AU PARQUET DE BRUXELLES, ON TOMBE DES NUES...
- Enquête évoquée sur le plateau de "L'Info Confidentielle Paris Match, le 15 juin 2008 et publiée dans Paris Match Belgique, le 19 juin 2008 -
Naguère, un juge d’instruction bruxellois qui avait certainement le cœur sur la main avait décidé de favoriser l’éclosion professionnelle du fils d’une amie qui rêvait de devenir policier. Le protégé du magistrat avait ainsi pu parcourir à son gré les dossiers judiciaires instruits par le juge, voire participer à divers actes d’instruction (descente sur une scène de crime, autopsie…). Bavard, le candidat policier s’était ensuite vanté des privilèges dont il avait bénéficié et, en décembre 2006, deux policiers avaient dressé un procès-verbal pour « violation du secret professionnel ». Ces faits sont commentés de manière très diverses selon les interlocuteurs : bombe nucléaire pour les uns, non- événement pour les autres. Il est évident, en tout cas, que le procès-verbal initial de ce dossier a connu un étrange et très discret parcours. Par exemple, le parquet de Bruxelles affirme n’en avoir jamais eu aucune connaissance ! Selon les informations de Paris Match, l’affaire aurait été gérée de manière exclusive par le 1er président de la cour d’appel de Bruxelles. Avec quelle issue ? Le magistrat de presse de cette même cour d’appel refuse de répondre à nos questions au nom du…« secret professionnel » !
Les journalistes belges expérimentés ont connu le temps où ils étaient parfois poursuivis par des magistrats en furie au motif assez banal d’avoir eu accès à des informations sur des dossiers judiciaires en cours. Ne pouvant se voir reprocher une « violation du secret de l’instruction », car c’est le fonctionnaire dépositaire du secret qui commet cette infraction et non celui qui reçoit une information confidentielle, il arrivait alors que des reporters soient perquisitionnés afin d’identifier leurs sources et poursuivis pour « recel » de procès-verbaux ou d’autres documents couverts par le secret judiciaire…
Aujourd’hui, le très important souci de secret dont l’institution judiciaire fait preuve lorsqu’une affaire n’est pas encore en état d’être jugée n’a évidemment pas disparu, mais la loi interdit clairement aux magistrats irrités par la liberté d’informer d’encore essayer de titiller les journalistes pour identifier ceux qui les aident à percer l’opacité du monde judiciaire. Un grand pas pour la démocratie mais aussi pour l’honnêteté intellectuelle car l’expérience démontre que de nombreux acteurs du monde judiciaire sont les premiers à organiser des fuites dans les médias lorsque cela arrange leurs intérêts. Dans ce monde du silence – ou prétendu tel – l’histoire que nous allons ici vous conter est donc ce que d’aucuns qualifieraient de « comble»… Quoique. A entendre plusieurs magistrats bruxellois, il n’y aurait pas d’histoire du tout !
Commençons par le début. Nous sommes dans les locaux de l’Ecole régionale et intercommunale de Police (E.r.i.p.), à Bruxelles, le 13 décembre 2006. A 13 h 15 précises, Marceau M., un jeune homme qui rêve de devenir policier, entame le dernier examen qui devrait lui ouvrir les portes de la profession. Il a déjà réussi les trois premières épreuves durant les mois précédents. Et il lui reste cet oral où on lui demande, devant deux policiers et une psy, de se raconter, de mettre des mots sur sa motivation et de répondre à des questions relatives à des « mises en situation ». Avant l’examen, quelqu’un a conseillé à Marceau d’évoquer sans crainte la formation privilégiée dont il a bénéficié pendant les semaines précédentes et le jeune homme croit sincèrement que sa franchise sera un « plus » devant favoriser ses débuts dans la carrière de policier (Lire aussi en encadré l’interview de Marceau M.).
Malheureusement pour lui, sa prestation laissera ses examinateurs plutôt perplexes. Ebahis même. On en veut pour preuve le procès-verbal initial n° BR 52.LL. 262910/2006 qu’ils rédigeront le 19 décembre 2006 afin de dénoncer aux autorités judiciaires « une violation du secret professionnel commise Place Poelaert 1 (adresse du palais de justice de Bruxelles et de ses annexes) entre le 1er décembre 2006 et le 13 décembre 2006 » :
« Le mercredi 13 décembre 2006 de 9 heures à 16 heures se tenait à Bruxelles, rue G. Glibert 1 à l’E..R.I.P., une commission de sélection. La commission était composée de D. A. (présidente), Police fédérale, service recrutement et sélection du personnel ; B. T., I.p.p. à la Police Fédérale et W. J., commissaire de police (ZP5339). A 13 heures 15 s’est présenté le candidat aspirant inspecteur M. Marceau. Lorsqu’il fut demandé si il s’était préparé à la sélection, il nous a sans hésité expliqué la situation suivante : sa mère a un ami proche, juge d’instruction à Bruxelles. Cet ami aurait proposé à sa mère de le prendre comme stagiaire afin de l’aider dans sa préparation et de l’aider également dans l’apprentissage du néerlandais. C’est ainsi que selon M., il a eu accès à des dossiers en cours. Il pouvait lire les dossiers avant de les ranger. Il nous a bien précisé qu’il s’agissait de dossiers de l’année 2006. Il aurait également, peu de temps avant son passage en commission, participé à une descente sur les lieux d’un crime et assisté par la suite à une autopsie. Il aurait également assisté à une chambre du conseil. Le rôle linguistique du juge en question n’était pas clairement établi. (…) M. nous a bien précisé que ce stage n’était qu’officieux puisqu’il n’a pas été fait dans le cadre de ses études, étant actuellement salarié. Le juge d’instruction, ami proche de sa mère, lui aurait juste demandé de ne pas dévoiler les noms des personnes impliquées dans les dossiers auxquels il avait eu accès. Il aurait également déclaré que ce n’était pas la première fois qu’il avait un tel stagiaire. Le nom du magistrat impliqué ne nous a pas été dévoilé. »
Comme il se doit, les verbalisants exposent ensuite ce qu’ils ont fait des ces informations : « Le 19 décembre 2006, à 10 heures 20, nous prenons contact téléphonique avec les services de Monsieur le procureur général afin de lui exposer la situation ». D’habitude, les policiers qui dressent un procès-verbal pour dénoncer une infraction prennent contact avec le substitut du Procureur du Roi qui est de garde au moment des faits mais dans ce dossier mettant en cause un magistrat, ils ont visiblement voulu prendre des précautions en montant à l’étage supérieur du palais de Justice. Partant certainement d’une bonne intention, cette manière de faire contribuera à l’apparition de certains quiproquos.
Le contact de l’un des rédacteurs du PV. avec le parquet général aura des conséquences très concrètes qu’il décrit ainsi : « Alors que nous attendons des instructions, notre chef de district le C.d.p. Bertels nous avise que suite à un contact entre Monsieur le procureur général et Monsieur le chef de corps (ndlr : le commissaire Roland Vanreusel), il nous est demandé de transmettre le dossier à ce dernier qui se chargera de la transmission (…). Nous nous tenons à la disposition de Monsieur le procureur général afin de lui apporter verbalement les éclaircissements nécessaires ». Elément important dans cette affaire : cette phrase pourrait témoigner du fait que, dès le 19 décembre 2006, le parquet général a initié un dossier dans cette affaire, ce qui expliquerait que, plus tard, il sera le seul destinataire officiel du PV alors que le parquet de Bruxelles, lui, ne l’aurait jamais reçu.
Dès le 19 décembre 2006, les co-signataires du PV. ont en quelque sorte fini leur boulot. Comme demandé, le rapport qu’ils ont rédigé est envoyé par porteur chez le chef de corps de la police de Bruxelles, Roland Vanreusel. Et puis, en ce qui les concerne, plus de nouvelles. Jusqu’en février dernier. C’est un autre document déposé sur notre bureau par un vent favorable qui en témoigne. Il s’agit cette fois d’une lettre que l’un des verbalisant a adressé à son syndicat, le Sypol. W.J. y évoque l’affaire dans le cadre d’une énumération longue de cinq pages de différents dysfonctionnements policiers plus ou moins importants constatés dans « la zone de Bruxelles-Capitale-Ixelles » :
« En décembre 2006, j’ai établi le dossier BR. 52.LL.262910/2006 mettant en cause « X », juge d’instruction (…) En février 2008, devant rencontrer Mme Devreux, magistrate section D francophone, piqué par la curiosité je me suis renseigné auprès du parquet et là, surprise, le dossier n’existait pas. Je me suis alors renseigné auprès de Mme Devreux qui n’a pu que constater que le dossier n’existait pas au parquet, que la numérotation n’avait pas été modifiée, bref comme s’il n’était jamais arrivé, pourtant j’en avais copie en main (…). Mme Devreux, bien embêtée, m’a laissé savoir qu’en 2007, le procureur général avait sermonné des juges d’instruction pour ce genre de pratiques qui étaient assez monnaie courante (…). Donc ce dossier a bien été officiellement porté à la connaissance du parquet mais il est officiellement inexistant ».
Un PV transmis au parquet de 1re instance et qui n’aurait débouché sur aucune ouverture de dossier, ce serait évidemment une faute extrêmement grave. Pour en savoir plus, nous prenons d’abord la température du parquet général, premier averti de cette affaire en décembre 2006, où c’est la substitute du procureur général, Nadia Devroede, qui prend la peine de nous consacrer quelques minutes. « Je n’ai jamais entendu parler de cette affaire mais si un juge est en cause, il doit y avoir un magistrat de la cour d’appel qui s’en est chargé ». Nous voulons donner le numéro de PV initial à Mme Devroede. Elle estime cela inutile : « Il y a des milliers de numéros de PV, c’est un nom qu’il me faut ». Dont acte. Quelques minutes plus tard, la porte-parole du parquet général nous revient avec des informations négatives : « Je n’ai rien trouvé à propos de ce dossier. Tant au parquet de 1re instance qu’au niveau de la cour d’appel. J’ai pris contact des deux côtés : cette histoire ne leur dit rien ».
Ah bon ? Au parquet de Bruxelles (1re instance), c’est la magistrate Estelle Arpigny qui nous tient ensuite un discours comparable : « Je viens d’avoir Me Devroede qui m’a parlé de votre demande. Je ne vois pas de quoi il s’agit, je n’ai jamais entendu parler de cette affaire. Jamais, jamais, jamais… ». Nous donnons le numéro de PV. à la porte-parole qui l’introduit directement dans la banque de donnée du parquet : « Ce numéro n’existe pas ! Ce dossier n’est jamais arrivé au parquet de Bruxelles… Mais si il y un numéro ouvert à la police, ils sont obligés de nous faire parvenir le PV Je ne comprends pas. Il faudrait voir avec la zone de police ».
Suite logique d’enquête, nous prenons contact avec les services du commissaire Vanreusel. C’est le porte-parole, Christian De Coninck, qui nous répond. Coup de chance, ce policier qui est aussi un très bon écrivain, a le goût des histoires romanesques. Alors, ce serait la police qui serait à l’origine de la disparition du PV ? C’est la hiérarchie des verbalisants qui ne l’aurait pas transmis ? Que nenni. « Le PV a bel et bien été transmis et notre système informatique renseigne que cela a été fait en date du 27 avril 2007, à 7 h 09 pour être précis. Ce jour-là, l’un de nos porteurs a déposé le PV. au parquet général ». On notera ici deux éléments étonnants : entre la rédaction du PV (19 décembre 2006) et sa transmission aux autorités judiciaires (27 avril 2007), plus de quatre mois se sont écoulés. Le PV a donc pris la poussière dans le bureau du chef de corps de la police de Bruxelles mais on a vu que, de toute manière, ce n’était pas à l’insu des plus hautes autorités judiciaires car le parquet général avait été avisé des faits par l’un des verbalisants.
A ce manque d’entrain, s’ajoute une apparente erreur d’aiguillage qui est relevée par la porte-parole du parquet de Bruxelles lors d’un second entretien avec elle : « Je ne comprends pas très bien : la police a envoyé le dossier au parquet général ? En fait, ils auraient dû l’envoyer au parquet de Bruxelles. Nous aurions alors ouvert un dossier correspondant à sa notice et constaté qu’un magistrat pouvait être mis en cause. Ensuite, nous aurions envoyé le dossier au parquet général. Pour l’heure, je ne puis que vous confirmer que ce dossier n’existe pas chez nous. Vous devez revoir la chose avec Mme Devroede au parquet général ! Là, ce dossier doit avoir une autre référence et je n’ai, de toute façon, pas accès à la banque de données du parquet général ».
Demander à Nadia Devroede qui elle-même s’était renseignée auprès d’Estelle Arpigny ? Alors qu’elle nous avait déjà dit qu’il n’y avait aucune trace de cette affaire à la cour d’appel où elle aurait pu être traitée par le 1er président, vu qu’elle met en cause un magistrat ? Ne reculant devant aucune démarche, nous avons encore appelé plusieurs fois la substitute du procureur général. Sans succès. Armé de patience, nous parvenons in fine à capter l’attention de l’avocat général, Jaak De Lentdencker, juste avant son départ en week-end… Enfin ! Voici quelqu’un qui, au bout de quelques minutes d’entretien, nous dira avoir vu passer le dossier, mais sans beaucoup d’autres précisions.
Paris Match Belgique. Nous cherchons à savoir ce qu’est devenu un procès-verbal transmis au parquet général en avril 2007 par un service de police. C’est un P.v. à charge d’un juge d’instruction.
L’avocat général. Je ne vois pas la police transmettre directement un P.v. au procureur général! Il doit être envoyé au procureur du Roi.
La police affirme qu’elle l’a transmis immédiatement par porteur au parquet général.
Cela pourrait vouloir dire qu’il y avait déjà une information sur les faits dénoncés au niveau du parquet général quand le P.v. a été transmis.
En fait, dans ce dossier, l’un des policiers qui a constaté le délit a eu pour premier réflexe d’avertir le procureur général parce que l’auteur présumé était juge d’instruction…
Jamais de la vie. Il devait d’abord passer par les services du procureur du Roi… Ou encore une fois, cela s’est passé dans le cadre d’une information qui était déjà ouverte au parquet général. C’est normal qu’il y ait un contact entre les services de police et le procureur général quand il s’agit de l’exécution d’une demande de ce dernier. Mais un P.v. initial, cela m’étonnerait très fort que cela se soit passé comme cela… L’initiative du policier ne me semble pas tout à fait conforme à la procédure habituelle.
La police aurait dû transmettre directement le P.v. au parquet de Bruxelles qui, constatant qu’un magistrat était en cause, l’aurait ensuite transmis au parquet général ?
Oui, en effet.
Ne trouvez-vous pas le parcours de ce P.v. un peu bizarre ?
N’est-ce pas dans le cadre d’une affaire où il pourrait y avoir un différent entre service de police et parquet ? Il se peut qu’il y ait eu un entretien entre le représentant du parquet général et le service de police et que, suite à cela, un tel procès-verbal ait été rédigé.
Au parquet de Bruxelles, on dit ne rien connaître de cette affaire. Et votre collègue du parquet général, Mme Devroede, dit la même chose !
En tous cas, si le PV n’identifiait pas le juge d’instruction fautif, si c’est un « X » qui était dénoncé, l’affaire devait logiquement être l’objet d’un premier examen au niveau du parquet de 1re instance. (N.d.l.r : C’était, en effet, un juge d’instruction « X » qui était mis en cause).
Il s’agit d’un dossier concernant un jeune homme qui, lors d’une commission de sélection de la police, a révélé à ses examinateurs qu’il avait bénéficié d’un stage officieux chez un juge d’instruction…
D’accord : ce dossier-là a effectivement été transmis pour disposition au 1er président de la cour d’appel.
Cela veut dire quoi ?
Soit le 1er président a ouvert une enquête disciplinaire et administrative, soit il a constaté des éléments d’infraction et il les a transmis au procureur général (…) En ce qui concerne ce dossier, je ne sais plus ce qu’il en est advenu.
On nous indique que le juge d’instruction aurait été « sermonné ».
C’est possible.
Le fait que le 1er président ait été averti des faits implique donc l’existence d’un dossier ?
Cela veut dire qu’un dossier a été ouvert, oui.
C’est normal que le parquet de Bruxelles n’en sache rien ?
Oui. Ils n’ont pas accès à notre banque de données.
Comment un journaliste peut-il être informé des suites qui ont été réservées à ce dossier ?
Si le 1er président a pris une décision d’ordre disciplinaire, cela m’étonnerait fort qu’il vous en fasse part parce que cela fait partie d’une décision d’ordre administratif.
Et s’il y avait eu des suites pénales, je devrais le savoir ?
Cela, oui.
Qui peut m’en informer ?
Prenez contact avec les services du 1er président de la cour d’appel.
Aussitôt dit, aussitôt fait. En fait, c’est le bras droit et magistrat presse de la cour d’appel, Luc Maes, que nous parvenons à toucher à son domicile un vendredi en début de soirée. L’initiative ne plaît guère à l’homme de robe : « Vous en avez du culot ! ». Prenant la remarque pour un compliment, nous lui demandons ce qu’il est advenu du dossier ouvert à charge du juge d’instruction flamand D. (car, entre-temps, nous avons découvert l’identité du magistrat, lire notre entretien avec Marceau M.). Réponse colérique de M. Maes qui, de toute évidence, se la raconte un peu : « Vous voulez que je viole mon secret professionnel. La conversation s’arrête là, monsieur ! ». Clic. On imagine donc qu’il y a bien un dossier qui a été ouvert quelque part dans le palais de Justice de Bruxelles à propos de cette affaire. Qu’il a fait certainement l’objet d’un classement sans suite dans les formes. On imagine aussi qu’il n’a pas conduit à des mesures disciplinaires. D’ailleurs, le juge d’instruction concerné a encore reçu de nouvelles responsabilités très récemment. Il faut bien l’imaginer puisqu’on nous ne le dit pas. En toute simplicité. Tiens, au fond, quel est le numéro de ce dossier au parquet général ?
Bombe nucléaire ou non-événement ?
Au parquet général et au parquet de Bruxelles, Mmes les magistrates Devroede et Arpigny n’ont trouvé aucune trace du dossier dont voulions leur parler. Elles sont aussi parfaitement d’accord pour nous expliquer que, de toute manière, cette affaire n’a absolument rien de grave. Ce serait un « non-événement » pour reprendre l’expression de l’une d’elle.
Nadia Devroede : « Des stagiaires étudiants, il y a en a tous les jours dans les cabinets de magistrat. Ils prêtent serment. Ils signent un document comme quoi ils sont liés par le secret professionnel. A mon avis, une telle affaire ne va pas aller très loin. Je ne vois pas où se situe l’infraction. Cela m’étonnerait même qu’il y ait des sanctions disciplinaires. Cela fait vingt-cinq ans que je suis au parquet et j’ai toujours reçu des stagiaires. C’est une plus-value pour des personnes qui vont travailler dans d’autres services. Je ne comprends pas trop bien la démarche de celui qui a rédigé le P.v. D’après les éléments que vous m’apportez, cela me semble tellement évident que cette affaire soit classée. Le contraire me choquerait. Alors, il faudrait considérer qu’au parquet de Bruxelles, on est tous dans l’illégalité depuis des années ! »
Estelle Arpigny : « Il n’y a pas d’infraction. C’est un non-événement. Des étudiants qui font des stages chez nous, cela arrive tous les jours. Mais ils s’engagent au respect du secret professionnel… Personne ne débarque comme cela… Il y a tout de même une officialisation, une hiérarchie qui est respectée et un engagement au secret professionnel. Ils signent un engagement ».
On lira cependant dans le témoignage de Marceau M. qu’il n’a signé aucun engagement avant le « stage » proposé par la « bonne connaissance de sa maman » ! « Si c’était aussi simple que cela… », nous dit un magistrat d’un autre parquet. « Les gens qui font des stages doivent tout de même avoir certaines qualifications. Des étudiants en droit, en administration. Des gens qui sont clairement dans le cadre d’une formation. S’il suffit de faire signer un engagement à la confidentialité à n’importe qui, pourquoi ne proposerais-je pas à ma femme de ménage de venir classer mes dossiers ? ».
Un avocat pénaliste renchérit : « Dans cette affaire, les policiers ont eu raison de s’interroger sur un viol du secret de l’instruction mais il y a aussi une mise en cause du caractère non contradictoire des actes d’instruction. Un inconnu assiste à un acte alors que l’inculpé n’y a pas droit ? Ce n’est pas acceptable ». Il ajoute : « Des interventions maladroites et inopportunes de personnes non assermentées dans des dossiers judiciaires peuvent avoir des conséquences importantes. Des actes d’instruction, voire des dossiers pourraient être attaqués, purgés ou pire être frappés de nullité. L’histoire de ce stagiaire, fils d’une amie, me semble très osée : imaginons qu’on arrive à la conclusion que sa présence était illégale et que l’on songe aussi au nombre de dossiers qui ont été instruit au moment où il était là. Cette affaire est potentiellement bien pire qu’un spaghetti : cela pourrait être une bombe nucléaire pour le parquet de Bruxelles ».Enfin, on rappellera le contenu allégué par l’un des verbalisants avec un substitut du parquet de Bruxelles : « Mme Devreux, bien embêtée, m’a laissé savoir qu’en 2007, le procureur général avait sermonné des juges d’instruction pour ce genre de pratiques qui étaient assez monnaie courante ».
La gêne d’un magistrat et les sermons d’un autre… Pour un « non-événement » ? Au bout de cette enquête, c’est sous la réserve de rester anonyme qu’un magistrat bruxellois nous donne ce qui est peut-être le fin mot de l’affaire : « Cette histoire de procès-verbal qui est envoyé directement au parquet général, plutôt qu’au parquet de 1re instance, je n’ai jamais vu cela ! Il est tout à fait légitime de se demander ce qu’est devenu ce procès-verbal ! Pour ce qui est du fond de l’affaire, la question des « stagiaires », il y a eu un échange de courrier entre le parquet général et le parquet de 1re instance à la suite de l’affaire que vous évoquez. Il ne faut pas y voir malice : certains juges d’instruction ont cru bon d’initier des stages, comme cela, d’une manière tout à fait maladroite. Ces magistrats se sont donc fait rappeler à l’ordre. Il y a désormais une procédure tout à fait claire, des documents à faire signer avant le début du stage dans lesquels l’engagement à respecter le secret est clairement mentionné… ».
Marceau M. : « C’est vrai que cela a fait tiquer certaines personnes mais, pour finir, il n’y a aucun problème »
Paris Match Belgique. Confirmez-vous avoir fait un « stage » chez un magistrat, il y a environ deux ans ?
Marceau M. : Oui, c’était chez Monsieur X.
Dans quelles circonstances avez-vous fait ce « stage » ? Etiez-vous étudiant en droit ?
Pas du tout. J’étais demandeur d’emploi et je voulais rentrer à la police. Comme les quatre examens se déroulaient en neuf mois, voire un an, ce qui était assez long, X m’a proposé de faire un stage chez lui pour faire connaissance avec le milieu dans lequel j’allais évoluer professionnellement. Il s’agit d’un juge d’instruction néerlandophone et je pouvais aussi de la sorte parfaire mon néerlandais.
Vous aviez accès à des dossiers en cours ?
J’ai fait de l’archivage. J’avais du mal à comprendre ce que les dossiers contenaient vu qu’il s’agissait tout de même d’un langage juridique. En plus, c’était en néerlandais. Je n’allais pas commencer à plonger dans des dossiers qui faisaient des milliers de pages et dont je ne pouvais comprendre que le dixième. Je me contentais de les ranger. J’étais surtout là pour voir comment cela se passait. Il y avait des policiers qui venaient et tout…
Avez-vous dû signer l’un ou l’autre document ou engagement avant d’entamer ce « stage » ?
Non, rien du tout. Ce n’était qu’un stage. Vous savez, j’ai même été auditionné à ce propos…
Ah bon ?
En fait, lors d’un examen oral à la police, j’ai mentionné l’existence de ce stage parce qu’on m’avait conseillé de le faire au motif que ce devait être un « plus »… Les policiers du centre d’examen n’ont pas apprécié et j’ai donc été auditionné et tout, et tout… Le juge d’instruction X m’en a reparlé par après : il m’a dit que ce qui s’était passé était tout à fait légal. Il en avait discuté avec l’un de ses supérieurs et il n’y avait eu aucun problème. C’est vrai que cela a fait tiquer certaines personnes mais, pour finir, il n’y a aucun problème.
Vous avez assisté à une perquisition, non ?
Non, ce n’est pas exact… Il y a eu des perquisitions pendant que j’étais là mais je n’ai pas été appelé.
Un P.v. renseigne que vous avez déclaré lors de votre examen à l’E.r.i.p. avoir participé à la descente du juge sur le lieu d’un crime.
Absolument pas. Je me rendais au palais de Justice pendant la journée pour faire de l’archivage. Rien d’autre. Peut-être qu’on a mal interprété mes propos. Ce genre d’acte, le juge ne voulait pas que j’y participe parce que cela n’était pas légal (N.d.l.r. : le P.v. dénonçant les faits a été signé par deux policiers assermentés).
Les verbalisants disent aussi que vous avez assisté à une autopsie…
A une autopsie, oui. On avait demandé l’autorisation au médecin légiste. Trois personnes étaient là. Le médecin légiste, une personne qui prend les photos et une étudiante en médecine. On m’a dit que cela ne posait aucun problème.
Vous avez aussi assisté à une chambre du conseil ?
Oui.
Combien de temps a duré ce « stage » ?
Environ deux mois.
Le juge est un ami de votre maman ?
C’est une bonne connaissance, on va dire cela.
Les policiers ont aussi noté dans leur P.v. : « M. nous a bien précisé que ce stage n’était qu’officieux puisqu’il n’a pas été fait dans le cadre de ses études, étant actuellement salarié ».
On va dire que j’étais demandeur d’emploi en attendant d’avoir une certitude de rentrer à la police. Je ne
travaillais pas.
Les verbalisant ajoutent : « Le juge d’instruction (…) lui aurait juste demandé de ne pas dévoiler les noms des personnes impliquées dans les dossiers auxquels il avait eu accès. Il aurait également déclaré que ce n’était pas la première fois qu’il avait un tel stagiaire ».
Oui, il m’a dit que si je voyais des noms de ne pas les retenir. Cela ne servait à rien. Mais il ne m’a pas non plus demandé de cacher quoique ce soit de ce stage parce qu’il y aurait eu quelque chose d’illégal là-dedans.
Bref, il n’y a pas d’affaire. On vous a dit que tout cela était légal ?
Oui, oui. Et j’ai vu d’autres personnes qui m’en ont parlé par après. D’autres juges d’instruction que je connais et qui m’ont dit : « Il n’y a pas eu de problème. Cela a fait tiquer certains, mais il n’y a pas eu de problème ». Donc, je suppose qu’au début de cette histoire, il y a eu une mauvaise interprétation.
Monsieur le juge vous a dit qu’il n’y a pas eu de suite ?
Oui, il n’y a pas eu de suite.
Vous le voyez encore ?
Oui, parfois.
Finalement, vous êtes devenu policier ?
Non. Je travaille dans une grande surface tout en étudiant pour devenir pilote de ligne.
Votre « stage » a joué contre vous lors de votre examen à la police ?
C’est bien possible. Avant ce passage devant la commission, j’avais réussi les trois autres épreuves. En d’autres termes, c’est lors de cet oral où j’ai raconté mon stage que j’ai été mis en échec.