«SEUL COMPTE LE PARDON QUE LA VICTIME DOIT ACCORDER A SON ABUSEUR»
– Enquête évoquée sur le plateau de « L’info confidentielle Paris Match » sur RTL-TVI, le dimanche 25 avril 2010 et publiée dans l’hebdomadaire « Paris Match » (Belgique), le 29 avril 2010 –
En janvier 2000, l’Eglise catholique belge mettant en place une « Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuels commis dans l’exercice de relations pastorales ». Paris Match dévoile des rapports et lettres internes de cette commission qui témoignent d’importantes divergences ayant opposé ses membres à la hierarchie de l’institution. Des révélations qui interpellent au lendemain de la démission de l’évêque de Bruges, en aveux d’avoir abusé sexuellement d’un mineur d’âge.
A gauche : L’évêque de Bruges, Roger Vangheluwe, a présenté sa démission après avoir avoué publiquement des abus sexuels sur un jeune garçon. Des faits graves, répétés, mais restés secrets pendant assez longtemps pour être frappés par la prescription sur le plan pénal. Ce délinquant sexuel ne devra donc pas répondre de ses actes devant la justice civile. En outre, il conserve son droit à la pension et son titre d’évêque
Le malaise qu’inspiré les abus sexuels commis par des prêtres et religieux provoque des réactions au sein de l’Eglise catholique belge. En effet, les documents dont Paris Match a pris connaissance proviennent d’évidence d’une source interne à I institution. Ces pièces qui posent question sont liées aux travaux de la «Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuels commis dans l’exercice de relations pastorales» (CIP). Pour rappel, la CIP a été créée par l’Eglise catholique en 2000. Et le premier des documents internes en notre possession en expose la genèse et la mission. Intitulé «Préambule», ce texte fondateur s’appuie sur le constat qu’ «à plusieurs reprises ont été révélées des situations où des personnes chargées de responsabilités ecclésiales ont commis des abus dans l’exercice de leurs relations pastorales. Des personnes investies d’une mission pastorale ont fait dégénérer ces relations en contacts sexuels, voire en graves abus sexuels caractérisés. Pour les victimes et leurs proches, ces situations sont particulièrement pénibles et blessantes. Certes, les personnes engagées dans l’Eglise sont aussi des êtres humains, faibles et pêcheurs. Mais cela ne peut empêcher que de tels faits discréditent lourdement la proclamation du message évangélique».
Viennent ensuite des déclarations d’intention. «Admettre la matérialité des faits et reconnaître le mal causé aux victimes est une première étape. Eviter dans toute la mesure du possible la répétition de pareils faits en est la seconde. (…) Dans de nombreux cas, surtout lorsque les faits remontent à plusieurs années, la personne concernée ne souhaite pas entreprendre de démarche en dehors du cadre ecclésial (…). La personne en quête d’assistance peut aussi éprouver le besoin et désirer que certaines choses soient débattues au sein même de l’Eglise et que des mesures soient prises. Dans pareil cas, sa démarche dépasse une simple demande d’assistance. Que justice soit faite, également à l’intérieur de l’Eglise: telle est alors la demande. Pour répondre à cette demande de justice, une commission interdiocésaine est instaurée. (Elle) doit pouvoir exécuter un certain nombre de devoirs d’enquête en toute indépendance et fournir une information complète ainsi qu’un avis concernant la cause aux autorités ecclésiastiques, l’Evêque ou le supérieur majeur (…) de manière à ce que ceux-ci puissent réagir fermement à l’encontre de toutes ces formes d’abus dans les relations pastorales. »
A l’époque de sa création, la CIP a été l’objet de vives critiques dans la société civile. D’aucuns s’interrogeant sur le bien-fondé d’une démarche qui pouvait être de nature à soustraire à la connaissance de la justice un certain nombre de faits délictueux. La CIP s’en défendant, promettant d’attirer l’attention des victimes sur la «possibilité» de s’adresser aux juges professionnels et policiers (1). Le texte du «Préambule» précisant encore, à cet égard, que «si la personne en quête d’assistance s’adresse à la justice, l’enquête ecclésiastique interne ne sera pas entreprise. Et si elle l’était déjà, elle sera sus pendue jusqu’à la fin de ladite procédure judiciaire».
Toutefois, précisait encore le manifeste, «la commission pou rait encore fonctionner s’il s’avère nécessaire que soit prise une éventuelle mesure ecclésiastique interne d’urgence». C’est donc sur cette base que la CIP s’est mise au travail. Entre 2000 et 2009, elle a recueilli trente-trois témoignages de victimes. Essentiellement des affaires prescrites sur le plan pénal, ceci confirmant la difficulté des personni abusées par des représentants de l’Eglise à briser un silène teinté de culpabilité et de peur. Une donne qui va être aus à l’origine d’un débat au sein même de la CIP et, semblet- il, de graves divergences entre la CIP et la hiérarchie de l’Eglise. Question centrale: quelle réparation – financière ou autre – apporter à des victimes n’ayant plus rien à attendre de la justice des hommes ?
Selon les informations de Paris Match, une réunion abordant ce thème s’est tenue le 22 avril 2008, rue Guimard, à Bruxelles. Mgr Guy Harpigny, évêque de Tournai, et le chanoine Etienne Quintiens, secrétaire de la Conférence épiscopale, y exprimaient le point de vue de la hiérarchie de l’Eglise catholique belge. Trois personnes de la société civile, à savoir la magistrate honoraire Godelieve Halsbergh, le professeur Lambrecht (KUL) et le professeur Christians (UCL), y représentaient la CIP.
Parmi les nombreux documents arrivés jusqu’à notre rédaction se trouve un compte rendu de cette discussion du 22 avril. Il témoigne d’un climat houleux, l’existence de la Commission irritant de toute évidence certains au sein de l’institution : «Mgr Harpigny a tout d’abord fait part des doléances reçues de diverses autorités ecclésiales. La Commission n’aurait aucune compétence pour (aider les victimes à) obtenir différentes formes de réparation. Pour les autorités ecclésiales, la seule tâche de la commission es d’instruire le dossier : la plainte est examinée, cet examen est remis à l’autorité en cause. L’autorité dont dépend l’accusé se charge ensuite de la victime».
Viennent ensuite ces quelques phrases interpellantes écrites par le rapporteur de la CIP: «Pour l’Eglise, il ne peut et ne saurait être question d’une indemnité à payer à la victime. L’abuseur ne doit en aucun cas réparation financière ou matérielle. Seul compte le par don que la victime doit accorder à son abuseur. Pour arriver à ce pardon, une espèce de thérapie sera entreprise tendant à rapprocher la victime de son abuseur. (…) Dans le cadre de la morale civile, un individu qui, pour une raison ou une autre, cause tort à autrui, doit réparation tant morale que matérielle pour les dégâts causés. (…) Il nous a été rétorqué que dans le cadre de l’Eglise, les prêtres, les religieux se trouvent élevés de par leurs voeux dans une catégorie supérieure à celle dans laquelle se trouvent ceux qui n’ont pas prononcé ces voeux. Que, dès lors, il n’est pas question que les prêtres, les religieux, puissent être redevables d’une quelconque indemnité. Il nous a été répété que les difficultés et la détresse des victimes ne sont nullement à prendre en compte aux motifs que le temps passé ne reviendra pas, que les difficultés subies sont passées également. (…) Que les victimes aient souffert des années et des années, qu’elles n’aient pu s’épanouir normalement, qu’elles aient été arrêtées dans leur carrière et/ou n’aient pu entamer et poursuivre une carrière normale n’a, pour l’Autorité ecclésiale, aucune importance, seul compte en réalité le sort moral de l’abuseur».
Autre document en possession de Paris Match, une lettre écrite le 30 avril 2008 par l’ex-présidente de la CIP, Godelieve Haslberghe, qui confirme le contenu du rapport précité. Elle s’adresse à Mgr Harpigny et au chanoine Quintiens : «Lors de la réunion du 22 avril (…), le reproche autour duquel toute la conversation s’est concentrée est celui des « demandes d’indemnités morales et matérielles ». Ce même thème a fait l’objet d’âpres discussions dans le passé. Il nous a été dit que par le fait de la prononciation des voeux de « chasteté, pauvreté, obéissance », les prêtres et religieux appartiennent à une caste supérieure à celle dans laquelle se trouvent ceux qui n’ont pas prononcé ces voeux et que ceux qui se trouventdans cette caste supérieure ne sont nullement soumis au paiement d’indemnités (…) Il nous a été dit qu’il est impensable d’accepter que les pédophiles doivent indemniser des torts, des blessures morales et physiques causées il y a des années ; que, de toute manière, il ne peut plus être revenu en arrière pour remettre la situation en état, qu’il y a impossibilité à réparer les dégâts causés par le passé. Pourquoi, dès lors, vouloir remédier à ces dégâts par le biais d’indemnisations ? Que ces demandes n’ont aucun sens. C’est là faire injure aux victimes (…). C’est tout simplement méconnaître l’impact réel d’actes ignominieux, perpétrés sur des enfants par des hommes, « hommes d’église » de surcroît, qui, en raison de cette appartenance, en imposent plus que d’autres. Quant au sort à réserver aux prêtres déviants, il a été dit que ceux-là aussi méritent attention. Faut-il souligner que ceux-ci ont poursuivi tranquillement et sans états d’âme, sans difficulté aucune, leurs parcours de tous les jours! La Commission a été instaurée pour aider les victimes d’abus sexuels, non pour s’occuper des abuseurs sexuels. C’est là la tâche des autorités ecclésiales concernées».
Cette lettre évoque ensuite un «revirement» de l’Eglise catholique belge dans la gestion de ces délicats dossiers d’abus sexuels : «Comment résoudre le non-recevoir actuel des demandes d’indemnités alors que, par le passé, de nombreuses autorités ecclésiales ont estimé ces demandes parfaitement normales ? Nous avons souligné le credo du père Van Neste: « L’Eglise doit se placer aux côtes des victimes. Les autorités ecclésiales concernées doivent ellesmêmes payer les indemnités, à charge pour elles de se retourner, en interne, contre l’abuseur sexuel. Sur quelles bases reposent le revirement actuel et la charge contre la Commission menée par certaines autorités ? »»
Un autre document se trouve sur notre bureau. Un long rapport interne de la Commission non daté (mais qui aurait été rédigé il y a environ deux ans, selon notre source) dont les termes, ici encore, sont très vifs. On lit par exemple que «l’attitude adoptée par certaines autorités ecclésiastiques démontre nettement que ces autorités non seulement n’acceptent pas l’indépendance de la Commission prônée par ses concepteurs, mais mettent en plus la Commission en échec total dans des conditions non compatibles avec (enseignement du Christ (…) Depuis ses débuts, une résistance s’est opérée à (encontre de l’action de la Commission, résistance toujours d’actualité. Cette résistance s’est même accentuée».
D’après ces documents, les divergences portaient notamment sur l’article 13 des statuts de la Commission qui prévoit la non-ouverture d’enquêtes par la CPI et l’arrêt immédiat des investigations déjà ouvertes en cas de saisine de la justice civile. Argument de la Commission: «Attendre la décision définitive des cours et tribunaux signifie que la victime reste des années et des années dans le froid. Lappel contre un jugement civil, contre un jugement rendu au pénal est toujours possible ainsi qu’un recours en cassation (…) Beaucoup d’années s’écoulent. Pourquoi tout ce temps perdu ?» L’idée de la Commission, qui était surtout défendue par son ex-présidente, était de déjà proposer des indemnisations avant la fin d’un éventuel processus judiciaire. Un débat relativement théorique, puisque la Commission a surtout examiné des dossiers ayant atteint la prescription sur le plan pénal.
D’où un autre questionnement qui a animé ces conversations secrètes: y-a-t-il prescription des faits d’abus sexuels au sein de l’Eglise ? Il ressort des différentes pièces en notre possession que ce n’était pas l’avis de la CIP et de sa présidente. Laquelle écrivait, le 30 avril 2008. à Mgr Harpigny que : « La loi pénale prévoit des délais dans lesquels les demandes d’indemnités doivent être formulées. Par contre, le canon 1492 du Codex juris canonici précise que les actions concernant l’état des personnes ne sont jamais éteintes. Ce canon est ainsi rédigé: « Toute action est éteinte par la prescription selon le droit ou d’une autre façon légitime, à (exception des actions concernant l’état des personnes, qui ne sont jamais éteintes. »» (2)
Dans un rapport interne de la CIP, nous lisons encore ces lignes qui posent question quant à la volonté réelle de certaines autorités religieuses de collaborer avec la justice des hommes: «Lorsqu’il s’agit de mineurs d’âge, la Commission a pris, dès le départ, une position claire et nette : elle s’adressera immédiatement au juge d’instruction. Ce dernier est en mesure de prendre sur-le-champ des mesures qui empêchent l’abuseur sexuel de poursuivre sa route. Une attitude similaire devrait être de mise dans le che(: des Supérieurs concernés. Cette remarque n’est manifestement pas tombée en bonne terre (…) La Commission a prêché et prêche dans le désert».
Ce document interne de la CIP fait aussi référence à Iarticle 14 de ses statuts, jugé impraticable. En effet, celui-ci lui impose de prévenir la hiérarchie du prêtre ou du religieux concerné par une plainte avant même de commencer toute instruction des faits: «La Commission a déclaré quelle entend d’abord l’accusé avant de prendre contact avec l’autorité compétente. L’expérience démontre l’efficacité de cette méthode. Ce n’est également pas tombé en bonne terre. La réponse a été: « Puisque vous n’avez pas confiance en nous, les Supérieurs, nous nous en lavons les mains et nous ne travaillons plus avec vous. » »
Des considérations qui soulignent donc une volonté de l’Eglise de ne pas laisser la Commission travailler en toute indépendance. Une critique que le rapport nourrit aussi en interrogeant le fait que beaucoup de prêtres et religieux auditionnés par elles se soient fait accompagner tantôt par des supérieurs, tantôt par des collègues «rompus au droit canonique». Et en dénonçant aussi le « refus de comparaî- tre devant la Commission » de certains suspects : «Un point de discussion très important a été abordé: celui de l’obéissance. La Commission a été mise dans l’impossibilité de poursuivre son enquête (à tout le moins dans deux cas). Lors du premier entretien, des accusés étaient accompagnés de leurs supérieurs respectifs; un autre était accompagné d’un prêtre. La Commission était d’avis qu’il y avait lieu de réentendre ces accusés. Ces derniers ont refusé de se représenter. Les autorités concernées se sont inclinées devant le refus. La Commission ayant fait référence au vœu d’obéissance, il a été répondu que le voeu d’obéissance est un voeu qui ne s’adresse qu’à Dieu. Ce voeu ne signifie ni ne comporte en soi obligation d’obéissance aux autorités ecclésiastiques quelles qu’elles soient.»
Enfin ce document interne de la CIP, référant notamment à «trois fois trois heures» de débats sur ses statuts, revient une fois encore sur l’inévitable question financière. Et dans des termes qui évoquent des préoccupations très matérialistes : «Lors de la troisième réunion, il a été question de l’indemnisation des victimes. La première réaction a été: « II ne saurait être question d’indemnisation. » A la question du soutènement de cette réponse, il a été répondu qu’un religieux, qu’un prêtre n’est pas à mettre sur pied d’égalité avec le commun des mortels. Nous avons marqué notre étonnement. Différentes remarques ont fusé. Pour les autorités ecclésiastiques présentes, il pourrait éventuellement être tenu compte des seuls frais médicaux. La position de (X) était: « En aucun cas paiement ni d’un dommage moral, ni d’un dommage matériel, éventuellement paiement des frais de thérapie. » Motivation : dès qu’il sera connu que l’Eglise dédommage les victimes, il y aura un énorme afflux de plaintes. Les statistiques révèlent que (le temps d’une vie) pas moins de trente enfants peuvent être approchés tant par un religieux que par un séculier; ce nombre peut même s’élever à soixante enfants. Risque de faillite de l’institution Eglise, avec comme conséquence, faillite des oeuvres caritatives catholiques. Opinion approuvée par les Supérieurs présents. (…) Le père (X) fait valoir que la capacité financière diffère d’ordre à ordre de sorte que les victimes ne seraient pas traitées de la même façon. La Commission a fait observer qu’un fond de solidarité pourrait être créé. (…) La réponse a été qu’un tel fonds à créer entre les différentes congrégations ne verrait jamais le jour: jamais les ordres financièrement plus riches n’accepteraient de verser une contribution plus élevée qu’un ordre financièrement moins pourvu».
A la lumière de ces différents documents, le lecteur appréciera mieux certaines informations diffusées ces derniers mois et encore tout récemment. Notamment cette dépêche de (agence Belga datée du 23 décembre 2008 : «L’Eglise refuse d’indemniser des victimes d’abus sexué commis par des ecclésiastiques. Les faits ont pourtant été reconnus et une commission spéciale a accordé des indemnités. Une victime d’abus sexuel grave a droit à e moyenne à 50 000 euros. Mais si des montants sont ciltés, les auteurs et leur hiérarchie rentrent dans leur coquille dénonce Godelieve Halsberghe, la présidente de la Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuel dans le cadre de relations pastorales. Hans Geybels, porte-parole du cardinal Danneels, estir que la Commission a outrepassé ses compétences : «Elle a été créée pour rendre des avis sur les plaintes des victimes Pas pour exiger des indemnités».
(1) Il est évident que c’est de «l’obligation» de dénoncer à la justice dont il devrait être question dans le chef de la hiérarchie de l’Eglise.
(2) Mgr Harpigny nous a démenti ce point de vue : la prescription étant bien atteinte dix après la majorité de la victime.
Témoignage
Sur le plateau de « L’Info confidentielle Paris Match », diffusée le dimanche 25 avril sur RTL-TVI, notre journaliste Michel Bouffioux (à gauche sur la photo) était accompagné d’une ancienne juge de la Jeunesse. Marie Dumont-Baguette (à droite sur la photo) a tenu à témoigner de l’expérience qu’elle a vécue lorsqu’elle était membre de la Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuels commis dans l’exercice de relations pastorales. Après y avoir passé neuf ans, elle a démissionné: «L’Eglise empêchait que la commission fasse son travail correctement », a-t-elle dénoncé.
Godelieve Haisberghe, ex-présidente de la CIP : «J’ai été meurtrie par cette expérience»
Godelieve Haisberghe a présidé la Commission interdiocésaine pendant près de dix ans. Au début de l’entretien qu’elle nous accorde, alors que nous lui montrons les documents en notre possession, elle témoigne d’une irritation certaine: «Je m’interroge sur les sources qui vous ont fait part de ces documents internes de la Commission. Toutefois, je ne peux contester leur authenticité. Ce sera mon seul commentaire». Au bout de quelques minutes de discussion, cette dame, visiblement marquée par l’expérience de cette présidence de la CIP, accepte tout de même de livrer sa vérité. A condition qu’il n’y ait pas de caméra. Pas de photographe non plus. Un entretien dont on peut lire l’intégralité sur michelbouffioux.over-blog.com et au cours duquel l’ex-présidente nous a notamment confié son «immense déception d’avoir été confrontée à une église plus soucieuse de préserver ses finances et de sauver le sort moral de ses serviteurs que de réparer les grandes souffrances infligées aux victimes de leurs violences sexuelles. En février 2009, les membres de la première commission ont démissionné en bloc. Il y a une autre commission qui s’est formée récemment, mais je ne sais rien des travaux qu’elle réalise. D’ailleurs, son président n’a jamais pris contact avec moi pour savoir où en sont les dossiers qui restaient en souffrance sous ma présidente». On trouvera aussi sur le blog précité les réactions d’autres membres actuels et anciens de la Commission : Marie Dumont, autrefois juge au Tribunal de la jeunesse, loue le travail de Mme Haisberghe et partage son point de vue critique. Mme D. se déclare plus distanciée de l’ancienne présidente «un peu trop juridisante» (sic), mais cette professeure de religion a été conviée à faire partie d’une commission nouvelle présidée par le pédopsychiatre Peter Adriaenssens. On notera enfin que deux autres ex-membres de la première commission (MM. Christians et Defer) ont décliné nos invitations à s’exprimer.
Tournant
L’archevêque Léonard a pris des positions très fermes à propos des abus sexuels commis par des prêtres. Pour lui, il faut en finir avec « un silence coupable ». Et de dénoncer le fait qu’« on a souvent préféré la réputation de certains hommes d’Eglise à l’honneur d’enfants abusés». Ces paroles marquent un tournant dans l’approche par l’Eglise catholique belge de ces délicats dossiers.
« LES PRETRES N’APPARTIENNENT PAS À UNE CASTE SUPÉRIEURE»
Nous avons confronté le primat de Belgique à ce passage étonnant du compte rendu de la réunion du 22 avril 2008 : «Pour l’Eglise, il ne saurait être question d’une indemnité à payer à la victime. Labuseur ne doit en aucun cas réparation financière ou matérielle. Seul compte le pardon que la victime doit accorder à son abuseur. (…) Il nous a été rétorqué que, dans le cadre de l’Eglise, les prêtres, les religieux, se trouvent élevés de par leurs voeux dans une catégorie supérieure à celle dans laquelle se trouvent ceux qui n’ont pas prononcé ces voeux. Que, dès lors, il n’est pas question que les prêtres, les religieux, puissent être redevables d’une quelconque indemnité. » La réponse de Mgr Léonard est très claire : «Je n’étais pas présent lors de cette réunion. Pour autant qu’il ait été tenu, ce langage me surprend. Ce n’est pas le mien. Cette conception des choses ne me semble pas adéquate : on n’appartient pas à une caste supérieure quand on est prêtre ou évêque. La clarté que l’on exige vaut pour tout le monde. Les prêtres et les évêques doivent assumer les conséquences de leurs actes. Le cas de levêque de Bruges vient de le démonter. Cet homme devait donner sa démission et s il ne l’avait fait lui-même, nous aurions été jusqu’à Rome pour l’y contraindre. Il ne doit pas y avoir de privilèges pour les évêques et les prêtres». Mgr Harpigny nous a démenti que de tels propos aient été tenus lors de la réunion du 22 avril 2008. Les deux prélats affirment aussi qu’il est faux de prétendre que l’Eglise refuserait de manière définitive l’indemnisation des victimes. Ce qu’ils ne veulent pas, c’est une indemnisation financière comme réparation unique et systématique, pour éviter des dérives et parce que nombre de victimes ne sont pas demandeuses d’argent mais plutôt d’écoute et de reconnaissance. Ils assurent aussi tous les deux que la Commission travaille en parfaite indépendance. Les mots prononcés par le primat de Belgique à l’occasion de son homélie de Pâques semblent témoigner, en effet, d’un tournant. «Pendant des décennies, l’Eglise, comme d’autres institutions, a mal géré le problème de la pédophilie en son sein alors qu’elle avait toutes les raisons évangéliques de veiller au respect de la dignité de ces enfants. Par un silence coupable, on a souvent préféré la réputation de certains hommes d’Eglise à l’honneur de ces enfants abusés. Il nous faut, par la force de la vérité, restituer dans leur dignité ceux qui furent abominablement exploités». Des propos dont la crédibilité a été renforcée par la récente démission de levêque de Bruges, Roger Vangheluwe.
L’Eglise catholique belge affiche donc une volonté nouvelle et très ferme de regarder certaines réalités en face. Les attitudes inquiétantes évoquées dans les documents dévoilés par Paris Match devraient par conséquent appartenir à un temps révolu.
Complément à l’article paru ce jeudi 29 avril dans l’hebdomadaire Paris-Match (Belgique)
Godelieve Halsberghe : «J’ai été meurtrie par cette expérience»
Godelieve Halsberghe a présidé la «Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuels commis dans l’exercice de relations pastorales» pendant près de dix ans. Au début de l’entretien qu’elle nous a accordé, alors que nous lui montrions les documents en notre possession, elle a témoigné d’une irritation certaine. Et puis, a tout de même accepté de se livrer…
Nous avons pu prendre connaissance de différents documents qui semblent provenir de la commission que vous avez présidée pendant plusieurs années. Il y a notamment une lettre signée de vous…
Je m’interroge sur les sources qui vous ont fait part de ces documents internes de la Commission. Toutefois, je ne peux contester leur authenticité. A vous d’en faire l’usage qui vous en semble bon. Ce sera mon seul commentaire.
Vous êtes un acteur clé dans l’enquête que nous réalisons. Il serait tout de même très éclairant d’entendre votre version des faits !
(La réponse vient après plusieurs minutes de discussion) : Il est exact que pour moi, cela a été une immense déception d’avoir été confrontée à une église plus soucieuse de préserver ses finances et de sauver le sort moral de ses serviteurs que de réparer les grandes souffrances infligées aux victimes de leurs violences sexuelles. C’est pourquoi les membres de la première commission ont démissionné en bloc. Il y a une autre Commission qui s’est formée depuis lors mais je ne sais rien des travaux qu’elle réalise. D’ailleurs, son président n’a jamais pris contact avec moi pour savoir où en sont les dossiers qui restaient en souffrance sous ma présidence…
Comment avez-vous été conduite à prendre cette fonction en charge ?
Je suis issue d’une famille catholique pratiquante et j’ai derrière moi une longue carrière d’avocate et de magistrate. A la toute fin des années ’90, on m’a d’abord proposé de faire partie d’un groupe de réflexion. Cela se passait au siège de l’Église, rue Guimard à Bruxelles. Nous étions une trentaine à discuter de la manière de prendre ce problème en main. Mais assez rapidement, le groupe s’est rapetissé. Certains participants optant pour le déni total, n’acceptant même pas l’idée que l’on puisse se pencher sur la question tabou des abus sexuels commis par des religieux et des prêtres dans le cadre de l’exercice de relations pastorale. En définitive, nous sommes restés à sept. Ensuite, je me suis fortement investie dans la constitution de la Commission, dans sa présidence, dans les auditions de victimes et de prêtres et religieux mis en cause. Vous savez avec quelles difficultés puisque vous avez des documents ! Tout ce que j’ai envie d’ajouter, c’est qu’à partir d’un certain moment, l’Église nous a laissé de côté. J’ai écrit sept ou huit lettres à différents évêques qui sont restées sans réponse. Et, il y a quelques temps, j’ai appris que quelqu’un avait repris ma fonction au sein d’une nouvelle commission. Je ne connais pas ce monsieur Adriaenssens, ou à peine. On n’a pas daigné me tenir au courant de cette évolution. Il ne m’a rien demandé concernant les dossiers que j’ai traités, pour savoir s’il y en avait en cours ou pas. Ce monsieur Adriaenssens avait fait une brève apparition au moment de la constitution de la précédente commission mais il n’avait pas continué par manque de temps.
Vous avez l’air aigrie par cette expérience…
J’ai vraiment été écartée. On me taxait d’aller trop au fond des choses, de ne rien laisser tomber. Je demandais des renseignements trop précis sur les faits et leurs auteurs. D’où venaient-il, que faisaient-il, qui ils étaient. Étaient-ils encore sources de dangers potentiels ? J’ai eu l’occasion de travailler sur 33 dossiers en environ 10 ans mais assez rapidement, la commission a eu de plus en plus de difficultés à remplir sa tâche. Ils ne veulent pas savoir…La commission a été créée par Monseigneur Luystermans, ancien évêque à Gand. Il était un peu plus ouvert que les autres. Il travaillait à l’armée dans sa jeunesse et il disait que c’est là qu’il a découvert la vie. Les autres, ils rentrent au séminaire à 20 ou 22 ans. Qu’est-ce qu’ils connaissent de la vie?
Les indemnisations financières, c’était donc là le gros point d’achoppement ?
Il y a des dossiers, au début, du temps de Mgr Luystermans, qui ont fait l’objet de magnifiques indemnisations. Je faisais le calcul en fonction de mon expérience au civil et au pénal. Et c’est cela qui a déplu à certains dans l’église, de par mon expérience au tribunal, je m’y connaissais un petit peu en matière d’indemnisation. Pour certains l’Église est au dessus de tout le monde ! Par leurs vœux de chasteté, de pauvreté, d’obéissance, des religieux avec lesquels j’ai du débattre estiment qu’ils sont au dessus des communs des mortels. Et dès lors, ils ne sentent pas en devoir d’assumer leurs fautes. C’est ce qui a été défendu devant Monseigneur Harpigny par le Chanoine Quintiens, notamment. J’ai écris à l’évêque de Tournai pour marquer ma consternation, pour qu’il fasse une mise au point, mais il ne m’a jamais répondu… Ils ne répondent jamais aux questions qui les ennuient. Tant que Mgr Luystermans soutenait la commission, tout allait bien. Mais Malines a repris les choses en mains. A l’occasion de l’une des premières réunions de la commission, quelqu’un a objecté à propos des indemnisations : «Si l’Église doit indemniser pour tous les prêtres qui se sont rendus coupable de tels faits, alors qu’on sait qu’un religieux peut avoir fait trente ou quarante victime sur une vie, l’institution fait faillite». Voilà ce qui a été la réflexion. C’est un prêtre qui a fait cette réflexion, j’ai trouvé cela odieux. C’est un calcul financier qui est en œuvre dans ces dossiers car l’Eglise n’a soi-disant pas d’argent.
Quand les choses ont-elles commencé à bloquer ?
Je dirais dès 2004, 2005. Il y a des supérieurs qui ont considéré que la commission se comportait comme un tribunal. Ce qui n’est pas vrai du tout. On ne sait pas les punir. Mais croyez moi, si j’avais pu le faire, je les aurais tous envoyé en prison !
Que retenez-vous de vos contacts avec les victimes ?
J’ai vu des personnes qui étaient littéralement cassées. J’ai eu des entretiens difficiles, hésitants, bouleversant. J’ai entendu des témoignages effrayant. Par exemple, celui d’un un homme de 45 ans qui n’arrive pas encore aujourd’hui à vivre correctement à la suite des abus qu’il a connu alors qu’il était enfant. Cela laisse de traces. J’ai aussi le souvenir d’une dame de 70 ans, abusée dans son adolescence, qui s’en souvient encore avec effroi. Nous avons toujours travaillé avec beaucoup de précautions. On faisait toujours les auditions à deux, avec le professeur Christians de Louvain-la-Neuve. Pour les flamands, cela se faisait toujours avec un professeur honoraire de Gand. C’était comme une instruction. On entendait la victime d’abord. Ensuite, l’abuseur, s’il concédait à venir, ce qui était assez rare. Et ensuite d’éventuels témoins. Dans la pratique, il y des difficultés, comme par exemple de voir de suspects en compagnie d’un supérieur, ce qui ne garantissait pas une libre expression.
N’aurait-il pas été préférable que les auteurs que vous avez entendus ou sur lesquels vous avez enquêté aient eu à répondre de leur actes devant la justice des hommes ?
Il ne faut pas oublier que dans la plus grande partie des dossiers que j’ai eu à traiter, la prescription était atteinte au regard de la loi belge. Quand ce n’était pas le cas, je conseillais aux victimes de s’adresser à cette justice des hommes. Mais sinon, nous étions justement, en tous les cas c’est comme cela que je l’entendais, un recours idéal pour tout de même créer un sentiment de justice chez ces victimes. Il n’y a pas, en effet, de prescription au regard du droit canon. La plupart des personnes que nous avons reçues avaient plus de 40 ou 45 ans.
A l’arrivée, vous ressortez avec quel sentiment de cette expérience?
Je suis profondément blessée. Je continue à croire mais je ne vais plus à l’Église. Je trouve que tout ce que j’ai pu entendre est scandaleux. Il y a des choses que je ne digère pas. Pour l’Église, tout se résume à une question financière. Ni plus, ni moins ! En ce qui me concerne, j’avais proposé à Mgr Luysterman de créer un fond, comme en Irlande, qui permettrait d’indemniser les victimes. On m’a répondu qu’en Belgique cela ne fonctionnerait pas parce qu’il y a des institutions qui sont plus riches que d’autres, des paroisses plus riches que d’autres. A mon sens, l’église devrait rester aux côtés des victimes. Il est de son devoir de les aider tant du point de vue moral que financier… Vous comprenez que l’Église pour moi c’est fini après avoir vu tout cela. Cela ne veut pas dire que je ne crois plus en un être supérieur, mais cela est un autre débat.
Vous avez le sentiment qu’on s’est servi de vous ?
Plutôt celui qu’on a essayé. Peut-être se sont-ils dit que, provenant d’une famille très catholique, je serais très obéissante. Mais j’ai toujours voulu garder mon intégrité, mon indépendance, des valeurs qui ont été au centre de ma carrière d’avocate et de magistrate. On voulait que nous soyons un simple tampon entre la victime et la société. Des gens qui allaient calmer les choses pour éviter des scandales qui auraient pu éclabousser l’institution. Qu’on devait se contenter d’une simple écoute des victimes, suivie d’aucune autre mesure. Ce n’était pas suffisant à mes yeux. Il doit aussi y avoir de réparation. Sinon, cela me semble trop facile, je dirais même que cela me semble alors tout à fait immoral. Ne pas indemniser, c’est une manière de se soustraire à toute justice, à toute réparation dans le cadre des dossiers prescrits.
Mgr André-Mutien Léonard : «Les prêtres n’appartiennent pas à une caste supérieure»
Selon le primat de Belgique, «c’est d’abord à l’auteur, au malfaiteur, d’assumer ses actes»
Avez-vous été mis au courant des difficultés rencontrées par la commission ?
Oui, je sais qu’il y a eu du tirage…
Quel est votre position à cet égard ?
C’est Mgr Harpigny qui a suivi cela. Tout ce que je sais, comme d’autres évêques, c’est que Mme Halsberghe s’est plainte de n’avoir pas été suffisamment écoutée. Alors que nous avions l’impression d’avoir fait notre devoir. Mais il vaudrait mieux demander à Mgr Harpigny qui a suivi cela dans le détail.
C’est fait. Permettez-nous alors quelques questions d’ordre général. L’Église est-elle fermée à toute indemnisation financière pour les victimes de prêtres et de religieux dans le cas où les affaires prescrites ne permettraient plus d’obtenir de telles réparations devant la justice civile ?
Je ne crois pas que les victimes demandent toujours de l’argent. Certaines demandent prioritairement à être entendues, à être honorées. Ensuite, je dirais que la première responsabilité incombe à celui qui a commis ces délits. En fait, ce que nous voulons éviter c’est que, de manière systématique et automatique, dès qu’il y a un délit commis par un prêtre, un diacre ou un agent pastoral, le diocèse doive compenser financièrement. Je ne crois pas que le ministère de l’Education soit disposé à prendre en charge toutes les compensations lorsque de tels faits ont lieu du chef de ses fonctionnaires dans le cadre scolaire. C’est d’abord à l’auteur, au malfaiteur d’assumer ses actes.
Si l’affaire n’est pas prescrite, l’auteur pourra être contraint de réparer par la justice civile mais dans le cas de faits prescrits que peut faire l’Église pour le forcer à réparer les préjudices qu’il a causés ?
Encore une fois, cette réparation n’est pas exclusivement financière. Cela dit, nous pouvons exercer une pression pour que cette auteur fasse tout ce qu’il faut pour réparer. En termes d’indemnisation, nous n’aimons pas trop le style américain (ndlr :qui consiste à donner systématiquement de l’argent pour clore les dossiers). Cela pourrait avoir des effets pervers. Il y aurait des gens qui présenteraient leur récit non plus pour la vérité de ce qu’ils ont souffert mais avec des intentions financières. En plus, il y a aurait un autre effet pervers : cela renforcerait la tentation du camouflage pour des diocèses craignant de trop lourdes sanctions financières. On obtiendrais dont un effet contraire de celui que l’on cherche. Dès lors, la stratégie de la compensation immédiate par les diocèses me paraît être une stratégie compliquée.
Que pensez-vous de cette phrase qui est reproduite dans un rapport de la Commission des plaintes, lequel rend compte d’une réunion tenue ici même au siège de l’Église, Rue Guimard. C’était le 22 avril 2008 et le point de vue de votre institution était alors porté par le chanoine Quintiens et Mgr Harpigny : «Pour l’Église, il ne peut et ne saurait être question d’une indemnité à payer à la victime. L’abuseur ne doit en aucun cas réparation financière ou matérielle. Seul compte le pardon que la victime doit accorder à son abuseur. (…) Il nous a été rétorqué que dans le cadre de l’Église, les prêtres, les religieux, se trouvent élevés de par leur vœux dans une catégorie supérieure à celle dans laquelle se trouvent ceux qui n’ont pas prononcé ces vœux. Que dès lors, il n’est pas question que les prêtres, le religieux puissent être redevables d’une quelconque indemnité.» ?
Pour autant qu’il ait été tenu, car je n’étais pas présent, ce langage me surprend. Ce n’est en tous les cas par le mien. Quoiqu’il en soit, cette conception des choses ne me semble pas adéquate : on n’appartient pas à une caste supérieure quand on est prêtre ou évêque. La clarté que l’on exige vaut pour tout le monde. Les prêtres et les évêques doivent assumer les conséquences de leurs actes comme tout le monde. Le cas de l’évêque de Bruges vient de le démonter. Cet homme devait donner sa démission et s’il ne l’avait fait lui-même, nous aurions été jusqu’à Rome pour l’y contraindre. Il ne doit pas y a voir de privilèges pour les évêques et les prêtres.
L’évêque qui vient d’avouer publiquement ses fautes n’en répondra jamais devant la justice des hommes en raison de leur prescription. Est-satisfaisant?
Non et cela m’inspire comme réflexion qu’il faudrait allonger le délais de prescription pour les abus sexuels commis contre des enfants. Mais cela est une décision qui relève du législateur, pas de l’Église.
Madame D., ex-membre démissionnaire de l’ancienne Commission : «Nous n’étions pas tout d’accord…».
Professeur de religion, cette dame nous a demandé de ne pas publier son nom. Elle a accepté la proposition de la rue Guimard de faire partie de la nouvelle commission présidée depuis deux mois par le pédoppsychiatre Peter Adriaenssens.
Quelle a été votre implication dans la première commission ?
J’ai été de toutes les réunions, j’ai lu tous les dossiers mais je n’ai jamais participé aux enquêtes. Cela dit, je ne désire pas que mon nom se retrouve dans la presse.
Siègerai vous dans la nouvelle commission qui est en train de se mettre en place?
Oui, le chanoine Quintiens me l’a demandé. On est en train d’élaborer des statuts. Le président de cette Commission est Peter Adriaensens, un pédopsychiatre… Heu, je ne sais pas ce que je peux vous apporter de plus…
Répondre seulement à quelques questions. Par exemple, m’éclairer sur le fait que les membres de la précédente Commission ont démissionné en bloc…
Heu, cela ce sont des choses… Écoutez, je n’ai pas trop envie de revenir sur le passé. C’est une Commission créée par les évêques, donc on dépend des autorités religieuses. Disons qu’il y a eu certains blocages, c’est tout. Je ne veux pas aller plus loin. Je n’ai pas envie que l’on parle dans la presse des difficultés qu’a rencontrée la première commission. Il y a d’ailleurs beaucoup de membres de l’ancienne commission qui sont repartis dans la nouvelles (ndlr : trois sur sept en fait)
La difficulté principale, était-ce bien la question de l’indemnisation des victimes ?
C’est sûr que c’est une question, l’argent, qui peut être un peu sensible. Il est toujours très difficile de faire la part des choses. Et bon, dans ce domaine-là, il y a une échelle de gravité… Il faut voir ce qu’on entend par indemnisation. Certaines victimes peuvent être aidées – et la nouvelle Commission est tout à fait d’accord sur ce point – par un traitement médical. Pour aider les personnes à se relever, vous voyez ?
Mais la commission précédente évoquait plutôt la piste d’indemniser les victimes par des sommes forfaitaires, sans préjudice de décisions judiciaires à venir !
Sur ce point, nous n’étions pas tous d’accord dans l’ancienne Commission. Voilà !
C’est plutôt la hiérarchie de l’Église qui n’était pas d’accord, non ?
Non, dans la Commission, il y avait des personnes qui pensaient un peu autrement. Je ne veux pas que l’on fasse le procès d’une Commission qui a été créée dans la foulée de l’affaire Dutroux. L’expérience, la sagesse, l’information médicale apprennent des choses. C’est sûr que ce qu’on a entendu dire récemment sur un lien entre homosexualité et pédophilie n’est pas fondé…
D’accord mais…
(Elle nous coupe la parole et débite une série de phrases de manière un peu incohérente) J’ai un souci pastoral là dedans. La conférence épiscopale a vraiment le souci de la prévention. Il faut dire aussi que l’église est faite d’hommes et de femmes et qu’elle est à l’image de la société pour certaines choses. Il est certain qu’il est très important qu’un dialogue existe entre la Commission et les autorités qui nous mandatent : il faut avoir ce même souci d’aider les victimes au sein de l’église. Et on en a encore parlé dans la Commission nouvelle – il s’agit d’aider des croyants qui ont été ébranlés dans leur foi parce qu’il y avait une relation de confiance qui existait entre eux et une personne qui avait une forme d’autorité, de pouvoir, qui en a abusé.
Que pensez-vous du travail qui a été réalisé par l’ex-présidente Mme Halsberghe ?
Mme Halsberghe a très bien fait son travail, avec une très grande conscience professionnelle. Elle l’a fait comme une magistrate, comme une juge. Mais nous étions dans une commission mixte avec des juristes mais aussi avec des spécialistes des sciences humaines. Dans un tel cas, il faut accepter qu’il y ait un dialogue, que l’on puisse donner son avis. Il faut discuter et accepter de changer d’avis. Cela dit, la présidente a travaillé avec grande compétence et en consacrant un temps considérable à sa tâche. Je ne dis pas plus. Je ne veux pas que l’on fasse le procès de personnes dans la presse.
Mme Halsberghe se dit aujourd’hui très déçue…
Ah mais oui ! C’est à dire que… Je crois… C’est ce qu’elle nous a dit : elle a entendu tellement de souffrance que, forcément cela l’a forgé dans l’idée que l’Église est… Je veux dire que par rapport à l’Église, elle était devenue, je ne sais pas… Aigrie, je dirais. Cela dit, elle a été confrontée à tellement de souffrance que finalement elle a éprouvé une sorte de malaise vis-à-vis de l’Église.
On ne lui a proposé de revenir dans la nouvelle commission comme à vous…
Non, parce qu’elle était peut-être un peu trop «juridisante» (sic) dans sa manière de faire. Voilà, on ne fait pas des instructions, ce n’est pas un tribunal. On doit absolument retrouver une confiance entre l’Eglise et la Commission.
Malgré ce point de vue différent, reconnaissez-vous les compétences de l’ancienne présidente ?
Ah oui, bien entendu !
Revenons un instant sur la question des indemnisations ?
C’est vrai qu’une fois que l’on touche à l’argent, cela devient difficile. En tous les cas, nous devons fonctionner en accord avec les instances qui nous mandatent : on est une commission qui donne des avis aux évêques, point à la ligne.
Que peut obtenir une victime qui vient se plaindre d’une affaire prescrite devant la commission, si ce n’est une indemnisation qu’elle ne pourra plus recevoir de la justice des hommes ?
Chaque cas est à analyser de manière particulière. On a le devoir d’agir tout de suite au niveau de l’Église, de déplacer quelqu’un si cela est nécessaire.
L’idée, c’est donc d’éclairer les évêques, à eux ensuite de prendre les décisions ?
Oui mais sur base d’auditions de témoins, de rencontres et d’écoute. Je ne dis pas qu’il n’y a que cela, mais le fait d’être vraiment écouté, reconnu, cela fait tout de même beaucoup de bien à la personne qui a été blessée.
Vous êtes d’accord de considérer que la prescription n’existe pas pour les faits d’abus sexuels dans le droit canon ?
Je ne sais pas, je ne suis pas une spécialiste du droit canon… Écoutez, il est certain qu’on a travaillé en collégialité avec Mme Halsberghe. C’est vrai qu’on a eu des difficultés avec cette problématique des indemnisations. Que les évêques ont dit que cela n’allait pas. On n’était pas d’accord. On a démissionné en bloc parce qu’on a travaillé ensemble. Et c’est un autre évêque, Mgr Harpigny qui a pris la succession. Et donc, on adapte les statuts en fonction du vécu, de l’expérience, de ce qui a bien ou pas bien marché. Ce qu’il faut voir, c’est le désir de l’Eglise de maintenir une véritable écoute. En tenant compte aussi de ce qui se fait au niveau international dans ce domaine là. Mais c’est le professeur Adriaenssens qui connaît bien tout cela. Je crois qu’on peut vraiment lui faire confiance.
Mgr Harpigny, évêque de Tournai et référent du collège épiscopal au sein de la CIP : «Il y a certains domaines où il faut savoir rendre des comptes»
Dans la conférence épiscopale, chaque membre reçoit des charges. Parmi celles dont il a hérité, Mgr Harpigny; l’évêque de Tournai, est le référendaire de la «Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuels commis dans l’exercice de relations pastorales». Il dément les propos qui sont attribué à la hiérarchie de l’Eglise dans les rapports de Mme Halsberghe dont il commente la démission.
Quelle est votre lecture des problèmes qui se sont posés au sein de la Commission ?
Ils sont apparus quand Mme Halsberghe a pris seule en charge toutes les affaires. C’était peut-être une erreur, je ne veux pas juger, mais elle ne consultait plus les autres membres de la Commission. Elle était en contact direct avec les victimes sans arrêt et donc, pour aider les victimes à s’en sortir, elle a pris la même position que ce qui a été fait aux États-Unis, à savoir demander une indemnité financière. Dès lors, certains évêques étaient tout de même un peu ennuyés par cela et on a essayé de réfléchir. A un certain moment, pas à ma demande en tous les cas, elle a présenté sa démission en disant que tout le monde démissionnait. Ce qui n’est pas juste. A partir de là, j’ai consulté beaucoup de monde, beaucoup de pédopsychiatres etc. Des juristes aussi, pour savoir comment je pouvais avancer. Et finalement, on a choisi le professeur Peter Adriaenssens. Tous les membres de la Commission sont revenus sauf Mme Halsberghe et une personne atteinte par la limite d’âge (Ndlr : Ce qui n’est pas exact, trois personnes sur les six encore en activité dans la commission sont revenues, de même en ce qui concerne la démission collective, voir notamment les témoignages de Mme Dumont et de Mme D.).
Selon un rapport de la Commission, vous avez pris une position très radicale sur la question des indemnités financières. Nous lisons : «Pour l’Église, il ne peut et ne saurait être question d’une indemnité à payer à la victime».
Moi ?
Le 22 avril 2008, le chanoine Quintiens était là aussi…
Oui, je vois.
Il aurait été dit : «Seul compte le pardon accordé par la victime à son abuseur ». Ainsi que « dans le cadre de l’Église, les prêtres, les religieux, se trouvent élevés de par leur vœux dans une catégorie supérieure à celle dans laquelle se trouvent ceux qui n’ont pas prononcé ces vœux. Que dès lors, il n’est pas question que les prêtres, le religieux puissent être redevables d’une quelconque indemnité ?
Ce n’est pas correct. Évidemment, ce ne l’est pas. Quand quelqu’un est soupçonné d’abus sexuels et que l’on constate que tout est bien exact, certaines victimes demandent une indemnisation pour les frais de psychiatrie, d’hôpitaux etc. A ce moment-là, dans le passé, les supérieurs majeurs et les évêques ont payés. La question difficile est venue ensuite : combien cela coûte ? A un certain moment, Mme Halsberghe qui a commencé à fixer seule des sommes. Et donc, les supérieurs majeurs et les évêques ont contesté qu’elle soit la seule à décider de cela.
Il n’y a pas eu de prise de position du genre «on n’indemnise plus parce que cela va ruiner l’Église»…
Non, non. On a cité l’exemple américain à Mme Halsberghe où des évêchés sont tombés en faillite. Et on lui disait qu’il ne fallait tout de même pas en arriver là. On n’a jamais dit, désormais plus rien pour les victimes. Il faut trancher cela au cas par cas. Et Peter Adriaenssens nous l’a confirmé, dans beaucoup de cas, ce n’est pas cela que les victimes demandent. C’est d’être aidées pour traverser l’épreuve et alors on les oriente sur le plan psychologique ou psychiatrique.
Quand on parle d’une indemnisation, cela peut se limiter, d’après certains textes de la commission exposant la position de l’Église, au paiement de frais de thérapie…
Oui, cela se fait.
Quid de vraies indemnisations, des sommes d’argents forfaitaires?
Cela s’est fait.
Cela pourra encore se faire?
Cela dépend de la situation.
Cela n’est donc pas théoriquement exclu?
Non, non ! Vous savez, quand la prescription est atteinte sur le plan de la justice civile, on demande à l’Église d’indemniser pour ses membres qui ont fauté. Mais quelle autre institution fait la même chose ? Donc c’est cela la question. Est-ce qu’on garde la prescription de dix ans où bien on allonge ?
D’après le droit de canon, il n’y a pas de prescription pour ce genre de fait?
Si, il y a une prescription de dix ans aussi, à partir du moment où la victime a dix-huit ans.
Et l’article 1492 du droit canon qui dit que «les atteintes aux personnes» ne sont jamais prescrites ?
Ah cela peut-être. Mais pour les délits sexuels, c’est dix ans après la majorité de la victime.
Vu la prescription, votre collègue Vangheluwe n’aura jamais à répondre de ses actes devant la justice pénale. C’est choquant ?
Pour moi, oui. Il y a certains domaines où il faut savoir rendre des comptes. Et en l’espère, les conséquences, la gravité, le fait que cela a duré longtemps…Ce n’est pas normal. Tous les évêques sont tout de même un peu ébranlés. Quand on est nommé à une telle fonction, il y a tout de même la possibilité de dire non !
Comment votre ex-collègue a-t-il géré les dossiers de prêtres pédophiles dans son diocèse ?
Je ne sais pas. Tout ne passe pas par moi. Mais c’est une question perturbante parmi d’autres. Que disait-il sur le mariage, la vie affective, sur les enfants? Maintenant, on se pose un tas de questions.
Marie Dumont : «Ils se réfugiaient dans le mutisme et la supériorité »
Ex-juge de la jeunesse à Bruxelles, Marie Dumont a siégé au sein de la «Commission interdiocésaine pour le traitement des plaintes pour abus sexuels commis dans l’exercice de relations pastorales». Elle en ressort avec une insatisfaction comparable à celle de la présidente démissionnair
e, Godelieve Halsberghe.
Dans quelles circonstances vous a-t-on proposé de faire partie de cette commission ?
Un chanoine était un ami de la famille. J’ai accepté parce que dans le cadre de mon activité de juge de la jeunesse, j’ai eu à entendre parfois des témoignages de personnes qui avaient été victimes de gens d’église. C’était des témoignages qui venaient souvent trop tard, après la prescription des faits. Mais j’ai compris que l’écoute, le fait d’être cru, apportait déjà beaucoup aux victimes. Je me suis dit que je pourrais donc faire bénéficier cette commission de cette expérience. Dès que je suis rentrée dans cette commission, j’ai ressenti des difficultés de la part de certains supérieurs. On peut le comprendre. Dans le même temps ce sont des matières très délicates où, à un moment donné, il faut savoir faire face à la situation. Mais les difficultés n’ont fait que s’amplifier avec le temps, surtout avec la question des indemnités. Les supérieurs et la hiérarchie de l’Eglise avaient des réflexions qui étaient toujours négatives : vous vous comportez tel un tribunal, si on doit indemniser tous ces gens, l’Église va être ruinée. C’était un discours très destructif, extrêmement gênant.
Madame Halsberghe dit avoir entendu des propos choquant sur le fait que les prêtres ne relevaient pas du droit commun, qu’ils ne devaient pas indemniser les victimes. Qu’ils appartenaient à une sorte de caste supérieure…
Oui, j’ai entendu des choses de ce genre là aussi. Cette idéologie reste présente dans cette institution et cela fait partie du défi de transparence qui se présente à elle. Dans ce type d’affaire, il est vain comme ils l’ont fait de se réfugier dans le mutisme et la supériorité. En résumé, on s’est battu contre un mur.
Qu’avez-vous fait comme travail dans cette commission?
J’ai participé à des réunions et j’ai instruit quelques dossiers. Pour ce travail, nous étions toujours deux.
Comment qualifiez-vous le travail réalisé par Mme Halsberghe au sein de cette commission?
Elle y a placé une énergie considérable avec grande compétence.
Mme Halberghe a des propos très durs. Elle dit que c’est pour elle une «immense déception d’avoir été confrontée à une église plus soucieuse de préserver ses finances et de sauver le sort moral de ses serviteurs que de réparer les grandes souffrances infligées aux victimes de leurs violences sexuelles» Vous pensez la même chose ?
Tout à fait. Bien sûr, cette dame peut se montrer assez dure. Elle ne connaît pas vraiment le « non dit» et certains membres de la commission trouvaient qu’elle manquait peut-être un peu de souplesse. Mais sur le fond, elle avait raison. On ne peut se contenter d’écouter des victimes, il faut aussi de vraies réparations, surtout quand les affaires sont prescrites et qu’il n’y plus rien à attendre de la justice civile. J’étais sur la même longueur d’onde que la présidente et finalement nous avons tous démissionnés en bloc. Je crois qu’à l’époque, on a fait l’erreur de ne pas dire au public pourquoi nous avions démissionné. Nous aurions du prévenir l’opinion que cette commission ne fonctionnait plus, qu’on ne répondait même plus aux lettres de sa présidente, que nous prêchions dans le désert. Les récentes déclarations de l’archevêque Léonard ne sont pas concordantes avec le climat hostile qu’on a rencontré dans notre travail.
Peter Andriaensens : «Mme Halsberghe a été une pionnière»
Ce pédopsychiatre est, depuis deux mois, le nouveau président de la Commission. Il expose sa conception du travail qu’il compte réaliser avec les victimes des prêtres et des religieux.
Vous avez brièvement fait partie de la Commission lorsqu’elle était présidée par Mme Halsbertghe et vous en avez démissionné. Qu’est ce qui vous ne convenait pas?
Je crois que dans toutes les organisations qui s’occupent de violence interpersonnelle, on voit les mêmes évolutions. Moi, j’ai commencé il y a 23 ans avec un centre de médecins-confidents pour enfants maltraités et au début on était plutôt agressif. On considérait tout le monde comme nos ennemis, la justice, l’opinion publique. On estimait aussi que tout le monde avait des agendas cachés. Une fois que l’on connait son métier, on constate qu’il y a des similarités entre les mécanismes qui sont en jeux dans les abus sexuels et ceux qui se manifestent dans les équipes qui travaillent sur ce genre de problème. Le problème, c’est que tout le monde devient paranoïaque. On souffre et on doit s’en rendre compte pour arriver à une meilleure approche des problèmes. Et c’est très important, car quand on se bagarre avec tout le monde, le résultat pour la victime est nul.
Ce sont des mécanismes d’abus de pouvoir qui sont en œuvre dans la pédophilie, voulez-vous exprimer l’idée que ceux qui s’occupent d’aider les victimes peuvent parfois déraper en commettant eux-mêmes des abus de pouvoir?
Oui, dans le sens où ils deviennent des avocats très radicaux des victimes. Et ils en oublient de faire ce qu’il faut pour arriver au résultat final désiré par la victime. Il faut apprendre à faire la différence entre ce que demande la victime et le projet personnel de la personne qui s’en occupe. Personnellement, je peux être très choqué par ce que s’est passé, vouloir démissionner l’auteur immédiatement. Mais si je n’ai pas les supports immédiats pour ce faire, je dois essayer de trouver les chemins pour aboutir finalement. Peut-être avec plus de temps mais avec le résultat à la clé.
Cette dimension n’était pas intégrée par l’ancienne commission ? C’est pour cela que vous avez démissionné ?
Oui. En tous les cas, je reconnaissais ces mécanismes agressifs. Mais dans le même temps, et il faut être clair là dessus, je les appréciais! Parce que le problème est que nous savons qu’il est impossible d’aborder la question des abus sexuels dans l’église ou, par exemple dans le monde médical en commençant d’une façon très cordiale…
Il faut un électrochoc ?
Oui et ce qui se passe aujourd’hui (ndlr : la démission de l’évêque de Bruges) est une sorte d’affaire Dutroux pour l’Eglise. Chaque organisation a besoin d’un récit clé, d’un moment où on doit prendre la décision tous ensemble : «maintenant, on change». Et donc, le travail qui a été fait par la commission sous la présidence de Mme Halsberghe a été très important. On ne peut pas seulement parlé d’un clivage. C’est plutôt une évolution. Le fait qu’on m’a demandé de devenir président est en fait le résultat du fonctionnement de cette commission.
Quel est votre position sur la question des indemnités financières à accorder aux victimes. Mme Halsberghe dit, et c’est peut-être cela le nœud du problème. Elle explique avoir été confronté au chanoine Quintiens et à Mgr Harpigny qui lui ont affirmé : «plus d’indemnisation financière du tout. C’est terminé. Les prêtres d’ailleurs sont au dessus de tout cela»…
La rémunération, cela doit être clair, ne peut être le point de départ des discussions entre victime et abuseur. J’ai rencontré entretemps des victimes qui se sentaient atteintes dans leur dignité par des propositions d’indemnisation. Ainsi, aux Pays Bas, il y a cette proposition de payer 50.000 euros à chaque victime. Cela veut dire que des victimes qui ont éprouvé ce que c’est un abus de pouvoir reçoivent un chèque et qu’on peut ensuite leur dire «tout est arrangé entre nous», c’est fini. Ce que nous voulons c’est le courage de se rencontrer. Tout en sachant que vous souffrez aujourd’hui mais que, peut-être, dans cinq ans, à nouveau il y aura des raisons de se voir. En fait, je me suis inspiré du travail de l’évêque Desmond Tutu en Afrique du Sud, lequel était confronté à des milliers de victimes raciales. Il a fait le choix de mettre en place des comités de réconciliation. On s’est inspiré de cela. C’est à dire que nous rencontrons la victime, moi-même et un spécialiste de traumatismes, avec aussi un canoniste, donc un expert de l’Église et avec enfin un représentant de la société. Il s’agit, pour ce dernier, d’une personne de confiance. Ensemble, on voit la victime, on voit l’abuseur. On organise une réunion et on invite les autorités hiérarchiques à être témoin. Et dans cette réunion, on fait l’agenda ensemble. Qu’est ce qui est nécessaire pour la victime? D’abord c’est toujours de la reconnaissance, deux que l’autorité hiérarchique prenne position, que le canoniste fait un dossier pour Rome et puis, pour certaines victimes, il y a les frais de traitement par exemple ou, littéralement l’indemnisation. Et on accepte l’agenda de la victime.
Donc, vous ne voulez pas d’un guichet où on va chercher un chèque ?
Voilà. En fait, un système d’indemnisation automatique porte atteinte à la dignité des victimes. Nous voyons des personnes qui ont été violées et des personnes qui ont été victimes d’attouchements. Qu’est ce que cela vaut? Comment on va dire, ceci vaut autant et cela vaut autant ?
Le problème s’est posé dans la précédente commission ; vous accepteriez qu’un prêtre refuse de se rendre aux convocations de la Commission ?
Vous devez savoir que je suis psychiatre et donc je suis convaincu l’abuseur n’a pas une responsabilité normale. Dès lors, je dois tenir compte de cette pathologie. Et donc, ce qui importe pour moi, c’est l’attitude de son autorité hiérarchique. En d’autres termes, il y a un problème si le supérieur de l’auteur refuse de venir. Et dans un tel cas, je monterais encore plus haut dans la hiérarchie.
Mais si cela ne marche pas encore? Pourriez-vous être complice d’un silence ou d’un refus de collaborer coupable ?
C’est une question très importante. Ces suggestions sont toujours présentes dans les esprits. J’y réponds en vous rappelant que je suis professeur de pédopsychiatrie depuis 23 ans à l’université et que je n’ai aucune raison de mettre en péril ma crédibilité en devenant une sorte de bouclier pour l’Église. Et les Évêques savaient très bien que je suis quand ils m’ont demandé de prendre la relève de Mme Halsberghe. Pour moi, c’est une question de continuité dans mon travail qui consiste de s’occuper de victimes de différentes formes de maltraitance.
La commission n’est donc pas un tribunal ?
Non.
C’est quoi? Une chambre d’avis ?
Une commission éthique. Une commission où l’éthique est mise en pratique. Je sais que l’opinion publique voudrait que nous sanctionnions. La réalité est que la responsabilité de la société est d’organiser sa justice. Alors je suis un peu surpris de voir que tout le monde attend de cette église qu’elle se sente responsable pour ses abuseurs, et après éventuelle sanctions, de la voir responsable de récidives éventuelles. Dans la société, il y a un délai de prescription de dix ans après la majorité de la victime et nous savons aujourd’hui qu’une personne de 28 ans est trop jeune pour se sentir libre de témoigner.
Mgr Léonard exprime un avis favorable quand à l’allongement du délai de prescription…
Je crois que c’est une idée juste. Ce serait tout à fait non démocratique que l’Eglise se comporte comme un tribunal avec un pouvoir qui dépasserait le prescrit légal en vigueur dans la société.
Vous remettez des avis aux évêques après expertise des cas, c’est bien cela ?
Oui.
Vous attendez que votre avis soit automatiquement suivi ?
Non car dans une démocratie, la seule chose que l’on puisse garantir à une victime et à un abuseur, c’est le débat. Mais ce débat doit mener à des conclusions et bien sûr, là, il faut être ferme. Et je crois que l’attitude que vient encore de montrer l’Eglise catholique belge dans le dossier de l’évêque de Bruges témoigne de ce qu’elle aborde désormais les choses de manière différente. Avec un soutien très clair envers les victimes.
Comment qualifieriez-vous Mme Halsberghe? C’était une pionnière ?
Oui, tout à fait. Madame Haslberghe a été une pionnière. Et c’est son travail qui a mené à une seconde phase.