LA MINISTRE AVAIT PROMIS LA FIN DES DISCRIMINATIONS MAIS…LES OUBLIES DE L’AWIPH ATTENDENT TOUJOURS…
En Région wallonne, les personnes qui deviennent handicapées après l’âge de 65 ans n’ont pas accès aux aides matérielles octroyées par l’AWIPH. Et cela même si elles souffrent d’un handicap qui n’est pas lié au vieillissement. Par deux fois déjà, en juin et en octobre de l’année dernière, «L’Info confidentielle Paris Match» mettait en lumière cette discrimination au travers de témoignages édifiants. La ministre de l’Action sociale du gouvernement wallon, qualifiant le dossier de prioritaire, avait dit avoir débloqué un budget pour en finir, au moins partiellement, avec ces discriminations… Vraiment ?
Trop tard pour eux
Nicole Jomouton (à droite avec Paul, son époux) et Roger Gusbin (à gauche avec sa compagne Marie-Thérèse) se sont battus pour des droits dont ils ne bénéficieront jamais. En juin et en octobre dernier, ils avaient encore trouvé l’énergie de témoigner, malgré la maladie qui, il y a quelques jours, les a emportés. Ils avaient conscience du caractère altruiste de leur dernier combat, ce qui le rend aussi admirable.
Les oubliés de l’AWIPH – 1 (18/06/2009)
Les oubliés de l’AWIPH – 2 (08/10/2009)
Dans sa maison devenue trop vide, à Jambes (Namur), Paul pleure son épouse. Et il préfère le faire avec discrétion. «J’ai décidé de ne pas venir sur le plateau de « L’Info confidentielle Paris Match ». Je suis trop en colère Nicole est partie et, de toute manière, elle ni reviendra plus». Mais l’homme meurtri veut tout de même faire savoir ce qu’il ressent, faire passer son message. «Nicole a souffert inutilement à cause d’une réglementation injuste. Nonobstant son handicap, pendant très longtemps, elle a réussi à monter l’escalier conduisant vers notre chambre commune où elle souhaitait passer ses nuits. A force d’efforts surhumains, de beaucoup de douleur, elle se hissait jusqu’en haut, compensant le poids de ses jambes mortes par la force de ses bras. C’était très pénible à voir. Moi, impuissant, trop âgé, je n’avais plus assez de force pour la porter jusqu’en haut. Quelques jours avant l’issue fatale, elle a renoncé, préférant dormir dans le salon On aurait pu lui éviter beaucoup de peine grâce à l’installation d’un ascenseur d’escalier électrique. Le devis était fait mais nous ne disposions pas des 10 000 euros nécessaires à son achat. Et comme Nicole est restée une exclue de l’AWlPH jusqu’au bout, cet organisme n’est jamais intervenu pour nous aider financièrement dans l’achat de ce matériel ou d’autre chose qui aurait permis à ma femme de vivre un peu plus confortablement. L’unique et mauvaise raison de ce blocage, c’est qu’elle aurait dû déclarer son handicap avant l’âge de 65 ans. En octobre dernier, quand ma femme avait témoigné dans Paris Match, la ministre Eliane Tillieux (PS) avait pourtant promis que les choses allaient changer à brève échéance (1). Mais on n’a rien vu de concret. Sauf une lettre de sincères condoléances que je viens de recevoir de la ministre. J’espère au moins que l’exemple de Nicole servira d’électrochoc pour que cette législation abjecte qui prive les personnes devenant handicapées après 65 ans des aides matérielles de l’AWlPH soit enfin revue. »
Un souhait partagé par Marie-Thérèse Gusbin. Avec son époux, Roger, elle avait aussi témoigné sur le plateau de «L’Info confidentielle Paris Match» en juin de l’année dernière. Et ce dimanche, elle est revenue déçue et triste dans la séquence diffusée dans le cadre de l’émission «Controverse» sur RTL-TVI. Seule, cette fois : Roger, lui aussi, est parti. Le mercredi 4 mars. Doucement, dans son sommeil. Mais contrairement à Nicole, cet ex-dirigeant d’entreprise qui avait tâté autrefois de la politique locale dans la région d’Anderlues n’a jamais été très convaincu par les promesses de la ministre Eliane Tillieux. «II n’y croyait pas et, à ce stade, il faut bien constater qu’il n’a pas eu tort», relate son épouse. Touché à 66 ans par la maladie de Charcot, une forme de sclérose qui conduit à une paralysie totale, Roger était aussi un «oublié» de l’AWlPH (2). Selon des estimations communiquées par le cabinet de la ministre de l’action sociale, près de 2 000 personnes seraient dans ce cas en Région wallonne.
«C’est un vrai scandale et, avec le vieillissement de la population, il ne cessera de croître», dénonce Marie-Thérèse. Depuis des mois, la compagne de Roger n’a de cesse de dénoncer cela, et elle ne manque pas d’arguments.
«Contrairement à ce que m’a un jour indiqué un courrier de Mme Tillieux, les limites touchant les plus de 65 ans en Région wallonne ne sont pas appliquées par tous les niveaux de pouvoir en Belgique. L’équivalent de l’AWlPH en Communauté germanophone, soit le DPB (Dienststelle fur Personen mit Behinderung) n’impose pas de telles barrières. En France aussi, les responsables politiques ont pris en compte le vieillissement de la population. C’est ainsi que, depuis 2010, on a supprimé la barrière d’âge, qui était autrefois fixée à 60 ans, pour les « prestations de compensation », lesquelles recouvrent l’équivalent des aides matérielles accordées par l’AWlPH. De plus, notre pays a signé la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées en 2009. Un texte par lequel nos dirigeants se sont engagés à mettre fin aux discriminations du type de celles dont sont victimes les seniors handicapés en Région wallonne».
Mme Gusbin a raison. Le traité international qu’elle cite est contraignant pour les Etats signataires. En effet, ces derniers «s’engagent à prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées». L’article 5 de la Convention étant explicite: «Les Etats Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi. Les Etats Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement». Un texte qui, d’évidence, vise à ce que les handicapés ne soit pas discriminés par rapport à la population majoritaire des valides, mais aussi à ce que les Etats ne créent ou n’entretiennent des «catégories» et «sous-catégories» de personnes handicapées disposant de plus ou moins de droits. Au-delà des engagements pris par l’Etat belge, il est aussi permis de s’interroger avec Marie-Thérèse sur le plan de l’éthique et de la morale: «N’est-il pas choquant que des seniors qui ont cotisé toute leur vie se voient privés de certaines formes de solidarité au moment où ils deviennent plus fragiles ? Ne faut-il pas se poser des questions sur le fonctionnement et les valeurs d’une société aussi riche que la nôtre et qui se montre si avare à l’égard de ses aînés ? En tant qu’entrepreneur, mon mari a créé des emplois et de la richesse. Et avec sa casquette de mandataire sur le plan local, pendant des années, il a contribué à la vie de la cité. Et au terme d’une vie aussi bien remplie, il a vraiment mal vécu le fait d’être ainsi discriminé».
En juin dernier, un collaborateur direct du ministre-président de la Région wallonne nous avait envoyé un mail qui permettait d’espérer. A tout le moins, Rudy Demotte manifestait de l’intérêt pour les questions ici soulevées: «Du fait de son expérience de ministre fédéral de la Santé, Rudy Demotte a bien conscience de ce problème majeur que rencontrent les personnes âgées de plus de 65 ans. Ces personnes se voient en effet privées d’interventions financières conséquentes susceptibles de les aider à s’adapter à leur situation difficile. Pour Rudy Demotte, cette condition d’âge qui détermine si une personne peut bénéficier ou non de cette aide doit incontestablement être adaptée. Si pour le ministre-président supprimer cette condition constitue un idéal, cela demeure néanmoins impossible du fait du coût d’une telle mesure. Aussi, Rudy Demotte pense qu’une réponse sérieuse et durable doit consister à, d’une part, prévoir des exceptions pour certaines maladies qui ne sont aucunement liées à l’âge (une disposition qui est financièrement payable); et d’autre part, à amplifier les aides aux personnes âgées. Le cas de Monsieur Gusbin ne soulève pas seulement la question de l’intégration des personnes souffrant d’un handicap mais aussi la manière dont notre société fait face au vieillissement de sa population. Un vieillissement qui implique une adaptation de nos services».
Quelques mois plus tard, la fraîche émoulue ministre wallonne de l’Action sociale, Eliane Tillieux, abondait dans le même sens. Dans un article que Paris Match publiait le 8 octobre 2009, elle déclarait: «Vu le vieillissement de la population, des cas comme ceux que vous que avez évoqués vont être de plus en plus nombreux. Ce problème de société ne peut être ignoré. Il s’impose de procéder au plus vite à une suppression partielle de la barrière des 65 ans en faveur des personnes qui souffrent d’un handicap qui, de manière claire, n’est pas lié au vieillissement. Après consultation de mon administration, une telle adaptation du décret nécessite un investissement de 12 millions d’euros. Je vais me démener que pour le gouvernement y procède dans le cadre de l’actuelle discussion budgétaire. Pour moi, c’est un dossier prioritaire». Mme Tillieux confirmera d’ailleurs ses intentions dans une lettre adressée le 28 octobre 2009 à sa collègue de la Santé au gouvernement fédéral, Laurette Onkelinx : «Sache que je suis particulièrement sensible à cette problématique et que j’examine actuellement la possibilité de mettre en place, sous certaines conditions; une intervention en aide matérielle après l’âge de 65 ans».
II nous sera dit ensuite par David Grasso, le porte-parole de la ministre Tillieux, que cette dernière avait pu dégager un premier budget de 1,5 millions d’euros pour cette nouvelle politique. Effort qui serait répété dans les exercices budgétaires suivant afin de permettre à IAWIPH d’intervenir pour les plus de 65 ans voyant apparaître un handicap non spécifiquement lié au vieillissement. Ce qui était par exemple le cas de Roger Gusbin qui aurait pu être atteint par la maladie de Charcot à 40 ans, 50 ans ou même à 64 ans… Plutôt qu’à 66 ans.
Le ciel devenait donc plus bleu pour les personnes concernées. Mais fin octobre, un premier nuage apparaissait sous la forme d’un mail que nous envoyait une lectrice de Paris Match, Mme Rejraji : «Je me trouve dans la même situation que cette dame (NDLR: Nicole Jomouton) dont vous avez suivi le dossier. Un membre de ma famille a dépassé l’âge et suite à de gros problèmes de santé, est devenue fortement handicapée. J’ai contacté l’AWlPH à propos du nouveau budget qui sera bientôt débloqué pour les plus de 65 ans et là, on m’a clairement dit que c’était « du vent »». Renvoyée vers le cabinet de Mme Tillieux, cette dame s’entendra dire qu’il fallait patienter car «rien n’a encore été signé».
Et les beaux jours annoncés étaient carrément remis en question dès le mois suivant dans l’enceinte du Parlement wallon. Kinésithérapeute de formation, la députée wallonne Chantai Bertouille (MR) prêche depuis plusieurs années déjà pour une extension de l’octroi des aides matérielles aux seniors touchés par un handicap non lié au vieillissement. Prenant la balle au bond à la suite des prises de position de la ministre Tillieux, elle déposait donc, le 24 novembre 2009, une demande de prise en considération d’une proposition de décret en ce sens au sein de la commission des Affaires sociales du Parlement wallon. «A mon grand étonnement, elle n’a été soutenue par aucun des partis de la majorité et même pas par la ministre de l’Action sociale ! » explique la mandataire libérale.
Laquelle est encore revenue à la charge, fin mars dernier, constatant, comme les seniors concernés, que les conditions d’octroi des aides matérielles de l’AWlPH n’avaient toujours pas évolué : «Lors de cette interpellation, la ministre a expliqué que le million et demi d’euros qu’elle avait débloqué faisait partie d’une « allocation de base visant’à soutenir des initiatives transversales ». Cela pose deux problèmes. Primo, un investissement de 12 millions en cinq ans avait été évoqué, cela aurait dû faire 2,4 millions par an. Mais secundo, le million et demi dégagé n’est pas seulement dédié à l’extension des aides matérielles de IAWIPH pour les plus de 65 ans! Il doit aussi servir à d’autres initiatives en faveur du bien-être des aînés et de leur maintien à domicile, ainsi qu’à l’ouverture de places d’accueil pour personnes polyhandicapées. En définitive, on veut donc faire beaucoup plus de choses avec beaucoup moins d’argent. Tellement plus avec tellement moins qu’on imagine mal ce qui va pouvoir être effectivement réalisé. Bien sûr, cette manière de faire aura permis à la ministre de beaucoup promettre à plusieurs publics. Mais en réalité, au delà des effets d’annonce sur ces dossiers toujours présentés comme prioritaires, on n’est encore nulle part. Rien de concret n’a été réalisé. Il y a un fossé énorme entre les discours de la ministre en charge de ce dossier et ses actes. »
Nous avons pris contact avec le cabinet de la ministre Eliane Tillieux pour essayer d’en savoir un peu plus. La réponse a été brève, mais toujours pleine d’espoir, ce qui est somme toute conforme à la technique de communication que nous avons mise en lumière dans cet article : « La ministre va prendre une initiative dans ce dossier dans quelques semaines ».
Gaspillage de ressources
«D’un côté, on chicane pour aider les plus âgés, mais de l’autre, on gaspille les ressources disponibles», déplore encore Marie-Thérèse Gusbin. «Des lève-personnes, des chaises roulantes, des lits spéciaux et combien d’autres matériels sont financés par la collectivité (AWIPH, INAMI) pour venir en aide aux handicapés, et c’est fort bien. Mais il faut oser soulever la question de savoir ce que devient ce matériel lorsqu’il est devenu pour obsolète pour le bénéficiaire (aggravation du handicap) ou inutile (décès du bénéficiaire). Plutôt que de revenir vers la collectivité pour être réattribué à d’autres personnes qui en ont besoin, ce matériel se retrouve mis en vente sur Internet par les bénéficiaires ou leurs ayants droit. La chaise électronique de Roger vaut 15 000 euros. Ainsi donc, j’aurais pu la vendre, mais j’ai préféré la céder à une association qui en fera bon usage. A la maltraitance des personnes âgées que constitue ce non-octroi des aides matérielles s’ajoute donc de la mauvaise gouvernance». Interpellée en février dernier par le député wallon Dimitri Fourny, la ministre Tillieux expliquait qu’une réflexion sur les possibilités de réaffectation du matériel était en cours : «Si ce projet aboutit, des économies pourraient être réalisées tant au niveau de l’INAMI que de l’AWIPH, et permettre peut-être d’atteindre un plus large public. Pour que le système fonctionne, il faut à la fois obtenir l’accord du bénéficiaire de l’aide technique ou de ses ayants droit, et que des futurs utilisateurs « volontaires » soient intéressés par ce matériel. Mais l’étude de projet pilote que nous allons mener nous permettra d’apporter toute une série de réponses et de pistes de solutions à ces questions». On suivra ce dossier-là aussi.