JEAN-DENIS LEJEUNE : "C'EST UN CAUCHEMAR. JE VAIS ME REVEILLER ?"
- Entretien et commentaire publiés dans l'hebdomadaire Paris Match, le 28 février 2008 -
Alors qu’il séjourné actuellement au Bénin dans le cadre d’un projet humanitaire, Paris Match a pu joindre Jean-Denis Lejeune, le papa de Julie, l’une des petites victimes de Marc Dutroux et consorts. Juste avant le départ en Afrique de Jean-Denis, la nouvelle de l’inculpation de Victor Hissel était tombée. Encore trop fraîche, c’est-à-dire aussi bouleversante qu’incroyable. Et sa première réaction avait été très prudente. Du genre « je ne peux y croire », « attendons la suite de l’enquête », « ce n’est pas possible », etc… Maintenant que les choses sont plus claires, malheureusement très claires, Jean-Denis se dit « blessé » : « J’ai les jambes coupées ». Il se montre aussi très ferme, radical : « Je n’ai plus rien à lui dire. S’il croise mon chemin à Liège, qu’il change de trottoir ».
Inculpé de « détention de matériel pédo-pornographique », Victor Hissel aurait avoué s’être rendu sur des sites diffusant ces images de la honte. Par contre, contrairement à ce que certains journaux ont pu écrire, il n’utilisait pas sa carte de crédit pour payer les images illégales… Hissel lui-même, de même que son avocat, sont peu diserts sur la nature des aveux formulés devant la juge d’instruction Rusinovski. Il est question d’ « aveux partiels »…
Jean-Denis Lejeune. Qu’on arrête de tourner autour du pot. Victor a été inculpé et je n’ose imaginer que, dans un dossier d’une telle importance, cela se fasse à la légère. Or, dans sa bouche, je n’ai entendu que des non-réponses, des arguments juridiques, des comparaisons contestables comme le parallèle qu’il trace entre un « match de tennis qui ne ferait que commencer » et son affaire ! Mais moi, ce que je voudrais entendre, ce sont des paroles claires, franches et sincères. Je voudrais savoir ce que Victor reconnaît exactement. Cela veut dire quoi des « aveux partiels » ? J’en retiens qu’il admet donc une part de culpabilité devant la justice tout en jouant à l’innocent devant les médias. C’est peut-être une stratégie de défense, mais elle me déplaît fortement. Quand cette terrible nouvelle était tombée, je me répétais sans cesse « ce n’est pas possible ; non, ce n’est pas possible »… Aujourd’hui, je dois bien me rendre à l’évidence : il est allé sur ces sites pédo-pornographiques pour répondre à des envies personnelles. Il le reconnaît et c’est bien sûr une information qui me choque énormément… Je suis interloqué. En fait, j’ai les jambes coupées. C’était tout de même la personne qui défendait le dossier des petites, l’avocat qui les représentait ! Depuis combien d’années est-il attiré par les images pédophiles ? Peut-on le qualifier de pédophile ? Je me pose enfin une question qui, vraiment, m’obsède de plus en plus : sa déviance était-elle déjà présente quand il intervenait dans « l’enquête Julie et Melissa » ? Cela l’a-t-il influencé ? Cela l’a-t-il conduit à parfois nous influencer ? Le loup était-il dans la bergerie ? A priori, je ne veux pas être trop dur ou injuste. Ni cracher sur ce qu’il a fait à nos côtés ou sur les combats qu’il a menés. En regardant dans le rétroviseur, je ne vois pas ce qu’on pourrait lui reprocher. Sommes-nous passés à côté de quelque chose à cause de lui ? Je ne le crois pas. Au contraire, il a pris des risques professionnels dans la défense de nos intérêts. Et pourtant, ce qu’on vient d’apprendre a introduit un doute. C’est un sentiment très compliqué à décrire. Mais je ne peux cacher qu’il comporte notamment de la colère et du dégoût.
Avez-vous eu un contact avec lui depuis que la nouvelle de son inculpation a été révélée par la presse ?
Le lundi 18 février, il m’a envoyé un s.m.s. dans lequel il était écrit « Désolé de ce qui arrive ». Suite à cela, je lui ai téléphoné et il m’a dit qu’il était en audition et qu’on l’avait laissé décrocher étant donné que c’était moi qui l’appelais. Il m’a répété qu’il était désolé de ce qui arrivait, tant pour les petites que pour nous, mais aussi pour sa famille. Et moi, je lui ai souhaité « bon courage »… En espérant, bien sûr, qu’il s’agissait d’une tragique méprise… Que, par exemple, il s’agissait d’un accident dans l’ouverture d’un e-mail ou qu’il avait consulté des sites pédophiles, bien que ce soit interdit, dans le cadre d’une enquête professionnelle. Je voudrais dire à cet égard que ce qui est grave, c’est que même s’il n’a pas touché physiquement à un enfant, il a soit contribué, soit au moins cautionné le trafic d’enfants qui permet la constitution du matériel pédo-pornographique. Pour moi, ces constats sont tout à fait insupportables. Pas de concession, pas de pardon ! Je ne peux pas faire de demi-mesure, même pour Victor Hissel.
L’avocat des parents de Julie et Melissa inculpé dans une affaire de pédo-pornographie… On a presqu’envie de dire : « Il ne manquait plus que cela ! ».
Décidément, dans tout ce qui nous a touchés depuis la disparition des petites, ce n’est qu’une accumulation de malheurs et de catastrophes. Des enquêtes malmenées, des erreurs colossales, une magistrate incompétente, des gendarmes manipulateurs, un procès judiciaire n’apportant pas de vraies réponses. Et maintenant, notre avocat qui serait un pédophile ! Un romancier écrirait une histoire de ce type, on lui dirait que ce n’est pas crédible. Mais ce n’est malheureusement pas une histoire ! Dans quel monde vivons-nous ? C’est un cauchemar. Je vais me réveiller ? C’est tellement sordide.
Dans quelles circonstances Victor Hissel était-il devenu votre avocat ?
Quand les petites ont disparu, on a fait appel à l’A.s.b.l. « Marc et Corine » pour essayer de faire imprimer des affiches de recherche. Et puis, on a eu des contacts assez tumultueux avec la juge Martine Doutrèwe. Elle a décrété qu’elle ne voulait plus avoir d’échanges directs avec les parents et que, désormais, l’information entre l’instruction et nous passerait par le biais d’un avocat. Jean-Pierre Malmendier, le président de l’A.s.b.l. « Marc et Corine », nous a conseillé de prendre Victor Hissel. On lui a fait totalement confiance, même si parfois il y avait de fortes dissensions. Maintenant, je me dis que c’est abominable d’avoir fait confiance à un pédophile. Je me pose et me repose encore la question : nous a-t-il mal conseillés ? Nous a-t-il conduits vers des voies sans issue, des demandes inopportunes ? Je ne veux pas y croire, mais je m’interroge vraiment. En fait, je suis trop bouleversé. Nous avons été roulés dans la farine. Je ressens un sentiment de trahison. Il faudra laisser passer un peu de temps pour que mon opinion à l’égard de tout cela soit définitive.
Il est resté à vos côtés pendant des années.
Oui, bien sûr. Jusqu’en 2002.
Quel souvenir l’homme vous a-t-il laissé ?
Pour moi, jusqu’à ce 18 février, Victor Hissel m’inspirait un souvenir positif. Celui d’un homme qui s’était impliqué dans un dossier, voire plus, dans un combat. Cela ne m’empêchait pas de constater par ailleurs qu’il était parfois un peu compliqué. Il se sentait en marge des autres avocats et jouait un peu de cette position marginale pour toujours se présenter comme une victime. En 1998, quand il a une première fois décidé d’arrêter de nous défendre, il avait présenté les choses ainsi : le climat pour lui était invivable, la pression était trop forte. Il était victime de son investissement. Pour nous, parents, c’était presque culpabilisant. Tout ce que j’espère, c’est que, en ce temps-là, il n’avait pas déjà commencé à nous mentir, à se mentir. Je ne voudrais jamais découvrir qu’un pédophile ait pu prendre plaisir à traiter un dossier comme le nôtre… C’est incroyable. En vous parlant, j’ai l’impression d’être dans une fiction.
Pourquoi vos chemins s’étaient-ils séparés ?
Parce qu’à partir d’un certain moment, on ne croyait plus à l’enquête telle qu’elle était menée par le juge Langlois à Neufchâteau. On en était arrivé à ne plus croire du tout à la justice dans notre dossier. Donc, il n’était pas nécessaire de se faire représenter par un avocat lors d’un procès qui aurait pu tout aussi bien se tenir sous un chapiteau.
Allez-vous encore appeler Victor Hissel pour lui demander des explications ?
Non… Je pense qu’on n’a plus rien à se dire. De toute manière, depuis 2002, je n’avais plus de contacts avec lui. Même pas pendant le procès d’Arlon où il a vu que j’étais seul puisque, contrairement à ce qui avait été décidé avec les Russo, j’ai finalement voulu être présent pour contrer la désinformation du juge Langlois. J’aurais espéré un soutien, une petite pensée à ce moment-là, qui était très pénible.
Vous habitez en région liégeoise. Lui aussi. Par hasard, vous pourriez vous rencontrer…
J’espère que cela n’arrivera jamais.
Au point de changer de trottoir ?
Pardon ? Il ne faut pas inverser les rôles. Je ne crois pas que ce soit à moi de changer de trottoir.
Il n’y a pas de viol « partiel »
Après la perplexité, voire l’incrédulité. Après la recherche d’éléments d’informations qui, tout de même, in fine, expliqueraient l’inexplicable, l’injustifiable, l’horreur. Après s’être dit que, vraiment, cela n’était pas possible, le temps est maintenant celui des évidences, celui des aveux même s’ils sont « partiels » : Victor Hissel, cet avocat qui défendit les parents Lejeune et Russo, les Marchal aussi ; cet homme qui s’était tellement investi dans diverses associations nées de « l’affaire Dutroux et consorts » ; ce symbole vivant, aux côtés des parents, du combat pour une plus grande implication des services de police et de la justice dans les affaires de pédo-pornographie ; ce juriste autant brillant qu’atypique qui jouait facilement au donneur de leçon et, avec un certain succès, à la victime d’un « système » de « puissants » cherchant à avoir sa peau ; ce bonhomme caché derrière sa barbe serait donc lui-même un consommateur de ce « matériel » de la honte, de ces images immondes fabriquées en faisant souffrir des enfants… En les tuant un petit peu, en leur retirant l’innocence et l’espoir.
Les aveux de Victor Hissel sont « partiels ». Dont acte. Mais il n’y a pas de viol « partiel », il y a toujours des victimes au début du processus. Et cela durait depuis « des années », précise une personne de l’entourage immédiat de Victor Hissel lorsqu’elle est interrogée par les enquêteurs ! Depuis des années ? Mais depuis quand exactement, interroge très justement Jean-Denis Lejeune. Après « l’affaire Dutroux » et avoir baigné trop longtemps dans des dossiers qui, finalement, auraient attisé une « curiosité » malsaine ? Après des difficultés familiales et une traversée du désert sur le plan professionnel ? Ou alors, déjà du temps de « l’affaire Dutroux » ? Encore avant ? Quand il défendait le curé de Kinkempois impliqué dans une affaire qui avait mis en évidence un petit réseau de pédophilie ? Mais depuis quand le mal est-il là ? Pas possible de le demander à Victor Hissel ou à ses conseils qui ne répondent à aucune question précise. Cruciale, la réponse à cette question devrait permettre de juger du degré de perversité d’un personnage qui, « malade », « depuis des années », n’a pas eu le courage de descendre du piédestal sur lequel il était volontairement monté pendant « l’affaire Julie et Melissa » pour aller se faire « soigner ».
Parfois difficile à suivre dans ses raisonnements et des stratégies judiciaires qui lui sont propres, Victor Hissel nous incite aujourd’hui à réfléchir, une fois encore, à ce passé douloureux de « l’affaire Dutroux ». Comment a-t-il vraiment vécu cet épisode de sa vie ? Cette affaire hors du commun, avec les tensions énormes qu’elle a impliquée, l’a-t-elle conduit vers une dérive devenue ensuite incontrôlable ? Une telle vérité ne pourrait servir d’excuse car, plus encore pour un homme qui a surfé sur la vague blanche que pour quiconque, l’excuse en l’espèce n’existe pas. Mais cette vérité serait la moins pire. Moins pire que d’imaginer que naguère, le loup était dans la bergerie…