A MOLENBEEK, UNE FAUSSE CARTE D'IDENTITE POUR ETRANGER ETAIT VENDUE QUELQUES MILLIERS D'EUROS...
- Enquête évoquée sur le plateau de l’Info Confidentielle Paris Match sur RTL/TVI, le 28 septembre 2008 et publiée dans l’hebdomadaire Paris Match (Belgique), le 02 octobre 2008 -
« J’ai été la victime d’une enquête expéditive de la police de la zone Bruxelles-Ouest. Les vrais coupables travaillent encore au sein de l’administration communale. » Marc Coller se confie pour la première fois. Jusqu’il y a peu, cet administratif travaillait au Bureau des étrangers de la commune de Molenbeek, où il était considéré comme un employé modèle. Désormais, c’est un homme en colère. Indigné d’avoir croupi 119 jours en prison et plus encore d’avoir été licencié sans bénéficier de la présomption d’innocence. Révélations sur un trafic de fausses cartes d’identité pour étrangers qui, depuis dix mois, fait l’objet d’une instruction très discrète menée par la juge bruxelloise Geneviève Tassin.
Le mardi 13 novembre 2007, la vie professionnelle de Marc Coller s’est écroulée en quelques heures. Agé de 45 ans, ce père de famille qui élève seul ses deux enfants était arrêté par des policiers, inculpé par une juge d’instruction, jeté en prison et licencié sur-le-champ pour faute grave. Sinistre total. Pourtant, jusque-là, cet employé communal avait été qualifié d’« exemplaire » et son chef de service, le « directeur de la démographie » Richard V., était particulièrement content de ses prestations. De nombreux rapports d’évaluation consultés par Paris Match en témoignent : « Très bonne connaissance de la matière traitée jusque dans ses moindres détails », « Travail soigné, fait très peu d’erreurs et sait les rectifier », « Comprend très bien les objectifs de sa fonction et exploite bien son expérience professionnelle pour aboutir dans l’exécution de ses tâches », « Porte un grand intérêt à son travail », « Manifeste son souci du service du public »…
Désormais, le temps des louanges est très éloigné. Depuis ce fameux mardi 13 novembre 2007, rien n’est plus pareil pour cet homme blessé : « On a bousillé ma vie. J’ai tout perdu sur le plan professionnel, mais personne ne m’empêchera de me battre pour retrouver mon honneur ! On m’a mis en prison pendant plusieurs mois alors que je suis innocent. Et les coupables n’ont pas encore eu le moindre compte à rendre à la justice. J’ai eu accès au dossier. La Police fédérale dispose d’assez d’éléments pour interpeller certaines personnes. Je me demande ce qui bloque. Cela a trop duré. On m’a fait croupir dans une cellule surpeuplée avec des durs aux casiers judiciaires bien remplis. Je devrais dire merci et amen ? Pas question ! »
Paris Match Belgique. Quel souvenir gardez-vous du jour de votre arrestation ?
Marc Coller. Ce matin-là, je suis arrivé à la Maison communale vers 7 heures. J’arrivais toujours le premier et c’est pour cela que j’avais les clés du coffre-fort où se trouvent l’argent, les cachets et les documents officiels. A 9 heures, je devais passer un examen au Selor, le Bureau de sélection de l’Administration fédérale. Avant de quitter la Maison communale, un collègue m’a demandé de laisser les clés du coffre car mon chef de service, Richard V., en avait « besoin ». C’est clair : ce dernier savait déjà que j’allais être arrêté. Des policiers de Molenbeek – pardon, de la zone Bruxelles-Ouest – m’attendaient devant l’entrée du Selor. Etait-ce plus discret de m’interpeller là que sur mon lieu de travail ? Ils m’ont conduit jusqu’à leurs bureaux où j’ai dû immédiatement vider mes poches. Et puis, j’ai eu droit à une séance photo. Comme dans les films ! A 12 h 45, un inspecteur me posait enfin une première question, assez vague : « Avez-vous une idée du pourquoi de votre interpellation ? » J’ai répondu : « ça doit avoir un rapport avec les rumeurs autour du dossier Jouad K. »
Jouad K. ?
C’est le nom d’un ressortissant marocain. Le 1er octobre 2007, il avait pu obtenir un CIRE (*) en s’adressant à notre service. Quelques jours plus tard, j’avais reçu l’ordre de retrouver le « dossier papier » contenant les autorisations administratives et policières qui avaient justifié la création de la carte de Jouad K. Mais ce « dossier papier » était resté introuvable.
En quoi était-ce à votre problème ?
A l’instar de trois de mes collègues, mon job consistait à finaliser les CIRE. Je recevais les demandeurs au guichet. Ces derniers étaient convoqués par le bureau de mon supérieur hiérarchique, Richard V., lequel me procurait ce « dossier papier » comportant obligatoirement deux sésames : une lettre de l’Office des étrangers (Oe) accordant le droit de séjour au demandeur, et un rapport de la police locale établissant qu’il résidait bien dans la commune. Je devais introduire les données au registre national via mon ordinateur, leur faire signer leurs documents, signer moi-même leur carte, répertorier ces opérations dans les livres communaux et, enfin, leur délivrer les papiers.
Le « dossier papier » de Jouad K. étant égaré, cela jetait un doute sur les conditions dans lesquelles ce monsieur avait reçu sa carte d’identité ?
A mon sens, il n’y avait pas péril en la demeure. La lettre de l’Oe pouvait être demandée en duplicata, le rapport de police aussi… Mais rapidement, une rumeur s’est mise à circuler. Le dossier Jouad K. avait été trafiqué et j’étais suspecté. Bien plus tard, en consultant le dossier répressif, j’ai compris que l’éclatement de cette affaire ne devait rien au hasard.
C'est-à-dire ?
Le 19 octobre 2007, une lettre de dénonciation était parvenue à l’Oe. N’hésitant pas à signer, un ressortissant étranger mettait en cause un trafic permettant à des personnes en séjour illégal de recevoir de faux CIRE à la commune de Molenbeek. S’il ne citait pas les noms des ripoux, le dénonciateur avançait des chiffres impressionnants : quelque 150 personnes auraient pu acheter de faux documents d’identité monnayés 30 000 euros l’unité. Ne disposant pas d’un tel bakchich, il avait décidé de tout balancer. L’accusateur désignait Jouad K. en temps que bénéficiaire du trafic. Il donnait son numéro de carte d’identité, sa date de naissance, son numéro national. C’est pour cela que l’Office des étrangers avait demandé à la commune de retrouver le fameux « dossier papier ».
Qui pouvait être suspecté ?
Dix-sept personnes travaillaient dans le service « démographie », qui est concerné par les fraudes. En outre, trois membres du service « population » étaient techniquement en mesure de commettre ces délits. Mais je ne veux pas jeter la suspicion sur tout le monde. Après avoir lu le dossier, j’ai fait des recoupements. A mon sens, trois ou quatre personnes sont impliquées au sein de la Commune. La Police fédérale sait de qui je parle et pourquoi. Je me demande ce qu’on attend pour interpeller ces suspects.
La Police fédérale ? N’aviez-vous pas été arrêté par la police locale ?
Oui, mais au bout d’une centaine de jours, les policiers de la zone Bruxelles-Ouest ont demandé à être déchargés du dossier. Je ne m’en plains pas. Ils avaient fait une enquête expéditive. Sous influence. Pour eux, j’étais le coupable idéal. Faut dire que je suis une des rares personnes qui, à la commune, n’a pas été engagée parce que quelqu’un de sa famille connait untel ou untel. J’étais le fusible tout indiqué. Avec ma mise à l’écart, les autorités locales pouvaient donner une réponse de façade si cette affaire délicate éclatait dans les médias : « Le présumé coupable a été arrêté et licencié. Tout est sous contrôle »…
De là à parler d’une enquête « sous influence »…
Le jour de mon arrestation, dans les bureaux de la police locale, je n’ai retrouvé que quatre de mes collègues alors que près de vingt personnes étaient susceptibles d’avoir commis les falsifications. L’un des collègues qui se trouvaient là avait signé une fausse carte : il a expliqué que son paraphe avait été imité et il a été relâché aussitôt. Sans inculpation. Moi, avec mon costume taillé d’avance, on ne m’a laissé aucune chance.
Et vous connaissez le nom du « tailleur » ?
Il pourrait s’agir de mon chef de service. Il m’avait déjà fait une réputation négative avant mon interrogatoire. En tous cas, il m’a semblé que les enquêteurs avaient des questions toutes faites. Ils les lisaient mécaniquement sans les comprendre. Ces policiers ne connaissaient rien au droit des étrangers, mais cela ne les empêchait pas d’être péremptoires. (NDLR : il nous a été confirmé à bonne source qu’aujourd’hui encore, l’enquête avance difficilement en raison de sa très grande complexité.) Dans le PV qui devait ensuite être lu par le magistrat qui déciderait de ma détention, ils présentaient comme établies des informations qui ne l’étaient pas et qui, d’ailleurs, ne le seront jamais. Par exemple, que j’aurais participé à la création d’une demi-douzaine de fausses cartes.
Pardon ?
Je le répète : mes réponses importaient peu. Ils m’avaient saisis 4 500 euros en liquide. Cet argent, c’était une partie de l’acompte pour le rachat d’un immeuble familial. Mais, dans leur esprit, ils avaient trouvé la montre en or. La messe était dite : il leur fallait un coupable et c’était moi. Le premier interrogatoire a duré 1 heure et 25 minutes. Ensuite, sur avis du Parquet, j’ai été déféré chez la juge d’instruction. Elle m’a reçu quelques minutes. Et voilà… A 20 h 30, je commençais mon séjour à Forest. Détenu sous les liens d’un mandat d’arrêt « comme auteur ou coauteur de traite des êtres humains par un officier ou un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et faux en informatique… » Ensuite, j’étais licencié. La police locale m’a encore interrogé pendant 29 minutes quelques jours plus tard, et puis je suis resté derrière les barreaux jusqu’à la mi-mars. 119 jours.
Un employé communal en prison parce qu’il délivrait des fausses cartes d’identité, cela a dû faire du bruit.
Pas du tout. Pas un mot dans la presse… L’info n’a filtré que trois mois plus tard, alors que l’enquête venait de changer de mains. Une radio et La DH-Les Sports annonçaient qu’une affaire de fausses cartes d’identité pour étrangers avait éclaté à Molenbeek et qu’un inculpé était déjà sous les verrous. Mon nom était cité. Le méchant avait été arrêté. Fin de l’histoire.
Où en est l’affaire aujourd’hui ?
J’ai été libéré le 12 mars 2008 suite à une ordonnance de mainlevée du magistrat instructeur… cinq jours à peine après mon premier interrogatoire par les policiers fédéraux. Ces enquêteurs-là ont pris le temps de m’entendre longuement. J’ai éprouvé le sentiment réconfortant d’avoir rencontré des professionnels. Impartiaux et méticuleux.
Mais qu’a établi l’enquête ?
Au moment de ma libération, neuf dossiers de fausses cartes avaient été mis à jour par mon chef de service Richard V., qui les a transmis à la justice. En ce qui me concerne, j’ai fait l’encodage des données relatives à deux cartes sur mon ordinateur à la Commune et je les ai délivrées. J’ai aussi fait deux corrections dans des dossiers litigieux qui avaient été mal encodés par des collègues.
Vous êtes donc coupable.
Pas le moins du monde. J’ai fait les deux corrections en toute transparence. Derrière mon guichet, sur le PC qui m’était attribué. Dans un cas, le possesseur d’une carte était venu me signaler une erreur de date de naissance. J’ai fait la modification et je lui ai rendu son document. Dans l’autre, j’ai modifié le « code nom » d’une personne qui s’était présentée au guichet. Par ailleurs, les deux cartes que j’ai faites entièrement l’ont été dans le respect de la loi. Sur base du « dossier papier » que j’avais reçu de mon chef de service. Veut-on me reprocher d’avoir exécuté une mission dictée par ma hiérarchie ? J’ai fait ces deux cartes sur base de documents qui me semblaient en ordre. Sans rien chercher à dissimuler. Depuis mon ordinateur et en utilisant mon login. J’ai signé ces cartes et reproduit mes initiales dans le système informatique avant de les donner à leur récipiendaire. Franchement, si j’étais un faussaire, je serais le plus mauvais du monde. Faire un tel faux depuis son ordinateur, c’est agir comme un voleur qui déposerait sa carte de visite sur le lieu de son forfait !
Vous avez fait ces deux cartes de bonne foi ?
J’ai été abusé. J’avais en permanence une soixantaine de « dossiers papier » sur mon bureau. J’en traitais quatre ou cinq par jour. J’en arrive à penser qu’on m’a glissé deux dossiers pourris dans la pile. Des dossiers contenant une fausse lettre de l’Oe et/ou un faux rapport de police. Je n’étais pas sensé passer les « dossiers papier » à la loupe puisqu’ils venaient directement du bureau de mon chef…
Il suffirait de retrouver ces « dossiers papiers » pour voir s’ils contenaient vraiment des faux…
Malheureusement, on ne les a pas retrouvés dans les archives, qui sont conservées dans le bureau de mon chef de service.
Et s’il n’y avait jamais eu de « dossiers papier » ? Si vous aviez fait ces deux cartes comme cela…
Sur mon ordinateur ? Si j’étais suicidaire, il aurait été plus simple d’accrocher une cloche à mon cou pour courir dans la Maison communale en criant « je suis un faussaire » !
Que savez-vous des autres fausses cartes trouvées à ce jour ?
Sept d’entre elles ont été collectées et encodées à partir d’un ordinateur de la Maison communale qui était accessible à une vingtaine de personnes.
Vous dites ?
Oui. Il y avait une faille en termes de sécurité. Un PC, le « 766 » ou « PC d’accueil », avait un login connu de tous. Et donc une vingtaine de personnes avaient la « capacité » d’y réaliser les opérations de collecte et d’encodage de données relatives à l’établissement des documents d’identité…
On aurait trouvé trois fois votre code d’accès dans cet ordinateur en relation avec des encodages de cartes litigieuses…
Là, c’est le sommet : non content de faire de fausses cartes via mon ordinateur en les signant, je me serais identifié sur un ordinateur ne nécessitant pas l’utilisation de mon login pour marquer à tout prix mon passage… Ce n’est plus un faussaire maladroit, c’est carrément un faussaire maso !
Quelqu’un connaissait votre mot de passe ?
Deux personnes au moins (NDLR : il cite deux noms). C’était le prénom de mon amie. Cela dit, ces fameuses « preuves » que mon mot de passe aurait été utilisé dans l’ordinateur d’accueil ne sont pas dans le dossier répressif. Il y a eu une déclaration en ce sens d’un employé communal et puis le « 766 » a été changé de place et, paraît-il, vidé.
Si ce n’est pas vous le faussaire, c’est qui ?
En lisant le dossier, j’ai fait des recoupements. J’en ai parlé aux enquêteurs. Plusieurs encodages litigieux ont été faits lentement, avec des erreurs de débutant. J’ai désigné la personne qui travaillait le plus souvent sur l’ordinateur d’accueil. Il s’agit de D., une personne qui est toujours fourrée avec les sœurs A., des fonctionnaires faisant partie de la famille d’un conseiller communal. C’est d’ailleurs l’une des sœurs A. qui a réalisé la « collecte » pour la première des fausses cartes. Elle a déclaré à la police qu’elle l’avait fait sur ordre de Richard V. et sur base d’un « dossier papier »… qui a disparu.
Exactement comme pour vous ?
Sauf que dans mon cas, cela m’a valu quatre mois de prison et que dans le sien, la police locale lui a dit : « C’est bon comme cela. » Après l’éclatement de l’affaire, l’une des sœurs A. a été changée de service.
Et les bénéficiaires des fausses cartes, qu’ont-ils déclaré ?
Tous ou presque ont été très vite rapatriés au Maroc, après n’avoir rien révélé. Mais il y a tout de même le témoignage édifiant d’une bénéficiaire qui a expliqué s’être rendue avec son oncle devant la Maison communale, où l’attendaient trois personnes : deux Marocains et un Belge. Un coup de téléphone a été donné à quelqu’un à l’intérieur. Elle est montée. Arrivée au guichet, quelqu’un a pris un dossier. D’après sa description des lieux, c’était le bureau de D., le collègue dont je parlais déjà tout à l’heure. Elle signé deux papiers et elle a reçu sa carte. Sa famille s’est acquittée d’une somme de 17 000 euros donnée de la main à la main dans la rue.
Vous auriez pu vous trouver à la place de D., dans son bureau…
Ouais… sauf que cette dame a reconnu formellement D. sur photo comme étant la personne qui lui a donné sa fausse carte. Ma photo a aussi été montrée, mais elle a déclaré ne m’avoir jamais vu.
Qu’attend-on pour interpeller D. ?
Je crois que la Police fédérale veut remonter à la tête du trafic, mais pendant qu’ils « remontent », moi je m’enfonce. Quatre mois de prison, le chômage et quoi ? Je veux récupérer mon honneur et l’un des chemins pour y arriver, c’est que la justice s’en prenne enfin aux vrais coupables.
Vaut-il mieux être présumé pédophile ou présumé faussaire ?
« J’aurais souhaité que mon employeur respecte la présomption d’innocence en ne me virant pas sur-le-champ. La commune aurait pu se contenter de me suspendre ou de me donner une autre fonction en attendant l’issue judiciaire. J’étais prêt à faire n’importe quel boulot », déplore Marc Coller. Et de s’indigner : « J’ai voulu en parler avec le bourgmestre, mais il n’a jamais voulu me recevoir. Dans le même temps, un ouvrier communal qui, en juin dernier, a été condamné à cinq ans par le Tribunal correctionnel de Bruxelles dans une sombre affaire de pédophilie, a pu conserver son emploi…
Alphonse R. est en effet considéré comme “ présumé innocent ” par le Collège en attendant le verdict de la Cour d’appel. Pourquoi me traite-t-on plus durement qu’une personne déjà reconnue coupable une première fois d’avoir donné son gosse en “ location ” à un voisin pervers ? Pourquoi certains cris d’innocence sont-ils mieux entendus que d’autres ? ».
Renseignements pris auprès des autorités judiciaires bruxelloises, Alphonse R. a bel et bien été condamné, le 10 juin 2008, à cinq ans d’emprisonnement dont trois ans fermes, en temps que coauteur d’un viol sur un mineur d’âge, avec la circonstance aggravante qu’il avait autorité sur la victime. Plus précisément, R. aurait livré son fils à un voisin pédophile en échange de menus avantages. Son arrestation immédiate n’a pas été ordonnée par le Tribunal correctionnel. Le 23 juin 2008, Alphonse R. a fait appel et l’affaire sera une nouvelle fois jugée à Bruxelles, vraisemblablement en 2009. Nous avons pu parler avec le présumé pédophile : « A mon travail, ils savent que cette histoire n’est pas vraie. J’ai eu un très bon soutien de mes collègues, de mes supérieurs. Même du bourgmestre qui sait très bien que je n’ai fait pas fait cela. Je n’ai jamais perdu mon emploi. »
Alphonse R. explique aussi qu’après avoir fait deux mois de préventive dans cette affaire, il est passé devant le Collège : « Ils ont accepté ma reprise du travail et ils m’ont remboursé les deux mois de salaire que j’avais perdu pendant que j’étais en prison. » Responsable de la 3e division Ateliers à la commune de Molenbeek et président du PS local, Julien Delathouwer confirme que cet ouvrier a été maintenu en place : « Tant qu’il n’y a pas de condamnation définitive, il est présumé innocent. » Alors, deux poids, deux mesures ? « Non », affirme cet interlocuteur : « Primo, les faits éventuellement commis par Alphonse R. concernent sa sphère privée, alors que Marc Coller a été mis en cause pour des fautes commises dans l’exercice de ses fonctions. Secundo, le balayeur R. est nommé, tandis que M. Coller était contractuel.»
Philippe Moureaux, le bourgmestre de Molenbeek, utilise exactement les mêmes arguments. Et d’ajouter : « En lisant le rapport accablant du supérieur hiérarchique de M. Coller (NDLR : Richard V.) mais aussi celui de la police, je n’avais pas d’autre choix que de porter ce dossier au Collège, où il a été décidé à l’unanimité du licenciement. C’était d’autant plus nécessaire que ce dossier touche à un secteur très sensible dans une commune comme Molenbeek. Si M. Coller devait être innocenté, on pourrait réexaminer la situation, mais ce ne serait de toute manière pas pour travailler dans le même service. » Quand à la présomption d’innocence, M. Moureaux estime que « si la commune avait gardé M. Coller en place, même dans une autre fonction, elle aurait eu droit à une autre critique de la presse. Celle d’avoir gardé quelqu’un suspecté de fraudes graves. » Cette critique-là n’aurait, en tous les cas, pas trouvé écho dans les pages de Paris Match…
COMPLEMENT D'INFOS A L'ENQUËTE PUBLIEE DANS PARIS MATCH BELGIQUE :
Marc Coller : « La commune m’a donné trois C4 différents ! »
« Quelques jours après mon arrestation, j’ai demandé à ma fille de prendre contact avec mon chef de service afin de savoir quelles dispositions avaient été prises à mon égard », témoigne encore Marc Coller. Et de poursuivre : « Richard V. lui a donné rendez-vous à 7 h 30 du matin : il fallait qu’elle croise le moins de monde possible dans la maison communale. Il l’a envoyée chez le directeur du personnel qui lui a dit que j’étais viré. Elle a alors reçu une copie de mon C4. Celui-ci était daté du 28 novembre 2007 et il indiquait « faute grave » comme motif du licenciement qui avait pris cours le 14 novembre 2007. Ma fille a introduit ce document auprès du CPAS et des allocations familiales. En sortant de prison, je me suis rendu à la commune pour obtenir l’original de mon C4 afin de m’inscrire au chômage. C’est alors que j’ai constaté que l’original qui m’avait été transmis était différent de la « copie » qui avait été donnée à ma fille. Cette fois le document était daté du 14 novembre 2007 (au lieu du 28 novembre 2007). A côté de la mention « faute grave », avait été ajoutée « faux commis dans les cartes d’identité et passeports ». Je n’ai jamais travaillé aux passeports ! En plus c’était une manière de me juger avant que la justice l’ait fait. Enfin, l’un des deux C4 était donc juridiquement un faux ! »
L’ex employé communal continue : « En avril 2008, j’ai écris à Philippe Moureaux pour lui dire que cela n’était pas acceptable. Qu’il aurait été plus équitable de me mettre en indisponibilité, le temps que l’enquête se fasse… Aucune réponse. Mes tentatives d’entrevues lors des permanences du bourgmestre sont restées vaines. Pas de dialogue possible. Finalement, mon syndicat s’en est mêlé et, à la fin mai 2008, j’ai reçu un troisième C4 ! Cette fois, il n’y avait plus de faute grave ! Le motif officiel de mon départ devenait « réorganisation du service » et je recevais une indemnité. Deux semaines plus tôt, le service juridique de la Commune de Molenbeek écrivait pourtant à mon syndicat : « Il a été mis fin au contrat de travail de l’intéressé pour faute grave, étant donné que les faits rendent toute poursuite de la collaboration immédiatement et définitivement impossible, ayant un impact sur la bonne réputation de l’Administration communale ». C’est plutôt le non respect par cette administration de la présomption d’innocence qui est de nature à jeter une ombre sur son image. Et je crois aussi que ce qui reste à découvrir dans cette affaire pourrait certainement beaucoup plus ternir la réputation de cette administration.»
Alphonse R. « Je n’en reviens pas de la décision judiciaire »
Vous dites être innocent de ce pourquoi vous avez été condamné en première instance ?
Tout a fait. Cette affaire a commencé à cause de Madame D., la psychologue de l’école où allait mon fils. Déjà, il y a plusieurs années, elle m’avait mis en cause et le tribunal de la jeunesse n’avait pas donné de suite à ses accusations. Elle m’en a toujours voulu cette femme, je ne sais pas pourquoi. (…) On a beaucoup exagéré les choses parce que mon fils peut d’ores et déjà revenir chez moi le week-end. C’est le juge de la jeunesse qui l’a autorisé.
Donc là, vous avez été condamné à cinq ans avec sursis ?
Non, non, c’est cinq ans avec trois ans de prison ferme.
Mais sans arrestation immédiate ?
Ils ont demandé l’arrestation immédiate mais cela n’a pas eu lieu alors j’ai pu partir.
Quels chefs d’accusations ont été retenus contre vous ? Viol avec la circonstance aggravante d’avoir autorité sur la victime ?
Oui, c’est cela. Comme on dit, je suis le co-auteur.
On vous reproche d’avoir laisser votre enfant être abusé par un voisin et qu’en échange, vous en tiriez un bénéfice ?
Oui, c’est cela. En échange, j’aurais eu la possibilité de me brancher sur son compteur électrique, mais c’est une fausse accusation.
Vous niez formellement tout ?
Ah oui, je n’ai rien à me reprocher par rapport à mon fils. Je l’aime bien. Je suis prêt à l’aider pour trouver du travail et tout cela… Il vient tous les jours chez moi.
Est-ce que cela a eu des conséquences professionnelles pour vous ?
Non, non. A mon travail, ils savent bien que ce n’est pas vraie cette histoire. J’ai un très bon soutien de mes collègues, de mes supérieurs. Même du bourgmestre qui sait très bien que je n’ai pas fait cela. J’ai toujours ma place. J’ai tout de même 32 ans de carrière ; si je devais perdre cela, c’est fini pour moi.
Vous avez eu le soutien de Mr Delatouwer, notamment.
Oui… En fait, j’ai un très mauvais moral en ce moment. Je songe souvent à cette affaire. Surtout que je n’ai rien à me reprocher. Je n’en reviens pas de la décision judiciaire.
Elle est bien basée sur quelque chose, non ?
Mon fils a témoigné chez le juge. Il était pour moi : il a dit que je ne lui ai jamais rien fait de mal sur le plan sexuel et que cela se passait avec le fameux Thomas Daniel. Je ne comprends plus rien dans ce dossier.
Mais donc, au niveau de la commune, on vous laisse tranquille ?
Oui, oui. Je n’ai jamais perdu mon emploi.
Mais vous avez fait deux mois de préventive, non ?
Oui mais ensuite je suis passé devant le collège et Mr Moureaux, je veux dire le Collège, a accepté ma reprise de travail. Et ce que j’avais perdu pendant que j’étais en prison, ils m’ont tout remboursé ! Tous mes arriérés.
En fait, ils considèrent que vous êtes présumés innocent dans l’affaire qui vous vaut actuellement des poursuites judiciaires ?
Oui. D’ailleurs, je suis vraiment innocent dans cette affaire.
Julien Delathouwer, président de la section locale du PS de Molenbeek et responsable du personnel ouvrier de la commune : « Il y a vice de forme »
Dans le dossier Alphons R., la ligne de défense aura donc été de respecter la présomption d’innocence ?
Oui… Sincèrement, je suis allé au procès… C’est vrai qu’il a été condamné à 5 ans mais il est en appel. Donc, on attend. On ne sait rien faire. L’appel pourrait l’innocenter.
Et c’est pour cela qu’en attendant il peut continuer à travailler ?
Exactement. C’est un fait que s’il était condamné définitivement, le collège prendrait certainement une décision. Mais pour l’instant, on n’est même pas en droit de la prendre.
Mais pourquoi n’applique-t-on ces mêmes principes de présomption d’innocence dans l’affaire de M. Coller ?
Monsieur Coller c’est une autre affaire. En ce qui le concerne, il s’agit plutôt d’une faute professionnelle. Les faits éventuellement commis par Alphons R. se passent dans sa sphère privée alors que Marc Coller a été mis en cause pour des fautes commises dans l’exercice de sa fonction. Secundo, le balayeur R. est nommé définitivement, tandis que monsieur Coller était contractuel.
La décision de le renvoyer sur le champ n’était-elle pas un peu radicale ?
Cela, il faut le demander au collège. A première vue, je me suis dit aussi que c’était un peu dur comme décision mais d’après les renseignements que j’ai pu avoir, après avoir écouté Monsieur Coller, il y a tout de même eu des fautes de sa part, vous savez.
Il y a eu trois C4 dans cette affaire et le dernier n’évoque pas du tout une faute grave…
Oui, je sais. Ce que moi j’ai conseillé à Monsieur Coller, c’est de prendre un avocat spécialisé parce qu’il y a un vice de forme là. Et ils doivent le reprendre. Ca c’est sur. (…) Il lui ont donné un premier C4 où il n’avait pas droit au chômage. Il a rouspété et ils lui ont fait un deuxième et puis un troisième pour qu’il récupère ses droits. C’était pour lui faire plaisir. Vous allez passer avec cela chez Vrebos ?
Oui.
Faites attention. Quand j’ai reçu M. Coller, je me suis dit aussi qu’il y avait une chance qu’il n’avait rien fait. Mais ce n’est pas tout à fait cela. Je me suis orienté vers d’autres sources et ce n’est pas tout à fait cela. Il a certainement des responsabilités. Et je vais vous dire une chose, on ne vous tient pas quatre mois en préventive si il n’y a rien. C’est mon idée. Il y a des sources selon lesquelles il y a tout de même des preuves de chipotages. Son plus grand défaut, c’est de dire « je sais qui c’est » et de ne pas donner de nom.
A notre connaissance, il a tout dit à la justice.
Et bien même s’il a donné les noms à la justice, personne ne semble être inquiété.
C’est cela qui est étonnant. Vous croyez que c’est le seul coupable ?
Je ne sais pas. Quand il est venu me voir, sincèrement je l’ai cru, mais après j’ai gratté plus loin et il y a tout de même des choses qui ne collent pas. Je ne dis pas qu’il est 100% en tort, mais il a tout de même des torts.
On va laisser la justice trancher, non ?
Tout a fait. A mon avis, si un jour il est innocenté, ils vont le reprendre.
Mais en attendant, si tel devait être le cas, il n’aurait plus eu de boulot.
C’est vrai mais ce ne serait pas le premier que la commune devrait indemniser dans un tel cas. Dans le temps, on a eu les cas de deux policiers. Ils avaient été remerciés. Il y avait eu vice de forme. Ils ont du être repris et des années d’arriéré de salaire ont du être payées. C’est le collège qui décidera.
Richard V., chef du département «démographie » de la commune de Molenbeek : « Il n’est pas étonnant qu’il y ait de temps en temps une erreur »
On dit que vous avez fait un rapport déterminant dans ce dossier, un rapport accablant pour Marc Coller.
Je n’ai pas fait ce rapport tout seul. En âme et conscience, je n’ai pas appuyé dans un sens ou dans un autre. C’est la justice qui tranchera et je ne suis pas tenu au courant des investigations actuelles. La seule chose que j’ai faite, en temps que responsable de service, c’est d’établir les erreurs éventuelles qui avaient pu être commises. Ce n’était pas à moi de déterminer si ces erreurs étaient volontaires ou s’il s’agissait de simples fautes, d’oublis ou de maladresses. D’autant que dans la masse des 2500 ou 3000 dossiers que l’on traite chaque année, il n’est pas étonnant qu’il y ait de temps en temps une erreur. Surtout que les lois qui sont très complexes changent tout le temps et qu’elles ne sont pas toujours très claires. Ce n’est pas à moi de dire qui est coupable ou pas. Tout ce que j’espère, c’est qu’un jour, la justice établira la vérité.
Dans cette affaire, il est question de la disparition de « dossier papier »
On a 2500 dossiers, cela peut arriver tous les jours qu’un dossier ne se trouve pas à sa place. Un collège en a besoin, puis un autre… Les dossiers ne sont pas toujours à leur place.
Ce n’est pas parce qu’un « dossier papier » manque que Coller doit être suspecté alors…
Non, non. Mais l’Office des Etrangers est tombé sur cette affaire parce qu’il n’avait pas délivré sa lettre autorisant le séjour à une personne qui s’était tout de même vu délivrer une carte d’identité.
Théoriquement, les fraudes qui ont été mises à charge de Monsieur Coller auraient pu être commises par d’autres personnes à la Commune ?
En termes de capacité, oui. A ce compte-là, elles auraient pu l’être même par moi… On peut tout imaginer.
M. Coller a tout perdu du jour au lendemain, ce n’est pas un peu violent ?
Cela ne relève pas de mes compétences. C’est le Collège qui a pris cette décision, peut-être à juste titre, peut-être un peu hâtivement. Ce n’est pas à moi d’en juger.
Combien de dossier litigieux a-t-on finalement retrouvé ?
Je ne saurais vous le dire. On est toujours occupé avec cela en ce moment.
Vous recherchez encore des dossiers litigieux ?
Oui. Il se peut que cela continue… Enfin je veux dire qu’on vérifie tout encore plus attentivement qu’auparavant. Mais c’est une matière très complexe.
Est-il dans l’ordre du possible que dans la pile de dossiers qu’il avait sur son bureau, Monsieur Coller ait eu une lettre de l’office des étrangers qui aurait ensuite disparue, voire un faux document qui aurait été glissé dans le « dossier papier » ?
Oui. C’est possible. Surtout si c’était de nouvelles personnes qui travaillaient… Tout dépend de comment la personne qui a voulu faire passer cela pour un dossier correct a travaillé. Mais Monsieur Coller aurait pu le voir, il travaille là depuis huit ans.
Des gens ont-ils été déplacés de votre service après toutes ces histoires ?
Non. Il y a régulièrement des changements de service mais ce n’est pas lié à cette affaire