PLAGE, SOLEIL ET….MENOTTES POUR LA DERNIERE « INFO CONFIDENTIELLE PARIS MATCH » DE LA SAISON TV.
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » sur RTL-TVI, le dimanche 28 juin 2009 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match » (Belgique), le 2 juillet 2009 –
«Vacances, j’oublie tout, plus rien à faire du tout / Restaurants, boîtes de nuit, tout ce qu’on a envie / Manger à minuit, se coucher à midi / Plus de temps, plus d’horaires, les vacances, c’est super… » C’est sur cet air connu que devait se passer le séjour d’Aubin Mugege (photo) à Ibiza, fin juin 2007. En fait, c’est en prison qu’il dansera, en raison d’une erreur administrative. «Les policiers espagnols m’avaient arrêté sur hase de renseignements erronés provenant de Belgique. Mais après plusieurs échanges de courrier, le ministre de la justice vient de m’annoncer que l’Etat belge ne veut pas m’accorder d’indemnisation à l’amiable. ]e n’ai même pas droit à un mot d’excuse», déplore l’infortuné voyageur.
Aubin avait 23 ans et avec son pote Sonny, il fantasmait sur cette semaine de vacances depuis longtemps. Ibiza, ses plages, l’eau bleue, le ciel azuré, les méga discothèques… Les filles, bien sûr! Sea, sex and sun…
Un programme somme toute assez classique mais qui, à cet âge-là, donne généralement de très bons résultats. Et donc, les deux amis avaient économisé pour s’offrir un hôtel correct. «Pas le grand luxe», explique Aubin, «mais quelque chose de propre avec une grande piscine. Une agence nous a dégoté un séjour d’une semaine à 600 euros. Pas très cher dans l’absolu, mais pour nous c’était déjà une somme, car on ne roulait pas sur l’or». Le samedi 23 juin 2007, Aubin et Sonny bouclent leurs valises et s’en vont, guillerets, vers l’aéroport de Bruxelles-National. Check-in, contrôle d’identité (par un policier fédéral d’expression flamande, forcément), tout se passe bien. «L’avion était à l’heure et la bonne humeur était au rendez-vous. Heureux comme des gosses, on riait, on blaguait. On ne voyait pas le temps passer». Moins de quatre heures plus tard, c’est déjà l’atterrissage sur l’île de Majorque. Avec un peu d’ironie, les deux jeunes se joignent aux autres touristes qui applaudissent les pilotes. Ensuite, c’est la chaleur qui les embrasse avec douceur dès qu’ils posent le premier pied sur le tarmac. Et vient l’immuable parcours du vacancier: récupération des valises, repérage de la blonde bronzée qui attend avec une pancarte indiquant le nom du tour opérateur, autobus, hôtel. «Comme espéré, le club était très beau, et les piscines, très grandes, n’attendaient plus que nous», poursuit Aubin. «A la réception, l’accueil était convivial. On a donné nos documents d’identité et un employé les a photocopiés. On a reçu nos clés et après avoir déposé nos bagages, la fête pouvait vraiment commencer. Rapidement, on s’est liés avec d’autres Belges».
Ce sont bien les vacances qu’ils espéraient. Ils nagent, jouent au foot, chantent, dansent et draguent les filles jusqu’aux petites heures. Insouciants. Vacances, j’oublie tout… «Le lundi à 7 heures du matin, après une nuit de folie, on s’est tout de même décidés à rentrer à l’hôtel. Crevé, je me suis endormi tout de suite et très profondément. Quelque temps plus tard, j’ai entendi qu’on frappait lourdement à la porte de ma chambre. Mais bordel, j’étais en vacances ! J’me suis retourné. On a frappé encore plus fort. On criait. Je me suis alors réveillé. En sursaut. Comprenant qu’il s’agissait de la police espagnole. En ouvrant la porte, je me suis retrouvé devant cinq types en civil. Ils vociféraient dans leur langue, que je ne comprenais pas. Mais bon, le sens général de leur propos était clair : Sonny et moi, on était arrêtés ! ». Juste le temps d’enfiler un Jean et un t-shirt et voici les deux jeunes vacanciers embarqués. «On leur a demandé des explications mais ils refusaient de répondre. Pour sortir de l’hôtel, ils nous ont mis les menottes. Ensuite, on a été conduits dans leurs locaux. J’étais un peu sonné, vu le manque de sommeil et l’incompréhension face à ce qui se passait. Mais je ne m’inquiétais pas trop, n’ayant rien à me reprocher. Ils allaient vite comprendre qu’il s’agissait d une erreur. Après une petite vérification, ils allaient nécessairement nous laisser partir.»
Arrivés au poste, les touristes belges reçoivent des bribes d’explication. «Leur chef baragouinait quelques mots de français. On a compris qu’une vérification de nos documents d’identité avait été faite après que nous les eûmes communiqués à la réception de l’hôtel. Et j’étais soi-disant l’objet d’un mandat d’arrêt international ! Sueurs froides, coeur qui s’accélère, j’étais scié ! J’ai tenté de leur expliquer que j’avais pris en tout régularité l’avion à Zaventem, comme l’indiquait mon billet d’avion. J’ai argumenté qu’au contrôle policier en Belgique, j’avais présenté ma carte d’identité électronique et que rien de problématique n’avait été signalé. Mais ne voulant rien entendre, le chef n’avait qu’une phrase automatique à me répéter avec un accent qui conférait à cette situation un aspect encore plus surréaliste : « La Belgique a contacté Madrid. Madrid m’a envoyé l’ordre de t’extrader. Tu dois partir. En attendant, tu iras en cellule. » Quant à Sonny, ils l’ont relâché et il a pu retourner à l’hôtel».
Aubin est conduit dans une cellule au sous-sol du poste de police d’Ibiza. «C’était un local étroit, insalubre et sans lumière. J’avais eu envie de crier mon désespoir alors que ces vacances prenaient une drôle de tournure. Pourtant, je suis resté stoïque. Silencieux. Vers 17 heures, les cellules voisines ont commencé à se remplir. Dans celles de droite, ils ont enfermés trois Sénégalaises, des sans-papiers qui devaient être expulsées. On a commencé à parler. Elles m’ont expliqué leur vie, leur putain de vie sans espoir. Ma colère en devenait dérisoire : moi, on me gâchait des vacances. Dommage. Elles, on leur bousillait l’existence».
A la prison d’Ibiza, on ne sert évidemment pas de paella. «Juste un petit sandwich au fromage à midi et vers 18 heures. J’ignorais qu’on pouvait sous-alimenter les gens comme ça dans les geôles européennes», raconte le vacancier meurtri qui précise que, en revanche, il recevait de l’eau à volonté.
Le mardi après-midi, Aubin est sorti de sa cellule. «On m’a mis en présence de deux policiers et d’une avocate qui a été commise d’office avec pour mission, formellement en tous les cas, de me défendre. Ils n’avaient pas trouvé d’interprète et c’est donc le commissaire qui parlait ce langage étonnant, proche du français sans en être vraiment, qui traduisait. Soit j’acceptais de tout de suite repartir vers la Belgique, soit je contestais mon arrestation et je restais le temps qu’il faudrait dans ce sinistre local sans lumière. J’ai voulu négocier : « Contactez mon ambassade ! Je vous jure qu’il y a une erreur. Je n’ai rien à me reprocher. Vérifiez ! Cela ne vous prendra qu’une minute. » Esquissant un léger sourire, le commissaire m’a alors montré de loin un papier qui disait que mon extradition était demandée depuis 2003. Pas question de transiger. Il avait soi-disant vérifié avec Madrid. J’ai regardé la femme qui était censée être mon avocate. Aucune expression dans ses yeux. Comme le flic, elle assénait que je n’avais plus qu’à signer le papier indiquant que j’acceptais d’être rapatrié en Belgique. J’ai donc opté pour le retour immédiat sur Bruxelles. J’étais fou de rage. Après avoir apposé le dernier paraphe, j’ai commencé à hurler. On m’a aussitôt ramené dans ma cellule. Pour me calmer, j’ai fait des pompes. Ensuite, j’ai dormi d’un sommeil agité». Le mercredi à 14 heures, Aubin est emmené par deux agents à l’aéroport d’Ibiza où il monte à bord d’un vol pour Barcelone. «Deux jours que je ne m’étais pas lavé. J’étais menotte. Jamais je n’ai connu un tel sentiment de honte. Dans la salle d’attente, tous les regards étaient dirigés vers moi. Pour attirer un peu plus l’attention du public qui m’observait, la police espagnole aurait pu me mettre une cloche autour du cou. Sans doute n’y ont-ils pas pensé. Barcelone n’était qu’une escale. A 18 heures, nous sommes arrivés à Madrid. Et subitement, le ton a changé. Ils m’ont parlé d’un document qu’ils avaient reçu d’une haute juridiction espagnole. Papier qu’on ne m’a évidemment pas donné. Ils venaient de se rendre compte qu’il y avait une erreur. Je devais être relâché immédiatement. Les agents qui m’accompagnaient se sont excusés. Selon eux, je devais en vouloir aux autorités belges et ils me conseillaient de porter plainte. Dans un bureau de la Guardia Civile, ils ont fait le topo de cette situation ubuesque, arrivant à la conclusion qu’il fallait me mettre en rapport avec mon ambassade. Pour eux, il était hors de question que je les accompagne dans leur trajet de retour vers Ibiza. »
Aubin attend une éternité devant le commissariat de l’aéroport et puis enfin, vers 21 heures, on lui passe une communication téléphonique. «A l’autre bout du fil se trouvait une assistante de garde de l’ambassade de Belgique à Madrid. Elle m’a expliqué que ses services avaient contacté mes parents pour les rassurer. Tout de suite, elle ma précisé que les Affaires étrangères n’avaient rien à voir dans le dysfonctionnement qui avait conduit à mon arrestation, qu’il faudrait plutôt voir du côté de la Justice ou de l’Intérieur. Quoiqu’il en soit, j’étais aussi invité à prendre un taxi pour venir à l’ambassade, mais le lendemain matin. Je navals pas un franc sur moi. Charitablement, les policiers espagnols m’ont donné un paquet de biscuit et un jus de fruit pour passer la nuit. Tel un SDF. je me suis couché sur un banc de l’aéroport. J’ai dormi là. Tant bien que mal, surtout parce que j’avais froid. Je n’avais toujours que mon jeans et mon t-shirt enfilés lors de mon arrestation. En plus, j’avais très faim».
Le jeudi matin, vers 8 heures. Aubin parvient à convaincre un taximan de le prendre à son bord. « J’étais sale, je n’avais pas un balle sur moi. Quand je pense à cet homme qui m’a fait confiance, je ressens encore de la reconnaissance. Arrivé à l’ambassade, il a patienté plusieurs minutes avant qu’un employé descende pour lui payer sa course. En ce qui me concerne, on ne m’a pas vraiment déroulé le tapis rouge. Une personne m’a pris en charge, certes, mais avec une certaine distance. Je dirais même une distance certaine, car elle s’adressait à moi en restant derrière une vitre blindée surmontant un comptoir, un peu comme si j’étais le client d’une banque. On m’a donné un billet de 20 euros et une réservation à bord d’un vol pour Ibiza. L’attachée m’a aussi conseillé de porter plainte enm’expliquant que je n’étais pas le premier qui vivait une telle mésaventure. Ce fut à peu près tout. Merci et au revoir. L’avion à destination des Baléares ne décollait qu’à 22 heures. J’avais donc plusieurs heures devant moi. J’ai décidé que je me rendrais à pied à l’aéroport après avoii un peu déambulé dans le centre-ville de Madrid. Passant devant un restaurant fast-food, je n’ai pu résister à commander deux menus Big Mac d’affilée pour combler mes trois jours de disette! Finalement, je suis arrivé à l’aéroport vers 19 heures. Il me restait encore une épreuve à surmonter. La pire, peut-être. Cela faisait maintenant quatre jours que j’avais été arrêté. Je portais toujours les mêmes vêtements, je ne m’étais toujours pas lavé, pas rasé… Disons-le platement, cela n’a pas été un cadeau pour les personnes qui se sont trouvées à côté de moi dans l’avion. A ce moment, je crois que la honte a atteint son paroxysme».
Le vendredi, de retour à Ibiza, Aubin retrouve son pote Sonny. Le soleil, la plage, les filles, les boîtes, tout est encore là. Mais pour l’infortuné touriste belge, il ne s’agit plus que d’éléments de décor. «J’étais épuisé. Vidé. Le moral er berne. Et pas seulement à cause de ce que j’avais vécu. La rencontre avec ces Sénégalaises sans espoir dans la sombre cellule d’Ibiza m’avait aussi fort troublé. Le vendredi soir, je ne suis pas sorti. Je n’avais plus qu’une seule envie: rentrer chez moi. Le vol pour Bruxelles est parti le lendemain, le samedi 30 juin, à 12 heures. Je crois pouvoir dire que j’ai vécu une semaine de vacances inoubliable».
Deux ans, quatre lignes, zero euro
Quelques semaines après son retour au pays, Aubin a demandé une réparation à l’amiable aux autorités judiciaires belges, qu’il suppose être responsables de ses mésaventures. «Ma demande était raisonnable : le remboursement du séjour et un dommage moral dont mon avocat, Me Dominique Coenen, laissait le soin à l’Etat de déterminer le montant. Plus que de l’argent, j’espérais une belle lettre d’excuses». Après deux ans d’échange de courriers, la décision prise par le SPF Justice en concertation avec le cabinet du ministre Stefaan De Clerck a le don de rallumer la colère de notre témoin. L’affaire est expédiée en quatre lignes dans un document daté du 28 mai 2009 adressé l’avocat d’Aubin : «Je vous informe que le cabinet du ministre de la Justice a analysé la demande d’indemnisation formulée en faveur de votre client, M. Mugege, et a décidé de ne pas y réserver une suite favorable. En effet, dès lors que les éléments de la responsabilité ne nous semblent pas être établis à suffisance de droit, cela ne permet pas au département d’indemniser dans le cadre d une intervention à l’amiable». Nous avons essayé d’en savoir plus auprès de la Cellule contentieux et avis juridique du SPF Justice, où un fonctionnaire s est contenté de nous confirmer ce que ce nous savions déjà : «Une lettre a été envoyée à l’avocat d’Aubin dans le cadre d’un examen précontentieux de cette affaire». Tandis que les porte-parole du ministre De Clerk ne nous ont pas rappelé. Qui a commis l’erreur qui a conduit à l’arrestation d’Aubin ? Son nom s’estil retrouvé dans la banque de donnée SIRENE, qui signale les personnes qui sont recherchées en vertu d’un mandat européen ? Comment évaluer le préjudice qu’il a subi ? Toutes ces questions trouveront peut-être enfin des réponses par la voie du procès qu’Aubin va maintenant intenter à l’Etat belge: «J’ai décidé de porter plainte. Je trouve regrettable d’être forcé d’en arriver là, mais cette situation de non-reconnaissance totale m’insupporte. Je ne peux laisser passer. C’est une question de dignité».
Point de vue
II s’attendait à regarder le coucher du soleil mais, en définitive, Aubin aura eu un point de vue imprenable sur les uniformes de la Guardia civil.
PLAGE, SOLEIL ET….MENOTTES POUR LA DERNIERE « INFO CONFIDENTIELLE PARIS MATCH » DE LA SAISON TV.
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » sur RTL-TVI, le dimanche 28 juin 2009 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match » (Belgique), le 2 juillet 2009 –
«Vacances, j’oublie tout, plus rien à faire du tout / Restaurants, boîtes de nuit, tout ce qu’on a envie / Manger à minuit, se coucher à midi / Plus de temps, plus d’horaires, les vacances, c’est super… » C’est sur cet air connu que devait se passer le séjour d’Aubin Mugege (photo) à Ibiza, fin juin 2007. En fait, c’est en prison qu’il dansera, en raison d’une erreur administrative. «Les policiers espagnols m’avaient arrêté sur hase de renseignements erronés provenant de Belgique. Mais après plusieurs échanges de courrier, le ministre de la justice vient de m’annoncer que l’Etat belge ne veut pas m’accorder d’indemnisation à l’amiable. ]e n’ai même pas droit à un mot d’excuse», déplore l’infortuné voyageur.
Aubin avait 23 ans et avec son pote Sonny, il fantasmait sur cette semaine de vacances depuis longtemps. Ibiza, ses plages, l’eau bleue, le ciel azuré, les méga discothèques… Les filles, bien sûr! Sea, sex and sun…
Un programme somme toute assez classique mais qui, à cet âge-là, donne généralement de très bons résultats. Et donc, les deux amis avaient économisé pour s’offrir un hôtel correct. «Pas le grand luxe», explique Aubin, «mais quelque chose de propre avec une grande piscine. Une agence nous a dégoté un séjour d’une semaine à 600 euros. Pas très cher dans l’absolu, mais pour nous c’était déjà une somme, car on ne roulait pas sur l’or». Le samedi 23 juin 2007, Aubin et Sonny bouclent leurs valises et s’en vont, guillerets, vers l’aéroport de Bruxelles-National. Check-in, contrôle d’identité (par un policier fédéral d’expression flamande, forcément), tout se passe bien. «L’avion était à l’heure et la bonne humeur était au rendez-vous. Heureux comme des gosses, on riait, on blaguait. On ne voyait pas le temps passer». Moins de quatre heures plus tard, c’est déjà l’atterrissage sur l’île de Majorque. Avec un peu d’ironie, les deux jeunes se joignent aux autres touristes qui applaudissent les pilotes. Ensuite, c’est la chaleur qui les embrasse avec douceur dès qu’ils posent le premier pied sur le tarmac. Et vient l’immuable parcours du vacancier: récupération des valises, repérage de la blonde bronzée qui attend avec une pancarte indiquant le nom du tour opérateur, autobus, hôtel. «Comme espéré, le club était très beau, et les piscines, très grandes, n’attendaient plus que nous», poursuit Aubin. «A la réception, l’accueil était convivial. On a donné nos documents d’identité et un employé les a photocopiés. On a reçu nos clés et après avoir déposé nos bagages, la fête pouvait vraiment commencer. Rapidement, on s’est liés avec d’autres Belges».
Ce sont bien les vacances qu’ils espéraient. Ils nagent, jouent au foot, chantent, dansent et draguent les filles jusqu’aux petites heures. Insouciants. Vacances, j’oublie tout… «Le lundi à 7 heures du matin, après une nuit de folie, on s’est tout de même décidés à rentrer à l’hôtel. Crevé, je me suis endormi tout de suite et très profondément. Quelque temps plus tard, j’ai entendi qu’on frappait lourdement à la porte de ma chambre. Mais bordel, j’étais en vacances ! J’me suis retourné. On a frappé encore plus fort. On criait. Je me suis alors réveillé. En sursaut. Comprenant qu’il s’agissait de la police espagnole. En ouvrant la porte, je me suis retrouvé devant cinq types en civil. Ils vociféraient dans leur langue, que je ne comprenais pas. Mais bon, le sens général de leur propos était clair : Sonny et moi, on était arrêtés ! ». Juste le temps d’enfiler un Jean et un t-shirt et voici les deux jeunes vacanciers embarqués. «On leur a demandé des explications mais ils refusaient de répondre. Pour sortir de l’hôtel, ils nous ont mis les menottes. Ensuite, on a été conduits dans leurs locaux. J’étais un peu sonné, vu le manque de sommeil et l’incompréhension face à ce qui se passait. Mais je ne m’inquiétais pas trop, n’ayant rien à me reprocher. Ils allaient vite comprendre qu’il s’agissait d une erreur. Après une petite vérification, ils allaient nécessairement nous laisser partir.»
Arrivés au poste, les touristes belges reçoivent des bribes d’explication. «Leur chef baragouinait quelques mots de français. On a compris qu’une vérification de nos documents d’identité avait été faite après que nous les eûmes communiqués à la réception de l’hôtel. Et j’étais soi-disant l’objet d’un mandat d’arrêt international ! Sueurs froides, coeur qui s’accélère, j’étais scié ! J’ai tenté de leur expliquer que j’avais pris en tout régularité l’avion à Zaventem, comme l’indiquait mon billet d’avion. J’ai argumenté qu’au contrôle policier en Belgique, j’avais présenté ma carte d’identité électronique et que rien de problématique n’avait été signalé. Mais ne voulant rien entendre, le chef n’avait qu’une phrase automatique à me répéter avec un accent qui conférait à cette situation un aspect encore plus surréaliste : « La Belgique a contacté Madrid. Madrid m’a envoyé l’ordre de t’extrader. Tu dois partir. En attendant, tu iras en cellule. » Quant à Sonny, ils l’ont relâché et il a pu retourner à l’hôtel».
Aubin est conduit dans une cellule au sous-sol du poste de police d’Ibiza. «C’était un local étroit, insalubre et sans lumière. J’avais eu envie de crier mon désespoir alors que ces vacances prenaient une drôle de tournure. Pourtant, je suis resté stoïque. Silencieux. Vers 17 heures, les cellules voisines ont commencé à se remplir. Dans celles de droite, ils ont enfermés trois Sénégalaises, des sans-papiers qui devaient être expulsées. On a commencé à parler. Elles m’ont expliqué leur vie, leur putain de vie sans espoir. Ma colère en devenait dérisoire : moi, on me gâchait des vacances. Dommage. Elles, on leur bousillait l’existence».
A la prison d’Ibiza, on ne sert évidemment pas de paella. «Juste un petit sandwich au fromage à midi et vers 18 heures. J’ignorais qu’on pouvait sous-alimenter les gens comme ça dans les geôles européennes», raconte le vacancier meurtri qui précise que, en revanche, il recevait de l’eau à volonté.
Le mardi après-midi, Aubin est sorti de sa cellule. «On m’a mis en présence de deux policiers et d’une avocate qui a été commise d’office avec pour mission, formellement en tous les cas, de me défendre. Ils n’avaient pas trouvé d’interprète et c’est donc le commissaire qui parlait ce langage étonnant, proche du français sans en être vraiment, qui traduisait. Soit j’acceptais de tout de suite repartir vers la Belgique, soit je contestais mon arrestation et je restais le temps qu’il faudrait dans ce sinistre local sans lumière. J’ai voulu négocier : « Contactez mon ambassade ! Je vous jure qu’il y a une erreur. Je n’ai rien à me reprocher. Vérifiez ! Cela ne vous prendra qu’une minute. » Esquissant un léger sourire, le commissaire m’a alors montré de loin un papier qui disait que mon extradition était demandée depuis 2003. Pas question de transiger. Il avait soi-disant vérifié avec Madrid. J’ai regardé la femme qui était censée être mon avocate. Aucune expression dans ses yeux. Comme le flic, elle assénait que je n’avais plus qu’à signer le papier indiquant que j’acceptais d’être rapatrié en Belgique. J’ai donc opté pour le retour immédiat sur Bruxelles. J’étais fou de rage. Après avoir apposé le dernier paraphe, j’ai commencé à hurler. On m’a aussitôt ramené dans ma cellule. Pour me calmer, j’ai fait des pompes. Ensuite, j’ai dormi d’un sommeil agité». Le mercredi à 14 heures, Aubin est emmené par deux agents à l’aéroport d’Ibiza où il monte à bord d’un vol pour Barcelone. «Deux jours que je ne m’étais pas lavé. J’étais menotte. Jamais je n’ai connu un tel sentiment de honte. Dans la salle d’attente, tous les regards étaient dirigés vers moi. Pour attirer un peu plus l’attention du public qui m’observait, la police espagnole aurait pu me mettre une cloche autour du cou. Sans doute n’y ont-ils pas pensé. Barcelone n’était qu’une escale. A 18 heures, nous sommes arrivés à Madrid. Et subitement, le ton a changé. Ils m’ont parlé d’un document qu’ils avaient reçu d’une haute juridiction espagnole. Papier qu’on ne m’a évidemment pas donné. Ils venaient de se rendre compte qu’il y avait une erreur. Je devais être relâché immédiatement. Les agents qui m’accompagnaient se sont excusés. Selon eux, je devais en vouloir aux autorités belges et ils me conseillaient de porter plainte. Dans un bureau de la Guardia Civile, ils ont fait le topo de cette situation ubuesque, arrivant à la conclusion qu’il fallait me mettre en rapport avec mon ambassade. Pour eux, il était hors de question que je les accompagne dans leur trajet de retour vers Ibiza. »
Aubin attend une éternité devant le commissariat de l’aéroport et puis enfin, vers 21 heures, on lui passe une communication téléphonique. «A l’autre bout du fil se trouvait une assistante de garde de l’ambassade de Belgique à Madrid. Elle m’a expliqué que ses services avaient contacté mes parents pour les rassurer. Tout de suite, elle ma précisé que les Affaires étrangères n’avaient rien à voir dans le dysfonctionnement qui avait conduit à mon arrestation, qu’il faudrait plutôt voir du côté de la Justice ou de l’Intérieur. Quoiqu’il en soit, j’étais aussi invité à prendre un taxi pour venir à l’ambassade, mais le lendemain matin. Je navals pas un franc sur moi. Charitablement, les policiers espagnols m’ont donné un paquet de biscuit et un jus de fruit pour passer la nuit. Tel un SDF. je me suis couché sur un banc de l’aéroport. J’ai dormi là. Tant bien que mal, surtout parce que j’avais froid. Je n’avais toujours que mon jeans et mon t-shirt enfilés lors de mon arrestation. En plus, j’avais très faim».
Le jeudi matin, vers 8 heures. Aubin parvient à convaincre un taximan de le prendre à son bord. « J’étais sale, je n’avais pas un balle sur moi. Quand je pense à cet homme qui m’a fait confiance, je ressens encore de la reconnaissance. Arrivé à l’ambassade, il a patienté plusieurs minutes avant qu’un employé descende pour lui payer sa course. En ce qui me concerne, on ne m’a pas vraiment déroulé le tapis rouge. Une personne m’a pris en charge, certes, mais avec une certaine distance. Je dirais même une distance certaine, car elle s’adressait à moi en restant derrière une vitre blindée surmontant un comptoir, un peu comme si j’étais le client d’une banque. On m’a donné un billet de 20 euros et une réservation à bord d’un vol pour Ibiza. L’attachée m’a aussi conseillé de porter plainte enm’expliquant que je n’étais pas le premier qui vivait une telle mésaventure. Ce fut à peu près tout. Merci et au revoir. L’avion à destination des Baléares ne décollait qu’à 22 heures. J’avais donc plusieurs heures devant moi. J’ai décidé que je me rendrais à pied à l’aéroport après avoii un peu déambulé dans le centre-ville de Madrid. Passant devant un restaurant fast-food, je n’ai pu résister à commander deux menus Big Mac d’affilée pour combler mes trois jours de disette! Finalement, je suis arrivé à l’aéroport vers 19 heures. Il me restait encore une épreuve à surmonter. La pire, peut-être. Cela faisait maintenant quatre jours que j’avais été arrêté. Je portais toujours les mêmes vêtements, je ne m’étais toujours pas lavé, pas rasé… Disons-le platement, cela n’a pas été un cadeau pour les personnes qui se sont trouvées à côté de moi dans l’avion. A ce moment, je crois que la honte a atteint son paroxysme».
Le vendredi, de retour à Ibiza, Aubin retrouve son pote Sonny. Le soleil, la plage, les filles, les boîtes, tout est encore là. Mais pour l’infortuné touriste belge, il ne s’agit plus que d’éléments de décor. «J’étais épuisé. Vidé. Le moral er berne. Et pas seulement à cause de ce que j’avais vécu. La rencontre avec ces Sénégalaises sans espoir dans la sombre cellule d’Ibiza m’avait aussi fort troublé. Le vendredi soir, je ne suis pas sorti. Je n’avais plus qu’une seule envie: rentrer chez moi. Le vol pour Bruxelles est parti le lendemain, le samedi 30 juin, à 12 heures. Je crois pouvoir dire que j’ai vécu une semaine de vacances inoubliable».
Deux ans, quatre lignes, zero euro
Quelques semaines après son retour au pays, Aubin a demandé une réparation à l’amiable aux autorités judiciaires belges, qu’il suppose être responsables de ses mésaventures. «Ma demande était raisonnable : le remboursement du séjour et un dommage moral dont mon avocat, Me Dominique Coenen, laissait le soin à l’Etat de déterminer le montant. Plus que de l’argent, j’espérais une belle lettre d’excuses». Après deux ans d’échange de courriers, la décision prise par le SPF Justice en concertation avec le cabinet du ministre Stefaan De Clerck a le don de rallumer la colère de notre témoin. L’affaire est expédiée en quatre lignes dans un document daté du 28 mai 2009 adressé l’avocat d’Aubin : «Je vous informe que le cabinet du ministre de la Justice a analysé la demande d’indemnisation formulée en faveur de votre client, M. Mugege, et a décidé de ne pas y réserver une suite favorable. En effet, dès lors que les éléments de la responsabilité ne nous semblent pas être établis à suffisance de droit, cela ne permet pas au département d’indemniser dans le cadre d une intervention à l’amiable». Nous avons essayé d’en savoir plus auprès de la Cellule contentieux et avis juridique du SPF Justice, où un fonctionnaire s est contenté de nous confirmer ce que ce nous savions déjà : «Une lettre a été envoyée à l’avocat d’Aubin dans le cadre d’un examen précontentieux de cette affaire». Tandis que les porte-parole du ministre De Clerk ne nous ont pas rappelé. Qui a commis l’erreur qui a conduit à l’arrestation d’Aubin ? Son nom s’estil retrouvé dans la banque de donnée SIRENE, qui signale les personnes qui sont recherchées en vertu d’un mandat européen ? Comment évaluer le préjudice qu’il a subi ? Toutes ces questions trouveront peut-être enfin des réponses par la voie du procès qu’Aubin va maintenant intenter à l’Etat belge: «J’ai décidé de porter plainte. Je trouve regrettable d’être forcé d’en arriver là, mais cette situation de non-reconnaissance totale m’insupporte. Je ne peux laisser passer. C’est une question de dignité».
Point de vue
II s’attendait à regarder le coucher du soleil mais, en définitive, Aubin aura eu un point de vue imprenable sur les uniformes de la Guardia civil.
PLAGE, SOLEIL ET….MENOTTES POUR LA DERNIERE « INFO CONFIDENTIELLE PARIS MATCH » DE LA SAISON TV.
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » sur RTL-TVI, le dimanche 28 juin 2009 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match » (Belgique), le 2 juillet 2009 –
«Vacances, j’oublie tout, plus rien à faire du tout / Restaurants, boîtes de nuit, tout ce qu’on a envie / Manger à minuit, se coucher à midi / Plus de temps, plus d’horaires, les vacances, c’est super… » C’est sur cet air connu que devait se passer le séjour d’Aubin Mugege (photo) à Ibiza, fin juin 2007. En fait, c’est en prison qu’il dansera, en raison d’une erreur administrative. «Les policiers espagnols m’avaient arrêté sur hase de renseignements erronés provenant de Belgique. Mais après plusieurs échanges de courrier, le ministre de la justice vient de m’annoncer que l’Etat belge ne veut pas m’accorder d’indemnisation à l’amiable. ]e n’ai même pas droit à un mot d’excuse», déplore l’infortuné voyageur.
Aubin avait 23 ans et avec son pote Sonny, il fantasmait sur cette semaine de vacances depuis longtemps. Ibiza, ses plages, l’eau bleue, le ciel azuré, les méga discothèques… Les filles, bien sûr! Sea, sex and sun…
Un programme somme toute assez classique mais qui, à cet âge-là, donne généralement de très bons résultats. Et donc, les deux amis avaient économisé pour s’offrir un hôtel correct. «Pas le grand luxe», explique Aubin, «mais quelque chose de propre avec une grande piscine. Une agence nous a dégoté un séjour d’une semaine à 600 euros. Pas très cher dans l’absolu, mais pour nous c’était déjà une somme, car on ne roulait pas sur l’or». Le samedi 23 juin 2007, Aubin et Sonny bouclent leurs valises et s’en vont, guillerets, vers l’aéroport de Bruxelles-National. Check-in, contrôle d’identité (par un policier fédéral d’expression flamande, forcément), tout se passe bien. «L’avion était à l’heure et la bonne humeur était au rendez-vous. Heureux comme des gosses, on riait, on blaguait. On ne voyait pas le temps passer». Moins de quatre heures plus tard, c’est déjà l’atterrissage sur l’île de Majorque. Avec un peu d’ironie, les deux jeunes se joignent aux autres touristes qui applaudissent les pilotes. Ensuite, c’est la chaleur qui les embrasse avec douceur dès qu’ils posent le premier pied sur le tarmac. Et vient l’immuable parcours du vacancier: récupération des valises, repérage de la blonde bronzée qui attend avec une pancarte indiquant le nom du tour opérateur, autobus, hôtel. «Comme espéré, le club était très beau, et les piscines, très grandes, n’attendaient plus que nous», poursuit Aubin. «A la réception, l’accueil était convivial. On a donné nos documents d’identité et un employé les a photocopiés. On a reçu nos clés et après avoir déposé nos bagages, la fête pouvait vraiment commencer. Rapidement, on s’est liés avec d’autres Belges».
Ce sont bien les vacances qu’ils espéraient. Ils nagent, jouent au foot, chantent, dansent et draguent les filles jusqu’aux petites heures. Insouciants. Vacances, j’oublie tout… «Le lundi à 7 heures du matin, après une nuit de folie, on s’est tout de même décidés à rentrer à l’hôtel. Crevé, je me suis endormi tout de suite et très profondément. Quelque temps plus tard, j’ai entendi qu’on frappait lourdement à la porte de ma chambre. Mais bordel, j’étais en vacances ! J’me suis retourné. On a frappé encore plus fort. On criait. Je me suis alors réveillé. En sursaut. Comprenant qu’il s’agissait de la police espagnole. En ouvrant la porte, je me suis retrouvé devant cinq types en civil. Ils vociféraient dans leur langue, que je ne comprenais pas. Mais bon, le sens général de leur propos était clair : Sonny et moi, on était arrêtés ! ». Juste le temps d’enfiler un Jean et un t-shirt et voici les deux jeunes vacanciers embarqués. «On leur a demandé des explications mais ils refusaient de répondre. Pour sortir de l’hôtel, ils nous ont mis les menottes. Ensuite, on a été conduits dans leurs locaux. J’étais un peu sonné, vu le manque de sommeil et l’incompréhension face à ce qui se passait. Mais je ne m’inquiétais pas trop, n’ayant rien à me reprocher. Ils allaient vite comprendre qu’il s’agissait d une erreur. Après une petite vérification, ils allaient nécessairement nous laisser partir.»
Arrivés au poste, les touristes belges reçoivent des bribes d’explication. «Leur chef baragouinait quelques mots de français. On a compris qu’une vérification de nos documents d’identité avait été faite après que nous les eûmes communiqués à la réception de l’hôtel. Et j’étais soi-disant l’objet d’un mandat d’arrêt international ! Sueurs froides, coeur qui s’accélère, j’étais scié ! J’ai tenté de leur expliquer que j’avais pris en tout régularité l’avion à Zaventem, comme l’indiquait mon billet d’avion. J’ai argumenté qu’au contrôle policier en Belgique, j’avais présenté ma carte d’identité électronique et que rien de problématique n’avait été signalé. Mais ne voulant rien entendre, le chef n’avait qu’une phrase automatique à me répéter avec un accent qui conférait à cette situation un aspect encore plus surréaliste : « La Belgique a contacté Madrid. Madrid m’a envoyé l’ordre de t’extrader. Tu dois partir. En attendant, tu iras en cellule. » Quant à Sonny, ils l’ont relâché et il a pu retourner à l’hôtel».
Aubin est conduit dans une cellule au sous-sol du poste de police d’Ibiza. «C’était un local étroit, insalubre et sans lumière. J’avais eu envie de crier mon désespoir alors que ces vacances prenaient une drôle de tournure. Pourtant, je suis resté stoïque. Silencieux. Vers 17 heures, les cellules voisines ont commencé à se remplir. Dans celles de droite, ils ont enfermés trois Sénégalaises, des sans-papiers qui devaient être expulsées. On a commencé à parler. Elles m’ont expliqué leur vie, leur putain de vie sans espoir. Ma colère en devenait dérisoire : moi, on me gâchait des vacances. Dommage. Elles, on leur bousillait l’existence».
A la prison d’Ibiza, on ne sert évidemment pas de paella. «Juste un petit sandwich au fromage à midi et vers 18 heures. J’ignorais qu’on pouvait sous-alimenter les gens comme ça dans les geôles européennes», raconte le vacancier meurtri qui précise que, en revanche, il recevait de l’eau à volonté.
Le mardi après-midi, Aubin est sorti de sa cellule. «On m’a mis en présence de deux policiers et d’une avocate qui a été commise d’office avec pour mission, formellement en tous les cas, de me défendre. Ils n’avaient pas trouvé d’interprète et c’est donc le commissaire qui parlait ce langage étonnant, proche du français sans en être vraiment, qui traduisait. Soit j’acceptais de tout de suite repartir vers la Belgique, soit je contestais mon arrestation et je restais le temps qu’il faudrait dans ce sinistre local sans lumière. J’ai voulu négocier : « Contactez mon ambassade ! Je vous jure qu’il y a une erreur. Je n’ai rien à me reprocher. Vérifiez ! Cela ne vous prendra qu’une minute. » Esquissant un léger sourire, le commissaire m’a alors montré de loin un papier qui disait que mon extradition était demandée depuis 2003. Pas question de transiger. Il avait soi-disant vérifié avec Madrid. J’ai regardé la femme qui était censée être mon avocate. Aucune expression dans ses yeux. Comme le flic, elle assénait que je n’avais plus qu’à signer le papier indiquant que j’acceptais d’être rapatrié en Belgique. J’ai donc opté pour le retour immédiat sur Bruxelles. J’étais fou de rage. Après avoir apposé le dernier paraphe, j’ai commencé à hurler. On m’a aussitôt ramené dans ma cellule. Pour me calmer, j’ai fait des pompes. Ensuite, j’ai dormi d’un sommeil agité». Le mercredi à 14 heures, Aubin est emmené par deux agents à l’aéroport d’Ibiza où il monte à bord d’un vol pour Barcelone. «Deux jours que je ne m’étais pas lavé. J’étais menotte. Jamais je n’ai connu un tel sentiment de honte. Dans la salle d’attente, tous les regards étaient dirigés vers moi. Pour attirer un peu plus l’attention du public qui m’observait, la police espagnole aurait pu me mettre une cloche autour du cou. Sans doute n’y ont-ils pas pensé. Barcelone n’était qu’une escale. A 18 heures, nous sommes arrivés à Madrid. Et subitement, le ton a changé. Ils m’ont parlé d’un document qu’ils avaient reçu d’une haute juridiction espagnole. Papier qu’on ne m’a évidemment pas donné. Ils venaient de se rendre compte qu’il y avait une erreur. Je devais être relâché immédiatement. Les agents qui m’accompagnaient se sont excusés. Selon eux, je devais en vouloir aux autorités belges et ils me conseillaient de porter plainte. Dans un bureau de la Guardia Civile, ils ont fait le topo de cette situation ubuesque, arrivant à la conclusion qu’il fallait me mettre en rapport avec mon ambassade. Pour eux, il était hors de question que je les accompagne dans leur trajet de retour vers Ibiza. »
Aubin attend une éternité devant le commissariat de l’aéroport et puis enfin, vers 21 heures, on lui passe une communication téléphonique. «A l’autre bout du fil se trouvait une assistante de garde de l’ambassade de Belgique à Madrid. Elle m’a expliqué que ses services avaient contacté mes parents pour les rassurer. Tout de suite, elle ma précisé que les Affaires étrangères n’avaient rien à voir dans le dysfonctionnement qui avait conduit à mon arrestation, qu’il faudrait plutôt voir du côté de la Justice ou de l’Intérieur. Quoiqu’il en soit, j’étais aussi invité à prendre un taxi pour venir à l’ambassade, mais le lendemain matin. Je navals pas un franc sur moi. Charitablement, les policiers espagnols m’ont donné un paquet de biscuit et un jus de fruit pour passer la nuit. Tel un SDF. je me suis couché sur un banc de l’aéroport. J’ai dormi là. Tant bien que mal, surtout parce que j’avais froid. Je n’avais toujours que mon jeans et mon t-shirt enfilés lors de mon arrestation. En plus, j’avais très faim».
Le jeudi matin, vers 8 heures. Aubin parvient à convaincre un taximan de le prendre à son bord. « J’étais sale, je n’avais pas un balle sur moi. Quand je pense à cet homme qui m’a fait confiance, je ressens encore de la reconnaissance. Arrivé à l’ambassade, il a patienté plusieurs minutes avant qu’un employé descende pour lui payer sa course. En ce qui me concerne, on ne m’a pas vraiment déroulé le tapis rouge. Une personne m’a pris en charge, certes, mais avec une certaine distance. Je dirais même une distance certaine, car elle s’adressait à moi en restant derrière une vitre blindée surmontant un comptoir, un peu comme si j’étais le client d’une banque. On m’a donné un billet de 20 euros et une réservation à bord d’un vol pour Ibiza. L’attachée m’a aussi conseillé de porter plainte enm’expliquant que je n’étais pas le premier qui vivait une telle mésaventure. Ce fut à peu près tout. Merci et au revoir. L’avion à destination des Baléares ne décollait qu’à 22 heures. J’avais donc plusieurs heures devant moi. J’ai décidé que je me rendrais à pied à l’aéroport après avoii un peu déambulé dans le centre-ville de Madrid. Passant devant un restaurant fast-food, je n’ai pu résister à commander deux menus Big Mac d’affilée pour combler mes trois jours de disette! Finalement, je suis arrivé à l’aéroport vers 19 heures. Il me restait encore une épreuve à surmonter. La pire, peut-être. Cela faisait maintenant quatre jours que j’avais été arrêté. Je portais toujours les mêmes vêtements, je ne m’étais toujours pas lavé, pas rasé… Disons-le platement, cela n’a pas été un cadeau pour les personnes qui se sont trouvées à côté de moi dans l’avion. A ce moment, je crois que la honte a atteint son paroxysme».
Le vendredi, de retour à Ibiza, Aubin retrouve son pote Sonny. Le soleil, la plage, les filles, les boîtes, tout est encore là. Mais pour l’infortuné touriste belge, il ne s’agit plus que d’éléments de décor. «J’étais épuisé. Vidé. Le moral er berne. Et pas seulement à cause de ce que j’avais vécu. La rencontre avec ces Sénégalaises sans espoir dans la sombre cellule d’Ibiza m’avait aussi fort troublé. Le vendredi soir, je ne suis pas sorti. Je n’avais plus qu’une seule envie: rentrer chez moi. Le vol pour Bruxelles est parti le lendemain, le samedi 30 juin, à 12 heures. Je crois pouvoir dire que j’ai vécu une semaine de vacances inoubliable».
Deux ans, quatre lignes, zero euro
Quelques semaines après son retour au pays, Aubin a demandé une réparation à l’amiable aux autorités judiciaires belges, qu’il suppose être responsables de ses mésaventures. «Ma demande était raisonnable : le remboursement du séjour et un dommage moral dont mon avocat, Me Dominique Coenen, laissait le soin à l’Etat de déterminer le montant. Plus que de l’argent, j’espérais une belle lettre d’excuses». Après deux ans d’échange de courriers, la décision prise par le SPF Justice en concertation avec le cabinet du ministre Stefaan De Clerck a le don de rallumer la colère de notre témoin. L’affaire est expédiée en quatre lignes dans un document daté du 28 mai 2009 adressé l’avocat d’Aubin : «Je vous informe que le cabinet du ministre de la Justice a analysé la demande d’indemnisation formulée en faveur de votre client, M. Mugege, et a décidé de ne pas y réserver une suite favorable. En effet, dès lors que les éléments de la responsabilité ne nous semblent pas être établis à suffisance de droit, cela ne permet pas au département d’indemniser dans le cadre d une intervention à l’amiable». Nous avons essayé d’en savoir plus auprès de la Cellule contentieux et avis juridique du SPF Justice, où un fonctionnaire s est contenté de nous confirmer ce que ce nous savions déjà : «Une lettre a été envoyée à l’avocat d’Aubin dans le cadre d’un examen précontentieux de cette affaire». Tandis que les porte-parole du ministre De Clerk ne nous ont pas rappelé. Qui a commis l’erreur qui a conduit à l’arrestation d’Aubin ? Son nom s’estil retrouvé dans la banque de donnée SIRENE, qui signale les personnes qui sont recherchées en vertu d’un mandat européen ? Comment évaluer le préjudice qu’il a subi ? Toutes ces questions trouveront peut-être enfin des réponses par la voie du procès qu’Aubin va maintenant intenter à l’Etat belge: «J’ai décidé de porter plainte. Je trouve regrettable d’être forcé d’en arriver là, mais cette situation de non-reconnaissance totale m’insupporte. Je ne peux laisser passer. C’est une question de dignité».
Point de vue
II s’attendait à regarder le coucher du soleil mais, en définitive, Aubin aura eu un point de vue imprenable sur les uniformes de la Guardia civil.
PLAGE, SOLEIL ET….MENOTTES POUR LA DERNIERE « INFO CONFIDENTIELLE PARIS MATCH » DE LA SAISON TV.
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » sur RTL-TVI, le dimanche 28 juin 2009 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match » (Belgique), le 2 juillet 2009 –
«Vacances, j’oublie tout, plus rien à faire du tout / Restaurants, boîtes de nuit, tout ce qu’on a envie / Manger à minuit, se coucher à midi / Plus de temps, plus d’horaires, les vacances, c’est super… » C’est sur cet air connu que devait se passer le séjour d’Aubin Mugege (photo) à Ibiza, fin juin 2007. En fait, c’est en prison qu’il dansera, en raison d’une erreur administrative. «Les policiers espagnols m’avaient arrêté sur hase de renseignements erronés provenant de Belgique. Mais après plusieurs échanges de courrier, le ministre de la justice vient de m’annoncer que l’Etat belge ne veut pas m’accorder d’indemnisation à l’amiable. ]e n’ai même pas droit à un mot d’excuse», déplore l’infortuné voyageur.
Aubin avait 23 ans et avec son pote Sonny, il fantasmait sur cette semaine de vacances depuis longtemps. Ibiza, ses plages, l’eau bleue, le ciel azuré, les méga discothèques… Les filles, bien sûr! Sea, sex and sun…
Un programme somme toute assez classique mais qui, à cet âge-là, donne généralement de très bons résultats. Et donc, les deux amis avaient économisé pour s’offrir un hôtel correct. «Pas le grand luxe», explique Aubin, «mais quelque chose de propre avec une grande piscine. Une agence nous a dégoté un séjour d’une semaine à 600 euros. Pas très cher dans l’absolu, mais pour nous c’était déjà une somme, car on ne roulait pas sur l’or». Le samedi 23 juin 2007, Aubin et Sonny bouclent leurs valises et s’en vont, guillerets, vers l’aéroport de Bruxelles-National. Check-in, contrôle d’identité (par un policier fédéral d’expression flamande, forcément), tout se passe bien. «L’avion était à l’heure et la bonne humeur était au rendez-vous. Heureux comme des gosses, on riait, on blaguait. On ne voyait pas le temps passer». Moins de quatre heures plus tard, c’est déjà l’atterrissage sur l’île de Majorque. Avec un peu d’ironie, les deux jeunes se joignent aux autres touristes qui applaudissent les pilotes. Ensuite, c’est la chaleur qui les embrasse avec douceur dès qu’ils posent le premier pied sur le tarmac. Et vient l’immuable parcours du vacancier: récupération des valises, repérage de la blonde bronzée qui attend avec une pancarte indiquant le nom du tour opérateur, autobus, hôtel. «Comme espéré, le club était très beau, et les piscines, très grandes, n’attendaient plus que nous», poursuit Aubin. «A la réception, l’accueil était convivial. On a donné nos documents d’identité et un employé les a photocopiés. On a reçu nos clés et après avoir déposé nos bagages, la fête pouvait vraiment commencer. Rapidement, on s’est liés avec d’autres Belges».
Ce sont bien les vacances qu’ils espéraient. Ils nagent, jouent au foot, chantent, dansent et draguent les filles jusqu’aux petites heures. Insouciants. Vacances, j’oublie tout… «Le lundi à 7 heures du matin, après une nuit de folie, on s’est tout de même décidés à rentrer à l’hôtel. Crevé, je me suis endormi tout de suite et très profondément. Quelque temps plus tard, j’ai entendi qu’on frappait lourdement à la porte de ma chambre. Mais bordel, j’étais en vacances ! J’me suis retourné. On a frappé encore plus fort. On criait. Je me suis alors réveillé. En sursaut. Comprenant qu’il s’agissait de la police espagnole. En ouvrant la porte, je me suis retrouvé devant cinq types en civil. Ils vociféraient dans leur langue, que je ne comprenais pas. Mais bon, le sens général de leur propos était clair : Sonny et moi, on était arrêtés ! ». Juste le temps d’enfiler un Jean et un t-shirt et voici les deux jeunes vacanciers embarqués. «On leur a demandé des explications mais ils refusaient de répondre. Pour sortir de l’hôtel, ils nous ont mis les menottes. Ensuite, on a été conduits dans leurs locaux. J’étais un peu sonné, vu le manque de sommeil et l’incompréhension face à ce qui se passait. Mais je ne m’inquiétais pas trop, n’ayant rien à me reprocher. Ils allaient vite comprendre qu’il s’agissait d une erreur. Après une petite vérification, ils allaient nécessairement nous laisser partir.»
Arrivés au poste, les touristes belges reçoivent des bribes d’explication. «Leur chef baragouinait quelques mots de français. On a compris qu’une vérification de nos documents d’identité avait été faite après que nous les eûmes communiqués à la réception de l’hôtel. Et j’étais soi-disant l’objet d’un mandat d’arrêt international ! Sueurs froides, coeur qui s’accélère, j’étais scié ! J’ai tenté de leur expliquer que j’avais pris en tout régularité l’avion à Zaventem, comme l’indiquait mon billet d’avion. J’ai argumenté qu’au contrôle policier en Belgique, j’avais présenté ma carte d’identité électronique et que rien de problématique n’avait été signalé. Mais ne voulant rien entendre, le chef n’avait qu’une phrase automatique à me répéter avec un accent qui conférait à cette situation un aspect encore plus surréaliste : « La Belgique a contacté Madrid. Madrid m’a envoyé l’ordre de t’extrader. Tu dois partir. En attendant, tu iras en cellule. » Quant à Sonny, ils l’ont relâché et il a pu retourner à l’hôtel».
Aubin est conduit dans une cellule au sous-sol du poste de police d’Ibiza. «C’était un local étroit, insalubre et sans lumière. J’avais eu envie de crier mon désespoir alors que ces vacances prenaient une drôle de tournure. Pourtant, je suis resté stoïque. Silencieux. Vers 17 heures, les cellules voisines ont commencé à se remplir. Dans celles de droite, ils ont enfermés trois Sénégalaises, des sans-papiers qui devaient être expulsées. On a commencé à parler. Elles m’ont expliqué leur vie, leur putain de vie sans espoir. Ma colère en devenait dérisoire : moi, on me gâchait des vacances. Dommage. Elles, on leur bousillait l’existence».
A la prison d’Ibiza, on ne sert évidemment pas de paella. «Juste un petit sandwich au fromage à midi et vers 18 heures. J’ignorais qu’on pouvait sous-alimenter les gens comme ça dans les geôles européennes», raconte le vacancier meurtri qui précise que, en revanche, il recevait de l’eau à volonté.
Le mardi après-midi, Aubin est sorti de sa cellule. «On m’a mis en présence de deux policiers et d’une avocate qui a été commise d’office avec pour mission, formellement en tous les cas, de me défendre. Ils n’avaient pas trouvé d’interprète et c’est donc le commissaire qui parlait ce langage étonnant, proche du français sans en être vraiment, qui traduisait. Soit j’acceptais de tout de suite repartir vers la Belgique, soit je contestais mon arrestation et je restais le temps qu’il faudrait dans ce sinistre local sans lumière. J’ai voulu négocier : « Contactez mon ambassade ! Je vous jure qu’il y a une erreur. Je n’ai rien à me reprocher. Vérifiez ! Cela ne vous prendra qu’une minute. » Esquissant un léger sourire, le commissaire m’a alors montré de loin un papier qui disait que mon extradition était demandée depuis 2003. Pas question de transiger. Il avait soi-disant vérifié avec Madrid. J’ai regardé la femme qui était censée être mon avocate. Aucune expression dans ses yeux. Comme le flic, elle assénait que je n’avais plus qu’à signer le papier indiquant que j’acceptais d’être rapatrié en Belgique. J’ai donc opté pour le retour immédiat sur Bruxelles. J’étais fou de rage. Après avoir apposé le dernier paraphe, j’ai commencé à hurler. On m’a aussitôt ramené dans ma cellule. Pour me calmer, j’ai fait des pompes. Ensuite, j’ai dormi d’un sommeil agité». Le mercredi à 14 heures, Aubin est emmené par deux agents à l’aéroport d’Ibiza où il monte à bord d’un vol pour Barcelone. «Deux jours que je ne m’étais pas lavé. J’étais menotte. Jamais je n’ai connu un tel sentiment de honte. Dans la salle d’attente, tous les regards étaient dirigés vers moi. Pour attirer un peu plus l’attention du public qui m’observait, la police espagnole aurait pu me mettre une cloche autour du cou. Sans doute n’y ont-ils pas pensé. Barcelone n’était qu’une escale. A 18 heures, nous sommes arrivés à Madrid. Et subitement, le ton a changé. Ils m’ont parlé d’un document qu’ils avaient reçu d’une haute juridiction espagnole. Papier qu’on ne m’a évidemment pas donné. Ils venaient de se rendre compte qu’il y avait une erreur. Je devais être relâché immédiatement. Les agents qui m’accompagnaient se sont excusés. Selon eux, je devais en vouloir aux autorités belges et ils me conseillaient de porter plainte. Dans un bureau de la Guardia Civile, ils ont fait le topo de cette situation ubuesque, arrivant à la conclusion qu’il fallait me mettre en rapport avec mon ambassade. Pour eux, il était hors de question que je les accompagne dans leur trajet de retour vers Ibiza. »
Aubin attend une éternité devant le commissariat de l’aéroport et puis enfin, vers 21 heures, on lui passe une communication téléphonique. «A l’autre bout du fil se trouvait une assistante de garde de l’ambassade de Belgique à Madrid. Elle m’a expliqué que ses services avaient contacté mes parents pour les rassurer. Tout de suite, elle ma précisé que les Affaires étrangères n’avaient rien à voir dans le dysfonctionnement qui avait conduit à mon arrestation, qu’il faudrait plutôt voir du côté de la Justice ou de l’Intérieur. Quoiqu’il en soit, j’étais aussi invité à prendre un taxi pour venir à l’ambassade, mais le lendemain matin. Je navals pas un franc sur moi. Charitablement, les policiers espagnols m’ont donné un paquet de biscuit et un jus de fruit pour passer la nuit. Tel un SDF. je me suis couché sur un banc de l’aéroport. J’ai dormi là. Tant bien que mal, surtout parce que j’avais froid. Je n’avais toujours que mon jeans et mon t-shirt enfilés lors de mon arrestation. En plus, j’avais très faim».
Le jeudi matin, vers 8 heures. Aubin parvient à convaincre un taximan de le prendre à son bord. « J’étais sale, je n’avais pas un balle sur moi. Quand je pense à cet homme qui m’a fait confiance, je ressens encore de la reconnaissance. Arrivé à l’ambassade, il a patienté plusieurs minutes avant qu’un employé descende pour lui payer sa course. En ce qui me concerne, on ne m’a pas vraiment déroulé le tapis rouge. Une personne m’a pris en charge, certes, mais avec une certaine distance. Je dirais même une distance certaine, car elle s’adressait à moi en restant derrière une vitre blindée surmontant un comptoir, un peu comme si j’étais le client d’une banque. On m’a donné un billet de 20 euros et une réservation à bord d’un vol pour Ibiza. L’attachée m’a aussi conseillé de porter plainte enm’expliquant que je n’étais pas le premier qui vivait une telle mésaventure. Ce fut à peu près tout. Merci et au revoir. L’avion à destination des Baléares ne décollait qu’à 22 heures. J’avais donc plusieurs heures devant moi. J’ai décidé que je me rendrais à pied à l’aéroport après avoii un peu déambulé dans le centre-ville de Madrid. Passant devant un restaurant fast-food, je n’ai pu résister à commander deux menus Big Mac d’affilée pour combler mes trois jours de disette! Finalement, je suis arrivé à l’aéroport vers 19 heures. Il me restait encore une épreuve à surmonter. La pire, peut-être. Cela faisait maintenant quatre jours que j’avais été arrêté. Je portais toujours les mêmes vêtements, je ne m’étais toujours pas lavé, pas rasé… Disons-le platement, cela n’a pas été un cadeau pour les personnes qui se sont trouvées à côté de moi dans l’avion. A ce moment, je crois que la honte a atteint son paroxysme».
Le vendredi, de retour à Ibiza, Aubin retrouve son pote Sonny. Le soleil, la plage, les filles, les boîtes, tout est encore là. Mais pour l’infortuné touriste belge, il ne s’agit plus que d’éléments de décor. «J’étais épuisé. Vidé. Le moral er berne. Et pas seulement à cause de ce que j’avais vécu. La rencontre avec ces Sénégalaises sans espoir dans la sombre cellule d’Ibiza m’avait aussi fort troublé. Le vendredi soir, je ne suis pas sorti. Je n’avais plus qu’une seule envie: rentrer chez moi. Le vol pour Bruxelles est parti le lendemain, le samedi 30 juin, à 12 heures. Je crois pouvoir dire que j’ai vécu une semaine de vacances inoubliable».
Deux ans, quatre lignes, zero euro
Quelques semaines après son retour au pays, Aubin a demandé une réparation à l’amiable aux autorités judiciaires belges, qu’il suppose être responsables de ses mésaventures. «Ma demande était raisonnable : le remboursement du séjour et un dommage moral dont mon avocat, Me Dominique Coenen, laissait le soin à l’Etat de déterminer le montant. Plus que de l’argent, j’espérais une belle lettre d’excuses». Après deux ans d’échange de courriers, la décision prise par le SPF Justice en concertation avec le cabinet du ministre Stefaan De Clerck a le don de rallumer la colère de notre témoin. L’affaire est expédiée en quatre lignes dans un document daté du 28 mai 2009 adressé l’avocat d’Aubin : «Je vous informe que le cabinet du ministre de la Justice a analysé la demande d’indemnisation formulée en faveur de votre client, M. Mugege, et a décidé de ne pas y réserver une suite favorable. En effet, dès lors que les éléments de la responsabilité ne nous semblent pas être établis à suffisance de droit, cela ne permet pas au département d’indemniser dans le cadre d une intervention à l’amiable». Nous avons essayé d’en savoir plus auprès de la Cellule contentieux et avis juridique du SPF Justice, où un fonctionnaire s est contenté de nous confirmer ce que ce nous savions déjà : «Une lettre a été envoyée à l’avocat d’Aubin dans le cadre d’un examen précontentieux de cette affaire». Tandis que les porte-parole du ministre De Clerk ne nous ont pas rappelé. Qui a commis l’erreur qui a conduit à l’arrestation d’Aubin ? Son nom s’estil retrouvé dans la banque de donnée SIRENE, qui signale les personnes qui sont recherchées en vertu d’un mandat européen ? Comment évaluer le préjudice qu’il a subi ? Toutes ces questions trouveront peut-être enfin des réponses par la voie du procès qu’Aubin va maintenant intenter à l’Etat belge: «J’ai décidé de porter plainte. Je trouve regrettable d’être forcé d’en arriver là, mais cette situation de non-reconnaissance totale m’insupporte. Je ne peux laisser passer. C’est une question de dignité».
Point de vue
II s’attendait à regarder le coucher du soleil mais, en définitive, Aubin aura eu un point de vue imprenable sur les uniformes de la Guardia civil.