurs, entretenu des relations privilégiées, et moins encore qu’ils aient discuté de dossiers judiciaires en cours. D’ailleurs, nous n’avons pas questionné les témoins en ce sens afin d’éviter tout procès d’intention. Ce qui est en débat est bien plus subtil : le comportement du juge – son choix de voyager dans de telles circonstances avec le bâtonnier A. – est-il de nature à créer un doute sur son impartialité? L’observateur extérieur, pas seulement la famille du jeune homme de 21 ans décédé dans la clinique namuroise, ne peut-être que troublé par ces récits et photos de voyage (voir ci-contre). C’est un fait objectif qu’un tel séjour de groupe a pu créer des liens. Le label « académique » ne change rien à l’affaire. Ce que reconnaît Marc Pieters, qui apparaît aussi sur l’une des photos en notre possession, prise le soir de « l’arrivée du beaujolais » à Lomé : « On a voyagé ensemble, on a pris des repas ensemble, on a fait des excursions qui duraient la journée entière. Cela crée évidement de la proximité. Et celle-ci se trouve renforcée quand vous êtes un groupe de neuf Belges qui séjournent à des milliers de kilomètres de chez eux. »
Comme l’explique l’avocat Didier Pire, chargé de cours à l’Université de Liège et membre du Conseil supérieur de la justice, la question de l’impartialité ne se limite pas à bien mener une enquête à charge et à décharge. Elle se juge aussi dans des attitudes, des choix, des apparences qui pourraient donner aux parties à la cause le sentiment qu’un parti-pris est envisageable : « L’impartialité s’impose au juge comme l’exigence de travailler à l’abri de tous préjugés et dans une totale neutralité. (…) Les règles juridiques et en particulier l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, tel qu’il est interprété par la Cour européenne de Strasbourg, exigent aussi du juge une impartialité que Ion qualifie d’objective, c’est-à-dire que le juge ne doit pas seulement être impartial, mais doit également donner l’image de l’impartialité. C’est le fameux adage anglo-saxon « Justice must be done but must also to be seen to be done » (« la justice doit être rendue mais elle doit également paraître comme étant rendue »).<2) Sera-ce le cas dans ce dossier si l’instruction se poursuit sur le même mode, avec le même juge et sans contrôle renforcé? Vu les éléments mis en lumière par cette enquête, les parents de François Goffin et leur avocat envisagent de reposer prochainement la question aux magistrats de la cour d’appel de Liège. •
1 MINUTE, 27 SECONDES
Paris Match a pris contact avec le juge d’instruction Philippe Olivier. Un entretien cordial mais très bref Nous avons informé le magistrat de notre intention de lui poser quelques questions sur l’affaire François Goff in. Alors que, selon les parents de la victime, il ne mènerait pas son instruction avec la célérité qui s’impose. Le magistrat nous a dit qu’il ne répondait jamais aux questions des journalistes. Nous avons insisté dans l’intention de lui exposer que, dans ce dossier, il y avait une polémique importante à propos de laquelle il pourrait tout de même formuler un commentaire qui ne préjudicie pas le secret de l’instruction. Mais nous n’en avons pas eu le temps. Après 1 minute et 27 secondes, il n’y avait plus de voix de l’autre côté de la ligne, juste un grésillement.
(1) www.francois-goffin.be
(2) « Impartialité, récusation, dessaisissement… : les juges ne sont pas intouchables », publié sur le site www.justice-en-ligne.be
Enquête évoquée sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris-Match » le 22 mai 2011 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique », le 26 mai 2011.
Comme personne ne l’ignore, les magistrats ont le devoir d’être impartiaux. Cette garantie de neutralité est si importante pour la crédibilité de la Justice qu’il est même exigé des juges qu’ils veillent à éviter tout comportement pouvant donner ne fût-ce que l’apparence de la partialité. Dans une affaire d’homicide involontaire instruite à Namur, le juge d’instruction Olivier a-t-il franchi le Rubicon?
« On ne peut plus supporter cet état de fait ! On voit venir la prescription, le déni de justice. Cela va faire plus de quatre ans que l’instruction est en cours relativement aux circonstances de la mort de François… et on ne peut plus supporter que le juge d’instruction Olivier reste les bras croisés ! A l’entame du dossier, ce magistrat a ordonné la réalisation de quatre devoirs d’enquête élémentaires. Ensuite, on a eu droit a une longue année de silence, suivie enfin d’un premier accès au dossier qui fut le point de départ d’un parcours du combattant. « Depuis lors, c’est nous, la partie civile, qui faisons l’instruction à la place du magistrat instructeur. On a dû demander la réalisation de vingt-deux devoirs d’enquête complémentaires par le biais de quatre requêtes successives ! Des actes évidents n’ont pas été posés par M. Olivier. Aujourd’hui encore, des devoirs importants restent à faire. On a vraiment l’impression d’être baladés dans cette procédure alors que, dans le même temps, certains comportements du juge ne lui donnent pas toutes les apparences de l’impartialité. »
Sans voix
Les parents de François regrettent de n’avoir pas été invités à expo¬ser leur point de vue devant la chambre des mises en accusation à propos du séjour contesté par eux du magistrat Philippe Oli¬vier au Togo: «Le juge d’instruction a été en-tendu, hors notre pré-sence puisque la loi l’impose. Dans notre requête, nous invo-quions des vacances avec le frère du chirur-gien A. Le juge a argué – à huis clos – d’un voyage académique. Comment une haute cour de justice peut-elle trancher dans un dossier aussi lourd de conséquences pour des justiciables sans leur donner la parole?»
Françoise et Benoît Goffin ne peuvent plus taire leur indignation. Elle est avocate, il est ingénieur. Tous deux connaissent parfaitement bien le dossier dont ils s’inquiètent de l’avancement. Ils pourraient sans doute le décliner par cœur. Et pour cause ! Il s’agit de l’instruction qui doit déterminer si, comme ils le suspectent, leur fils est mort à cause d’erreurs graves commises par des médecins exerçant au sein d’une clinique namuroise.
Sur un site internet dédié à cette triste affaire (1), ces parents en colère donnent leur version des faits : « Le 20 février 2007, vers 14 heures, François, sportif assidu et étudiant en dernière année d’ingénieur industriel, est renversé par un camion alors qu’il circule en vélo à Rhisnes. Une roue lui a écrasé les jambes. Sa cuisse droite est très gonflée. Il souffre énormément. Conscient, il peut raconter l’accident aux ambulanciers. Arrivé aux urgences d’une clinique namuroise, il relate une fois encore l’accident. Après radiographie des jambes et prise de sang, le Dr B., urgentiste, affirme à la maman de François qu’il n’y a pas de fracture, mais uniquement des éraflures et des hématomes. « Par simple mesure de précaution » et « pour mettre au point son traitement par antidouleurs », François restera pour une nuit à l’hôpital. Cette décision est prise par le médecin urgentiste B. et par l’orthopédiste de garde, le D’A., sans que ce dernier ait examiné François.
Avant le transfert en hospitalisation, une échographie de la cuisse droite est réalisée, dont les résultats n’ont jamais été transmis aux parents. Le Dr A. n’ausculte toujours pas François. Vers minuit, soit dix heures après l’admission dans la clinique, la maman du jeune homme alerte le personnel infirmier : François fait un arrêt cardiaque et doit être réanimé. Effectué après la réanimation, le scanner révèle que les reins sont bloqués et les analyses de sang montrent des paramètres très gravement perturbés. Transféré aux soins intensifs, François est opéré à deux reprises aux jambes dans les jours qui suivent, car les artères des deux jambes ont été comprimées ; De nombreuses autres complications s’ensuivent. Après sept jours de lutte, François décède. »
En avril 2007, sur plainte des parents de François, le parquet met le dossier à l’instruction contre X pour homicide involontaire. Immédiatement, la famille de François se constitue partie civile contre l’urgentiste B., l’orthopédiste A. et la clinique. Un collège d’experts est désigné, lequel estimera dans un rapport préliminaire que la mort du jeune homme a été causée par « l’évolution majeure d’un crush syndrome avec libération d’endotoxines à l’origine de troubles du rythme cardiaque, crush syndrome se compliquant par une insuffisance rénale et une insuffisance hépato-cellulaire. »
«NOUS DEVONS MENER L’ENQUETE EN LIEU ET PLACE DU MAGISTRAT»
Ce « crush syndrome » ou « syndrome de décompression » a été mis en lumière par un médecin britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. Il constatait alors que des victimes des bombardements qui avaient eu des membres écrasés par des décombres pouvaient décéder quelques temps après leur sauvetage alors qu’elles ne semblaient pas souffrir de lésions majeures apparentes. La décompression de la masse musculaire écrasée provoque une nécrose, impliquant la libération dans la circulation sanguine de quantités excessives de potassium, de myoglobine, de créatine kinase et d’urates. Le décès, qui survient rapidement après l’installation du « crush syndrome », est le plus souvent causé par une insuffisance rénale aiguë. D’où la nécessité vitale de mettre préventivement les patients victimes d’un écrasement important sous dialyse.
Dans le rapport précité, les experts estiment que le témoignage de François expliquant au médecin urgentiste B. qu’il avait eu les jambes écrasées par un camion «n’a pas été pris suffisamment en considération». Et que «le diagnostic du crush syndrome aurait pu être posé plus tôt ». Un avis partagé par le Pr Philippe Boxho de l’Institut médico-légal de l’Université de Liège, qui s’étonne dans un autre rapport que les contrôles sanguins indispensables n’aient pas été entrepris, tant au service des urgences de la clinique namuroise qu’en son service d’orthopédie où travaille le docteur A. Des examens de biologie médicale qui auraient démontré l’installation du crush syndrome et incité à la mise en œuvre de soins adaptés. Il est aussi reproché au Dr A. d’avoir accepté la prise en charge de ce patient dans son service sans même l’avoir examiné, sur base de la « fausse rassurance » qui lui avait été donnée par le Dr B. La conclusion de ce rapport Boxho est pour le moins tranchante : « Sans ces négligences, M. Goffin ne serait vraisemblablement pas décédé. »
C’est évidemment à la justice de déterminer les responsabilités dans ce dossier. Cela passe par la conduite à terme de l’instruction qui devrait, espèrent les parents de François, se conclure par la tenue d’un débat public devant un tribunal. Encore faut-il que l’instruction soit menée à terme dans un délai raisonnable, autant pour les personnes mises en cause que pour les parties civiles. Et que toutes les questions, à charge comme à décharge, soient soupesées avec diligence par le magistrat instructeur. Or, pour la famille Goffin, on est loin du compte. La maman de la victime accuse encore : « Depuis plusieurs années, les devoirs ordonnés d’initiative par Philippe Olivier se résument vraiment à peau de chagrin. Au départ, il a demandé la levée du dossier médical préparé par la clinique et l’audition de quelques témoins, et a désigné un collège de médecins experts avant d’en terminer par un réquisitoire complémentaire pour rendre l’expertise contradictoire. En fait, l’instruction a démarré à cloche-pied, sur base du postulat un peu naïf que la clinique, également mise en cause dans la constitution de partie civile, allait spontanément donner tout le dossier médical. » « Tout le reste du dossier est lié à des demandes de devoirs complémentaires que nous avons introduites à partir de juillet 2008!» poursuit Benoît Goffin. «Qu’il s’agisse de connaître les qualifications professionnelles de tel intervenant médical ou de saisir des pièces essentielles à la manifestation de la vérité qui n’avaient pas été spontanément communiquées par la clinique. Ou encore de vérifier l’exactitude de certaines déclarations en les recoupant, d’entendre plusieurs témoins clés, notamment les infirmières qui ont été témoins des négligences commises par les médecins… D’ailleurs, si, près de trois années après le début de l’instruction, il y a eu une perquisition à la clinique pour empêcher la disparition de certains éléments de preuve, c’est aussi à la suite d’une de nos requêtes. On est forcés de pousser l’instruction à la place du juge, avec les moyens d’action limités dont dispose la partie civile dans une instruction pénale! Le juge se contentant de faire exécuter les demandes que nous introduisons. »
«C’ETAIT DONC BIEN PLUS DES VACANCES QU’UN SÉJOUR DE TRAVAIL!»
Proximité
Peu importe que le voyage au Togo fût académique ou pas. Inévitablement, ce type de séjour de groupe implique des moments de détente et de proximité. Que ce soit à la table d’un déjeuner au bord du piscine, où le juge est assis en face du frère de l’orthopédiste A., ou à l’occasion d’une excursion d’une journée chez un roi coutumier. Dans cette publication, les visages souriants des participants ont été dissimulés par souci de protection de leur vie privée, mais les pièces originales, de nature à accréditer le reproche de partialité apparente, pourront être utilisées en procédure par la famille Goffin.
Le papa de François continue: «Alors que nous déplorions déjà cet invraisemblable immobilisme, nous avons constaté la possible proximité du juge avec le bâtonnier A., qui n’est autre que le frère de l’orthopédiste A. mis en cause dans notre affaire ! A deux reprises au moins, lors de réceptions officielles du barreau de Namur, nous avons vu que le bâtonnier A. et le juge d’instruction Olivier passaient l’essentiel de la soirée ensemble, à discuter et à rire. Pour nous, ces réceptions furent les seules occasions d’apercevoir le juge d’instruction. De loin. Il n’a jamais estimé utile de nous rencontrer en notre qualité de partie civile. Par la suite, nous avons découvert que le juge et ce bâtonnier A. ont tous les deux participé à un séjour touristique au Togo entre le 23 novembre 2008 et le 3 décembre 2008, c’est-à-dire après le début de l’instruction du dossier portant sur la mort de notre fils. »
En conséquence de quoi, le 23 juin 2010, les parents Goffin introduisaient une requête sur base de l’article 136 du Code d’instruction criminelle devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège. Ils exprimaient ainsi le souhait que le travail du magistrat instructeur fasse l’objet d’une mise sous tutelle par cette juridiction. Me Michel Graindorge, leur avocat, exposait notamment que « les requérants ont le sentiment que le magistrat instructeur ne met pas dans cette affaire la détermination qu’ils sont en droit d’attendre d’un magistrat efficace », que « ce sont eux, à plusieurs reprises, qui ont demandé des devoirs complémentaires multiples et précis », qu’« ils ont le sentiment d’être les seuls acteurs d’une procédure extrêmement délicate et importante puisqu’elle concerne la mort de leur enfant».
A propos du voyage au Togo, l’avocat des Goffin écrivait alors que ses clients « sont inquiets et perplexes quant au fait que le magistrat instructeur est parti en vacances en novembre 2008 avec le frère d’un des médecins impliqués, ce frère étant avocat au barreau de Namur». Estimant que cette « proximité avec le frère de l’un des médecins impliqués interpelle les requérants qui, en d’autres circonstances, n’en auraient pas fait état mais sont obligés de l’évoquer, dès l’instant qu’ils constatent qu’aucune initiative concrète n’est formulée par le magistrat instructeur. »
Le 27 septembre dernier, la chambre des mises en accusation décidait de ne pas donner une suite favorable à cette requête. Estimant, ce qui est étonnant au regard du peu de devoirs réalisés d’initiative par le juge d’instruction, que le travail de ce dernier avait été « minutieux » et « complet ». Soit. A propos du voyage africain contesté, les magistrats de la cour d’appel de Liège se contentaient de prendre acte de ce que « le juge d’instruction a précisé n’avoir aucun lien autres que professionnels avec Me A., avocat au barreau de Namur, qui serait le frère de l’un des médecins concernés. Il a cependant indiqué qu’il s’était trouvé au Togo en même temps que M » A., avec d’autres avocats et magistrats et ce à l’occasion d’un voyage académique, ce qui rentre dans la sphère strictement professionnelle et ne permet pas de mettre en cause l’impartialité ou l’apparence d’impartialité du juge d’instruction. »
Un voyage académique qui rentre dans la sphère professionnelle? Au regard des documents, photos et témoignages apparaissant dans notre enquête, la formule utilisée par le juge d’instruction et relayée par ses collègues liégeois est, disons, assez réductrice. « J’ai participé à ce séjour et je ne l’ai pas mis dans mes frais professionnels parce qu’il s’agissait plutôt d’un voyage mixte. Certes, les avocats qui y ont participé ont eu un peu de travail, mais ils ont eu aussi beaucoup de moments de détente. On ne peut qualifier cela de voyage académique, en tout cas ! » nous confie l’avocat namurois Marc Pieters.
« II s’agissait de nouer des contacts avec nos confrères togolais et de faire du tourisme », poursuit cet interlocuteur. « Les sept avocats qui composaient notre groupe ont fait quelques plaidoiries gratuites pour des détenus togolais. En gros, on a travaillé trois demi-journées. Pour le reste, il y a eu des visites, la plage, le marché aux fétiches – où j’ai conseillé le juge Olivier pour l’achat de masques africains, dont il est friand -, et une journée chez un roi coutumier, un certain Lawson 8, si je ne m’abuse. Des repas. Des cocktails. Ah oui, on est aussi allés voir des reptiles… C’était donc bien plus des vacances qu’un séjour de travail ! Un voyage mixte, je reviens sur cette idée. Quelque chose qui mélange l’utile à l’agréable, mais avec plus d’agréable que d utile. »
Pour remédier à l’imprécision de l’arrêt rendu en cette affaire par la chambre des mises en accusation de Liège, on soulignera que l’ex-bâtonnier A. qui a participé au voyage au Togo est bien le frère du chirurgien A., impliqué dans le dossier Goffin instruit par Philippe Olivier. « Je partageais la chambre de Me A. », reprend Me Pieters. « II était présent pour donner un peu de lustre à notre délégation, vu son statut d’ex-bâtonnier du barreau de Namur. Le juge d’instruction était là parce qu’il a manifesté son désir d’y être. C’est un ami de l’organisateur du voyage. Toutefois, sa présence n’était pas indispensable. Ce séjour était organisé par et pour des avocats. Il se serait passé exactement de la même manière sans la présence de M. Olivier. »
La belle vie
Certes, ce voyage «académique» au Togo a connu des moments protocolaires, notamment dans l’immense villa du bâtonnier de Lomé, et même des plages de vrai travail pour les avocats participants. Mais il y eut aussi beaucoup de temps libre, où des rapports amicaux et complices ont pu se nouer. Que ce soit à l’occasion d’un verre, d’une visite touristique, d’une journée de plage, d’emplettes sur les marchés locaux ou d’une soirée consacrée à fêter l’arrivée du beaujolais nouveau à Lomé. Voici une petite partie de l’album qui nous a été confié par l’un des participants.
Me Pieters ajoute que « dans le programme du voyage, deux conférences ont été inscrites qui devaient être données sar le juge Olivier. En définitive, il n’a fait qu’un petit speech devant dix personnes dans une salle du barreau de Lomé. Cela 3 pris une demi-heure, peut-être une heure avec les courtoises questions qui suivirent. Je me souviens que l’expression « par exemple » était revenue souvent dans ce très court exposé. Une autre causerie était prévue. Philippe Olivier devait aborder « la déontologie du magistrat » devant des avocats togolais qui n’ont visiblement pas jugé utile de se déplacer pour assister à ‘événement. Ce soir-là, tout le groupe belge s’est retrouvé Dour fêter l’arrivée du beaujolais nouveau à Lomé. »
Selon l’avocat namurois, « il n’est donc pas exact de parler de voyage académique ». Et il ajoute que « c’est encore plus abusif en ce qui concerne les deux invités extérieurs au groupe d’avocats, Philippe Olivier et l’expert judiciaire Jean-Pierre Lepape. Ce dernier a passé l’essentiel de son séjour à Faire des photos. »
Nous avons rencontré M. Lepape à Erpent (Namur). A propos du séjour au Togo, c’est assez éclairant, ce témoin utilise le terme de « vacances ». Et à propos des « académiciens » du barreau de Namur, l’expert décrit un «groupe de gais lurons», au sein duquel l’un des participants – pas le juge – était particulièrement accroché à la dive bouteille. Durant ce voyage, l’expert a fait quelques trois cents photos, qu’il nous 3 dit ne plus posséder aujourd’hui. Ce qui ne nous a pas empêché d’en trouver quelques-unes (voir ci-contre).
Personne n’a cependant confié à Paris Match que le juge Olivier et le frère du chirurgien auraient, à Lomé ou ailleurs, entretenu des relations privilégiées, et moins encore qu’ils aient discuté de dossiers judiciaires en cours. D’ailleurs, nous n’avons pas questionné les témoins en ce sens afin d’éviter tout procès d’intention. Ce qui est en débat est bien plus subtil : le comportement du juge – son choix de voyager dans de telles circonstances avec le bâtonnier A. – est-il de nature à créer un doute sur son impartialité? L’observateur extérieur, pas seulement la famille du jeune homme de 21 ans décédé dans la clinique namuroise, ne peut-être que troublé par ces récits et photos de voyage (voir ci-contre). C’est un fait objectif qu’un tel séjour de groupe a pu créer des liens. Le label « académique » ne change rien à l’affaire. Ce que reconnaît Marc Pieters, qui apparaît aussi sur l’une des photos en notre possession, prise le soir de « l’arrivée du beaujolais » à Lomé : « On a voyagé ensemble, on a pris des repas ensemble, on a fait des excursions qui duraient la journée entière. Cela crée évidement de la proximité. Et celle-ci se trouve renforcée quand vous êtes un groupe de neuf Belges qui séjournent à des milliers de kilomètres de chez eux. »
Comme l’explique l’avocat Didier Pire, chargé de cours à l’Université de Liège et membre du Conseil supérieur de la justice, la question de l’impartialité ne se limite pas à bien mener une enquête à charge et à décharge. Elle se juge aussi dans des attitudes, des choix, des apparences qui pourraient donner aux parties à la cause le sentiment qu’un parti-pris est envisageable : « L’impartialité s’impose au juge comme l’exigence de travailler à l’abri de tous préjugés et dans une totale neutralité. (…) Les règles juridiques et en particulier l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, tel qu’il est interprété par la Cour européenne de Strasbourg, exigent aussi du juge une impartialité que Ion qualifie d’objective, c’est-à-dire que le juge ne doit pas seulement être impartial, mais doit également donner l’image de l’impartialité. C’est le fameux adage anglo-saxon « Justice must be done but must also to be seen to be done » (« la justice doit être rendue mais elle doit également paraître comme étant rendue »).<2) Sera-ce le cas dans ce dossier si l’instruction se poursuit sur le même mode, avec le même juge et sans contrôle renforcé? Vu les éléments mis en lumière par cette enquête, les parents de François Goffin et leur avocat envisagent de reposer prochainement la question aux magistrats de la cour d’appel de Liège. •
1 MINUTE, 27 SECONDES
Paris Match a pris contact avec le juge d’instruction Philippe Olivier. Un entretien cordial mais très bref Nous avons informé le magistrat de notre intention de lui poser quelques questions sur l’affaire François Goff in. Alors que, selon les parents de la victime, il ne mènerait pas son instruction avec la célérité qui s’impose. Le magistrat nous a dit qu’il ne répondait jamais aux questions des journalistes. Nous avons insisté dans l’intention de lui exposer que, dans ce dossier, il y avait une polémique importante à propos de laquelle il pourrait tout de même formuler un commentaire qui ne préjudicie pas le secret de l’instruction. Mais nous n’en avons pas eu le temps. Après 1 minute et 27 secondes, il n’y avait plus de voix de l’autre côté de la ligne, juste un grésillement.
(1) www.francois-goffin.be
(2) « Impartialité, récusation, dessaisissement… : les juges ne sont pas intouchables », publié sur le site www.justice-en-ligne.be
Enquête évoquée sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris-Match » le 22 mai 2011 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique », le 26 mai 2011.
Comme personne ne l’ignore, les magistrats ont le devoir d’être impartiaux. Cette garantie de neutralité est si importante pour la crédibilité de la Justice qu’il est même exigé des juges qu’ils veillent à éviter tout comportement pouvant donner ne fût-ce que l’apparence de la partialité. Dans une affaire d’homicide involontaire instruite à Namur, le juge d’instruction Olivier a-t-il franchi le Rubicon?
« On ne peut plus supporter cet état de fait ! On voit venir la prescription, le déni de justice. Cela va faire plus de quatre ans que l’instruction est en cours relativement aux circonstances de la mort de François… et on ne peut plus supporter que le juge d’instruction Olivier reste les bras croisés ! A l’entame du dossier, ce magistrat a ordonné la réalisation de quatre devoirs d’enquête élémentaires. Ensuite, on a eu droit a une longue année de silence, suivie enfin d’un premier accès au dossier qui fut le point de départ d’un parcours du combattant. « Depuis lors, c’est nous, la partie civile, qui faisons l’instruction à la place du magistrat instructeur. On a dû demander la réalisation de vingt-deux devoirs d’enquête complémentaires par le biais de quatre requêtes successives ! Des actes évidents n’ont pas été posés par M. Olivier. Aujourd’hui encore, des devoirs importants restent à faire. On a vraiment l’impression d’être baladés dans cette procédure alors que, dans le même temps, certains comportements du juge ne lui donnent pas toutes les apparences de l’impartialité. »
Sans voix
Les parents de François regrettent de n’avoir pas été invités à expo¬ser leur point de vue devant la chambre des mises en accusation à propos du séjour contesté par eux du magistrat Philippe Oli¬vier au Togo: «Le juge d’instruction a été en-tendu, hors notre pré-sence puisque la loi l’impose. Dans notre requête, nous invo-quions des vacances avec le frère du chirur-gien A. Le juge a argué – à huis clos – d’un voyage académique. Comment une haute cour de justice peut-elle trancher dans un dossier aussi lourd de conséquences pour des justiciables sans leur donner la parole?»
Françoise et Benoît Goffin ne peuvent plus taire leur indignation. Elle est avocate, il est ingénieur. Tous deux connaissent parfaitement bien le dossier dont ils s’inquiètent de l’avancement. Ils pourraient sans doute le décliner par cœur. Et pour cause ! Il s’agit de l’instruction qui doit déterminer si, comme ils le suspectent, leur fils est mort à cause d’erreurs graves commises par des médecins exerçant au sein d’une clinique namuroise.
Sur un site internet dédié à cette triste affaire (1), ces parents en colère donnent leur version des faits : « Le 20 février 2007, vers 14 heures, François, sportif assidu et étudiant en dernière année d’ingénieur industriel, est renversé par un camion alors qu’il circule en vélo à Rhisnes. Une roue lui a écrasé les jambes. Sa cuisse droite est très gonflée. Il souffre énormément. Conscient, il peut raconter l’accident aux ambulanciers. Arrivé aux urgences d’une clinique namuroise, il relate une fois encore l’accident. Après radiographie des jambes et prise de sang, le Dr B., urgentiste, affirme à la maman de François qu’il n’y a pas de fracture, mais uniquement des éraflures et des hématomes. « Par simple mesure de précaution » et « pour mettre au point son traitement par antidouleurs », François restera pour une nuit à l’hôpital. Cette décision est prise par le médecin urgentiste B. et par l’orthopédiste de garde, le D’A., sans que ce dernier ait examiné François.
Avant le transfert en hospitalisation, une échographie de la cuisse droite est réalisée, dont les résultats n’ont jamais été transmis aux parents. Le Dr A. n’ausculte toujours pas François. Vers minuit, soit dix heures après l’admission dans la clinique, la maman du jeune homme alerte le personnel infirmier : François fait un arrêt cardiaque et doit être réanimé. Effectué après la réanimation, le scanner révèle que les reins sont bloqués et les analyses de sang montrent des paramètres très gravement perturbés. Transféré aux soins intensifs, François est opéré à deux reprises aux jambes dans les jours qui suivent, car les artères des deux jambes ont été comprimées ; De nombreuses autres complications s’ensuivent. Après sept jours de lutte, François décède. »
En avril 2007, sur plainte des parents de François, le parquet met le dossier à l’instruction contre X pour homicide involontaire. Immédiatement, la famille de François se constitue partie civile contre l’urgentiste B., l’orthopédiste A. et la clinique. Un collège d’experts est désigné, lequel estimera dans un rapport préliminaire que la mort du jeune homme a été causée par « l’évolution majeure d’un crush syndrome avec libération d’endotoxines à l’origine de troubles du rythme cardiaque, crush syndrome se compliquant par une insuffisance rénale et une insuffisance hépato-cellulaire. »
«NOUS DEVONS MENER L’ENQUETE EN LIEU ET PLACE DU MAGISTRAT»
Ce « crush syndrome » ou « syndrome de décompression » a été mis en lumière par un médecin britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. Il constatait alors que des victimes des bombardements qui avaient eu des membres écrasés par des décombres pouvaient décéder quelques temps après leur sauvetage alors qu’elles ne semblaient pas souffrir de lésions majeures apparentes. La décompression de la masse musculaire écrasée provoque une nécrose, impliquant la libération dans la circulation sanguine de quantités excessives de potassium, de myoglobine, de créatine kinase et d’urates. Le décès, qui survient rapidement après l’installation du « crush syndrome », est le plus souvent causé par une insuffisance rénale aiguë. D’où la nécessité vitale de mettre préventivement les patients victimes d’un écrasement important sous dialyse.
Dans le rapport précité, les experts estiment que le témoignage de François expliquant au médecin urgentiste B. qu’il avait eu les jambes écrasées par un camion «n’a pas été pris suffisamment en considération». Et que «le diagnostic du crush syndrome aurait pu être posé plus tôt ». Un avis partagé par le Pr Philippe Boxho de l’Institut médico-légal de l’Université de Liège, qui s’étonne dans un autre rapport que les contrôles sanguins indispensables n’aient pas été entrepris, tant au service des urgences de la clinique namuroise qu’en son service d’orthopédie où travaille le docteur A. Des examens de biologie médicale qui auraient démontré l’installation du crush syndrome et incité à la mise en œuvre de soins adaptés. Il est aussi reproché au Dr A. d’avoir accepté la prise en charge de ce patient dans son service sans même l’avoir examiné, sur base de la « fausse rassurance » qui lui avait été donnée par le Dr B. La conclusion de ce rapport Boxho est pour le moins tranchante : « Sans ces négligences, M. Goffin ne serait vraisemblablement pas décédé. »
C’est évidemment à la justice de déterminer les responsabilités dans ce dossier. Cela passe par la conduite à terme de l’instruction qui devrait, espèrent les parents de François, se conclure par la tenue d’un débat public devant un tribunal. Encore faut-il que l’instruction soit menée à terme dans un délai raisonnable, autant pour les personnes mises en cause que pour les parties civiles. Et que toutes les questions, à charge comme à décharge, soient soupesées avec diligence par le magistrat instructeur. Or, pour la famille Goffin, on est loin du compte. La maman de la victime accuse encore : « Depuis plusieurs années, les devoirs ordonnés d’initiative par Philippe Olivier se résument vraiment à peau de chagrin. Au départ, il a demandé la levée du dossier médical préparé par la clinique et l’audition de quelques témoins, et a désigné un collège de médecins experts avant d’en terminer par un réquisitoire complémentaire pour rendre l’expertise contradictoire. En fait, l’instruction a démarré à cloche-pied, sur base du postulat un peu naïf que la clinique, également mise en cause dans la constitution de partie civile, allait spontanément donner tout le dossier médical. » « Tout le reste du dossier est lié à des demandes de devoirs complémentaires que nous avons introduites à partir de juillet 2008!» poursuit Benoît Goffin. «Qu’il s’agisse de connaître les qualifications professionnelles de tel intervenant médical ou de saisir des pièces essentielles à la manifestation de la vérité qui n’avaient pas été spontanément communiquées par la clinique. Ou encore de vérifier l’exactitude de certaines déclarations en les recoupant, d’entendre plusieurs témoins clés, notamment les infirmières qui ont été témoins des négligences commises par les médecins… D’ailleurs, si, près de trois années après le début de l’instruction, il y a eu une perquisition à la clinique pour empêcher la disparition de certains éléments de preuve, c’est aussi à la suite d’une de nos requêtes. On est forcés de pousser l’instruction à la place du juge, avec les moyens d’action limités dont dispose la partie civile dans une instruction pénale! Le juge se contentant de faire exécuter les demandes que nous introduisons. »
«C’ETAIT DONC BIEN PLUS DES VACANCES QU’UN SÉJOUR DE TRAVAIL!»
Proximité
Peu importe que le voyage au Togo fût académique ou pas. Inévitablement, ce type de séjour de groupe implique des moments de détente et de proximité. Que ce soit à la table d’un déjeuner au bord du piscine, où le juge est assis en face du frère de l’orthopédiste A., ou à l’occasion d’une excursion d’une journée chez un roi coutumier. Dans cette publication, les visages souriants des participants ont été dissimulés par souci de protection de leur vie privée, mais les pièces originales, de nature à accréditer le reproche de partialité apparente, pourront être utilisées en procédure par la famille Goffin.
Le papa de François continue: «Alors que nous déplorions déjà cet invraisemblable immobilisme, nous avons constaté la possible proximité du juge avec le bâtonnier A., qui n’est autre que le frère de l’orthopédiste A. mis en cause dans notre affaire ! A deux reprises au moins, lors de réceptions officielles du barreau de Namur, nous avons vu que le bâtonnier A. et le juge d’instruction Olivier passaient l’essentiel de la soirée ensemble, à discuter et à rire. Pour nous, ces réceptions furent les seules occasions d’apercevoir le juge d’instruction. De loin. Il n’a jamais estimé utile de nous rencontrer en notre qualité de partie civile. Par la suite, nous avons découvert que le juge et ce bâtonnier A. ont tous les deux participé à un séjour touristique au Togo entre le 23 novembre 2008 et le 3 décembre 2008, c’est-à-dire après le début de l’instruction du dossier portant sur la mort de notre fils. »
En conséquence de quoi, le 23 juin 2010, les parents Goffin introduisaient une requête sur base de l’article 136 du Code d’instruction criminelle devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège. Ils exprimaient ainsi le souhait que le travail du magistrat instructeur fasse l’objet d’une mise sous tutelle par cette juridiction. Me Michel Graindorge, leur avocat, exposait notamment que « les requérants ont le sentiment que le magistrat instructeur ne met pas dans cette affaire la détermination qu’ils sont en droit d’attendre d’un magistrat efficace », que « ce sont eux, à plusieurs reprises, qui ont demandé des devoirs complémentaires multiples et précis », qu’« ils ont le sentiment d’être les seuls acteurs d’une procédure extrêmement délicate et importante puisqu’elle concerne la mort de leur enfant».
A propos du voyage au Togo, l’avocat des Goffin écrivait alors que ses clients « sont inquiets et perplexes quant au fait que le magistrat instructeur est parti en vacances en novembre 2008 avec le frère d’un des médecins impliqués, ce frère étant avocat au barreau de Namur». Estimant que cette « proximité avec le frère de l’un des médecins impliqués interpelle les requérants qui, en d’autres circonstances, n’en auraient pas fait état mais sont obligés de l’évoquer, dès l’instant qu’ils constatent qu’aucune initiative concrète n’est formulée par le magistrat instructeur. »
Le 27 septembre dernier, la chambre des mises en accusation décidait de ne pas donner une suite favorable à cette requête. Estimant, ce qui est étonnant au regard du peu de devoirs réalisés d’initiative par le juge d’instruction, que le travail de ce dernier avait été « minutieux » et « complet ». Soit. A propos du voyage africain contesté, les magistrats de la cour d’appel de Liège se contentaient de prendre acte de ce que « le juge d’instruction a précisé n’avoir aucun lien autres que professionnels avec Me A., avocat au barreau de Namur, qui serait le frère de l’un des médecins concernés. Il a cependant indiqué qu’il s’était trouvé au Togo en même temps que M » A., avec d’autres avocats et magistrats et ce à l’occasion d’un voyage académique, ce qui rentre dans la sphère strictement professionnelle et ne permet pas de mettre en cause l’impartialité ou l’apparence d’impartialité du juge d’instruction. »
Un voyage académique qui rentre dans la sphère professionnelle? Au regard des documents, photos et témoignages apparaissant dans notre enquête, la formule utilisée par le juge d’instruction et relayée par ses collègues liégeois est, disons, assez réductrice. « J’ai participé à ce séjour et je ne l’ai pas mis dans mes frais professionnels parce qu’il s’agissait plutôt d’un voyage mixte. Certes, les avocats qui y ont participé ont eu un peu de travail, mais ils ont eu aussi beaucoup de moments de détente. On ne peut qualifier cela de voyage académique, en tout cas ! » nous confie l’avocat namurois Marc Pieters.
« II s’agissait de nouer des contacts avec nos confrères togolais et de faire du tourisme », poursuit cet interlocuteur. « Les sept avocats qui composaient notre groupe ont fait quelques plaidoiries gratuites pour des détenus togolais. En gros, on a travaillé trois demi-journées. Pour le reste, il y a eu des visites, la plage, le marché aux fétiches – où j’ai conseillé le juge Olivier pour l’achat de masques africains, dont il est friand -, et une journée chez un roi coutumier, un certain Lawson 8, si je ne m’abuse. Des repas. Des cocktails. Ah oui, on est aussi allés voir des reptiles… C’était donc bien plus des vacances qu’un séjour de travail ! Un voyage mixte, je reviens sur cette idée. Quelque chose qui mélange l’utile à l’agréable, mais avec plus d’agréable que d utile. »
Pour remédier à l’imprécision de l’arrêt rendu en cette affaire par la chambre des mises en accusation de Liège, on soulignera que l’ex-bâtonnier A. qui a participé au voyage au Togo est bien le frère du chirurgien A., impliqué dans le dossier Goffin instruit par Philippe Olivier. « Je partageais la chambre de Me A. », reprend Me Pieters. « II était présent pour donner un peu de lustre à notre délégation, vu son statut d’ex-bâtonnier du barreau de Namur. Le juge d’instruction était là parce qu’il a manifesté son désir d’y être. C’est un ami de l’organisateur du voyage. Toutefois, sa présence n’était pas indispensable. Ce séjour était organisé par et pour des avocats. Il se serait passé exactement de la même manière sans la présence de M. Olivier. »
La belle vie
Certes, ce voyage «académique» au Togo a connu des moments protocolaires, notamment dans l’immense villa du bâtonnier de Lomé, et même des plages de vrai travail pour les avocats participants. Mais il y eut aussi beaucoup de temps libre, où des rapports amicaux et complices ont pu se nouer. Que ce soit à l’occasion d’un verre, d’une visite touristique, d’une journée de plage, d’emplettes sur les marchés locaux ou d’une soirée consacrée à fêter l’arrivée du beaujolais nouveau à Lomé. Voici une petite partie de l’album qui nous a été confié par l’un des participants.
Me Pieters ajoute que « dans le programme du voyage, deux conférences ont été inscrites qui devaient être données sar le juge Olivier. En définitive, il n’a fait qu’un petit speech devant dix personnes dans une salle du barreau de Lomé. Cela 3 pris une demi-heure, peut-être une heure avec les courtoises questions qui suivirent. Je me souviens que l’expression « par exemple » était revenue souvent dans ce très court exposé. Une autre causerie était prévue. Philippe Olivier devait aborder « la déontologie du magistrat » devant des avocats togolais qui n’ont visiblement pas jugé utile de se déplacer pour assister à ‘événement. Ce soir-là, tout le groupe belge s’est retrouvé Dour fêter l’arrivée du beaujolais nouveau à Lomé. »
Selon l’avocat namurois, « il n’est donc pas exact de parler de voyage académique ». Et il ajoute que « c’est encore plus abusif en ce qui concerne les deux invités extérieurs au groupe d’avocats, Philippe Olivier et l’expert judiciaire Jean-Pierre Lepape. Ce dernier a passé l’essentiel de son séjour à Faire des photos. »
Nous avons rencontré M. Lepape à Erpent (Namur). A propos du séjour au Togo, c’est assez éclairant, ce témoin utilise le terme de « vacances ». Et à propos des « académiciens » du barreau de Namur, l’expert décrit un «groupe de gais lurons», au sein duquel l’un des participants – pas le juge – était particulièrement accroché à la dive bouteille. Durant ce voyage, l’expert a fait quelques trois cents photos, qu’il nous 3 dit ne plus posséder aujourd’hui. Ce qui ne nous a pas empêché d’en trouver quelques-unes (voir ci-contre).
Personne n’a cependant confié à Paris Match que le juge Olivier et le frère du chirurgien auraient, à Lomé ou ailleurs, entretenu des relations privilégiées, et moins encore qu’ils aient discuté de dossiers judiciaires en cours. D’ailleurs, nous n’avons pas questionné les témoins en ce sens afin d’éviter tout procès d’intention. Ce qui est en débat est bien plus subtil : le comportement du juge – son choix de voyager dans de telles circonstances avec le bâtonnier A. – est-il de nature à créer un doute sur son impartialité? L’observateur extérieur, pas seulement la famille du jeune homme de 21 ans décédé dans la clinique namuroise, ne peut-être que troublé par ces récits et photos de voyage (voir ci-contre). C’est un fait objectif qu’un tel séjour de groupe a pu créer des liens. Le label « académique » ne change rien à l’affaire. Ce que reconnaît Marc Pieters, qui apparaît aussi sur l’une des photos en notre possession, prise le soir de « l’arrivée du beaujolais » à Lomé : « On a voyagé ensemble, on a pris des repas ensemble, on a fait des excursions qui duraient la journée entière. Cela crée évidement de la proximité. Et celle-ci se trouve renforcée quand vous êtes un groupe de neuf Belges qui séjournent à des milliers de kilomètres de chez eux. »
Comme l’explique l’avocat Didier Pire, chargé de cours à l’Université de Liège et membre du Conseil supérieur de la justice, la question de l’impartialité ne se limite pas à bien mener une enquête à charge et à décharge. Elle se juge aussi dans des attitudes, des choix, des apparences qui pourraient donner aux parties à la cause le sentiment qu’un parti-pris est envisageable : « L’impartialité s’impose au juge comme l’exigence de travailler à l’abri de tous préjugés et dans une totale neutralité. (…) Les règles juridiques et en particulier l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, tel qu’il est interprété par la Cour européenne de Strasbourg, exigent aussi du juge une impartialité que Ion qualifie d’objective, c’est-à-dire que le juge ne doit pas seulement être impartial, mais doit également donner l’image de l’impartialité. C’est le fameux adage anglo-saxon « Justice must be done but must also to be seen to be done » (« la justice doit être rendue mais elle doit également paraître comme étant rendue »).<2) Sera-ce le cas dans ce dossier si l’instruction se poursuit sur le même mode, avec le même juge et sans contrôle renforcé? Vu les éléments mis en lumière par cette enquête, les parents de François Goffin et leur avocat envisagent de reposer prochainement la question aux magistrats de la cour d’appel de Liège. •
1 MINUTE, 27 SECONDES
Paris Match a pris contact avec le juge d’instruction Philippe Olivier. Un entretien cordial mais très bref Nous avons informé le magistrat de notre intention de lui poser quelques questions sur l’affaire François Goff in. Alors que, selon les parents de la victime, il ne mènerait pas son instruction avec la célérité qui s’impose. Le magistrat nous a dit qu’il ne répondait jamais aux questions des journalistes. Nous avons insisté dans l’intention de lui exposer que, dans ce dossier, il y avait une polémique importante à propos de laquelle il pourrait tout de même formuler un commentaire qui ne préjudicie pas le secret de l’instruction. Mais nous n’en avons pas eu le temps. Après 1 minute et 27 secondes, il n’y avait plus de voix de l’autre côté de la ligne, juste un grésillement.
(1) www.francois-goffin.be
(2) « Impartialité, récusation, dessaisissement… : les juges ne sont pas intouchables », publié sur le site www.justice-en-ligne.be
Enquête évoquée sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris-Match » le 22 mai 2011 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match Belgique », le 26 mai 2011.
Comme personne ne l’ignore, les magistrats ont le devoir d’être impartiaux. Cette garantie de neutralité est si importante pour la crédibilité de la Justice qu’il est même exigé des juges qu’ils veillent à éviter tout comportement pouvant donner ne fût-ce que l’apparence de la partialité. Dans une affaire d’homicide involontaire instruite à Namur, le juge d’instruction Olivier a-t-il franchi le Rubicon?
« On ne peut plus supporter cet état de fait ! On voit venir la prescription, le déni de justice. Cela va faire plus de quatre ans que l’instruction est en cours relativement aux circonstances de la mort de François… et on ne peut plus supporter que le juge d’instruction Olivier reste les bras croisés ! A l’entame du dossier, ce magistrat a ordonné la réalisation de quatre devoirs d’enquête élémentaires. Ensuite, on a eu droit a une longue année de silence, suivie enfin d’un premier accès au dossier qui fut le point de départ d’un parcours du combattant. « Depuis lors, c’est nous, la partie civile, qui faisons l’instruction à la place du magistrat instructeur. On a dû demander la réalisation de vingt-deux devoirs d’enquête complémentaires par le biais de quatre requêtes successives ! Des actes évidents n’ont pas été posés par M. Olivier. Aujourd’hui encore, des devoirs importants restent à faire. On a vraiment l’impression d’être baladés dans cette procédure alors que, dans le même temps, certains comportements du juge ne lui donnent pas toutes les apparences de l’impartialité. »
Sans voix
Les parents de François regrettent de n’avoir pas été invités à expo¬ser leur point de vue devant la chambre des mises en accusation à propos du séjour contesté par eux du magistrat Philippe Oli¬vier au Togo: «Le juge d’instruction a été en-tendu, hors notre pré-sence puisque la loi l’impose. Dans notre requête, nous invo-quions des vacances avec le frère du chirur-gien A. Le juge a argué – à huis clos – d’un voyage académique. Comment une haute cour de justice peut-elle trancher dans un dossier aussi lourd de conséquences pour des justiciables sans leur donner la parole?»
Françoise et Benoît Goffin ne peuvent plus taire leur indignation. Elle est avocate, il est ingénieur. Tous deux connaissent parfaitement bien le dossier dont ils s’inquiètent de l’avancement. Ils pourraient sans doute le décliner par cœur. Et pour cause ! Il s’agit de l’instruction qui doit déterminer si, comme ils le suspectent, leur fils est mort à cause d’erreurs graves commises par des médecins exerçant au sein d’une clinique namuroise.
Sur un site internet dédié à cette triste affaire (1), ces parents en colère donnent leur version des faits : « Le 20 février 2007, vers 14 heures, François, sportif assidu et étudiant en dernière année d’ingénieur industriel, est renversé par un camion alors qu’il circule en vélo à Rhisnes. Une roue lui a écrasé les jambes. Sa cuisse droite est très gonflée. Il souffre énormément. Conscient, il peut raconter l’accident aux ambulanciers. Arrivé aux urgences d’une clinique namuroise, il relate une fois encore l’accident. Après radiographie des jambes et prise de sang, le Dr B., urgentiste, affirme à la maman de François qu’il n’y a pas de fracture, mais uniquement des éraflures et des hématomes. « Par simple mesure de précaution » et « pour mettre au point son traitement par antidouleurs », François restera pour une nuit à l’hôpital. Cette décision est prise par le médecin urgentiste B. et par l’orthopédiste de garde, le D’A., sans que ce dernier ait examiné François.
Avant le transfert en hospitalisation, une échographie de la cuisse droite est réalisée, dont les résultats n’ont jamais été transmis aux parents. Le Dr A. n’ausculte toujours pas François. Vers minuit, soit dix heures après l’admission dans la clinique, la maman du jeune homme alerte le personnel infirmier : François fait un arrêt cardiaque et doit être réanimé. Effectué après la réanimation, le scanner révèle que les reins sont bloqués et les analyses de sang montrent des paramètres très gravement perturbés. Transféré aux soins intensifs, François est opéré à deux reprises aux jambes dans les jours qui suivent, car les artères des deux jambes ont été comprimées ; De nombreuses autres complications s’ensuivent. Après sept jours de lutte, François décède. »
En avril 2007, sur plainte des parents de François, le parquet met le dossier à l’instruction contre X pour homicide involontaire. Immédiatement, la famille de François se constitue partie civile contre l’urgentiste B., l’orthopédiste A. et la clinique. Un collège d’experts est désigné, lequel estimera dans un rapport préliminaire que la mort du jeune homme a été causée par « l’évolution majeure d’un crush syndrome avec libération d’endotoxines à l’origine de troubles du rythme cardiaque, crush syndrome se compliquant par une insuffisance rénale et une insuffisance hépato-cellulaire. »
«NOUS DEVONS MENER L’ENQUETE EN LIEU ET PLACE DU MAGISTRAT»
Ce « crush syndrome » ou « syndrome de décompression » a été mis en lumière par un médecin britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. Il constatait alors que des victimes des bombardements qui avaient eu des membres écrasés par des décombres pouvaient décéder quelques temps après leur sauvetage alors qu’elles ne semblaient pas souffrir de lésions majeures apparentes. La décompression de la masse musculaire écrasée provoque une nécrose, impliquant la libération dans la circulation sanguine de quantités excessives de potassium, de myoglobine, de créatine kinase et d’urates. Le décès, qui survient rapidement après l’installation du « crush syndrome », est le plus souvent causé par une insuffisance rénale aiguë. D’où la nécessité vitale de mettre préventivement les patients victimes d’un écrasement important sous dialyse.
Dans le rapport précité, les experts estiment que le témoignage de François expliquant au médecin urgentiste B. qu’il avait eu les jambes écrasées par un camion «n’a pas été pris suffisamment en considération». Et que «le diagnostic du crush syndrome aurait pu être posé plus tôt ». Un avis partagé par le Pr Philippe Boxho de l’Institut médico-légal de l’Université de Liège, qui s’étonne dans un autre rapport que les contrôles sanguins indispensables n’aient pas été entrepris, tant au service des urgences de la clinique namuroise qu’en son service d’orthopédie où travaille le docteur A. Des examens de biologie médicale qui auraient démontré l’installation du crush syndrome et incité à la mise en œuvre de soins adaptés. Il est aussi reproché au Dr A. d’avoir accepté la prise en charge de ce patient dans son service sans même l’avoir examiné, sur base de la « fausse rassurance » qui lui avait été donnée par le Dr B. La conclusion de ce rapport Boxho est pour le moins tranchante : « Sans ces négligences, M. Goffin ne serait vraisemblablement pas décédé. »
C’est évidemment à la justice de déterminer les responsabilités dans ce dossier. Cela passe par la conduite à terme de l’instruction qui devrait, espèrent les parents de François, se conclure par la tenue d’un débat public devant un tribunal. Encore faut-il que l’instruction soit menée à terme dans un délai raisonnable, autant pour les personnes mises en cause que pour les parties civiles. Et que toutes les questions, à charge comme à décharge, soient soupesées avec diligence par le magistrat instructeur. Or, pour la famille Goffin, on est loin du compte. La maman de la victime accuse encore : « Depuis plusieurs années, les devoirs ordonnés d’initiative par Philippe Olivier se résument vraiment à peau de chagrin. Au départ, il a demandé la levée du dossier médical préparé par la clinique et l’audition de quelques témoins, et a désigné un collège de médecins experts avant d’en terminer par un réquisitoire complémentaire pour rendre l’expertise contradictoire. En fait, l’instruction a démarré à cloche-pied, sur base du postulat un peu naïf que la clinique, également mise en cause dans la constitution de partie civile, allait spontanément donner tout le dossier médical. » « Tout le reste du dossier est lié à des demandes de devoirs complémentaires que nous avons introduites à partir de juillet 2008!» poursuit Benoît Goffin. «Qu’il s’agisse de connaître les qualifications professionnelles de tel intervenant médical ou de saisir des pièces essentielles à la manifestation de la vérité qui n’avaient pas été spontanément communiquées par la clinique. Ou encore de vérifier l’exactitude de certaines déclarations en les recoupant, d’entendre plusieurs témoins clés, notamment les infirmières qui ont été témoins des négligences commises par les médecins… D’ailleurs, si, près de trois années après le début de l’instruction, il y a eu une perquisition à la clinique pour empêcher la disparition de certains éléments de preuve, c’est aussi à la suite d’une de nos requêtes. On est forcés de pousser l’instruction à la place du juge, avec les moyens d’action limités dont dispose la partie civile dans une instruction pénale! Le juge se contentant de faire exécuter les demandes que nous introduisons. »
«C’ETAIT DONC BIEN PLUS DES VACANCES QU’UN SÉJOUR DE TRAVAIL!»
Proximité
Peu importe que le voyage au Togo fût académique ou pas. Inévitablement, ce type de séjour de groupe implique des moments de détente et de proximité. Que ce soit à la table d’un déjeuner au bord du piscine, où le juge est assis en face du frère de l’orthopédiste A., ou à l’occasion d’une excursion d’une journée chez un roi coutumier. Dans cette publication, les visages souriants des participants ont été dissimulés par souci de protection de leur vie privée, mais les pièces originales, de nature à accréditer le reproche de partialité apparente, pourront être utilisées en procédure par la famille Goffin.
Le papa de François continue: «Alors que nous déplorions déjà cet invraisemblable immobilisme, nous avons constaté la possible proximité du juge avec le bâtonnier A., qui n’est autre que le frère de l’orthopédiste A. mis en cause dans notre affaire ! A deux reprises au moins, lors de réceptions officielles du barreau de Namur, nous avons vu que le bâtonnier A. et le juge d’instruction Olivier passaient l’essentiel de la soirée ensemble, à discuter et à rire. Pour nous, ces réceptions furent les seules occasions d’apercevoir le juge d’instruction. De loin. Il n’a jamais estimé utile de nous rencontrer en notre qualité de partie civile. Par la suite, nous avons découvert que le juge et ce bâtonnier A. ont tous les deux participé à un séjour touristique au Togo entre le 23 novembre 2008 et le 3 décembre 2008, c’est-à-dire après le début de l’instruction du dossier portant sur la mort de notre fils. »
En conséquence de quoi, le 23 juin 2010, les parents Goffin introduisaient une requête sur base de l’article 136 du Code d’instruction criminelle devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège. Ils exprimaient ainsi le souhait que le travail du magistrat instructeur fasse l’objet d’une mise sous tutelle par cette juridiction. Me Michel Graindorge, leur avocat, exposait notamment que « les requérants ont le sentiment que le magistrat instructeur ne met pas dans cette affaire la détermination qu’ils sont en droit d’attendre d’un magistrat efficace », que « ce sont eux, à plusieurs reprises, qui ont demandé des devoirs complémentaires multiples et précis », qu’« ils ont le sentiment d’être les seuls acteurs d’une procédure extrêmement délicate et importante puisqu’elle concerne la mort de leur enfant».
A propos du voyage au Togo, l’avocat des Goffin écrivait alors que ses clients « sont inquiets et perplexes quant au fait que le magistrat instructeur est parti en vacances en novembre 2008 avec le frère d’un des médecins impliqués, ce frère étant avocat au barreau de Namur». Estimant que cette « proximité avec le frère de l’un des médecins impliqués interpelle les requérants qui, en d’autres circonstances, n’en auraient pas fait état mais sont obligés de l’évoquer, dès l’instant qu’ils constatent qu’aucune initiative concrète n’est formulée par le magistrat instructeur. »
Le 27 septembre dernier, la chambre des mises en accusation décidait de ne pas donner une suite favorable à cette requête. Estimant, ce qui est étonnant au regard du peu de devoirs réalisés d’initiative par le juge d’instruction, que le travail de ce dernier avait été « minutieux » et « complet ». Soit. A propos du voyage africain contesté, les magistrats de la cour d’appel de Liège se contentaient de prendre acte de ce que « le juge d’instruction a précisé n’avoir aucun lien autres que professionnels avec Me A., avocat au barreau de Namur, qui serait le frère de l’un des médecins concernés. Il a cependant indiqué qu’il s’était trouvé au Togo en même temps que M » A., avec d’autres avocats et magistrats et ce à l’occasion d’un voyage académique, ce qui rentre dans la sphère strictement professionnelle et ne permet pas de mettre en cause l’impartialité ou l’apparence d’impartialité du juge d’instruction. »
Un voyage académique qui rentre dans la sphère professionnelle? Au regard des documents, photos et témoignages apparaissant dans notre enquête, la formule utilisée par le juge d’instruction et relayée par ses collègues liégeois est, disons, assez réductrice. « J’ai participé à ce séjour et je ne l’ai pas mis dans mes frais professionnels parce qu’il s’agissait plutôt d’un voyage mixte. Certes, les avocats qui y ont participé ont eu un peu de travail, mais ils ont eu aussi beaucoup de moments de détente. On ne peut qualifier cela de voyage académique, en tout cas ! » nous confie l’avocat namurois Marc Pieters.
« II s’agissait de nouer des contacts avec nos confrères togolais et de faire du tourisme », poursuit cet interlocuteur. « Les sept avocats qui composaient notre groupe ont fait quelques plaidoiries gratuites pour des détenus togolais. En gros, on a travaillé trois demi-journées. Pour le reste, il y a eu des visites, la plage, le marché aux fétiches – où j’ai conseillé le juge Olivier pour l’achat de masques africains, dont il est friand -, et une journée chez un roi coutumier, un certain Lawson 8, si je ne m’abuse. Des repas. Des cocktails. Ah oui, on est aussi allés voir des reptiles… C’était donc bien plus des vacances qu’un séjour de travail ! Un voyage mixte, je reviens sur cette idée. Quelque chose qui mélange l’utile à l’agréable, mais avec plus d’agréable que d utile. »
Pour remédier à l’imprécision de l’arrêt rendu en cette affaire par la chambre des mises en accusation de Liège, on soulignera que l’ex-bâtonnier A. qui a participé au voyage au Togo est bien le frère du chirurgien A., impliqué dans le dossier Goffin instruit par Philippe Olivier. « Je partageais la chambre de Me A. », reprend Me Pieters. « II était présent pour donner un peu de lustre à notre délégation, vu son statut d’ex-bâtonnier du barreau de Namur. Le juge d’instruction était là parce qu’il a manifesté son désir d’y être. C’est un ami de l’organisateur du voyage. Toutefois, sa présence n’était pas indispensable. Ce séjour était organisé par et pour des avocats. Il se serait passé exactement de la même manière sans la présence de M. Olivier. »
La belle vie
Certes, ce voyage «académique» au Togo a connu des moments protocolaires, notamment dans l’immense villa du bâtonnier de Lomé, et même des plages de vrai travail pour les avocats participants. Mais il y eut aussi beaucoup de temps libre, où des rapports amicaux et complices ont pu se nouer. Que ce soit à l’occasion d’un verre, d’une visite touristique, d’une journée de plage, d’emplettes sur les marchés locaux ou d’une soirée consacrée à fêter l’arrivée du beaujolais nouveau à Lomé. Voici une petite partie de l’album qui nous a été confié par l’un des participants.
Me Pieters ajoute que « dans le programme du voyage, deux conférences ont été inscrites qui devaient être données sar le juge Olivier. En définitive, il n’a fait qu’un petit speech devant dix personnes dans une salle du barreau de Lomé. Cela 3 pris une demi-heure, peut-être une heure avec les courtoises questions qui suivirent. Je me souviens que l’expression « par exemple » était revenue souvent dans ce très court exposé. Une autre causerie était prévue. Philippe Olivier devait aborder « la déontologie du magistrat » devant des avocats togolais qui n’ont visiblement pas jugé utile de se déplacer pour assister à ‘événement. Ce soir-là, tout le groupe belge s’est retrouvé Dour fêter l’arrivée du beaujolais nouveau à Lomé. »
Selon l’avocat namurois, « il n’est donc pas exact de parler de voyage académique ». Et il ajoute que « c’est encore plus abusif en ce qui concerne les deux invités extérieurs au groupe d’avocats, Philippe Olivier et l’expert judiciaire Jean-Pierre Lepape. Ce dernier a passé l’essentiel de son séjour à Faire des photos. »
Nous avons rencontré M. Lepape à Erpent (Namur). A propos du séjour au Togo, c’est assez éclairant, ce témoin utilise le terme de « vacances ». Et à propos des « académiciens » du barreau de Namur, l’expert décrit un «groupe de gais lurons», au sein duquel l’un des participants – pas le juge – était particulièrement accroché à la dive bouteille. Durant ce voyage, l’expert a fait quelques trois cents photos, qu’il nous 3 dit ne plus posséder aujourd’hui. Ce qui ne nous a pas empêché d’en trouver quelques-unes (voir ci-contre).
Personne n’a cependant confié à Paris Match que le juge Olivier et le frère du chirurgien auraient, à Lomé ou ailleurs, entretenu des relations privilégiées, et moins encore qu’ils aient discuté de dossiers judiciaires en cours. D’ailleurs, nous n’avons pas questionné les témoins en ce sens afin d’éviter tout procès d’intention. Ce qui est en débat est bien plus subtil : le comportement du juge – son choix de voyager dans de telles circonstances avec le bâtonnier A. – est-il de nature à créer un doute sur son impartialité? L’observateur extérieur, pas seulement la famille du jeune homme de 21 ans décédé dans la clinique namuroise, ne peut-être que troublé par ces récits et photos de voyage (voir ci-contre). C’est un fait objectif qu’un tel séjour de groupe a pu créer des liens. Le label « académique » ne change rien à l’affaire. Ce que reconnaît Marc Pieters, qui apparaît aussi sur l’une des photos en notre possession, prise le soir de « l’arrivée du beaujolais » à Lomé : « On a voyagé ensemble, on a pris des repas ensemble, on a fait des excursions qui duraient la journée entière. Cela crée évidement de la proximité. Et celle-ci se trouve renforcée quand vous êtes un groupe de neuf Belges qui séjournent à des milliers de kilomètres de chez eux. »
Comme l’explique l’avocat Didier Pire, chargé de cours à l’Université de Liège et membre du Conseil supérieur de la justice, la question de l’impartialité ne se limite pas à bien mener une enquête à charge et à décharge. Elle se juge aussi dans des attitudes, des choix, des apparences qui pourraient donner aux parties à la cause le sentiment qu’un parti-pris est envisageable : « L’impartialité s’impose au juge comme l’exigence de travailler à l’abri de tous préjugés et dans une totale neutralité. (…) Les règles juridiques et en particulier l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, tel qu’il est interprété par la Cour européenne de Strasbourg, exigent aussi du juge une impartialité que Ion qualifie d’objective, c’est-à-dire que le juge ne doit pas seulement être impartial, mais doit également donner l’image de l’impartialité. C’est le fameux adage anglo-saxon « Justice must be done but must also to be seen to be done » (« la justice doit être rendue mais elle doit également paraître comme étant rendue »).<2) Sera-ce le cas dans ce dossier si l’instruction se poursuit sur le même mode, avec le même juge et sans contrôle renforcé? Vu les éléments mis en lumière par cette enquête, les parents de François Goffin et leur avocat envisagent de reposer prochainement la question aux magistrats de la cour d’appel de Liège. •
1 MINUTE, 27 SECONDES
Paris Match a pris contact avec le juge d’instruction Philippe Olivier. Un entretien cordial mais très bref Nous avons informé le magistrat de notre intention de lui poser quelques questions sur l’affaire François Goff in. Alors que, selon les parents de la victime, il ne mènerait pas son instruction avec la célérité qui s’impose. Le magistrat nous a dit qu’il ne répondait jamais aux questions des journalistes. Nous avons insisté dans l’intention de lui exposer que, dans ce dossier, il y avait une polémique importante à propos de laquelle il pourrait tout de même formuler un commentaire qui ne préjudicie pas le secret de l’instruction. Mais nous n’en avons pas eu le temps. Après 1 minute et 27 secondes, il n’y avait plus de voix de l’autre côté de la ligne, juste un grésillement.
(1) www.francois-goffin.be
(2) « Impartialité, récusation, dessaisissement… : les juges ne sont pas intouchables », publié sur le site www.justice-en-ligne.be