En septembre 1982, Dahina Le Guennan a croisé la route du tueur en série Michel Fourniret. Elle avait 14 ans. Enlevée et violée, elle a eu la vie sauve. Une vie qu’elle a reconstruite en région parisienne où elle habite avec son mari et ses trois enfants. Septembre 1982, c’est loin. Mais Dahina n’a rien oublié. Nous l’avons rencontrée en Belgique où elle vient de séjourner pendant plus d’une semaine afin de créer des solidarités avec d’autres victimes de l’«ogre des Ardennes». Afin aussi de témoigner de son vécu. Voici un récit qui invite à réfléchir quant au laxisme dont a pu faire montre la justice française à l’égard d’un criminel particulièrement dangereux. (Un texte rédigé le 14/10/2004)
– Pourquoi êtes-vous venue en Belgique ?
– Pour rencontrer d’autres victimes de Fourniret ou des membres de leurs familles. J’ai le sentiment que nous sommes liés et que l’on a beaucoup de choses à partager. Avoir le même agresseur en commun, cela crée un sentiment de solidarité. C’est quelque chose de très fort.
– Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus touchées ?
– J’ai beaucoup parlé avec Joëlle, une femme qui a été séquestrée pendant plusieurs heures par Michel Fourniret. L’entretien que j’ai eu avec Thomas Brichet, le frère d’Elisabeth m’a aussi fort émue. Je l’ai ressenti comme quelqu’un qui est très en colère. Il a été fort étonné en apprenant certaines choses sur le passé judiciaire de l’assassin de sa sœur.
– Des éléments d’information que vous lui avez communiqués ?
– Oui. C’est aussi l’intérêt de ce type de rencontre : l’information circule mieux. Entre victimes, on ne joue pas au chat et à la souris : il n’y a pas de secret de l’instruction. J’ai pu lui montrer certains documents issus de la précédente affaire Fourniret. Celle dans laquelle mon nom apparaissait parmi seize autres victimes françaises dans le courant des années ’80. Il s’agit notamment de lettres écrites en avril 1984 par Michel Fourniret. Il venait d’être mis sous les verrous et il se confiait au magistrat instructeur français. En substance, il demandait aux autorités de prendre conscience à quel point il était dangereux.
– A l’époque, il n’avait pas encore tué. Laissait-il entendre qu’il pouvait aller plus loin dans ses actes criminels ?
– Il l’écrivait noir sur blanc! Il se décrivait en plusieurs tableaux en commençant par ses origines. Son père, sa mère… Et puis, il évoquait le rôle que la justice devrait jouer dans ce type d’affaire. Ce qui l’amenait à parler de lui à la troisième personne : «pour comprendre ce cas, il faut bien peser ses antécédents et la justice doit évaluer le risque couru à laisser un tel prévenu retrouver la liberté». A l’époque, il parlait déjà de son «obsession de la virginité» et il indiquait que tant qu’il n’aurait pas assouvi son besoin, ses agressions iraient crescendo. Il ne faut pas être juge ou procureur pour décrypter cet avertissement! C’est évident. Enorme! Comme l’était aussi la description méthodique des crimes qu’il avait commis. Avec sa fine écriture très appliquée, il se livrait, sous forme de tableaux encore, à une sorte de comptabilité morbide. Il y avait le nom et une description physique des dix sept victimes ainsi que des faits de mœurs dont certaines d’entre elles avaient du souffrir. Un tel document, aussi froid et cruel, démontre une absence totale d’émotion, de sentiment. Les traits du criminel froid, du psychopathe qui recommencerait aussitôt après une éventuelle libération sont criants… Mais personne n’a tenu compte de tous ces signaux alors que, dans le même dossier, une expertise psychiatrique disait pourtant bien que ce récidiviste déjà condamné pour des faits de viols dans les années ’60, était quelqu’un de particulièrement dangereux!
– «Personne n’a tenu compte de ces signaux». Vous voulez dire qu’on ne l’a pas condamné assez sévèrement en 1987 ou qu’on l’a remis trop vite liberté ?
– Les deux! Le 26 juin 1987, il a pris sept ans de prison… dont deux avec sursis. Ce qui ramenait déjà la peine à cinq ans. Pour un récidiviste auteur de dix-sept faits distincts, ce n’était pas cher! En plus, il est sorti dès octobre 1987 étant donné qu’il avait déjà fait quelques trois ans de préventive. Deux mois après sa sortie, alors qu’il était sensé être l’objet d’un suivi de la justice française, il a enlevé et assassiné Isabelle Laville dans l’Yonne. C’était le premier des neufs crimes avoués dans le dossier d’aujourd’hui…
– En 1987, déjà, vous pensiez que sa peine était trop légère?
– Bien sûr! J’avais un sentiment d’injustice. Je savais qu’il recommencerait dès qu’il allait sortir. Peut-être pas en allant si loin, mais je savais… Je me souviens que ma mère a du être évacuée du tribunal parce qu’elle avait voulu crier la colère que ce jugement très clément lui avait inspirée. Elle devait se taire… Lui, on l’a laissé parlé pour «demander pardon» aux victimes. Le comportement des jurés m’a aussi fait très mal. Il s’agissait majoritairement de femmes; Il y avait beaucoup de compassion dans leurs yeux vis-à-vis de Fourniret. Sans doute n’avais-je pas assez le look de victime. Lorsque Fourniret m’a violé, j’étais âgée 14 ans et lorsqu’il a été jugé, j’en avais déjà 19. Je ne portais pas de marque visible de ce qu’il m’avait fait. Pour ces bonnes gens, j’étais peut-être une victime suspecte… Tandis que lui, il se montrait repentant, doux, larmoyant, poli. Un vrai agneau auquel on aurait donné le bon Dieu sans confession. Et c’est ce que ces jurés ont finalement presque fait…
– Il est vrai que cet homme n’a pas le profil apparent du «dangereux pervers»…
– Il peut donner le change, en effet. Il manipule très bien son monde. J’entend encore sa douce voix murmurant pendant le procès : «Je demande pardon à Dahina pour tout le mal que je lui ai fait». Je lui ai répondu que c’était un peu tard pour exprimer ses regrets. Que c’était trop facile… Peut-être que les jurés, si touchés par ce «pauvre homme», n’ont pas compris que je ne lui donnais pas une chance d’être absout! En tout cas, le résultat a été que mon viol a été requalifié en «attentat à la pudeur avec violence» et qu’ils lui ont même trouvé des circonstances atténuantes.
– Lesquelles ?
– Personne ne le sait. Ca relève du secret de la délibération.
– A l’époque, le regard de la société sur les victimes d’agression sexuelles n’était peut-être pas le même qu’aujourd’hui ?
– On dit en effet que les mentalités ont évolué… C’est peut-être vrai par rapport à la pédophilie. Pour les viols commis sur des femmes, je n’en suis pas du tout certaine. Dans notre société qui reste fort machiste, certains fantasmes perdurent. Et paradoxalement, ils sont parfois entretenus pas des femmes qui n’ont pas eu à connaître la réalité du viol. C’est une femme – dans ma famille – qui m’a dit un jour que «j’aurais du résister à mon agresseur»… Aucune femme ne pourrait prévoir comment elle réagirait dans une telle situation.
– La vérité judiciaire est donc que vous avez dont été victime d’un «attentat à la pudeur avec violence». En regard de ces termes juridiques quelle est la réalité que vous avez vécue ?
– Cela s’est passé le 4 septembre 1982. J’étais âgée de 14 ans. J’avais passé la journée avec mon frère chez une amie. Le soir, j’ai pris le train pour revenir à la maison. J’étais seule. Il devait être aux environs de 22 heures lorsque le train a stationné en gare d’Epernon (ndlr : dans le département de l’Eure et Loire). Les rues étaient désertes. J’avais un petit kilomètre à marcher pour rentrer chez moi. J’ai fait les trois cent premiers mètres et puis un homme s’est approché. Je ne savais pas d’où il sortait. Sans doute m’avait-il suivi depuis la gare, mais je ne m’étais rendu compte de rien. Fourniret m’a aussitôt mis un flacon sous la gorge en me disant : «Cette bouteille contient du vitriol, vous savez ce que c’est?». Je lui ai dit que non. Alors il m’a expliqué qu’il était en mesure de défigurer avec ce produit et puis il a lancé : «Voilà, je vous prends en otage et vous m’accompagnez jusqu’à la frontière du département. J’ai volé une voiture et je suis poursuivi par la police. Il ne vous arrivera rien si vous ne résistez pas.» Il était très bizarre. Il y avait l’agressivité des actes qu’il posait mais dans le même temps son ton était calme, posé…
– Comment avez-vous réagit ?
– Difficile à expliquer… C’est comme si mon cerveau s’était divisé en deux. Il y a une partie de moi qui me disait : «Il faut que tu tentes de t’échapper. Il va se passer quelque chose.» Et puis l’autre partie qui m’invitait à ne rien essayer du tout : «non, reste calme, il a dit que si tu ne débattais pas, il ne se passerait rien.» Instinctivement, j’ai choisi la seconde option… Il m’a conduit jusqu’à son Break 504 et il a pris la route en direction de Chartres. Tout en roulant, il m’a beaucoup parlé. Et puis, près d’un champ, il s’est arrêté en me disant : «Voilà. Je vais bien trouver un péquenot qui viendra vous chercher».
– Là, vous vous disiez que vous étiez sauvée ?
– Tout à fait. Bien que je me retrouvais dans un champ au milieu de nulle part mais j’ai pensé un court instant qu’il avait dit la vérité, que j’avais eu raison de ne pas me débattre… Et puis, il a fait mine de se raviser : «Finalement, je vais vous attacher parce que je n’ai pas envie que l’on pense que vous étiez ma complice.» La corde qu’il a utilisée était prête à l’emploi. Il l’avait rangée en dessous du siège conducteur. Après m’avoir immobilisée, il m’a dit : «Je vais faire un simulacre de viol.»… Malheureusement, ce n’était pas un faux viol (Ndlr : Elle se tait pendant un moment). Ensuite, il s’est excusé. Je lui ai demandé s’il se rendait compte de ce qu’il avait fait. Je lui ai dit que j’avais quatorze ans, que je pouvais être sa fille. Il m’a répondu : «Mais non, vous n’avez pas quatorze ans!». Comme s’il vous nier la réalité de son acte. Dans le même ordre d’idée, comme s’il voulait se convaincre que j’étais une prostituée, il m’a donné 45 francs français… (Ndlr : Marc Dutroux avait agit exactement de la même manière lorsqu’il avait violé Henrietta P., une jeune slovaque, le 4 juin 1995 à Topolcany). Malgré l’horreur de son comportement, il se piquait de rester «poli» en utilisant un langage châtié. Il n’a d’ailleurs jamais cessé de me vouvoyer!
– Il vous a laissé sur place ?
– Non, il a décidé de me raccompagner. Ce qui m’a valu de nouvelles confidences. Il m’a dit qu’il était «à la recherche du mythe de la virginité»; Que quand il s’est marié, il croyait que sa femme était vierge mais que ce n’était pas le cas. Il m’a dit aussi qu’il était extrêmement déçu de l’espèce humaine et qu’il n’avait plus confiance qu’en Dieu.
– Il tentait de vous amadouer ?
– Il voulait me manipuler. Et d’ailleurs, sur le moment, il y est très habilement arrivé. Il m’a dit que ce qui était arrivé «n’était pas si grave»… Moi, j’étais déjà contente d’être vivante, de ne pas avoir été défigurée avec son vitriol. Et puis, il avait les mots pour impressionner une gamine de 14 ans et même inverser les rôles!
– A la limite, il se faisait passer pour la victime ?
– Voilà ! En gros, ce qu’il disait c’est que si je portais plainte, cela briserait sa vie de père de famille. Tandis que moi, j’allais me remettre de cette chose «pas si grave» qui m’était arrivée… Et je suis entrée dans sa dialectique de fou… J’ai cru ce qu’il m’a dit. Alors, il m’a laissé partir. Je me vois encore refermer la portière de la 504 car ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai pris conscience de toute la gravité et de l’horreur de ce qui venait de m’arriver. Pourtant, quand je suis arrivée chez moi, je ne voulais pas porter plainte. Ma mère m’attendait depuis de longues heures. Elle a vu que j’étais dans un sale état et elle m’a demandé ce qui m’était arrivé. Je lui ai dit : «Rien. J’ai été pris en otage. Il ne s’est rien passé! Il faut que j’aille me laver.» A partir de ce moment, elle a compris et elle m’a dit que je devais tout de suite porter plainte. Je ne voulais toujours pas… vu que j’avais promis à mon agresseur de ne pas le faire!
– C’était pourtant la seule chose à faire ?
– On a souvent constaté que les victimes d’agressions sexuelles éprouvent un sentiment de culpabilité. Moi aussi, j’ai connu cela : je me sentais sale, souillée… Mais en plus, il avait réussit à pervertir mon jugement d’adolescente. J’étais convaincue que je devais tenir la promesse que je lui avais faite! J’étais prise dans une sorte de tourment. Je me doutais que ce n’était pas la bonne réaction mais je ne parvenais pas à sortir de ce piège mental dans lequel il m’avait enfermé. Heureusement, ma mère n’a pas laissé faire. Elle m’a secoué… Et finalement, dans la nuit, nous nous sommes rendues dans un commissariat de police. Je lui suis encore reconnaissante de m’avoir aidé à faire face!
– L’enquête a immédiatement commencé ?
– N’allez pas trop vite! D’abord, pour une victime de viol, il faut arriver à se faire entendre! Avec ma mère, je me suis d’abord rendue au commissariat de Rambouillet. Quelques flics en uniforme qui étaient de garde m’ont écouté longuement, dans les détails, avec beaucoup d’attention. Lorsque j’en ai eu terminé, ils ont conclut par : «de toute façon, vu le lieu de l’agression, nous ne sommes pas compétents.» J’ai eu un sentiment d’énorme détresse. J’avais l’impression qu’ils se fichaient bien de ce qui m’était arrivé. Voire qu’il avait pris un certain plaisir malsain à écouter mon récit. Ils nous ont renvoyé vers la gendarmerie locale. Et là, on est tombé sur un vieux gendarme qui n’était pas très intéressé et qui tirait la gueule parce qu’il était tard. Il nous a dit : «Moi, je ne peux faire qu’une main courante. Ici, on est dans les Yvelines et les faits se sont passés en Eure et Loire. Avant tout allez à l’hôpital pour constater les faits». On s’y est rendu. Et le médecin a conclut en disant à ma mère : «Ce n’est pas si grave. Elle s’en remettra.» J’espère vraiment que les victimes de viol sont mieux accueillies aujourd’hui! Bref, le lendemain, nous avons enfin été reçus par des policiers vraiment humains au commissariat de Maintenon. Ils se sont énormément investis dans leur travail.
– Lequel s’est encore manifesté ?
– Brièvement, oui. Deux ou trois jours après l’agression, sa voiture est passée à deux reprises dans ma rue. J’étais à la fenêtre. Je ne sais pas s’il connaissait mon adresse ou s’il cherchait à repérer l’endroit où j’habitais. Pour risquer cela, il n’avait peur de rien ! Moi, je crevais de trouille et quelque temps plus tard, on a déménagé. A la suite de cela, je n’ai plus eu très peu de nouvelles des enquêteurs. Ils cherchaient mais ne trouvaient rien.
– Pourtant on saura plus tard qu’à la même période, Fourniret a commis près de vingt agressions en région parisienne… Il peut paraître étonnant qu’aucun rapprochement n’ait été fait…
– D’autant plus que beaucoup d’agressions ont eu lieu dans un périmètre assez restreint… Mais bon, toutes les victimes n’avaient pas porté plainte. En plus, on était au début des années ’80. Actuellement, l’analyse criminelle doit avoir fait des progrès… C’est ce que je souhaite en tous les cas.
– En mars 1984, Fourniret est arrêté. Vous l’apprenez ?
– Quelques semaines plus tard, seulement. Ce sont des enquêteurs du SRPJ de Versailles qui sont venus me dire qu’ils avaient mon agresseur. Fourniret avait très rapidement avoué dix-sept faits de moeurs parmi lesquels il y avait le viol commis sur ma personne. D’abord je l’ai reconnu sur photo. Ensuite, en 1986, nous avons été confrontés chez le juge d’instruction à Evry.
– Un moment sans doute très pénible ?
– Oui, je n’avais toujours que 16 ans. Ma mère qui m’accompagnait n’a pu rentrer avec moi dans le bureau du juge. De plus, en arrivant, je ne savais pas qu’il s’agissait d’une confrontation et j’ai donc été très surprise de voir arriver Fourniret. J’ai mal supporté de le sentir si près de moi. Immédiatement, je me suis faite apostrophé par son avocat. Il m’a demandé pourquoi je ne m’étais pas débattue, si j’étais consentante… Et même, si j’avais fumé de la marijuana avant de faire la rencontre de son client! Pendant ce temps-là, Fourniret était tout penaud. Il n’a pratiquement rien dit sauf qu’il avait «senti un lien affectif se tisser» entre lui et moi! Le juge a laissé entrevoir que pour lui, l’affaire ne semblait pas si grave de cela. Il a qualifié les faits «d’attentat à la pudeur avec violence». Bref, en sortant de ce bureau, j’étais dans un drôle d’état.
– En colère ?
– Certainement. Mais j’ai retourné cette colère contre moi. J’ai du caractère mais là, je sentais que, véritablement, on niait ce que j’avais vécu. Cela m’a fort déstabilisé. Dans les mois qui ont suivi, j’ai fait trois tentatives de suicide. Déjà, je n’avais pas été considérée comme victime lors du dépôt de plainte. Ensuite, la justice banalisait les faits. C’était trop. Il y avait aussi ce choc d’avoir été mis en présence de mon agresseur sans y avoir été préparée.
– En qualifiant les faits d’«attentats à la pudeur», le juge d’instruction ne permettait-il pas à Fourniret d’échapper à la Cour d’assises ?
– Exactement. Mais heureusement, après cette confrontation, ma mère a décidé de prendre un avocat. Au moment opportun, il a saisi la cours d’appel qui, elle, a estimé que ce dont j’avais été victime était bien «un viol sur une mineure de moins de 15 ans». C’est comme cela qu’il s’est finalement retrouvé devant la Cour d’assises, le 26 juin 1987. Mais dans l’intervalle, il avait encore réussi à me perturber en m’envoyant un courrier, le jour de mon anniversaire. Comme s’il voulait me faire savoir qu’il connaissait mon adresse. A l’intérieur, il y avait une feuille sur laquelle il avait recopié un poème de Mélina Mercouri. Cela parlait de la paix dans le monde…
– De la paix dans le monde ?
Avec ce type de personnage, il ne faut s’étonner de rien. Dans des textes écris durant sa période de détention française, il dit se ressentir comme «un pacifique». A mon propos, il affirme qu’il voulait me donner de l’amour! Pour lui, c’est moi qui n’ai rien compris! D’ailleurs, il considère que c’est toute la société qui ne le comprend pas! Mais ce constat ne le fait pas douter car il est convaincu d’avoir une place privilégiée à côté du Christ! Je n’invente rien! Cela ressort notamment d’un texte intitulé «réflexions», qu’il a rédigé en 1984. Fourniret n’est pas un débile ou un fou pour autant. Je veux dire qu’il a sa propre rationalité. Il sait très bien ce qu’il fait. Il calcule tout le temps. Il prépare et planifie ses mensonges et ses meurtres. Il élabore des scénarios, tel celui du «fugitif» quand il m’a agressé. Pour moi, il est totalement responsable de ses actes. J’espère que cette fois on ne le laissera plus sortir de prison et qu’il finira sa triste vie derrière les barreaux.
«Christ (…) j e me reconnais en toi »
Tous les propos tenus par Dahina Le Guennan sont confirmés par des documents issus du dossier instruit par la justice française à charge de Michel Fourniret entre 1984 et 1987. On y trouve notamment ces feuillets où il s’adresse à Dieu depuis sa cellule de Fleury-Mérogis. Cela s’intitule «Réfléxions» et le pervers s’adresse…à Dieu. Il écrit : «Qu’en est-il de ma position par rapport à Dieu? Il est sept heures du matin. Contre le mur est appuyée une gravure représentant le Maître et son serviteur (…) Je me sens mal à l’aise refusant de souscrire aux dogmes de quelque idéologie. Entendons-nous bien, Christ, je vénère à travers toi la qualité des sentiments humains, l’abnégation, la bonté, la sensibilité. Et je me reconnais en Toi, quand les traits qui te représentent montrent la souffrance de ton mal de vivre parmi les passions d’une humanité sans passion. A ce titre, illustre martyr, je prends aujourd’hui la résolution de ne plus t’appeler que mon son Seul Ami. Je crois me convaincre que la constance de cette position m’affranchira désormais des influences destructrices portées par tout ce qui usurpe ton nom et l’exemple humaniste de ton œuvre.(…) Me voici ouvert à un sentiment, ou plutôt à une sensation étrange de paix. Il me semble découvrir l’horizon et je me sens capable de communiquer avec mes semblables, que la simple et nouvelle liberté que je découvre, dépouillé du carcan complexe de mes préjugés sur le conditionnement social. Car je les imaginais, et voyais donc depuis mon Intérieur, les surestimant et sous-estimant à la fois, entretenant une conscience de ma non appartenance à leur groupe. Que c’était facile, cette libération! C’est à en pleurer des hoquets de rire. Je me rends compte de cette vérité : il n’y a rien à chercher, rien à comprendre, il n’y a pas de résignation à vivre, mais tout simplement à vivre… Ah mon ami, combien je me libère! A présent, tu seras mon complice (…) Laissons s’engluer nos humbles alchimistes, théologiens et sorciers de la science et allons gambader et folâtrer dans la Vie.» Trois ans plus tard, Michel Fourniret entamait la série des 9 enlèvements, viols et meurtres pour lesquels il est désormais en aveux.
«La parole libère»
«Si il m’avait tué, peut-être aurait-il été arrêté plus vite. Peut-être qu’il aurait été condamné plus lourdement. Peut-être que la justice aurait mis la société à l’abri de ce prédateur?» Peut-être que, peut-être que… Pendant l’été 2004, les révélations sur le parcours criminel de Michel Fourniret ont profondément bouleversé Dahina Le Guennan et beaucoup de questions ont réveillé un traumatisme qui n’avait jamais vraiment quitté sa mémoire. Pourquoi a-t-elle eu la chance de survivre alors que tant d’autres ont été tuées par l’ogre des Ardennes? La réponse est simple : la justice estime qu’avant 1987, Fourniret ne liquidait pas encore ses proies après les avoir capturées. Mais pour Dahina, ce n’est pas suffisant de se dire cela. Il faut qu’elle témoigne, qu’elle fasse savoir ce qu’elle connaît du tueur en série. Très rapidement après ses aveux, en juillet 2004, elle a lancé un appel dans la presse française afin que toutes les victimes de Fourniret encore inconnues de la justice se manifestent : «Je me disais cela permettrait d’établir une carte retraçant son itinéraire criminel et éventuellement opérer des rapprochements avec des disparitions.» Ensuite, en Belgique comme en France, elle a été reçue par des enquêteurs et des magistrats. Elle est aussi partie prenante dans la nouvelle association «Victimes en série» qui s’est créée à Paris. «Il y a un combat à mener pour la place des victimes dans le système judiciaire. Pour qu’elles aient les mêmes droits que les agresseurs. Pour qu’elles puissent apporter leur concours aux enquêtes et enfin qu’elles construisent entre elles des liens de solidarité», dit-elle. Un combat qui envahit son quotidien et nourrit ses angoisses ? «Au contraire», rétorque-t-elle «l’action et la parole libèrent. Ce sont des thérapies très efficaces». Prochain objectif de Dahina, rencontrer Marie-Noëlle Bouzet. «On déjà longuement conversé au téléphone. Je trouve qu’elle a raison d’envisager de déposer plainte contre l’Etat français. En ne surveillant pas Fourniret après sa sortie de prison en 1987 – (ndlr :celui-ci avait en effet été libéré avec une mise à l’épreuve), l’Etat français est coupable d’homicide involontaire ou de complicité. L’adresse de Fourniret dans l’Yonne était officiellement connue. Deux mois après son arrivée dans cette région, une jeune fille disparaissait et personne n’a pensé à l’interroger! Aujourd’hui, on se pose des questions sur son implication dans deux autres disparitions dans cette région-là… Si on l’avait interpellé en temps utile, l’histoire aurait peut-être pris un tour différent. Car quand il est confondu par un élément ou un témoignage, Fourniret avoue très vite; On aurait pu alors le remettre là où est sa place. En prison. Et définitivement!»