BIENTOT LA FIN DE LA DISCRIMINATION POUR LES PLUS DE 65 ANS ?
– Dossier évoqué sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris Match sur RTL/TVI, le 4 octobre 2009 et dans Paris Match, le 8 octobre 2009 –
En regardant «L’Info confidentielle Paris Match», dimanche dernier sur RTL-TVI, les téléspectateurs ont entendu le témoignage interpellant de Nicole Jomouton, qui s’estime injustement privée des aides matérielles octroyées par l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées (AWIPH). Malgré un contexte budgétaire difficile, Eliane Tillieux (PS), la nouvelle ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, nous révèle qu’elle va proposer à ses collègues de l’exécutif de débloquer 12 millions d’euros pour en finir avec la discrimination qui frappe les seniors touchés par des handicaps qui ne sont pas spécifiquement liés au vieillissement.
Nicole Jomouton est assise dans son jardin et elle nous reçoit avec un grand sourire. « Souvent, les gens me disent que j’ai bonne mine. Cela m’amuse », dit-elle. Le sens de la dérision est resté intact chez cette Jamboise de 69 ans. Malgré cette opération qui n’a pas eu le résultat escompté en 2002, malgré sa perte de mobilité, malgré ces douleurs neuropathiques (1) qui ont envahi les extrémités de ses pieds… Malgré un cancer contre lequel elle lutte depuis maintenant quatre ans.
Nicole ou l’histoire d’une vie ressemblant à tellement d’autres. Une vie très active. Partagée entre travail et enfants. Entre abnégation et espoir d’une récompense se profilant à l’âge de la pension. La retraite rêvée comme une terre promise. Quarante ans de travail, mais la maison payée, les enfants élevés. Et avoir enfin tout son temps à consacrer à ces petits bouts qui, au fil des printemps, ont élargi le cercle familial. Elle nous explique ces balades, ces immersions dans la nature et autres excursions culturelles qu’elle projetait de multiplier avec ses six petits enfants. Elle nous parle si bien de ses séjours en camping qu’il nous prendrait presque l’envie de nous précipiter chez Décathlon pour acheter une tente…
C’est en plein été, il y a sept ans, que les beaux plans de Nicole ont été compromis. «J’avais 62 ans. J’étais vendeuse aux Papeteries de Namur depuis très longtemps. Pour la première fois de ma vie, j’ai dû prend un congé de maladie car j’avais trop mal. Mes douleurs lombaires étaient devenues telles que je ne savais plus marcher. Un scanner a révélé que le canal rachidien était obstrué. Je devais être opérée. Une formalité, me disait-on. Je remarcherais deux jours après l’intervention.»
Pendant que Nicole parle, Paul est tout près. Il sert le café et un morceau de tarte au sucre. «A vrai dire, c’est lui qui fait tout depuis que je suis handicapée. J’ai de la chance, c’est un homme extraordinaire », commente-t-elle. A 71 ans, ce retraité de Belgacom est effectivement en pleine forme. Mais l’avenir lui fait peur: «S’il devait m’arriver quelque chose, elle ne saurait pas se débrouiller seule.» Et, visiblement bouleversé, il décrit «un enchaînement infernal». «Après l’opération, ma femme est revenue à la maison avec des jambes aussi souples que celles de Pinocchio! Elle ne pouvait plus marcher. Une deuxième intervention a été faite par un autre chirurgien, mais sans amélioration notable. On lui alors promis que sa mobilité reviendrait progressivement… Son handicap ne devant et que « provisoire », Nicole a utilisé des béquilles empruntée des voisins. Au prix d’efforts de revalidation très importants elle a pu recommencer à monter une marche, puis deux… Mais ces victoires n’ont toujours été que très partielles, a depuis ses ennuis post-opératoires, elle s’est toujours déplacée très lentement et dans la douleur. Avec de constantes pertes d’équilibre, provoquant des chutes aux conséquences désastreuses, comme quand elle s’est cassé les deux bras et qu’on a dû lui mettre des broches. Une autre fois, alors qu’elle avait souhaité m’accompagner au grand magasin, elle a glissé en voulant prendre appui sur un chariot : six mois pour qu’elle s’en remette. »
Paul poursuit. Avec un regard franc et interpellant: « Le cancer qui s’est déclaré en 2005 n’a évidemment pas arrangé les choses. Nicole se bat et elle va gagner contre la maladie. Mais dans le même temps, sa mobilité continue à décroître. Désormais, ma femme n’a même plus la capacité de prendre un objet dans une armoire. La salle de bain ne lui est plus accessible. Bientôt, elle n’aura plus la force de tirer son corps avec ses bras pour arriver jusque dans la chambre. C’est évident qu’il faudrait faire des adaptations dans la maison, mais c’est hors de prix. Ce serait bien différent si nous avions accès aux aides matérielles de l’AWIPH. Mais, pour des raisons qui nous semblent injustes, ce n’est pas le cas.»
Paris Match a déjà évoqué la problématique posée par les conditions d’octroi de ces aides matérielles. Un décret détermine qu’il s’agit d’« interventions financières dans le coût d’aménagements destinés à favoriser l’intégration de la personne handicapée chez elle et pour ses déplacements ». Sont visés « des aides pour la mobilité personnelle (comme les adaptations pour les voitures automobiles), des aides pour le lever (comme les lève-personnes), des aides pour la communication (comme les logiciels et périphériques adaptés et les aides pour téléphoner), certains aménagements de cuisine et de salle de bains, l’adaptation ou la construction de maisons adaptées, des aides pour l’hygiène (comme les langes et les coussins anti-escarres)…»
En juin dernier, sur le plateau de «L’Info confidentielle Paris Match», de même que dans ces pages (2), Roger Gusbin, lui aussi non éligible à ces aides de l’AWIPH, avait témoigné de sa situation dramatique. Cet ex-dirigeant d’entreprise souffre de la «maladie de Charcot», qui le conduit inexorablement vers une paralysie totale. Pour lui aussi, la terrible nouvelle était arrivée telle une averse inopinée au milieu d’une belle journée d’été. «J’avais 66 ans. L’âge de la retraite avait sonné depuis peu. Mon épouse et moi avions quitté le Hainaut pour nous installer dans la maison de nos rêves du côté de Nassogne. La vie nous souriait. Et puis, il y a eu des chutes inexplicables. Une paralysie progressive, suivie du diagnostic tuant nos projets d’avenir.» Aux ennuis de santé étaient venus se greffer des problèmes matériels insurmontables: «On ne s’imagine pas tout ce que le handicap impose comme investissement financier», nous expliquait sa femme, Marie-Thérèse. «On a déjà investi 50 000 euros. Toutes nos économies sont passées dans des achats et des locations : déambulateur, chaise roulante, lit médicalisé, matelas avec compresseur (…). C’est sans fin. L’aggravation continuelle du handicap rendant certains matériels obsolètes et imposant de nouveaux achats. »
Roger Gusbin dénonçait alors la législation en vigueur: « Si mon handicap s’était déclaré avant l’âge de 65 ans, l’AWIPH m’aurait intégralement financé des tas de choses, comme elle le fait utilement pour la plupart des personnes handicapées. La toilette, la voiture adaptée, le système qui permet de continuer à utiliser un ordinateur et de lire, la douche, le lit médicalisé… Mais moi, je suis tombé malade à 66 ans, et par conséquent je n’entre en ligne de compte pour aucune aide ! C’est une discrimination que je ne comprends pas. »
Retour à Jambes, où Nicole nous explique s’être sentie très concernée en découvrant le témoignage de Roger. Et pour cause, elle aussi s’est vu rappeler cette réglementation sur les conditions d’octroi des aides matérielles aux handicapés en Région wallonne. «Après mon opération, j’ai cru les pronostics de rétablissement qui m’avaient été faits par les médecins. En me battant, j’allais retrouver une mobilité, du moins en étais-je persuadée. Personne ne nous avait parlé des aides matérielles de l’AWIPH et, de toute façon, je me contentais des béquilles que j’avais reçues à prêter. A nos frais, sans recevoir quoi que ce soit comme aide, mon mari a fait de petits aménagements de base dans la maison. En 2007, Paul s’est rendu dans un magasin spécialisé pour renouveler les béquilles. La vendeuse était étonnée qu’il ne présente pas la « carte AWIPH ». Elle lui alors expliqué qu’il existait des aides matérielles, mais que celles-ci était réservées aux handicapés reconnus par cette agence avant l’âge de 65 ans. »
Paul continue : «On s’est renseignés et, en effet, des tas d’améliorations qui nous semblaient financièrement inaccessibles étaient reprise dans le cadre de ces « aides matérielles » de la Région. Nous pensions surtout à un monolift, vous savez cette, chaise électrique qui se place sur la rampe de l’escalier pour accéder à l’étage. Ainsi qu’à des adaptations lui permettant de réutiliser son véhicule. Rien d’autre, car nous estimions que d’autres personnes avaient peut-être encore plus de difficultés que nous… Malgré les explications de la vendeuse, nous voulions rester optimistes: on pouvait prouver que Nicole était handicapée depuis juin 2002, à une époque où elle n’avait que 62 ans. Et il nous semblait évident que faire reconnaître ce a pour ouvrir le droit à l’aide serait suffisant. On a donc écrit à l’AWIPH pour obtenir son intervention dans le placement du monte-escalier, mais cette administration s’est montrée intraitable. »
Ce qui ressort d’une lettre envoyée aux Jomouton, en février dernier, par le chef du bureau régional de l’AWIPH à Jambes : « (…) Une intervention pour un monte-escalier est possible. Cependant, et bien que votre situation ne laisse personne indifférent, le commerçant où vous avez acheté vos béquilles a raison. En effet, il faut remplir certaines conditions d’âge. Dans son article 5, l’arrêté du Gouvernement Wallon du 04/02/2004 stipule que: « Pour la personne handicapée ayant atteint l’âge de 65 ans au moment de l’introduction de la demande d’intervention, celle-ci ne peut-être accordée que si les frais découlent directement du handicap constaté par l’agence avant l’âge de 65 ans. »»
Retour à la case départ pour Nicole et Paul. Ce dernier ajoutant, dépité: «J’ai demandé une intervention de bon sens à l’ex-ministre wallon de l’Action sociale, Didier Donfut (PS). Mais là aussi, ce fut une fin de non-recevoir. Ce garçon s’est contenté de me renvoyer vers le CPAS de ma commune, mais notre demande n’entre pas du tout dans son champ de compétences.» Ayant dû démissionner vu son manque d’éthique, le riche consultant en énergie n’était déjà plus ministre en juin dernier lorsque Paris Match a mis en évidence la discrimination dont souffrent les personnes handicapées âgées de plus de 65 ans. Nous avions alors interpellé le ministre-président de la Région wallonne, Rudy Demotte (PS), qui avait estimé qu’il s’agissait là «d’un problème majeur » : « Cette condition d’âge qui détermine si une personne peut bénéficier ou non de cette aide de I’AWIPH doit incontestablement être adaptée. La supprimer pour tous serait idéal, mais impossible du fait du coût d’une telle mesure. Toutefois, je pense qu’une réponse sérieuse et durable est possible. D’une part, en prévoyant des exceptions pour certaines maladies qui ne sont aucunement liées à l’âge (une disposition qui est budgétairement abordable) ; d’autre part, en amplifiant les aides aux personnes âgées. Le cas de Monsieur Gusbin ne soulève pas seulement la question de l’intégration des personnes souffrant d’un handicap, mais aussi la manière dont notre société fait face au vieillissement de sa population. »
La nouvelle ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, Eliane Tillieux (PS), partage-t-elle la vision d’avenir qui était exprimée par Rudy Demotte ? Et s’il échet, quand et comment pourrait-elle mettre fin à la discrimination dont sont victimes les seniors handicapés ? En préliminaire, la ministre veut rappeler le contexte dans lequel se situe ce débat : «Un cas comme celui de Mme Jomouton ne peut que m’interpeller et je comprends que certaines règles peu vent être considérées comme injustes. Toutefois, cette limite des 65 ans, qui existe en Flandre, à Bruxelles et dans de nombreux autres pays européens, est fixée dans un décret. Elle peut apparaître arbitraire, mais elle détermine en quelque sorte la « frontière » entre la politique en faveur des personnes handicapées et la politique en faveur des personnes âgées. Il est crucial de ne pas les mélanger. Faire sauter la barrière des 65 ans pour toutes les personnes âgées est impossible dans le cadre du contexte budgétaire actuel : le coût d’une telle mesure serait de 106 millions d’euros. »
Une fin de non-recevoir? Loin s’en faut, car la ministre révèle à Paris Match qu’elle compte bien faire évoluer la législation. «Vu le vieillissement de la population, des cas comme ceux que vous que avez évoqués vont être de plus en plus nombreux. Ce problème de société ne peut être ignoré. Il s’impose de procéder au plus vite à une suppression partielle de la barrière des 65 ans en faveur des personnes qui souffrent d’un handicap qui, de manière claire, n’est pas lié au vieillissement. Après consultation de mon administration, une telle adaptation du décret nécessite un investissement de 12 millions d’euros. Je vais me démener que pour le gouvernement y procède dans le cadre de l’actuelle discussion budgétaire. Pour moi, c’est un dossier prioritaire. »
Notre témoin de juin dernier, Roger Gusbin, pourrait bénéficier de cette mesure, car la «maladie de Charcot» n’est pas une affection liée au grand âge. Elle se déclare parfois chez des patients qui sont dans la quarantaine. A fortiori, Nicole Jomouton aussi devrait aussi faire partie des nouveaux «élus»: là encore, son handicap n’est pas spécifiquement lié à l’âge — il résulte de complications post-opératoires — mais en plus, il est apparu alors qu’elle n’avait encore que 62 ans !
En attendant, est-il envisageable de faire quelque chose pour Mme Jomouton qui a perdu un droit à une intervention essentielle pour son confort de vie, simplement parce qu’elle a appris trop tard qu’elle aurait pu bénéficier des aides matérielle de l’AWIPH? Non, répond la ministre: «Je ne peux demander à mon administration de ne pas respecter les règles fixées dans le décret. Ce serait un abus d’autorité. Du clientélisme. Les règles sont les mêmes pour tout le monde. Mais il faut que ces règles soient plus justes, c’es pourquoi je travaille à une réforme du décret. »
Nicole Jomouton, Roger Gusbin et bien d’autres n’ont plu: qu’à espérer cette réforme qui vient d’être annoncée pour la deuxième fois en quelques semaines. En espérant, bien entendu, que la ministre Tillieux obtienne l’oreille de ses partenaires gouvernementaux en cette période périlleuse sur le plan budgétaire ! Le cas échéant, les nouvelles règles seront d’application dès début 2010.
(1) Pour en savoir plus sur les douleurs neuropathiques, lire le Paris Match Belgique N°595 du 19 mars 2009: «Un médicament antidouleur hors de prix. Ma fille a-t-elle le droit de ne plus souffrir?»
(2) Paris Match Belgique, n°406 du 18 juin 2009.
2 000 cas
Eliane Tillieux, la ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, a décidé de mettre fin à la discrimination mise en lumière par les enquêtes de Paris Match. Les seniors devenus handicapés après 65 ans à cause d’une maladie qui n’est pas spécifiquement liée au vieillissement devraient prochainement bénéficier des aides matérielles de l’AWIPH. Une extension de droit qui concerne environ 2 000 personnes et représente un effort de plusieurs millions d’euros. « Pour la ministre, c’est un dossier prioritaire et elle le défendra comme tel lors du conclave budgétaire. Elle espère qu’elle sera entendue par ses collègues du gouvernement », nous explique un proche collaborateur d’Eliane Tillieux (PS).
BIENTOT LA FIN DE LA DISCRIMINATION POUR LES PLUS DE 65 ANS ?
– Dossier évoqué sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris Match sur RTL/TVI, le 4 octobre 2009 et dans Paris Match, le 8 octobre 2009 –
En regardant «L’Info confidentielle Paris Match», dimanche dernier sur RTL-TVI, les téléspectateurs ont entendu le témoignage interpellant de Nicole Jomouton, qui s’estime injustement privée des aides matérielles octroyées par l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées (AWIPH). Malgré un contexte budgétaire difficile, Eliane Tillieux (PS), la nouvelle ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, nous révèle qu’elle va proposer à ses collègues de l’exécutif de débloquer 12 millions d’euros pour en finir avec la discrimination qui frappe les seniors touchés par des handicaps qui ne sont pas spécifiquement liés au vieillissement.
Nicole Jomouton est assise dans son jardin et elle nous reçoit avec un grand sourire. « Souvent, les gens me disent que j’ai bonne mine. Cela m’amuse », dit-elle. Le sens de la dérision est resté intact chez cette Jamboise de 69 ans. Malgré cette opération qui n’a pas eu le résultat escompté en 2002, malgré sa perte de mobilité, malgré ces douleurs neuropathiques (1) qui ont envahi les extrémités de ses pieds… Malgré un cancer contre lequel elle lutte depuis maintenant quatre ans.
Nicole ou l’histoire d’une vie ressemblant à tellement d’autres. Une vie très active. Partagée entre travail et enfants. Entre abnégation et espoir d’une récompense se profilant à l’âge de la pension. La retraite rêvée comme une terre promise. Quarante ans de travail, mais la maison payée, les enfants élevés. Et avoir enfin tout son temps à consacrer à ces petits bouts qui, au fil des printemps, ont élargi le cercle familial. Elle nous explique ces balades, ces immersions dans la nature et autres excursions culturelles qu’elle projetait de multiplier avec ses six petits enfants. Elle nous parle si bien de ses séjours en camping qu’il nous prendrait presque l’envie de nous précipiter chez Décathlon pour acheter une tente…
C’est en plein été, il y a sept ans, que les beaux plans de Nicole ont été compromis. «J’avais 62 ans. J’étais vendeuse aux Papeteries de Namur depuis très longtemps. Pour la première fois de ma vie, j’ai dû prend un congé de maladie car j’avais trop mal. Mes douleurs lombaires étaient devenues telles que je ne savais plus marcher. Un scanner a révélé que le canal rachidien était obstrué. Je devais être opérée. Une formalité, me disait-on. Je remarcherais deux jours après l’intervention.»
Pendant que Nicole parle, Paul est tout près. Il sert le café et un morceau de tarte au sucre. «A vrai dire, c’est lui qui fait tout depuis que je suis handicapée. J’ai de la chance, c’est un homme extraordinaire », commente-t-elle. A 71 ans, ce retraité de Belgacom est effectivement en pleine forme. Mais l’avenir lui fait peur: «S’il devait m’arriver quelque chose, elle ne saurait pas se débrouiller seule.» Et, visiblement bouleversé, il décrit «un enchaînement infernal». «Après l’opération, ma femme est revenue à la maison avec des jambes aussi souples que celles de Pinocchio! Elle ne pouvait plus marcher. Une deuxième intervention a été faite par un autre chirurgien, mais sans amélioration notable. On lui alors promis que sa mobilité reviendrait progressivement… Son handicap ne devant et que « provisoire », Nicole a utilisé des béquilles empruntée des voisins. Au prix d’efforts de revalidation très importants elle a pu recommencer à monter une marche, puis deux… Mais ces victoires n’ont toujours été que très partielles, a depuis ses ennuis post-opératoires, elle s’est toujours déplacée très lentement et dans la douleur. Avec de constantes pertes d’équilibre, provoquant des chutes aux conséquences désastreuses, comme quand elle s’est cassé les deux bras et qu’on a dû lui mettre des broches. Une autre fois, alors qu’elle avait souhaité m’accompagner au grand magasin, elle a glissé en voulant prendre appui sur un chariot : six mois pour qu’elle s’en remette. »
Paul poursuit. Avec un regard franc et interpellant: « Le cancer qui s’est déclaré en 2005 n’a évidemment pas arrangé les choses. Nicole se bat et elle va gagner contre la maladie. Mais dans le même temps, sa mobilité continue à décroître. Désormais, ma femme n’a même plus la capacité de prendre un objet dans une armoire. La salle de bain ne lui est plus accessible. Bientôt, elle n’aura plus la force de tirer son corps avec ses bras pour arriver jusque dans la chambre. C’est évident qu’il faudrait faire des adaptations dans la maison, mais c’est hors de prix. Ce serait bien différent si nous avions accès aux aides matérielles de l’AWIPH. Mais, pour des raisons qui nous semblent injustes, ce n’est pas le cas.»
Paris Match a déjà évoqué la problématique posée par les conditions d’octroi de ces aides matérielles. Un décret détermine qu’il s’agit d’« interventions financières dans le coût d’aménagements destinés à favoriser l’intégration de la personne handicapée chez elle et pour ses déplacements ». Sont visés « des aides pour la mobilité personnelle (comme les adaptations pour les voitures automobiles), des aides pour le lever (comme les lève-personnes), des aides pour la communication (comme les logiciels et périphériques adaptés et les aides pour téléphoner), certains aménagements de cuisine et de salle de bains, l’adaptation ou la construction de maisons adaptées, des aides pour l’hygiène (comme les langes et les coussins anti-escarres)…»
En juin dernier, sur le plateau de «L’Info confidentielle Paris Match», de même que dans ces pages (2), Roger Gusbin, lui aussi non éligible à ces aides de l’AWIPH, avait témoigné de sa situation dramatique. Cet ex-dirigeant d’entreprise souffre de la «maladie de Charcot», qui le conduit inexorablement vers une paralysie totale. Pour lui aussi, la terrible nouvelle était arrivée telle une averse inopinée au milieu d’une belle journée d’été. «J’avais 66 ans. L’âge de la retraite avait sonné depuis peu. Mon épouse et moi avions quitté le Hainaut pour nous installer dans la maison de nos rêves du côté de Nassogne. La vie nous souriait. Et puis, il y a eu des chutes inexplicables. Une paralysie progressive, suivie du diagnostic tuant nos projets d’avenir.» Aux ennuis de santé étaient venus se greffer des problèmes matériels insurmontables: «On ne s’imagine pas tout ce que le handicap impose comme investissement financier», nous expliquait sa femme, Marie-Thérèse. «On a déjà investi 50 000 euros. Toutes nos économies sont passées dans des achats et des locations : déambulateur, chaise roulante, lit médicalisé, matelas avec compresseur (…). C’est sans fin. L’aggravation continuelle du handicap rendant certains matériels obsolètes et imposant de nouveaux achats. »
Roger Gusbin dénonçait alors la législation en vigueur: « Si mon handicap s’était déclaré avant l’âge de 65 ans, l’AWIPH m’aurait intégralement financé des tas de choses, comme elle le fait utilement pour la plupart des personnes handicapées. La toilette, la voiture adaptée, le système qui permet de continuer à utiliser un ordinateur et de lire, la douche, le lit médicalisé… Mais moi, je suis tombé malade à 66 ans, et par conséquent je n’entre en ligne de compte pour aucune aide ! C’est une discrimination que je ne comprends pas. »
Retour à Jambes, où Nicole nous explique s’être sentie très concernée en découvrant le témoignage de Roger. Et pour cause, elle aussi s’est vu rappeler cette réglementation sur les conditions d’octroi des aides matérielles aux handicapés en Région wallonne. «Après mon opération, j’ai cru les pronostics de rétablissement qui m’avaient été faits par les médecins. En me battant, j’allais retrouver une mobilité, du moins en étais-je persuadée. Personne ne nous avait parlé des aides matérielles de l’AWIPH et, de toute façon, je me contentais des béquilles que j’avais reçues à prêter. A nos frais, sans recevoir quoi que ce soit comme aide, mon mari a fait de petits aménagements de base dans la maison. En 2007, Paul s’est rendu dans un magasin spécialisé pour renouveler les béquilles. La vendeuse était étonnée qu’il ne présente pas la « carte AWIPH ». Elle lui alors expliqué qu’il existait des aides matérielles, mais que celles-ci était réservées aux handicapés reconnus par cette agence avant l’âge de 65 ans. »
Paul continue : «On s’est renseignés et, en effet, des tas d’améliorations qui nous semblaient financièrement inaccessibles étaient reprise dans le cadre de ces « aides matérielles » de la Région. Nous pensions surtout à un monolift, vous savez cette, chaise électrique qui se place sur la rampe de l’escalier pour accéder à l’étage. Ainsi qu’à des adaptations lui permettant de réutiliser son véhicule. Rien d’autre, car nous estimions que d’autres personnes avaient peut-être encore plus de difficultés que nous… Malgré les explications de la vendeuse, nous voulions rester optimistes: on pouvait prouver que Nicole était handicapée depuis juin 2002, à une époque où elle n’avait que 62 ans. Et il nous semblait évident que faire reconnaître ce a pour ouvrir le droit à l’aide serait suffisant. On a donc écrit à l’AWIPH pour obtenir son intervention dans le placement du monte-escalier, mais cette administration s’est montrée intraitable. »
Ce qui ressort d’une lettre envoyée aux Jomouton, en février dernier, par le chef du bureau régional de l’AWIPH à Jambes : « (…) Une intervention pour un monte-escalier est possible. Cependant, et bien que votre situation ne laisse personne indifférent, le commerçant où vous avez acheté vos béquilles a raison. En effet, il faut remplir certaines conditions d’âge. Dans son article 5, l’arrêté du Gouvernement Wallon du 04/02/2004 stipule que: « Pour la personne handicapée ayant atteint l’âge de 65 ans au moment de l’introduction de la demande d’intervention, celle-ci ne peut-être accordée que si les frais découlent directement du handicap constaté par l’agence avant l’âge de 65 ans. »»
Retour à la case départ pour Nicole et Paul. Ce dernier ajoutant, dépité: «J’ai demandé une intervention de bon sens à l’ex-ministre wallon de l’Action sociale, Didier Donfut (PS). Mais là aussi, ce fut une fin de non-recevoir. Ce garçon s’est contenté de me renvoyer vers le CPAS de ma commune, mais notre demande n’entre pas du tout dans son champ de compétences.» Ayant dû démissionner vu son manque d’éthique, le riche consultant en énergie n’était déjà plus ministre en juin dernier lorsque Paris Match a mis en évidence la discrimination dont souffrent les personnes handicapées âgées de plus de 65 ans. Nous avions alors interpellé le ministre-président de la Région wallonne, Rudy Demotte (PS), qui avait estimé qu’il s’agissait là «d’un problème majeur » : « Cette condition d’âge qui détermine si une personne peut bénéficier ou non de cette aide de I’AWIPH doit incontestablement être adaptée. La supprimer pour tous serait idéal, mais impossible du fait du coût d’une telle mesure. Toutefois, je pense qu’une réponse sérieuse et durable est possible. D’une part, en prévoyant des exceptions pour certaines maladies qui ne sont aucunement liées à l’âge (une disposition qui est budgétairement abordable) ; d’autre part, en amplifiant les aides aux personnes âgées. Le cas de Monsieur Gusbin ne soulève pas seulement la question de l’intégration des personnes souffrant d’un handicap, mais aussi la manière dont notre société fait face au vieillissement de sa population. »
La nouvelle ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, Eliane Tillieux (PS), partage-t-elle la vision d’avenir qui était exprimée par Rudy Demotte ? Et s’il échet, quand et comment pourrait-elle mettre fin à la discrimination dont sont victimes les seniors handicapés ? En préliminaire, la ministre veut rappeler le contexte dans lequel se situe ce débat : «Un cas comme celui de Mme Jomouton ne peut que m’interpeller et je comprends que certaines règles peu vent être considérées comme injustes. Toutefois, cette limite des 65 ans, qui existe en Flandre, à Bruxelles et dans de nombreux autres pays européens, est fixée dans un décret. Elle peut apparaître arbitraire, mais elle détermine en quelque sorte la « frontière » entre la politique en faveur des personnes handicapées et la politique en faveur des personnes âgées. Il est crucial de ne pas les mélanger. Faire sauter la barrière des 65 ans pour toutes les personnes âgées est impossible dans le cadre du contexte budgétaire actuel : le coût d’une telle mesure serait de 106 millions d’euros. »
Une fin de non-recevoir? Loin s’en faut, car la ministre révèle à Paris Match qu’elle compte bien faire évoluer la législation. «Vu le vieillissement de la population, des cas comme ceux que vous que avez évoqués vont être de plus en plus nombreux. Ce problème de société ne peut être ignoré. Il s’impose de procéder au plus vite à une suppression partielle de la barrière des 65 ans en faveur des personnes qui souffrent d’un handicap qui, de manière claire, n’est pas lié au vieillissement. Après consultation de mon administration, une telle adaptation du décret nécessite un investissement de 12 millions d’euros. Je vais me démener que pour le gouvernement y procède dans le cadre de l’actuelle discussion budgétaire. Pour moi, c’est un dossier prioritaire. »
Notre témoin de juin dernier, Roger Gusbin, pourrait bénéficier de cette mesure, car la «maladie de Charcot» n’est pas une affection liée au grand âge. Elle se déclare parfois chez des patients qui sont dans la quarantaine. A fortiori, Nicole Jomouton aussi devrait aussi faire partie des nouveaux «élus»: là encore, son handicap n’est pas spécifiquement lié à l’âge — il résulte de complications post-opératoires — mais en plus, il est apparu alors qu’elle n’avait encore que 62 ans !
En attendant, est-il envisageable de faire quelque chose pour Mme Jomouton qui a perdu un droit à une intervention essentielle pour son confort de vie, simplement parce qu’elle a appris trop tard qu’elle aurait pu bénéficier des aides matérielle de l’AWIPH? Non, répond la ministre: «Je ne peux demander à mon administration de ne pas respecter les règles fixées dans le décret. Ce serait un abus d’autorité. Du clientélisme. Les règles sont les mêmes pour tout le monde. Mais il faut que ces règles soient plus justes, c’es pourquoi je travaille à une réforme du décret. »
Nicole Jomouton, Roger Gusbin et bien d’autres n’ont plu: qu’à espérer cette réforme qui vient d’être annoncée pour la deuxième fois en quelques semaines. En espérant, bien entendu, que la ministre Tillieux obtienne l’oreille de ses partenaires gouvernementaux en cette période périlleuse sur le plan budgétaire ! Le cas échéant, les nouvelles règles seront d’application dès début 2010.
(1) Pour en savoir plus sur les douleurs neuropathiques, lire le Paris Match Belgique N°595 du 19 mars 2009: «Un médicament antidouleur hors de prix. Ma fille a-t-elle le droit de ne plus souffrir?»
(2) Paris Match Belgique, n°406 du 18 juin 2009.
2 000 cas
Eliane Tillieux, la ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, a décidé de mettre fin à la discrimination mise en lumière par les enquêtes de Paris Match. Les seniors devenus handicapés après 65 ans à cause d’une maladie qui n’est pas spécifiquement liée au vieillissement devraient prochainement bénéficier des aides matérielles de l’AWIPH. Une extension de droit qui concerne environ 2 000 personnes et représente un effort de plusieurs millions d’euros. « Pour la ministre, c’est un dossier prioritaire et elle le défendra comme tel lors du conclave budgétaire. Elle espère qu’elle sera entendue par ses collègues du gouvernement », nous explique un proche collaborateur d’Eliane Tillieux (PS).
BIENTOT LA FIN DE LA DISCRIMINATION POUR LES PLUS DE 65 ANS ?
– Dossier évoqué sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris Match sur RTL/TVI, le 4 octobre 2009 et dans Paris Match, le 8 octobre 2009 –
En regardant «L’Info confidentielle Paris Match», dimanche dernier sur RTL-TVI, les téléspectateurs ont entendu le témoignage interpellant de Nicole Jomouton, qui s’estime injustement privée des aides matérielles octroyées par l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées (AWIPH). Malgré un contexte budgétaire difficile, Eliane Tillieux (PS), la nouvelle ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, nous révèle qu’elle va proposer à ses collègues de l’exécutif de débloquer 12 millions d’euros pour en finir avec la discrimination qui frappe les seniors touchés par des handicaps qui ne sont pas spécifiquement liés au vieillissement.
Nicole Jomouton est assise dans son jardin et elle nous reçoit avec un grand sourire. « Souvent, les gens me disent que j’ai bonne mine. Cela m’amuse », dit-elle. Le sens de la dérision est resté intact chez cette Jamboise de 69 ans. Malgré cette opération qui n’a pas eu le résultat escompté en 2002, malgré sa perte de mobilité, malgré ces douleurs neuropathiques (1) qui ont envahi les extrémités de ses pieds… Malgré un cancer contre lequel elle lutte depuis maintenant quatre ans.
Nicole ou l’histoire d’une vie ressemblant à tellement d’autres. Une vie très active. Partagée entre travail et enfants. Entre abnégation et espoir d’une récompense se profilant à l’âge de la pension. La retraite rêvée comme une terre promise. Quarante ans de travail, mais la maison payée, les enfants élevés. Et avoir enfin tout son temps à consacrer à ces petits bouts qui, au fil des printemps, ont élargi le cercle familial. Elle nous explique ces balades, ces immersions dans la nature et autres excursions culturelles qu’elle projetait de multiplier avec ses six petits enfants. Elle nous parle si bien de ses séjours en camping qu’il nous prendrait presque l’envie de nous précipiter chez Décathlon pour acheter une tente…
C’est en plein été, il y a sept ans, que les beaux plans de Nicole ont été compromis. «J’avais 62 ans. J’étais vendeuse aux Papeteries de Namur depuis très longtemps. Pour la première fois de ma vie, j’ai dû prend un congé de maladie car j’avais trop mal. Mes douleurs lombaires étaient devenues telles que je ne savais plus marcher. Un scanner a révélé que le canal rachidien était obstrué. Je devais être opérée. Une formalité, me disait-on. Je remarcherais deux jours après l’intervention.»
Pendant que Nicole parle, Paul est tout près. Il sert le café et un morceau de tarte au sucre. «A vrai dire, c’est lui qui fait tout depuis que je suis handicapée. J’ai de la chance, c’est un homme extraordinaire », commente-t-elle. A 71 ans, ce retraité de Belgacom est effectivement en pleine forme. Mais l’avenir lui fait peur: «S’il devait m’arriver quelque chose, elle ne saurait pas se débrouiller seule.» Et, visiblement bouleversé, il décrit «un enchaînement infernal». «Après l’opération, ma femme est revenue à la maison avec des jambes aussi souples que celles de Pinocchio! Elle ne pouvait plus marcher. Une deuxième intervention a été faite par un autre chirurgien, mais sans amélioration notable. On lui alors promis que sa mobilité reviendrait progressivement… Son handicap ne devant et que « provisoire », Nicole a utilisé des béquilles empruntée des voisins. Au prix d’efforts de revalidation très importants elle a pu recommencer à monter une marche, puis deux… Mais ces victoires n’ont toujours été que très partielles, a depuis ses ennuis post-opératoires, elle s’est toujours déplacée très lentement et dans la douleur. Avec de constantes pertes d’équilibre, provoquant des chutes aux conséquences désastreuses, comme quand elle s’est cassé les deux bras et qu’on a dû lui mettre des broches. Une autre fois, alors qu’elle avait souhaité m’accompagner au grand magasin, elle a glissé en voulant prendre appui sur un chariot : six mois pour qu’elle s’en remette. »
Paul poursuit. Avec un regard franc et interpellant: « Le cancer qui s’est déclaré en 2005 n’a évidemment pas arrangé les choses. Nicole se bat et elle va gagner contre la maladie. Mais dans le même temps, sa mobilité continue à décroître. Désormais, ma femme n’a même plus la capacité de prendre un objet dans une armoire. La salle de bain ne lui est plus accessible. Bientôt, elle n’aura plus la force de tirer son corps avec ses bras pour arriver jusque dans la chambre. C’est évident qu’il faudrait faire des adaptations dans la maison, mais c’est hors de prix. Ce serait bien différent si nous avions accès aux aides matérielles de l’AWIPH. Mais, pour des raisons qui nous semblent injustes, ce n’est pas le cas.»
Paris Match a déjà évoqué la problématique posée par les conditions d’octroi de ces aides matérielles. Un décret détermine qu’il s’agit d’« interventions financières dans le coût d’aménagements destinés à favoriser l’intégration de la personne handicapée chez elle et pour ses déplacements ». Sont visés « des aides pour la mobilité personnelle (comme les adaptations pour les voitures automobiles), des aides pour le lever (comme les lève-personnes), des aides pour la communication (comme les logiciels et périphériques adaptés et les aides pour téléphoner), certains aménagements de cuisine et de salle de bains, l’adaptation ou la construction de maisons adaptées, des aides pour l’hygiène (comme les langes et les coussins anti-escarres)…»
En juin dernier, sur le plateau de «L’Info confidentielle Paris Match», de même que dans ces pages (2), Roger Gusbin, lui aussi non éligible à ces aides de l’AWIPH, avait témoigné de sa situation dramatique. Cet ex-dirigeant d’entreprise souffre de la «maladie de Charcot», qui le conduit inexorablement vers une paralysie totale. Pour lui aussi, la terrible nouvelle était arrivée telle une averse inopinée au milieu d’une belle journée d’été. «J’avais 66 ans. L’âge de la retraite avait sonné depuis peu. Mon épouse et moi avions quitté le Hainaut pour nous installer dans la maison de nos rêves du côté de Nassogne. La vie nous souriait. Et puis, il y a eu des chutes inexplicables. Une paralysie progressive, suivie du diagnostic tuant nos projets d’avenir.» Aux ennuis de santé étaient venus se greffer des problèmes matériels insurmontables: «On ne s’imagine pas tout ce que le handicap impose comme investissement financier», nous expliquait sa femme, Marie-Thérèse. «On a déjà investi 50 000 euros. Toutes nos économies sont passées dans des achats et des locations : déambulateur, chaise roulante, lit médicalisé, matelas avec compresseur (…). C’est sans fin. L’aggravation continuelle du handicap rendant certains matériels obsolètes et imposant de nouveaux achats. »
Roger Gusbin dénonçait alors la législation en vigueur: « Si mon handicap s’était déclaré avant l’âge de 65 ans, l’AWIPH m’aurait intégralement financé des tas de choses, comme elle le fait utilement pour la plupart des personnes handicapées. La toilette, la voiture adaptée, le système qui permet de continuer à utiliser un ordinateur et de lire, la douche, le lit médicalisé… Mais moi, je suis tombé malade à 66 ans, et par conséquent je n’entre en ligne de compte pour aucune aide ! C’est une discrimination que je ne comprends pas. »
Retour à Jambes, où Nicole nous explique s’être sentie très concernée en découvrant le témoignage de Roger. Et pour cause, elle aussi s’est vu rappeler cette réglementation sur les conditions d’octroi des aides matérielles aux handicapés en Région wallonne. «Après mon opération, j’ai cru les pronostics de rétablissement qui m’avaient été faits par les médecins. En me battant, j’allais retrouver une mobilité, du moins en étais-je persuadée. Personne ne nous avait parlé des aides matérielles de l’AWIPH et, de toute façon, je me contentais des béquilles que j’avais reçues à prêter. A nos frais, sans recevoir quoi que ce soit comme aide, mon mari a fait de petits aménagements de base dans la maison. En 2007, Paul s’est rendu dans un magasin spécialisé pour renouveler les béquilles. La vendeuse était étonnée qu’il ne présente pas la « carte AWIPH ». Elle lui alors expliqué qu’il existait des aides matérielles, mais que celles-ci était réservées aux handicapés reconnus par cette agence avant l’âge de 65 ans. »
Paul continue : «On s’est renseignés et, en effet, des tas d’améliorations qui nous semblaient financièrement inaccessibles étaient reprise dans le cadre de ces « aides matérielles » de la Région. Nous pensions surtout à un monolift, vous savez cette, chaise électrique qui se place sur la rampe de l’escalier pour accéder à l’étage. Ainsi qu’à des adaptations lui permettant de réutiliser son véhicule. Rien d’autre, car nous estimions que d’autres personnes avaient peut-être encore plus de difficultés que nous… Malgré les explications de la vendeuse, nous voulions rester optimistes: on pouvait prouver que Nicole était handicapée depuis juin 2002, à une époque où elle n’avait que 62 ans. Et il nous semblait évident que faire reconnaître ce a pour ouvrir le droit à l’aide serait suffisant. On a donc écrit à l’AWIPH pour obtenir son intervention dans le placement du monte-escalier, mais cette administration s’est montrée intraitable. »
Ce qui ressort d’une lettre envoyée aux Jomouton, en février dernier, par le chef du bureau régional de l’AWIPH à Jambes : « (…) Une intervention pour un monte-escalier est possible. Cependant, et bien que votre situation ne laisse personne indifférent, le commerçant où vous avez acheté vos béquilles a raison. En effet, il faut remplir certaines conditions d’âge. Dans son article 5, l’arrêté du Gouvernement Wallon du 04/02/2004 stipule que: « Pour la personne handicapée ayant atteint l’âge de 65 ans au moment de l’introduction de la demande d’intervention, celle-ci ne peut-être accordée que si les frais découlent directement du handicap constaté par l’agence avant l’âge de 65 ans. »»
Retour à la case départ pour Nicole et Paul. Ce dernier ajoutant, dépité: «J’ai demandé une intervention de bon sens à l’ex-ministre wallon de l’Action sociale, Didier Donfut (PS). Mais là aussi, ce fut une fin de non-recevoir. Ce garçon s’est contenté de me renvoyer vers le CPAS de ma commune, mais notre demande n’entre pas du tout dans son champ de compétences.» Ayant dû démissionner vu son manque d’éthique, le riche consultant en énergie n’était déjà plus ministre en juin dernier lorsque Paris Match a mis en évidence la discrimination dont souffrent les personnes handicapées âgées de plus de 65 ans. Nous avions alors interpellé le ministre-président de la Région wallonne, Rudy Demotte (PS), qui avait estimé qu’il s’agissait là «d’un problème majeur » : « Cette condition d’âge qui détermine si une personne peut bénéficier ou non de cette aide de I’AWIPH doit incontestablement être adaptée. La supprimer pour tous serait idéal, mais impossible du fait du coût d’une telle mesure. Toutefois, je pense qu’une réponse sérieuse et durable est possible. D’une part, en prévoyant des exceptions pour certaines maladies qui ne sont aucunement liées à l’âge (une disposition qui est budgétairement abordable) ; d’autre part, en amplifiant les aides aux personnes âgées. Le cas de Monsieur Gusbin ne soulève pas seulement la question de l’intégration des personnes souffrant d’un handicap, mais aussi la manière dont notre société fait face au vieillissement de sa population. »
La nouvelle ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, Eliane Tillieux (PS), partage-t-elle la vision d’avenir qui était exprimée par Rudy Demotte ? Et s’il échet, quand et comment pourrait-elle mettre fin à la discrimination dont sont victimes les seniors handicapés ? En préliminaire, la ministre veut rappeler le contexte dans lequel se situe ce débat : «Un cas comme celui de Mme Jomouton ne peut que m’interpeller et je comprends que certaines règles peu vent être considérées comme injustes. Toutefois, cette limite des 65 ans, qui existe en Flandre, à Bruxelles et dans de nombreux autres pays européens, est fixée dans un décret. Elle peut apparaître arbitraire, mais elle détermine en quelque sorte la « frontière » entre la politique en faveur des personnes handicapées et la politique en faveur des personnes âgées. Il est crucial de ne pas les mélanger. Faire sauter la barrière des 65 ans pour toutes les personnes âgées est impossible dans le cadre du contexte budgétaire actuel : le coût d’une telle mesure serait de 106 millions d’euros. »
Une fin de non-recevoir? Loin s’en faut, car la ministre révèle à Paris Match qu’elle compte bien faire évoluer la législation. «Vu le vieillissement de la population, des cas comme ceux que vous que avez évoqués vont être de plus en plus nombreux. Ce problème de société ne peut être ignoré. Il s’impose de procéder au plus vite à une suppression partielle de la barrière des 65 ans en faveur des personnes qui souffrent d’un handicap qui, de manière claire, n’est pas lié au vieillissement. Après consultation de mon administration, une telle adaptation du décret nécessite un investissement de 12 millions d’euros. Je vais me démener que pour le gouvernement y procède dans le cadre de l’actuelle discussion budgétaire. Pour moi, c’est un dossier prioritaire. »
Notre témoin de juin dernier, Roger Gusbin, pourrait bénéficier de cette mesure, car la «maladie de Charcot» n’est pas une affection liée au grand âge. Elle se déclare parfois chez des patients qui sont dans la quarantaine. A fortiori, Nicole Jomouton aussi devrait aussi faire partie des nouveaux «élus»: là encore, son handicap n’est pas spécifiquement lié à l’âge — il résulte de complications post-opératoires — mais en plus, il est apparu alors qu’elle n’avait encore que 62 ans !
En attendant, est-il envisageable de faire quelque chose pour Mme Jomouton qui a perdu un droit à une intervention essentielle pour son confort de vie, simplement parce qu’elle a appris trop tard qu’elle aurait pu bénéficier des aides matérielle de l’AWIPH? Non, répond la ministre: «Je ne peux demander à mon administration de ne pas respecter les règles fixées dans le décret. Ce serait un abus d’autorité. Du clientélisme. Les règles sont les mêmes pour tout le monde. Mais il faut que ces règles soient plus justes, c’es pourquoi je travaille à une réforme du décret. »
Nicole Jomouton, Roger Gusbin et bien d’autres n’ont plu: qu’à espérer cette réforme qui vient d’être annoncée pour la deuxième fois en quelques semaines. En espérant, bien entendu, que la ministre Tillieux obtienne l’oreille de ses partenaires gouvernementaux en cette période périlleuse sur le plan budgétaire ! Le cas échéant, les nouvelles règles seront d’application dès début 2010.
(1) Pour en savoir plus sur les douleurs neuropathiques, lire le Paris Match Belgique N°595 du 19 mars 2009: «Un médicament antidouleur hors de prix. Ma fille a-t-elle le droit de ne plus souffrir?»
(2) Paris Match Belgique, n°406 du 18 juin 2009.
2 000 cas
Eliane Tillieux, la ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, a décidé de mettre fin à la discrimination mise en lumière par les enquêtes de Paris Match. Les seniors devenus handicapés après 65 ans à cause d’une maladie qui n’est pas spécifiquement liée au vieillissement devraient prochainement bénéficier des aides matérielles de l’AWIPH. Une extension de droit qui concerne environ 2 000 personnes et représente un effort de plusieurs millions d’euros. « Pour la ministre, c’est un dossier prioritaire et elle le défendra comme tel lors du conclave budgétaire. Elle espère qu’elle sera entendue par ses collègues du gouvernement », nous explique un proche collaborateur d’Eliane Tillieux (PS).
BIENTOT LA FIN DE LA DISCRIMINATION POUR LES PLUS DE 65 ANS ?
– Dossier évoqué sur le plateau de « L’Info Confidentielle Paris Match sur RTL/TVI, le 4 octobre 2009 et dans Paris Match, le 8 octobre 2009 –
En regardant «L’Info confidentielle Paris Match», dimanche dernier sur RTL-TVI, les téléspectateurs ont entendu le témoignage interpellant de Nicole Jomouton, qui s’estime injustement privée des aides matérielles octroyées par l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées (AWIPH). Malgré un contexte budgétaire difficile, Eliane Tillieux (PS), la nouvelle ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, nous révèle qu’elle va proposer à ses collègues de l’exécutif de débloquer 12 millions d’euros pour en finir avec la discrimination qui frappe les seniors touchés par des handicaps qui ne sont pas spécifiquement liés au vieillissement.
Nicole Jomouton est assise dans son jardin et elle nous reçoit avec un grand sourire. « Souvent, les gens me disent que j’ai bonne mine. Cela m’amuse », dit-elle. Le sens de la dérision est resté intact chez cette Jamboise de 69 ans. Malgré cette opération qui n’a pas eu le résultat escompté en 2002, malgré sa perte de mobilité, malgré ces douleurs neuropathiques (1) qui ont envahi les extrémités de ses pieds… Malgré un cancer contre lequel elle lutte depuis maintenant quatre ans.
Nicole ou l’histoire d’une vie ressemblant à tellement d’autres. Une vie très active. Partagée entre travail et enfants. Entre abnégation et espoir d’une récompense se profilant à l’âge de la pension. La retraite rêvée comme une terre promise. Quarante ans de travail, mais la maison payée, les enfants élevés. Et avoir enfin tout son temps à consacrer à ces petits bouts qui, au fil des printemps, ont élargi le cercle familial. Elle nous explique ces balades, ces immersions dans la nature et autres excursions culturelles qu’elle projetait de multiplier avec ses six petits enfants. Elle nous parle si bien de ses séjours en camping qu’il nous prendrait presque l’envie de nous précipiter chez Décathlon pour acheter une tente…
C’est en plein été, il y a sept ans, que les beaux plans de Nicole ont été compromis. «J’avais 62 ans. J’étais vendeuse aux Papeteries de Namur depuis très longtemps. Pour la première fois de ma vie, j’ai dû prend un congé de maladie car j’avais trop mal. Mes douleurs lombaires étaient devenues telles que je ne savais plus marcher. Un scanner a révélé que le canal rachidien était obstrué. Je devais être opérée. Une formalité, me disait-on. Je remarcherais deux jours après l’intervention.»
Pendant que Nicole parle, Paul est tout près. Il sert le café et un morceau de tarte au sucre. «A vrai dire, c’est lui qui fait tout depuis que je suis handicapée. J’ai de la chance, c’est un homme extraordinaire », commente-t-elle. A 71 ans, ce retraité de Belgacom est effectivement en pleine forme. Mais l’avenir lui fait peur: «S’il devait m’arriver quelque chose, elle ne saurait pas se débrouiller seule.» Et, visiblement bouleversé, il décrit «un enchaînement infernal». «Après l’opération, ma femme est revenue à la maison avec des jambes aussi souples que celles de Pinocchio! Elle ne pouvait plus marcher. Une deuxième intervention a été faite par un autre chirurgien, mais sans amélioration notable. On lui alors promis que sa mobilité reviendrait progressivement… Son handicap ne devant et que « provisoire », Nicole a utilisé des béquilles empruntée des voisins. Au prix d’efforts de revalidation très importants elle a pu recommencer à monter une marche, puis deux… Mais ces victoires n’ont toujours été que très partielles, a depuis ses ennuis post-opératoires, elle s’est toujours déplacée très lentement et dans la douleur. Avec de constantes pertes d’équilibre, provoquant des chutes aux conséquences désastreuses, comme quand elle s’est cassé les deux bras et qu’on a dû lui mettre des broches. Une autre fois, alors qu’elle avait souhaité m’accompagner au grand magasin, elle a glissé en voulant prendre appui sur un chariot : six mois pour qu’elle s’en remette. »
Paul poursuit. Avec un regard franc et interpellant: « Le cancer qui s’est déclaré en 2005 n’a évidemment pas arrangé les choses. Nicole se bat et elle va gagner contre la maladie. Mais dans le même temps, sa mobilité continue à décroître. Désormais, ma femme n’a même plus la capacité de prendre un objet dans une armoire. La salle de bain ne lui est plus accessible. Bientôt, elle n’aura plus la force de tirer son corps avec ses bras pour arriver jusque dans la chambre. C’est évident qu’il faudrait faire des adaptations dans la maison, mais c’est hors de prix. Ce serait bien différent si nous avions accès aux aides matérielles de l’AWIPH. Mais, pour des raisons qui nous semblent injustes, ce n’est pas le cas.»
Paris Match a déjà évoqué la problématique posée par les conditions d’octroi de ces aides matérielles. Un décret détermine qu’il s’agit d’« interventions financières dans le coût d’aménagements destinés à favoriser l’intégration de la personne handicapée chez elle et pour ses déplacements ». Sont visés « des aides pour la mobilité personnelle (comme les adaptations pour les voitures automobiles), des aides pour le lever (comme les lève-personnes), des aides pour la communication (comme les logiciels et périphériques adaptés et les aides pour téléphoner), certains aménagements de cuisine et de salle de bains, l’adaptation ou la construction de maisons adaptées, des aides pour l’hygiène (comme les langes et les coussins anti-escarres)…»
En juin dernier, sur le plateau de «L’Info confidentielle Paris Match», de même que dans ces pages (2), Roger Gusbin, lui aussi non éligible à ces aides de l’AWIPH, avait témoigné de sa situation dramatique. Cet ex-dirigeant d’entreprise souffre de la «maladie de Charcot», qui le conduit inexorablement vers une paralysie totale. Pour lui aussi, la terrible nouvelle était arrivée telle une averse inopinée au milieu d’une belle journée d’été. «J’avais 66 ans. L’âge de la retraite avait sonné depuis peu. Mon épouse et moi avions quitté le Hainaut pour nous installer dans la maison de nos rêves du côté de Nassogne. La vie nous souriait. Et puis, il y a eu des chutes inexplicables. Une paralysie progressive, suivie du diagnostic tuant nos projets d’avenir.» Aux ennuis de santé étaient venus se greffer des problèmes matériels insurmontables: «On ne s’imagine pas tout ce que le handicap impose comme investissement financier», nous expliquait sa femme, Marie-Thérèse. «On a déjà investi 50 000 euros. Toutes nos économies sont passées dans des achats et des locations : déambulateur, chaise roulante, lit médicalisé, matelas avec compresseur (…). C’est sans fin. L’aggravation continuelle du handicap rendant certains matériels obsolètes et imposant de nouveaux achats. »
Roger Gusbin dénonçait alors la législation en vigueur: « Si mon handicap s’était déclaré avant l’âge de 65 ans, l’AWIPH m’aurait intégralement financé des tas de choses, comme elle le fait utilement pour la plupart des personnes handicapées. La toilette, la voiture adaptée, le système qui permet de continuer à utiliser un ordinateur et de lire, la douche, le lit médicalisé… Mais moi, je suis tombé malade à 66 ans, et par conséquent je n’entre en ligne de compte pour aucune aide ! C’est une discrimination que je ne comprends pas. »
Retour à Jambes, où Nicole nous explique s’être sentie très concernée en découvrant le témoignage de Roger. Et pour cause, elle aussi s’est vu rappeler cette réglementation sur les conditions d’octroi des aides matérielles aux handicapés en Région wallonne. «Après mon opération, j’ai cru les pronostics de rétablissement qui m’avaient été faits par les médecins. En me battant, j’allais retrouver une mobilité, du moins en étais-je persuadée. Personne ne nous avait parlé des aides matérielles de l’AWIPH et, de toute façon, je me contentais des béquilles que j’avais reçues à prêter. A nos frais, sans recevoir quoi que ce soit comme aide, mon mari a fait de petits aménagements de base dans la maison. En 2007, Paul s’est rendu dans un magasin spécialisé pour renouveler les béquilles. La vendeuse était étonnée qu’il ne présente pas la « carte AWIPH ». Elle lui alors expliqué qu’il existait des aides matérielles, mais que celles-ci était réservées aux handicapés reconnus par cette agence avant l’âge de 65 ans. »
Paul continue : «On s’est renseignés et, en effet, des tas d’améliorations qui nous semblaient financièrement inaccessibles étaient reprise dans le cadre de ces « aides matérielles » de la Région. Nous pensions surtout à un monolift, vous savez cette, chaise électrique qui se place sur la rampe de l’escalier pour accéder à l’étage. Ainsi qu’à des adaptations lui permettant de réutiliser son véhicule. Rien d’autre, car nous estimions que d’autres personnes avaient peut-être encore plus de difficultés que nous… Malgré les explications de la vendeuse, nous voulions rester optimistes: on pouvait prouver que Nicole était handicapée depuis juin 2002, à une époque où elle n’avait que 62 ans. Et il nous semblait évident que faire reconnaître ce a pour ouvrir le droit à l’aide serait suffisant. On a donc écrit à l’AWIPH pour obtenir son intervention dans le placement du monte-escalier, mais cette administration s’est montrée intraitable. »
Ce qui ressort d’une lettre envoyée aux Jomouton, en février dernier, par le chef du bureau régional de l’AWIPH à Jambes : « (…) Une intervention pour un monte-escalier est possible. Cependant, et bien que votre situation ne laisse personne indifférent, le commerçant où vous avez acheté vos béquilles a raison. En effet, il faut remplir certaines conditions d’âge. Dans son article 5, l’arrêté du Gouvernement Wallon du 04/02/2004 stipule que: « Pour la personne handicapée ayant atteint l’âge de 65 ans au moment de l’introduction de la demande d’intervention, celle-ci ne peut-être accordée que si les frais découlent directement du handicap constaté par l’agence avant l’âge de 65 ans. »»
Retour à la case départ pour Nicole et Paul. Ce dernier ajoutant, dépité: «J’ai demandé une intervention de bon sens à l’ex-ministre wallon de l’Action sociale, Didier Donfut (PS). Mais là aussi, ce fut une fin de non-recevoir. Ce garçon s’est contenté de me renvoyer vers le CPAS de ma commune, mais notre demande n’entre pas du tout dans son champ de compétences.» Ayant dû démissionner vu son manque d’éthique, le riche consultant en énergie n’était déjà plus ministre en juin dernier lorsque Paris Match a mis en évidence la discrimination dont souffrent les personnes handicapées âgées de plus de 65 ans. Nous avions alors interpellé le ministre-président de la Région wallonne, Rudy Demotte (PS), qui avait estimé qu’il s’agissait là «d’un problème majeur » : « Cette condition d’âge qui détermine si une personne peut bénéficier ou non de cette aide de I’AWIPH doit incontestablement être adaptée. La supprimer pour tous serait idéal, mais impossible du fait du coût d’une telle mesure. Toutefois, je pense qu’une réponse sérieuse et durable est possible. D’une part, en prévoyant des exceptions pour certaines maladies qui ne sont aucunement liées à l’âge (une disposition qui est budgétairement abordable) ; d’autre part, en amplifiant les aides aux personnes âgées. Le cas de Monsieur Gusbin ne soulève pas seulement la question de l’intégration des personnes souffrant d’un handicap, mais aussi la manière dont notre société fait face au vieillissement de sa population. »
La nouvelle ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, Eliane Tillieux (PS), partage-t-elle la vision d’avenir qui était exprimée par Rudy Demotte ? Et s’il échet, quand et comment pourrait-elle mettre fin à la discrimination dont sont victimes les seniors handicapés ? En préliminaire, la ministre veut rappeler le contexte dans lequel se situe ce débat : «Un cas comme celui de Mme Jomouton ne peut que m’interpeller et je comprends que certaines règles peu vent être considérées comme injustes. Toutefois, cette limite des 65 ans, qui existe en Flandre, à Bruxelles et dans de nombreux autres pays européens, est fixée dans un décret. Elle peut apparaître arbitraire, mais elle détermine en quelque sorte la « frontière » entre la politique en faveur des personnes handicapées et la politique en faveur des personnes âgées. Il est crucial de ne pas les mélanger. Faire sauter la barrière des 65 ans pour toutes les personnes âgées est impossible dans le cadre du contexte budgétaire actuel : le coût d’une telle mesure serait de 106 millions d’euros. »
Une fin de non-recevoir? Loin s’en faut, car la ministre révèle à Paris Match qu’elle compte bien faire évoluer la législation. «Vu le vieillissement de la population, des cas comme ceux que vous que avez évoqués vont être de plus en plus nombreux. Ce problème de société ne peut être ignoré. Il s’impose de procéder au plus vite à une suppression partielle de la barrière des 65 ans en faveur des personnes qui souffrent d’un handicap qui, de manière claire, n’est pas lié au vieillissement. Après consultation de mon administration, une telle adaptation du décret nécessite un investissement de 12 millions d’euros. Je vais me démener que pour le gouvernement y procède dans le cadre de l’actuelle discussion budgétaire. Pour moi, c’est un dossier prioritaire. »
Notre témoin de juin dernier, Roger Gusbin, pourrait bénéficier de cette mesure, car la «maladie de Charcot» n’est pas une affection liée au grand âge. Elle se déclare parfois chez des patients qui sont dans la quarantaine. A fortiori, Nicole Jomouton aussi devrait aussi faire partie des nouveaux «élus»: là encore, son handicap n’est pas spécifiquement lié à l’âge — il résulte de complications post-opératoires — mais en plus, il est apparu alors qu’elle n’avait encore que 62 ans !
En attendant, est-il envisageable de faire quelque chose pour Mme Jomouton qui a perdu un droit à une intervention essentielle pour son confort de vie, simplement parce qu’elle a appris trop tard qu’elle aurait pu bénéficier des aides matérielle de l’AWIPH? Non, répond la ministre: «Je ne peux demander à mon administration de ne pas respecter les règles fixées dans le décret. Ce serait un abus d’autorité. Du clientélisme. Les règles sont les mêmes pour tout le monde. Mais il faut que ces règles soient plus justes, c’es pourquoi je travaille à une réforme du décret. »
Nicole Jomouton, Roger Gusbin et bien d’autres n’ont plu: qu’à espérer cette réforme qui vient d’être annoncée pour la deuxième fois en quelques semaines. En espérant, bien entendu, que la ministre Tillieux obtienne l’oreille de ses partenaires gouvernementaux en cette période périlleuse sur le plan budgétaire ! Le cas échéant, les nouvelles règles seront d’application dès début 2010.
(1) Pour en savoir plus sur les douleurs neuropathiques, lire le Paris Match Belgique N°595 du 19 mars 2009: «Un médicament antidouleur hors de prix. Ma fille a-t-elle le droit de ne plus souffrir?»
(2) Paris Match Belgique, n°406 du 18 juin 2009.
2 000 cas
Eliane Tillieux, la ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, a décidé de mettre fin à la discrimination mise en lumière par les enquêtes de Paris Match. Les seniors devenus handicapés après 65 ans à cause d’une maladie qui n’est pas spécifiquement liée au vieillissement devraient prochainement bénéficier des aides matérielles de l’AWIPH. Une extension de droit qui concerne environ 2 000 personnes et représente un effort de plusieurs millions d’euros. « Pour la ministre, c’est un dossier prioritaire et elle le défendra comme tel lors du conclave budgétaire. Elle espère qu’elle sera entendue par ses collègues du gouvernement », nous explique un proche collaborateur d’Eliane Tillieux (PS).