Un reportage publié dans Paris Match Belgique, le 1er février 2018.
Les personnes qui apparaissent sur cette photo d’illustration ne sont pas les témoins qui interviennent dans ce reportage.
Lorsqu’on voyage en train, on les aperçoit depuis la fenêtre. On les oublie aussitôt : ils font partie du paysage. Bien qu’ils soient très visibles grâce à leurs tenues jaune fluo, les travailleurs de la voie demeurent des héros du quotidien très méconnus. Et quand ils font la une des médias, c’est parce que certains ont été impliqués dans un accident. Comme à Morlanwelz, en novembre dernier, lorsque deux d’entre eux ont perdu la vie et deux autres ont été gravement blessés. Alors, pendant plusieurs semaines, pour mieux comprendre leur métier lourd et dangereux, je suis allé à la rencontre de ces hommes. Ces durs qui travaillent de jour comme de nuit, par tous les temps, voudraient plus de considération et, surtout, plus de sécurité.
« Si j’avais écouté certains de mes supérieurs, des agents ne seraient plus là. Moi-même, je ne serais plus là » (Un chef de maintenance)
En Belgique, le réseau ferroviaire compte quelque 3 600 km de voies à entretenir et à renouveler régulièrement pour transporter 230 millions de voyageurs et plus de 50 millions de tonnes de marchandises par an. Une mission hautement stratégique qui incombe à la société anonyme de droit public Infrabel, qui compte 10 500 employés. Parmi ceux-ci, il y a d’excellents communicants, un service de presse très performant qui aurait pu encadrer ce reportage. Alors que les collaborateurs du gestionnaire de l’infrastructure sont contraints contractuellement à un devoir de confidentialité, cette approche aurait été certainement plus facile. Plus lisse,aussi.
Aurions-nous rencontré ce chef de maintenance expérimenté ? Il nous confie : « Depuis dix ans, je constate une dégradation de la culture de sécurité. On peut mettre cela en relation avec le manque d’effectifs. Parfois, pour utiliser moins d’agents, on voudrait nous faire travailler avec un système de protection qui ne convient pas pour la sécurité des équipes. Si j’avais écouté certains de mes supérieurs, des agents ne seraient plus là. Moi-même, je ne serais plus là. Infrabel est un très bon employeur à bien des égards mais, franchement, “safety first”, c’est un slogan pour la télévision. »
Nous aurait-on présenté cet ex-agent de maintenance spécialisé ? Il nous dit : « J’ai cherché un autre emploi parce que je ne me sentais plus en sécurité. Essayez de vous mettre à ma place. Sur les trois ans que je suis resté dans cette société, j’ai failli mourir deux fois. Dix fois au moins, je me suis retrouvé dans des situations de “presque accident”. Finalement, j’étais inquiet quand je partais au travail, cela me ruinait la santé. »
Aurions-nous été conduit à converser avec cet agent de maintenance ? Il nous lance : « Si on prenait un de nos dirigeants avec nous pendant une nuit de travail, je suis certain qu’il ferait des cauchemars. Rien que le fait de marcher sur une voie pendant plusieurs centaines de mètres, éclairé d’une seule lampe frontale, c’est une expérience inoubliable. Il y a les cailloux, les câbles, les boîtes, les traverses qui se transforment en blocs de glace quand il gèle. Vous risquez de tomber à tout moment. » Ou encore cet autre agent en fonction qui ajoute : « J’ai travaillé dans différents endroits avant de faire ce métier. Ce qui se passe ici est particulier : il y a une compétition entre les contremaîtres. On les met en concurrence pour augmenter la productivité et cela retombe sur les équipes de la voie qui font le boulot. Tous les chefs de maintenance ne sont pas à mettre dans le même sac, mais là où je suis, on est traité comme des moins que rien… C’est comme cela que je ressens les choses : des moins que rien. On travaille de plus en plus vite. La pression est énorme, le travail est lourd, les horaires sont très difficiles, on preste de plus en plus souvent la nuit : il faut que ça roule, tant pis si on crève… »
Au cours de cette enquête, nous avons multiplié les longs entretiens. Sept témoins se sont longuement confiés. Ils occupent ou ont occupé les fonctions suivantes : agent de maintenance (AM), agent de maintenance spécialisé (AMS) ou chef de maintenance (CM). Il s’agit du personnel qui oeuvre sur les voies pour couper, meuler, entretenir, poser des rails, boulonner des attaches, remplacer des traverses, assurer la sécurité de leurs collègues car le danger est permanent. Dix accidents graves en 2014, quinze en 2015, douze en 2016, douze en 2017. Ces hommes se trouvent sous les ordres d’ingénieurs et de contremaîtres qui ne sont présents sur le terrain que de manière occasionnelle. S’il est impossible pour nos témoins de s’afficher publiquement, ils seraient certainement candidats à s’exprimer devant une autorité qui s’intéresserait à leur vécu. Alors que l’Etat est actionnaire d’Infrabel, le Parlement fédéral, par exemple, serait bien inspiré de porter attention à ce flux d’informations qui vient de la base : les récits édifiants de ceux qui, jour après jour, nuit après nuit, vivent la réalité du travail sur les voies en Belgique.
Des propos qui se recoupent, se complètent…
Cela s’est joué parfois à quelques secondes. Il m’est arrivé de tirer un collègue par le blouson au dernier moment
Alors qu’il n’est officiellement pas reconnu comme tel, le travail de ces hommes est d’une grande pénibilité. D’abord parce qu’il ne s’arrête jamais. « On sort par tous les temps, de jour comme de nuit », explique un AM. « Quand c’est la canicule, il faut vérifier si les rails ne souffrent pas de la chaleur. En hiver, il faut dégeler ou déneiger. Mais le pire, c’est la pluie. Quand vous restez des heures sous la drache avec des vêtements qui finissent par transpercer et des chaussures crottées, les mouvements deviennent difficiles, vous avez froid, vous êtes exténué. » Un autre AM précise que « depuis quelques années,les prestations de nuit sont toujours plus nombreuses. On n’a plus de vie familiale, trop de nuits, trop de week-ends. Votre tonus en prend un coup. »
A constater certains horaires, on le conçoit assez aisément.Un AM nous montre le planning de travail de sa brigade et après nous avoir précisé qu’une prestation de nuit commence à 22 heures, il raconte : « Le mois dernier, j’ai fait une semaine de six nuits, samedi inclus. Le dimanche, à partir de 6 heures du matin, j’étais de repos. Le lendemain, je reprenais par des prestations de jour jusqu’au jeudi. Et le vendredi et le samedi suivant, je retravaillais de nuit. Il m’est arrivé de faire jusqu’à onze nuits d’affilée, entrecoupées seulement d’un jour de repos. Je me sens épuisé. On est réputé faire un travail à cycle régulier, mais cela n’a rien de régulier. Il n’y a pas un mois qui ressemble à l’autre. »
Un de ses collègues précise : « Il y a un petit intérêt financier à prester de nuit (environ 3 euros brut de l’heure en supplément de salaire) et les week-ends (primes de plus de 100 euros pour un dimanche). Cela intéresse nombre d’agents alors que la rémunération de base (entre 1 400 et 1 800 euros selon l’ancienneté) n’est pas en rapport avec les exigences et les dangers de ce métier. Là où cela coince, c’est que depuis trois ans, ces prestations ne sont plus volontaires comme autrefois. Si votre chef n’est pas compréhensif, il invoquera un article du règlement qui vous oblige à travailler “pour raison de service”. Autrefois, la “raison de service”,c’était, par exemple, l’urgence de remettre en état des voies endommagées après un accident. Aujourd’hui, on invoque la “raison de service” pour de simples travaux d’entretien. »
La nuit, le jour, le travail en extérieur, par tous les temps…Et un métier lourd, très lourd. « Tous les engins qu’on utilise pèsent. Par exemple, une tirefonneuse, c’est 180 kilos. Il faut être quatre pour porter ce type d’outil mais, parfois, on la prend à deux », nous dit un agent. « Rien que la préparation du travail peut s’avérer épuisante », complète un AM. « Après le briefing, on charge le matériel dans les camionnettes et puis,arrivés près du lieu d’intervention, il faut décharger. L’accès aux voies est très difficile lorsqu’il s’agit de monter des talus avec le matériel et/ou de marcher pendant plusieurs centaines de mètres avant même de commencer le boulot. » Un autre : « On travaille de plus en plus souvent avec des grues, mais il arrive encore qu’on n’en dispose pas. Remplacer des traverses avec une grue, cela va tout seul. Sinon, on retire le ballast avec une fourche. Quand il y a de la boue, c’est un travail de forçat. »
« Il m’est arrivé de devoir placer des traverses à la main ou de mettre des rails à l’aide de tenailles », confirme un de ses collègues. « On les pose, on installe les attaches, ensuite il faut attendre l’intervention des soudeurs. On a eu chaud et puis on se refroidit. Il faut être robuste pour faire ce métier. » Un AM complète le décor : « On travaille souvent avec une voie hors service. Quand un train passe sur l’autre voie, on s’écarte à la distance de sécurité. Et le convoi passe à côté de vous à du 120 voire à du 160 à l’heure. Vous êtes alors pris dans un courant d’air et s’il fait froid, vous perdez subitement plusieurs degrés. Il faut aussi espérer que le train ne relâche rien, si vous voyez ce que je veux dire. Les rames de type Desiro ont des cuves, mais ce n’est pas le cas pour des trains plus anciens. »
De nuit, il est plus facile de mettre certaines voies hors service tout en permettant encore aux trains de marchandises de circuler. Un agent explique : « On doit réaliser le travail dans des tranches horaires très précises. Par exemple, entre 23 h 30 et 4 h 30 du matin. Pas question de n’avoir pas fini le boulot passé ce délai. Le trafic doit reprendre. Comme on est en sous-effectifs, on court tout le temps. Et quand le travail est plus facile, votre bien-être dépend du chef. Certains permettent aux hommes de finir la nuit au chaud, d’autres apprécient que vous restiez dehors le plus longtemps possible. Après, il faut recharger le matériel dans les camionnettes, le décharger à nouveau. Si vous êtes mouillé, mettre les vêtements à sécher, et si vous avez eu froid et qu’il vous reste une demi heure de bon, vous vous endormez…Ensuite, il faut repartir chez soi. En train, l’enjeu est de ne pas manquer le bon arrêt, en voiture, mieux vaut rouler la fenêtre ouverte pour ne pas s’endormir sur la route… »
Mais plus que toute autre question, c’est la sécurité qui préoccupe ces hommes. « Pour moi, cela s’est joué parfois à quelques secondes. Il m’est arrivé de tirer un collègue par le blouson au dernier moment », nous dit un AM. Il ne faut cependant pas comprendre qu’Infrabel laisse la sécurité au hasard, mais la pression économique est forte dans un contexte où le rail est trop peu subsidié en Belgique. « Le problème, c’est qu’on veut faire la même chose avec moins de moyens, c’est-à-dire avec moins d’hommes », nous explique un CM.
Pour que nous comprenions, il contextualise : « L’idéal serait évidemment qu’on preste alors que toutes les voies sont hors service, mais c’est rarement le cas : il y a toujours des trains qui doivent circuler, notamment des convois de marchandises. Le jour, il arrive qu’on travaille sur des voies en service, mais c’est la configuration la plus périlleuse et on ne sait pas faire grand-chose dans ces conditions. La situation la plus fréquente est donc le chantier de nuit sur une voie hors service, étant entendu que sur la voie d’à côté, les trains circulent dans les deux sens à vitesse normale. Pour ne pas être tué ou blessé, la réglementation – le fascicule 576 – prévoit que l’on place des “factionnaires”, c’est-à-dire des agents qui vont surveiller l’arrivée des trains pour prévenir leurs collègues du chantier, en d’autres termes pour leur donner le temps de dégager. Dans certaines zones où la visibilité est réduite – par exemple, à cause de courbes et contre-courbes –, il faut utiliser plus de factionnaires. Et c’est là qu’on nous incite à ne pas respecter la réglementation. Là où il faudrait en mettre sept, on voudrait qu’on s’en sorte avec trois. Il faudrait que nos supérieurs soient plus sensibles à la sécurité du personnel. »
Ces travailleurs polonais qui ne parlaient pas un mot de français posaient des balises. Et un collègue d’Infrabel leur gueulait dessus quand il voyait un train à distance » (Un agent)
Dans certains districts – nous avons vu des documents qui le prouvent –, les agents de maîtrise, autrement dit les contremaîtres qui rédigent les « fiches de travail », conscients de l’impossibilité de respecter la réglementation, en arrivent à ne plus oser prendre leurs responsabilités. « Dans cette fiche de travail, il y a des cases spécifiques où les “mesures de sécurité” doivent être explicitées par l’agent de maîtrise. Eh bien,cette partie du document reste vierge ! » dénonce un témoin.« A moi de me débrouiller pour sécuriser avec les moyens disponibles. J’ai la fierté de tout faire pour minimaliser les risques dans une configuration non réglementaire. En cas d’accident, il vaudrait mieux pour moi que j’y passe avec mes hommes, parce qu’évidemment, tout me retombera dessus… On tombe toujours sur l’échelon le plus bas. Bien sûr, je garde des copies de tous les documents mais, psychologiquement, c’est dur. J’en ai assez de voir que des supérieurs fuient leurs responsabilités. »
Ce même témoin poursuit : « J’imagine que certaines personnes dans la hiérarchie ont une plume à leur chapeau si un chantier d’une durée normale de trois semaines se termine en quinze jours ou si on a utilisé 50 hommes au lieu de 80. Mais c’est un mauvais calcul, parce que les gens qui sentent un manque de considération pour leur bien-être et leur sécurité finissent par moins bien travailler. Surtout quand leur métier est si dur, qu’ils risquent leur pipe chaque fois qu’ils montent sur les voies. Ce n’est pas honnête vis-à-vis d’eux. Le minimum pour nos dirigeants serait de faire appliquer scrupuleusement la législation sur la sécurité. J’ai connu une époque où la hiérarchie surveillait de très près les chantiers pour forcer les hommes à respecter les règles de sécurité. Aujourd’hui, c’est le monde à l’envers : ce sont les hommes qui demandent aux supérieurs d’avoir ce souci. C’est à notre échelon, par notre faculté d’adaptation à une situation qui n’est pas normale, que nous avons évité des catastrophes et des morts. »
Pour utiliser moins de « factionnaires », nous explique encore un agent, « on nous pousse à utiliser une procédure dite “S460”. En cabine, au niveau du passage à niveau qui précède le chantier, un factionnaire ou le chef de gare bloque les trains à hauteur du premier grand signal fixe. Et, par radio, il prévient les collègues qui sont sur le chantier des prochains passages. Le problème, c’est qu’il est arrivé à plusieurs reprises que des trains reçoivent le feu vert alors que la communication aux agents sur les voies n’avait pas eu lieu. Sans la présence attentive de collègues, cela aurait pu mal se terminer. »
D’autres problèmes de communication sont assez stupéfiants. Un AMS qui a quitté la société raconte : « Une nuit, je me suis retrouvé sur un chantier de 14 kilomètres. Les radios ne permettaient pas de communiquer sur toute son étendue. Cela aurait pu être possible grâce à des antennes-relais mais apparemment, il n’y en avait pas. Alors (contrairement aux règles de sécurité, NDLR), je devais communiquer avec un Gsm. Vers la fin du chantier, ma mission était d’accompagner le grutier jusqu’au bout du chantier pour qu’il quitte la voie à hauteur d’un passage à niveau. Ce trajet devait prendre une demi-heure. Etant donné la présence de nombreux opérateurs privés qui travaillaient aussi sur la voie, j’ai mis beaucoup plus de temps que prévu. Puisqu’on me croyait arrivé depuis longtemps à destination, on a estimé inutile d’encore me prévenir de l’arrivée d’un train. Au moment de traverser l’autre voie pour rejoindre la route, on a vu le phare de la locomotive fonçant sur nous. Cela s’est joué à quelques secondes. »
La multiplication des opérateurs privés qui interviennent sur les voies tracasse beaucoup les agents d’Infrabel. L’un d’eux résume ainsi cette inquiétude : « De plus en plus de tâches qui sont réalisables par nos agents sont externalisées. C’est une privatisation rampante. Je crains qu’à l’avenir, il y ait de plus en plus de forçats du privé, avec de moins bons salaires et encore moins de sécurité et de reconnaissance. » Le témoignage de cet autre agent tend à confirmer la pertinence d’un tel pronostic : « On était de nuit, avec une voie hors service. A 700 ou 800 mètres de nous, nous avons vu des lumières. Des privés travaillaient dans la voie en service sur laquelle ils étaient exposés à des trains qui venaient dans les deux sens. Il n’y avait même pas de factionnaires ! Ces travailleurs polonais qui ne parlaient pas un mot de français posaient des balises. Et un collègue d’Infrabel leur gueulait dessus quand il voyait un train à distance. Je n’en croyais pas mes yeux. »
Un de ses collègues complète le tableau : « Dans les contrats qu’elle passe avec les sociétés privées, la direction prend soin de préciser que l’adjudicataire veille aux conditions de sécurité. On constate sur le terrain qu’un certain nombre de ces intervenants n’ont pas les mêmes critères de sécurité que nous. Dans des endroits où il faudrait cinq ou six factionnaires, il y en a deux. En plein brouillard, des hommes travaillent. Du personnel non qualifié traverse les voies de manière inconsidérée. C’est vraiment n’importe quoi ! Je suis étonné qu’il n’y ait pas encore eu plus de tués, mais vous allez voir, il y en aura. »
Cet agent expérimenté s’interroge. En matière de sécurité, il ne sait pas s’il faut parler de « laxisme » ou de « cynisme ». Ou encore d’inconscience. Car il a la conviction que le sommet de la hiérarchie à Bruxelles, en ce compris les communicants si smart d’Infrabel qui vendent au quotidien du « safety first »,ignorent beaucoup de choses de la réalité du terrain. « Je ne pense pas que M. Lallemand (le patron d’Infrabel, NDLR) sache précisément comment cela se passe sur les voies, je ne peux pas l’imaginer », dit-il.
Les forçats de la voies se racontent · parismatch.be
Dans un reportage de Paris Match Belgique, des agents d’Infrabel évoquent des conditions de travail difficiles et ils dénoncent une dégradation de la culture de sécurité. Lorsqu’on voyage en t…
https://parismatch.be/actualites/societe/112155/infrabel-forcats-de-voie
Un aperçu du reportage via Parismatch.be
« Les esclaves du rail »
Arnaud Decoux, le secrétaire régional de la CGSP Cheminots-Charleroi, a commencé sa carrière comme agent de maintenance spécialisé. Il nous dit : « Ce que mes collègues vous ont décrit correspond à la réalité d’un métier pénible et dangereux. Vous parlez de “forçats”, moi je dis qu’on peut les appeler “les esclaves du rail”. Ces agents ont les grades les plus bas dans l’univers du chemin de fer et cela fait des années que nous demandons une revalorisation. Ils ont des horaires de plus en plus difficiles, leurs tâches ne cessent de se complexifier, on fait peser sur leur dos de plus en plus de responsabilités, notamment dans le domaine de la sécurité. Et en regard de cela, ils ont un salaire de misère, on continue à considérer que ce travail n’est pas pénible et qu’il se fait à cycle régulier. C’est contraire à la réalité. Plutôt que d’externaliser de plus en plus de tâches vers le privé – ce qui représente un coût important – la direction d’Infrabel devrait accorder plus d’intérêt au vécu de ces hommes indispensables au fonctionnement des chemins de fer. On a atteint la cote d’alerte ! »
« Des collaborateurs essentiels »
« Aucune économie n’est faite sur les dispositifs de sécurité mis en places » assure le service de communication d’Infrabel.
A quel point les employés d’Infrabel qui travaillent sur les voies (-AM, AMS, chefs de maintenance) sont-ils importants dans l’univers du rail ?
Infrabel : Ces collaborateurs sont essentiels. Ils s’occupent de la maintenance de la voie et de la protection de leurs collègues qui interviennent dans le gabarit des voies. Ils exercent des fonctions de sécurité. Au sein d’Asset Management, c’est la population la plus nombreuse (1856 collaborateurs). Pour exercer leurs fonctions, ils reçoivent une formation de base qui s’étale sur une bonne année. Infrabel investit beaucoup dans cette formation et a notamment développé un simulateur pour les former au mieux dans la fonction de factionnaire, initiative couronnée par un prestigieux prix international.
Lors des interventions sur les voies, Infrabel est-elle toujours en mesure de respecter les mesures de sécurité – telles qu’elles sont prévues pas le fascicule 576. Des témoignages font état de situations où des éléments de la chaîne hiérarchique demandent d’utiliser moins de factionnaires que ce que prévoit ladite réglementation ?
Aucune économie n’est faite sur les dispositifs de sécurité mis en place, y compris le dispositif par factionnaires. Lors de l’organisation des activités de maintenance, nous considérons toujours la sécurité comme notre priorité. Les mises hors service de voies sont la solution privilégiée et sera dans le futur de plus en plus intégrée dans les plans de transport ferroviaires. A titre d’exemple, depuis début 2018, certaines lignes sont totalement mises hors service de jour en semaine afin d’effectuer la maintenance planifiée. Lorsque les circonstances ne le permettent malheureusement pas, d’autres dispositifs de sécurité réglementaires sont mis en place. Nous investissons dans plusieurs systèmes de matérialisation qui viendront encore renforcer la fiabilité de ces dispositifs et la sécurité de nos travailleurs.
Des fiches de travail rédigées par des ingénieurs (agents de maîtrise) sont-elles parfois remplies incomplètement, en ce sens que les cases relatives aux « mesures de sécurité » restent parfois vierges ?
Ces fiches de travail doivent être systématiquement réalisées pour les interventions planifiées. Celles-ci sont un outil de communication entre la ligne hiérarchique et les travailleurs pour toutes les interventions planifiées. Elles visent à garantir que l’information a bien été transmise, reçue et comprise par chacun. Il appartient à chaque collaborateur de se manifester préalablement aux travaux en cas d’incompréhension, et si un collaborateur constate qu’une fiche n’est pas correctement remplie, il doit « lancer une alerte », selon le règlement de travil. C’est-à-dire prévenir sa hiérarchie. La signature de chacun est requise. Par ailleurs, des toolbox meeting et des contrôles de la ligne hiérarchique ont lieu pour renforcer ces dispositions et veiller à la bonne application des mesures de sécurité. Lorsque des erreurs sont constatées, toutes les mesures nécessaires sont prises pour éviter qu’elles ne se reproduisent dans une culture apprenante et un souci d’amélioration continue.
La procédure « S 460 » connaît-elle parfois des ratés, des défaillances en termes de communication entre la cabine et les hommes qui se trouvent sur un chantier ?
La procédure de blocage des mouvements s’appuie sur de nombreux facteurs humains et n’est pas infaillible. Nous développons actuellement des dispositifs matériels visant à augmenter la fiabilité de cette procédure en renforçant le dispositif humain par des blocages physiques agissant directement sur la signalisation ferroviaire. Ces équipements combinés à la TBL1+ installée et à l’ETCS en cours de déploiement, assureront une sécurité sensiblement améliorée pour l’ensemble de nos travailleurs dans les voies. Nous développons également la digitalisation des communications écrites entre les cabines et les hommes sur le terrain via des tablettes tactiles afin de renforcer la consignation des mesures de sécurité. Ces démarches démontrent la volonté d’Infrabel de considérer la sécurité comme sa priorité, en assumant les conséquences éventuelles sur la ponctualité.
Beaucoup d’agents disent ressentir « une pression » de plus en plus importante de leurs chefs, laquelle est liée à un manque d’effectifs. Infrabel est-elle confrontée à une situation de sous-effectifs ?
Infrabel fait face, dans la cadre de son plan d’entreprise, à une diminution de son personnel. Des solutions telles que modernisation des outils, automatisation des mesures, digitalisation, simplification du réseau,… sont progressivement mises en place et rendent cette diminution possible. Par ailleurs, Infrabel connait localement des difficultés de recrutement pour les profils techniques. Infrabel prend de nombreuses initiatives pour y remédier dont la plus visible est les nombreux jobdays.
Le travail de nuit est-il réellement presté sur base volontaire ? Ce caractère « volontaire » n’est-il pas une fiction alors que des agents se voient régulièrement contraints de travailler « pour raison de service » par leur hiérarchie ?
Nous recherchons le juste équilibre entre l’exploitation de nos infrastructures et la satisfaction des voyageurs d’une part et le bien-être et l’équilibre familial de tous nos collaborateurs d’autre part. Sur certaines lignes à forte fréquentation, assurer la maintenance en journée impliquerait soit des circonstances de travail dangereuses, soit un impact très négatif sur le trafic. Dans ces cas, le travail de nuit ou de week-end s’avère incontournable.
De plus en plus d’opérateurs privés interviennent sur les voies et des agents évoquent des manquements en termes de respect des règles de sécurité. Est-ce un problème qui est connu de la direction d’Infrabel
Les activités de maintenance stratégiques ne sont pas sous-traitées. Pour les autres activités sous-traitées, les mesures de sécurité sont d’application comme pour l’ensemble de nos activités.
Des agents disent souffrir d’un manque de considération alors que leur métier est lourd et pénible. En termes de rémunération, est-il envisagé de revaloriser le travail des hommes de la voie ?
Nous investissons constamment et depuis des années dans des outils de mécanisation qui permettent de soulager les activités dites lourdes et pénibles. Et un groupe de travail a été mis en place mi-2017 avec les 3 entités des Chemins de fer pour revoir l’ensemble des primes/allocations/indemnités qui existent.