Un entretien publié par l’hebdomadaire Paris Match Belgique, le 3 mars 2025 et le 6 mars 2025 par le site Paris Match.be
Alors que les prophéties de malheur se multiplient, qu’on nous dit quotidiennement que nous sommes à l’aube d’une troisième guerre mondiale, le géopolitologue Frédéric Encel appelle à plus de mesure : oui, le monde va mal, oui, le climat international est délétère, mais bien des raisons géopolitiques devraient nous maintenir à distance de l’apocalypse.
Paris Match. Vous affirmez dans votre dernier ouvrage que de nombreuses raisons géopolitiques permettent de penser que la guerre mondiale, que beaucoup redoutent, « n’aura pas lieu ». Dans l’actuel climat de peur et de crispation, entretenu, il est vrai, par divers commentateurs et experts, votre message est pour le moins dissonant. Ne craignez-vous pas qu’il soit inaudible ?
Frédéric Encel. Nous verrons bien. Par définition, il est difficile de savoir si un message sera audible avant d’avoir été délivré. Cela dit, votre question évoque le point de départ de ma réflexion : un climat très anxiogène qui est entretenu par divers commentateurs plus ou moins neutres, plus ou moins compétents. Il en découle une représentation apocalyptique du monde, l’idée répandue que celui-ci serait devenu plus dangereux que jamais, qu’on est à deux doigts d’une guerre mondiale. À contre-courant de ces prophéties, je voudrais faire comprendre que certaines perceptions du monde, même quand elles semblent communes, même lorsqu’elles ont l’apparence de l’évidence, ne correspondent pas nécessairement à la réalité. Aussi, si l’on regarde l’état du monde de manière analytique, avec les outils dont dispose le géopolitologue, on arrive à une conclusion moins spectaculaire, sans doute moins audible sur les chaînes d’information continue, mais certainement plus juste : la dangerosité du monde actuel existe, certes, mais elle n’est pas plus manifeste qu’à d’autres époques.
Le climat ambiant serait-il un prisme déformant ?
Parfaitement ! La probabilité d’un effondrement généralisé de tout ou partie de la planète dans un conflit de haute intensité est infime, en deçà du seuil de crédibilité. Le discours apocalyptique est souvent tenu par des personnes qui débattent de géopolitique comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le moindre diplôme, sans expérience, sans connaissance de la géographie, sans tenir compte des leçons de l’Histoire, en faisant l’économie d’une analyse sur le temps long permettant d’éviter les chausse-trappes de l’immédiateté. On observe un phénomène qui renvoie au temps de la crise sanitaire : du jour au lendemain, 67 millions de Français étaient devenus virologues ou épidémiologistes ! Tout le monde savait ce qu’il fallait faire ou pas. Aujourd’hui, tout le monde croit savoir qu’une guerre mondiale est imminente. Mais c’est faux ! Une future guerre mondiale n’est certainement pas la première des probabilités et nous ne sommes pas sur le chemin qui nous y conduirait mécaniquement. Bien sûr, contrairement aux pythies des temps modernes qui déversent des tombereaux de peur sur les réseaux sociaux et certains plateaux de télé, je n’ai pas la prétention de prédire l’avenir. Mon propos n’est pas du tout d’affirmer qu’on vit dans un monde sans risques. Mais les dangers sont mesurables, on peut les étudier, s’y préparer sans annoncer un « inévitable chaos », sans alimenter les craintes qui nourrissent des discours extrémistes. Comme l’affirmait Winston Churchill : « La peur est une réaction, le courage est une décision. »
Vous venez de le souligner : on parle beaucoup aujourd’hui d’un « inévitable chaos ». Dans les années 1990, alors que « la fin de l’Histoire » était annoncée telle une parole d’Évangile, nombre de commentateurs ne promettaient-ils pas, avec une conviction également inébranlable, l' »inévitable évolution vers un monde de paix » ?
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Pour en savoir plus : Frédéric Encel, La guerre mondiale n’aura pas lieu, les raisons géopolitiques d’espérer,Odile Jabob.
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