Une enquête publiée dans l'hebdomadaire "La libre Match", le 12 avril 2007 –
La radioactivité est partout. Depuis la nuit des temps, elle nous vient du ciel (rayons cosmiques), de la terre (radioéléments présents dans le sol) et elle est même présente dans certains de nos aliments. A ces infimes doses naturelles s'ajoutent celles produit par l'industrie nucléaire. Bien qu'il soit aussi question de très petites quantités de rejets ionisants, les discussions sont d'actualité au sein de la communauté scientifique : faut-il s'inquiéter pour la santé des populations qui sont exposées très régulièrement, voire en permanence à ces surplus de doses, même minimes? L'Union européenne finance un grand projet de recherche multinational sur la question. Même s'il ne faut pas crier panique, à ce stade personne n'est encore parvenu à trancher. En Belgique, c'est le député Jean-Marc Nollet (Ecolo), mais aussi un ancien inspecteur de l'Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) qui ouvrent le débat dans les colonnes de «La Libre Match» en attirant l'attention sur des pics de radioactivité très réguliers qu'ils ont observés dans les environs immédiats de l'Institut national des Radioéléments (IRE) à Fleurus. Aux inquiétudes de ces deux observateurs qui sont arrivés aux mêmes constats par des voies différentes répond un discours rassurant de l'AFCN : tant les pics radioactifs que les rejets de gaz ionisants ne sont pas niés mais ils sont qualifiés d'«inoffensifs». Dans l'état actuel des connaissances scientifiques en tous les cas…
Installé à Fleurus depuis le début des années 70, l'Institut national des Radioéléments (IRE) est spécialisé dans la fission de cibles d'Uranium hautement enrichi (U 235) aux fins de produire des radio-isotopes utilisés en médecine nucléaire. L'IRE est ainsi leader mondial dans la production de Molybdène 99/Technétium 99 et d'Iode 131 -des radioéléments de fission qui sont utilisés dans 80% des protocoles médicaux- et il fabrique aussi du Xénon 133 et de l'Yttrium 90.
L'activité de cette fondation d'utilité publique est réputée dans le monde entier et d'ailleurs, elle exporte la majorité de sa production. L'année dernière, l'IRE a notamment créé un consortium avec la société IBA (Ion Beam Applications) qui développe des solutions de très haute précision dans le diagnostic et le traitement du cancer. Ensemble, l'IRE et l'IBA ont acquis la division internationale de CIS bio International qui offre une vaste gamme de produits thérapeutiques et diagnostiques utilisés en oncologie, cardiologie, rhumatologie et endocrinologie.
Travaillant avec des produits radioactifs extrêmement dangereux, l'IRE est bien sûr tenu de veiller à la sûreté de ses installations, à la protection de ses travailleurs, de la population et de l'environnement. Afin de veiller à ce que ces précautions sont bien prises et maintenues sur la durée, l'Institut est lui-même contrôlé par l'Association Vinçotte Nucléaire pour le compte de l'Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN)… Et force est de constater que le dernier audit en date n'était guère rassurant. Il y a quelques semaines, en effet, l'AFCN se fendait d'un communiqué pour indiquer qu'elle avait requis « des mesures pour améliorer la sûreté et la culture de sûreté à l'IRE».
De manière très précise, ce communiqué définissait ainsi cette « culture de sûreté » que l'IRE était invité à « améliorer ». Il s'agit de «l'ensemble des caractéristiques et des attitudes qui, dans l'organisation et chez les individus de cette organisation, font que les questions relatives à la sûreté des installations nucléaires bénéficient prioritairement de toute l'attention qu'elles méritent. Concrètement, la culture de la sûreté ne se limite donc pas aux seules prescriptions ou à la seule réglementation en matière de sûreté, mais implique notamment que l'ensemble de l'entreprise, de la direction au personnel d'exploitation, soit imprégné de l'importance de la sûreté et agisse en fonction (…), que des procédures adéquates existent et soient appliquées». On n’en attend pas moins en effet de personnes travaillant dans un secteur aussi sensible que le nucléaire…
Pourtant, à l'IRE, cette culture de la sécurité semble toute relative car, détaillaient les contrôleurs de l'AFCN, «les experts ont constaté des problèmes dans le processus décisionnel ainsi que dans la collaboration et l'échange d'informations relatives à la sûreté entre les différents départements de l'entreprise». Se posant aussi des questions sur la qualité des infrastructures de l'Iinstitut, ils notaient prudemment qu'«il n'a pas été constaté à ce jour d'élément mettant clairement en évidence un mauvais état général des installations. Cependant, certaines interrogations demeurent sur la culture de sûreté interne qui régit la gestion et l'entretien des installations» et, notait également l'AFCN à propos de ce qu'elle appelle le «traitement des déviations».
Un processus décisionnel mal huilé, des échanges d'informations peu fiables, des installations dont l'état ouvre sur des « interrogations ». Et puis surtout cette considération sur le «traitement des déviations». Qu'entend-on par là? Pour aller au delà de la langue de bois, nous avons pris contact avec l'Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire. On lira en page …, notre entretien avec Manfred Schrauber, directeur du département de contrôle et de surveillance de cet organisme. En résumé, cet agent de l'Etat se veut rassurant : la direction de l'IRE est certes parue quelque peu défaillante lors du dernier audit mais si l'AFCN a attiré l'attention sur des dysfonctionnements, notamment dans l'entretien des installations, c'est en vertu d'une application stricte du principe de précaution. Autrement dit, on s'inquièterait de corriger le moindre petit défaut bien avant que l'on soit dans une situation qui présenterait le moindre risque pour les travailleurs de l'IRE ou pour la population avoisinnante de cet institut nucléaire.
Une lettre accusatrice
Pourtant, un document en notre possession évoque une Agence fédérale de Contrôle Nucléaire beaucoup moins proactive et, dans le même temps, une pollution radioactive produite par l'IRE à laquelle les autorités de contrôle n'accorderaient une attention suffisante. Il est ici question d'une lettre écrite le 20 juillet dernier par l'inspecteur nucléaire Jean-Claude Coussement. Destinataires de la missive : les parlementaires du groupe «sécurité nucléaire» créé au sein de la Commission de l'Intérieur de la Chambre.
Coussement, qui avait des responsabilités importantes à l'AFCN entre 2001 et 2004, y exprime très clairement ses craintes quand à la gestion de la sécurité des installations nucléaires de l'IRE : «Des centaines de fois, j'ai constaté qu'une usine située à Fleurus (ndlr : l'IRE) rejetait des gaz ionisants (ndlr : radioactifs) dans l'air et ce depuis plusieurs années, à raison de 2-3 fois par semaine. Quand la direction du vent ramène ce nuage sur une des balises, les ordinateurs se mettent en alarme et enregistrent une «pointe de radioactivité». J'ai également constaté que l'on avait modifié les 'niveaux d'alarme' pour ces mesures».
D'après M. Coussement, le problème de ces «pics de radioactivité» à Fleurus est loin d'être nouveau. Dans sa lettre, l'inspecteur nucléaire cite notamment un rapport rédigé le 31 octobre 2001 par M. Samain, directeur de l'AFCN à l'époque : « '-… une balise de Fleurus est passée en alarme niveau 1 à 11 heures, ceci durant un court moment. A quoi correspond ce pic, personnellement je ne puis le dire… Voilà en tous cas l'exemple le plus concret qui soit, qui montre la nécessité d'une réorganisation (ndlr : déjà!) et l'établissement des procédures préconisées par l'audit (…)'.
Coussement écrit en commentaire : «C'était en octobre 2001… En 2004, rien n'a changé… En 2006, non plus… Ce qui me choque, c'est que 'personne' parmi les 'gestionnaires' hiérarchiques (ndlr : de l'Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire) ne juge utile, nécessaire, indispensable d'en discuter, ni même de faire procéder à des analyses et/ou études afin de savoir si «oui ou non», il y a ou s'il pourrait y avoir de graves risques pour la santé de la population. Que peut provoquer la 'répétition' dans la durée de ces rejets? Il n'y a pas lieu de s'inquiéter? Ni moi, ni mes collègues n'aimerions habiter le coin, croyez-le! (…) Je m'inquiète pour la population! A force de jouer aux apprentis sorciers… il faut s'attendre à des catastrophes. L'amiante aussi n'était pas nocive… A l'Agence et chez Telerad, on ne parle pas du «danger pour la santé» de la population concernée et encore moins, alors là! du principe de précaution! A croire que l'on ignore même son existence».
Un an plus tard, qu'est devenu cet ex-inspecteur inquiet? Confirme-t-il ce qu'il dénonçait par écrit aux parlementaires? Nous le retrouvons dans la région de Tournai. Surpris que nous ayons pris connaissance de sa lettre accusatrice, il nous tient d'emblée une réflexion désabusée : «Vous vous attaquez à gros morceau. Le ministère de l'Intérieur dont dépend l'AFCN n'aime pas trop être titillé sur ces questions. En Belgique, le milieu du nucléaire est très fermé. Très étroit surtout. Tout le monde se connaît : contrôlés et contrôleurs. Parfois même on est très bon amis, comme par exemple un ex-directeur de l'AFCN et celui de l'IRE… Si vous avez mon document envoyé au parlement, tout est dedans : ce que j'ai dénoncé, je l'assume. Je l'ai d'ailleurs confirmé quand j'ai été auditionné par des parlementaires en octobre dernier. Pour moi, cela s'arrête là. Je viens d'être l'objet d'une importante opération chirurgicale. Le combat est terminé».
Un parlementaire se pose aussi beaucoup de questions
Le député Ecolo Jean-Marc Nollet a déjà fait plusieurs interpellations au parlement sur les activités de l'IRE. Nous décidons de lui rendre une petite visite dans sa commune de Fontaine-l’évêque, au sud-est de Charleroi. Bonne initiative : «Ce dossier, je le suis pas à pas depuis des mois», nous confirme d'emblée l'ex-ministre de la Communauté française. «En consultant le site de l'AFCN depuis de nombreux mois déjà, j'ai pu en effet constater qu'il y avait des pics de doses radioactives détectées dans les environs de l'IRE : de 200 nano Sievert (nSv) jusqu'à parfois 2500 nSv. (1) Trois balises renseignent des données préoccupantes. Numérotées IMRF3, IMRF4, IMAF4. Les deux premières se trouvent à l'intérieur du site de l'Institut. La troisième se situe dans une zone économique mixte, à quelques dizaines de mètres d'habitations. Ce phénomène de surdoses radioactives m'interpelle d'autant plus qu’il est répétitif et qu'il existe dans des zones à forte densité de population. J'ai pris le soin de comparer avec les données renseignées par les balises situées près d’autres sites sensibles (Doel, Tihange, Mol) : aucunes d'entre elles ne présentent de telles anomalies!»
En parcourant l’enregistrement des balises au cours de l’année 2006, le parlementaire explique avoir aussi remarqué qu’ «un changement est intervenu en ce qui concerne la nomenclature de classification des évènements. L’ancienne appellation reprise sur le site de l'AFCN était «dépassement de niveau 1». Pour des mêmes quantités de rejets, elle a été remplacée au cours du mois de mai 2006 par la mention «Elévations de la dose dues à des rejets contrôlés de Xénon effectués par le site de l'IRE, rejets respectant les autorisations données». Ensuite, toujours pour les mêmes valeurs, le site de l'AFCN mentionne «rejets contrôlés IRE»;
Un témoignage qui recoupe parfaitement les propos tenus par l'ex-inspecteur de l'AFCN, Jean-Paul Coussement. Mais les observations faites par le député vert intriguent plus encore lorsqu'il ajoute «avant les changements de dénominations des dépassements, les alarmes étaient assez aléatoires. En effet, j'ai pu constaté que des balises indiquaient parfois le dépassement du seuil d'alarme lorsque la dose de 150 nSv était atteinte. Alors qu'à d'autres moments, à 200 nSv, elles ne réagissaient pas. J'ai aussi remarqué que des données autrefois accessibles sur le site de l'AFCN ne le sont plus : plus possible de remonter dans le temps au delà de 2005. D’autre part, il apparaît aussi qu’à certains moments, on retrouve comme justification de dépassements la mention : «données en cours de validation»… Et que, certaines de ces valeurs ont toujours cette justification un an après l’enregistrement!».
Que pense cet élu du témoignage de M. Coussement? «C'est un apport précieux car il confirme ce qu'on peut observer en se pliant à une exégèse laborieuse du site de l'AFCN (ndlr : Laborieuse? C'est le moins que l'on puisse dire! Pour en juger, nous renvoyons vers la lecture de l'encadré intitulé : «Qui vivra verra»). Mais en plus, cet ancien inspecteur nucléaire affirme que pour l'époque où il travaillait là, aucun suivi interne n’était organisé quand un pic radioactif était détecté. Cela ouvre sur beaucoup d'interrogations. Et très honnêtement, cela m'inquiète pour la santé des travailleurs de l'IRE et pour celle de la population de Fleurus et des environs. Il s'agit bien évidemment de petites doses radioactives qui s'ajoutent en permanence à la radio-activité naturelle mais je crois qu'il serait coupable de banaliser la chose. En effet, des études de plus en plus nombreuses évoquent les effets possibles des faibles radiations à long terme sur la santé humaine. Et puis comment ne pas se sentir encore plus inquiet, suite au dernier rapport de l’AFCN paru début mars (ndlr : Voir au début de cet article), nous pensons que ce qui se passe à Fleurus n’est certainement pas sans lien avec l’érosion de la 'culture de sûreté' qui est soulignée dans ce rapport.»
Des rejets de gaz radioactifs, certes… Mais ils sont inoffensifs, affirme l'Agence de Contrôle Nucléaire
«C'est vrai, on a constaté certains conflits à l'IRE. Au sein du staff, au niveaux des cadres et aussi entre les services. Conséquence : des décisions ne sont pas prises; Certains problèmes ne sont pas résolus dans les délais. Cela peut concerner des éléments techniques, des anomalies qui sont signalées et qui traînent trop longtemps avant que des mesures correctives soient appliquées. Cette mauvaise collaboration entre services et ce déficit décisionnel font que la culture de sûreté qui est nécessaire dans une installation nucléaire, comme dans tout entreprise d'ailleurs, n'est pas aussi efficiente que nécessaire».
Ce constat sans appel des défaillances qui menacent l'IRE – ou qui in fine rendrait l'IRE menaçante pour l'environnement, c'est selon…- est celui, on ne peut plus officiel, de Manfred Schrauber, directeur du département de contrôle et de surveillance de l'AFCN. Mais attention! Cet agent de l'Etat veut aussi être rassurant. «A la longue, le type de manquements constatés pourraient avoir un effet sur la sécurité de l'Institut mais on est loin de là. Nous avons mené une action de prévention. Le but est d'éviter que les choses ne se dégradent de trop. On joue notre rôle de chien de garde».
Qu'en est-il des problèmes liés aux «traitements des déviations» évoqués par le communiqué de l'AFCN? Il ne faut pas y voir une allusion à des incidents du type «rejet de gaz radioactifs non contrôlés», assure le fonctionnaire. «Déviation, cela veut dire simplement anomalie dans le processus de fabrication. Une erreur qui pourrait créer un incident ou altérer la qualité du produit. On ne peut risquer que ce qui est livré au client – notamment des hôpitaux qui utilisent des isotopes- n'ait pas la qualité requise. «Déviation», cela veut dire qu'il y a écart par rapport à spécifications du processus de fabrication. On pourrait par exemple avoir une contamination dans une cellule de fabrication qui impliquerait que le produit final soit contaminé par des isotopes qui ne sont pas souhaités par le client. Cela pourrait aussi amener à la contamination d'un travailleur. Donc, le traitement des déviations est aussi essentiel du point de vue de la sécurité de l'exploitation».
Et ces gaz radioactifs qui sont rejetés dans la nature par l'Institut des Radioéléments, est-ce un problème? «Non pas du tout» assure le contrôleur. «L'IRE a une autorisation de rejet dans la nature. Il y a des contrôles. Des mesures systématiques et en continu. L'Institut est toujours largement en dessous des limites qui sont autorisées». Péremptoire. Pourtant notre interlocuteur est moins précis sur la hauteur des limites en question: «Je ne peux pas vous le dire comme cela. Je n'ai pas le dossier sous la main. Mais on est largement en dessous de ce qui est légalement toléré», renchérit-il (lire aussi l'encadré, page…).
Il ne faudrait pas plus s'inquiéter des variations de radioactivité constatées à Fleurus. «Il y a des pics radioactifs mais ils sont inoffensifs. C'est contrôlé. On reste en dessous des limites. Si il y avait danger, on agirait», dit M. Schrauber. Le directeur explique aussi que les contrôles sont multiples. En interne par un expert de niveau 1 agrée par l'AFCN, lequel est structurellement indépendant de la production pour garantir son indépendance. En externe par AVN Vinçotte qui réalise des contrôles réguliers et qui a accès à toutes les données de l'Institut de Fleurus, tout comme l'AFCN d'ailleurs. «On a le droit de débarquer à n'importe quel moment sur place. De demander toutes les données…» Il y a enfin le réseau «Telerad», des balises qui enregistrent notamment la pollution de l'air dans les environs de l'IRE. «On est toujours attentif. Les résultats sont transmis vers nos ordinateurs. Sept jours sur sept, vingt quatre heures sur vingt quatre, quelqu'un est prêt à intervenir.», assure M. Schrauber.
Est-ce que le niveau d'alarme a été changé récemment? Notre interlocuteur se montre fort hésitant sur la question. Après lui avoir répété, il répond d'abord que non. Avant de convenir que des valeurs de rejets radioactifs qui étaient autrefois interprétées sur le site de l'AFCN comme un «dépassement de niveau 1» sont répertoriées depuis quelques mois en temps que «rejets contrôlés IRE» : «Les seuils sont les mêmes. Mais c'est l'interprétation que l'on en donne que nous avons changé.». M. Schrauber précisant au passage que le niveau 1 correspond à deux ou trois fois «le bruit de fond», c'est à dire le taux de radioactivité naturelle dans la zone surveillée. Mais il ne se dit pas en mesure de nous communiquer une donnée plus précise sur le taux de radioactivité qui fait se déclencher les alarmes.
Comme explication à ces nouvelles «interprétations de données» et aux allures de montagne russe des graphiques rendant comptes des rejets de gaz radioactifs à Fleurus (voir ci-contre), le directeur de l'AFCN renvoie au mode de production des radio-isotopes par l'IRE : «L'IRE n'a pas une fabrication en continu. Elle travaille par «patch», c'est à dire à la demande de sa clientèle. Les isotopes fabriqués sont généralement de très courte durée de vie. Ils sont envoyés le plus rapidement possible et utilisés dans un délai également très court par les hôpitaux. Les gaz qui sont stockés lors de la fabrication, de l'Iode en particulier, passent par toute une batterie de filtres. Ce qui reste est rejeté dans l'environnement en ayant subi les contrôles adéquats. Un institut comme l'IRE ne fonctionne pas comme une centrale nucléaire, il n'y a pas de rejets de gaz en continu. Les pics qui apparaissent sont liés à ces «patch» de production. Donc c'est vrai qu'on a de temps en temps des alarmes ou des dépassements. Mais si on constate que c'est lié à un «patch» de fabrication, il s'agit de rejets contrôlés. Il y a donc bien des pics de radioactivité par moment mais tout cela est contrôlé pour que ce soit en doses infimes, bien en deçà des limites tolérées par la loi»
Vraiment inoffensif ?
Au Commissariat pour l'Energie Atomique de Fontenay-aux-Roses, près de Paris, le Dr Laure Sabatier coordonne le projet international intégré «Risc-Rad» essentiellement financé par la Communauté européenne. «Depuis 2004, la priorité de notre travail de recherche est de mettre au point les outils qui nous permettront peut-être demain d'enfin quantifier les risques associés aux expositions prolongées à de faibles doses de radioactivité. C'est un enjeu important pour la santé publique mais aussi pour l'avenir de l'énergie nucléaire. Par prudence, aucun seuil n'a pu être défini à ce stade en dessous duquel on pourrait dire qu'une exposition permanente à de faibles doses de radiation ne présenterait aucun risque. Maintenant, il faut aussi relativiser le problème : vous me parlez de doses de 0.5 mSv par an. Dans certaines parties du monde, certaine population sont exposées à des doses bien plus importantes qui sont due à la seule radioactivité naturelle!Prendre un vol transatlantique va aussi vous surexposer à la radioactivité naturelle pendant quelques heures… Imaginez aussi que quand vous allez faire une radiographie, vous pouvez prendre jusqu'à 2 ou 4 mSv en une fois! Bien sûr, on ne va généralement pas faire une radio tous les jours…».
Faut-il s'enfuir en courant de Fleurus? Ce n'est évidemment pas le propos de l'enquête de Match. Cela n'empêche cependant de se poser des questions sur l'exposition à long terme aux faibles doses de radioactivité. Il y a des années d'ici, l'omniprésence de l'amiante dans notre société n'était généralement pas considérée comme préoccupante. Et puis, trop tard pour trop de personnes, on a pu prouver le danger que représentait ce matériau… Même à faible dose.
Le débat sur les dangers des rayonnements ionisants à faible dose, lui aussi, a du mal à poindre. Mais dans le même temps, le propos doit être mesuré. Au fils des décenies, d'incontestables efforts de prudence ont été fait dans le secteur nucléaire. Ainsi, les doses non naturelles autorisées auxquelles l'homme peut être exposé n'ont fait qu'être réduites au fil des ans… Avant la fin du 19ème siècle, les premiers cancers constatés dans les rangs des scientifique qui s'intéressaient au nucléaire avaient déjà fait réfléchir. Le temps des années '20 où des marchands de chaussures utilisaient un appareil à rayon X permettant à leurs clients de voir leurs doigts de pied à travers leurs godasses est désormais très éloigné. C'était encore un temps où aucune norme n'existait quand à l'exposition du public aux rayonnements ionisants. Cela n'est apparu qu'en 1959 : 5 mSv/an, ramenés à 1 mSv/an dans les années '90. Pour les travailleurs du nucléaire, on estimait en 1934 qu'ils pouvaient être exposés à 600 mSv/an! Cela a été ramené à 150 mSv en 1951, 50 mSv en 1977 et puis, dernière norme admise depuis les années '90, 20 mSv…
Il y a un peu plus d'un an, le Centre d'Etude de l'Energie nucléaire (CEN) de Mol commentait ainsi une étude de l'IARC (International Agency for Research on Cancer) sur l'exposition des travailleurs du nucléaire au faibles radiations dans 15 pays du monde : «La durée moyenne du suivi pour l'ensemble du groupe étudié était de 13 ans. La moyenne des doses cumulées n'était pas tellement élevée : 19,4 mSv, ceci malgré le fait que 407.000 des travailleurs concernés aient reçu au cours des premières années de l'industrie nucléaire des doses plus importante que ce n'est la cas actuellement. (…) Il ressort de l'étude que 1 à 2% de la mortalité des travailleurs due au cancer pourrait être attribuée aux radiations. (…) En ce qui concerne tous les cancers (exception faite de la leucémie), un dose totale de radiations de 100 mSv donnerait lieu à une augmentation relative d'environ 10% par rapport au risque de mortalité naturelle (…) La même dose peut faire accroître de manière relative, c'est à dire proportionnelle, la mortalité naturelle par leucémie de 19% environ (…).
Faut-il conclure qu'il n'y aurait aucunement lieu de s'inquiéter des doses annuelles, cent fois plus faibles qui se propagent dans l'air de Fleurus et environs? Sans doute… Si l'on en croit les données imprécises et incomplètes qui sont publiquement accessibles à ce jour. Si l'on se persuade aussi que l'érosion de la culture de «sûreté» de l'IRE n'a jamais eu aucune influence sur la qualité de ses rejets gazeux dans l'atmosphère. Si l'on se dit enfin que les connaissances scientifiques sur les conséquences de l'exposition à de faibles doses de radioactivité n'évolueront jamais dans un sens préoccuppant… Comme ce fut le cas pour l'amiante. Un jour, les avancées de la recherche conduiront-elles à interdire toute exposition à des doses même très faibles de radioactivité non naturelle. Difficile à imaginer vu certaines applications médicales du nucléaire (radiologie, scanners, marqueurs etc), mais le progrès réserve tellement de surprises…
Il reste donc beaucoup de «si». Ajoutons-en un, le plus important à ce stade : et si un vrai débat était ouvert en Belgique sur la question des faibles doses de radioactivité générées par certaines activités industrielles! Un débat pour aller plus loin que des réponses comme «je ne me prononce pas» lorsque l'on demande un directeur de l'Agence fédérale de Contrôle Nucléaire de réagir sur la dangerosité éventuelle de l'exposition à faibles doses de radioactivité (lire encadré)…
(1) : Le Sievert est l'unité de mesure des risques d'effets sur la santé à long terme des radiations auxquels nous sommes exposés.
Qui vivra, verra…
Les normes internationales, d'application en droit belge interdisent que la population soit exposée à des doses non naturelles de radioactivité totalisant plus de 1 milli Sievert par an (mSv/an). Mais le site de l’Agence fédérale de Contrôle Nucléaire, censé apporter de l’information aux citoyens, se contente de renseigner des données chiffrées exprimées en notation scientifique loin d'être compréhensibles pour tout un chacun. Si l'on veut connaître la dose captée par une balise à une heure précise durant telle ou telle journée, l'internaute curieux trouvera des annotations du genre : 1,25 x 10 E -07 nanoSievert par heure (nSv/heure) Tout le monde est-il censé savoir qu'il convient de multiplier le premier facteur par 100 pour obtenir une estimation de la dangerosité des rejets en nSv/heure, soit des milliardièmes de Sievert. Dans notre exemple: 1,25 x 10 E -07 = 125 nSv/heure… Quelle recette le citoyen doit-il appliquer pour savoir si l'IRE a dépassé la dose de 1 mSv par an? Pas simple… Faites donc 24 fois la première opération pour obtenir une idée de la radioactivité supplémentaire apportée par l'IRE sur une journée. Ensuite, vous n'avez plus qu'à faire le même calcul pour les 364 autres jours de l'année pour obtenir une estimation annuelle en nSv/an, ce qui équivaut tout de même à 8736 multiplications. Vous arrivez alors à une donnée qu'il conviendra ensuite de convertir par une ultime conversion en mSv par an. Précaution utile pour les fans de Texas Instruments qui seraient tentés par cette aventure mathématique : elle comporte aussi un obstacle incontournable qui rend ce calcul «laborieux» carrément impossible : certains «dépassements» renseignés sur le site de l'AFCN n'ont jamais été validés et parfois, pour cette raison ou à cause de «problèmes de communication», certaines heures ne renseignent aucune donnée du tout. En bref, il sera donc plus simple pour les habitants des environs de l'IRE de se fier au seul rapport annuel de l'AFCN qui nous indique, chaque année, que les seuils légaux de radioactivité n'ont pas été dépassés et ce,… sans donner de chiffres précis en mSv/an. Une partie de notre entretien avec Manfred Schrauber, le directeur du département de contrôle et de surveillance de l'AFCN portait sur cette question du seuil tolérable d'exposition de la population. Une fois encore, on constate que les informations communiquées ne sont pas de la plus haute précision. Extrait :
Serait-il possible d'avoir une estimation en mSv de ce qui est rejeté chaque année par l'IRE dans la région de Fleurus ?
Je n'ai pas ces données comme cela. La limite autorisée est de 1 mSv par an. Les rejets sont un pourcentage de cette limite. Quand les autorisations ont été données à l'IRE, un calcul a été fait pour qu'on ne dépasse pas cette fraction. On ne refait pas à chaque rejet le calcul dans l'autre sens (sic). On sait cependant que ce qui est rejeté est en dessous du miliSievert/an… Cela ne dépasse pas généralement le dixième de ce 1 milli Sievert/an…
Donc, 0,1 mSv par an à peu près ?
Oui, je dirais pour être tout à fait prudent que cela ne dépasse pas 0,5 milli Sievert par an.
Donc, vous n'auriez aucun problème à habiter dans une maison à proximité de l'IRE ?
Bien entendu! Je connais les mesures de protection qui sont prises. Je me rends régulièrement dans des zones nucléaires contrôlées, si j'avais le moindre doute…
Mais le fait d'habiter en permanence dans les environs immédiats de l'IRE, cela peut-il poser un problème?
Non. C'est pour cela que des limites ont été définies. 1mSv par an, c'est la limite pour la population mais, pour comparer, le travailleur nucléaire -et j'en suis un- lui est autorisé à recevoir 20 mSv par an. Et je n'ai pas de crainte. Même si j'arrivais à 20 mSv, ce qui n'est jamais le cas, je sais que cela ne causerait pas un effet mesurable sur ma santé.
Pourtant la question des «faibles doses» reçue sur une longue période d'exposition fait débat chez les scientifiques…
Je connais bien ce débat des scientifiques. Je ne me prononce pas. Je ne sais pas qui a raison. Il y a des thèses de scientifiques qui disent le corps humain exposé aux basses doses réagit comme de la même manière que lorsqu'il est agressé par des bactéries : il se défend. Et donc que si l'attaque est très faible, il se crée de la résistance…
Ca c'est la thèse favorable…
Il y a même des stations de cure où l'on prend des bains radioactifs au radon! Cela aurait des effets bénéfiques. On paye cher pour cela. Et, paraît-il, c'est scientifiquement prouvé. Moi, je n'en sais rien rien…
Mais il y a aussi d'autres thèses défavorables. A force d'être exposé on aurait par exemple un risque accru de cancer, cela pourrait aussi avoir des conséquences génétiques… Vous n'en parlez pas?
Je ne nie pas mais des scientifiques estiment aussi qu'il est possible que l'accumulation de petites doses ait un effet néfaste pour la santé. En ce qui me concerne, je le répète, je n'en sais rien. Les statistiques là dessus sont tellement faibles qu'on ne sait pas tirer de conclusion. En 1996, une directive européenne -traduite dans la législation belge en 2001- a diminué les doses admissibles qui sont passées pour la population de 5 mSv à 1mSv. Même chose pour le travailleur qui auparavant pouvait être exposé à 50 mSv. On a réduit ces doses tout simplement parce qu'on ne sait pas bien si les faibles doses ont une influence sur la santé. C'est le principe de précaution.
Donc, il reste un point d'interrogation. Sans doute le mettrez-vous en balance avec le fait que ce que produit l'IRE est également utile dans le domaine médical?
C'est clair, comment imaginer la médecine d'aujourd'hui sans l'apport de la médecine nucléaire! Le premier principe de la radioprotection, c'est la justification des pratiques. Et du point de vue de l'intérêt général, l'activité de l'IRE est tout à fait légitime. Le fait de produire des isotopes pour les hôpitaux contribue à sauver des vies. Comme pour toute activité humaine, il faut voir le rapport entre le bénéfice obtenu et le risque encouru. Quand on va faire une radiographie chez le médecin, on prend aussi une dose de radioactivité dans le corps. Mais cela n'empêche pas qu'on s'y rende quand même parce que c'est un outil de diagnostic parfois indispensable.
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