Une enquête publiée le 14 juillet 2022 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et le 18 juillet par le site Paris Match.be
Quelques milliers de mètres cubes de déchets hautement radioactifs et/ou à longue durée de vie empoisonnent la vie du gouvernement fédéral. Où et comment les stocker en sécurité alors qu’ils resteront dangereux pendant des centaines de milliers d’années ? Comment ne pas impacter les générations futures ? La solution d’un enfouissement définitif est-elle la bonne ? « C’est le chantier le plus long, le plus délicat et le plus cher de l’histoire du nucléaire en Belgique. Vu l’importance des enjeux, j’ai la conviction profonde que le processus de décision doit être participatif », nous dit la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten.
Dans la mythologie grecque, Hadès règne sous la terre. C’est le maître des Enfers. Ce dieu souterrain empêche les morts enfouis dans son royaume de revenir à l’air libre, étant entendu qu’un tel retour remplirait les hommes de terreur. En Belgique, HADES (pour High Activity Disposal Experimental Site for Radioactive Waste) est le nom qui a été donné à des galeries creusées à 225 mètres de profondeur dans le sous-sol argileux de Mol (province d’Anvers). C’est là que, depuis plus de quarante ans, des scientifiques et autres ingénieurs mènent des recherches sur le stockage géologique des déchets nucléaires les plus encombrants. Les « colis » qu’ils envisagent d’enfouir en Belgique – dans un endroit encore indéterminé et, au plus tôt, dans une cinquantaine d’années – contiendront des matériaux hautement radioactifs à longue durée de vie : 9 100 m³ de déchets B et 2 800 m³ de déchets C. Cette terminologie désigne notamment le combustible usé, mais aussi des éléments fortement activés provenant des centrales de production d’électricité (cuve, canalisations, béton). Ce sont les résidus de l’activité nucléaire les plus dangereux pour les hommes et l’environnement. Et certains d’entre eux le resteront pendant des centaines de milliers, voire un million d’années !
Repères temporels : l’Homo sapiens, notre espèce, a fait son apparition sur terre il y a environ 300 000 ans. L’homme de Néandertal nous avait précédé de 100 000 à 200 000 ans. Quand on parle d’un million d’années dans le passé, on se rapproche de l’époque où apparurent les premiers primates du genre « Homo », celle de notre séparation de la lignée des singes. On sait finalement très peu de choses de ce passé lointain et on comprend aisément qu’à l’inverse, il est tout à fait illusoire d’envisager ce que sera l’état de la planète, ce que sera l’humanité – pour autant qu’elle subsiste – dans des centaines de milliers d’années. Aussi, on se rappellera que toutes les grandes civilisations ont fini par s’effondrer et que cela a systématiquement impliqué des pertes de savoir immenses. On constatera encore, tel un témoignage de l’impermanence des choses et une invite à questionner l’orgueil des hommes, que les constructions humaines les plus anciennes qui sont encore debout ont moins de 5 000 ans.
Ici et maintenant, comment allons-nous faire pour ne pas laisser un cadeau empoisonné, une bombe à retardement à ceux qui nous succéderont dans un futur proche, mais aussi dans un avenir très éloigné ? Voilà de quoi donner le vertige à des décideurs politiques plus habitués à réfléchir en termes de législature que d’éternité (lire plus bas notre entretien avec la ministre fédérale belge de l’Énergie, Tinne Van der Straeten). Ce questionnement est aussi central pour les responsables de l’Ondraf, l’Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies. « Notre mission est d’assurer une gestion sûre de tous les déchets nucléaires en Belgique. Vu les enjeux, nous devons développer une vision qui embrasse à la fois le court et le très long terme », confirme Sigrid Eeckhout, la porte-parole de cette structure publique.
Tandis que nous entrons dans l'ascenseur qui va nous faire plonger dans l'antre d'HADES, son collège Maarten Van Geet, manager RD&D à l' Ondraf, nous entretient du concept de « sûreté passive » : "Il est impossible de prévoir l'avenir climatique, social et politique sur une durée aussi longue que la vie de ces déchets hautement radioactifs. Il faut donc trouver une solution de stockage qui permette de s'affranchir de ces incertitudes et ne représentera aucune charge pour les générations futures. C'est de ce postulat qu'est née l'idée d'enfouir très profondément ces déchets dans des couches géologiques stables, où ils demeureront isolés des hommes. Depuis plus de quarante ans, en collaboration avec leurs collègues du SCK/CEN (Centre d'études nucléaires), les experts de l' Ondraf ont mené de très nombreuses expériences dans ce laboratoire souterrain. Ces recherches à grande échelle et à long terme sur la faisabilité de ce stockage dans un sous-sol argileux nous permettent clairement de recommander cette solution. Elle assurera une sûreté définitive. »
Pour notre hôte, les choses sont claires : "Il n'existe aucune alternative raisonnable au stockage géologique des déchets les plus radioactifs. On ne va tout de même pas les lancer dans l'espace, ce qui serait peu éthique et sans doute très dangereux. Les garder en surface nous condamnerait à reconstruire de nouvelles installations d'entreposage tous les cent ans et donc à laisser à nos successeurs un lourd héritage en termes de maintenance. Dès lors, la solution de l'enfouissement est la meilleure. Celle-ci fait d'ailleurs l'objet d'un large consensus international, tant au niveau scientifique que politique. Des pays comme la Suède et la Finlande ont déjà déterminé l'endroit où se trouveront leurs galeries souterraines de stockage. Procrastiner encore pendant quelques années ne permettra pas de prendre une meilleure décision. »
Lire la suite ici :
/https%3A%2F%2Fparismatch.be%2Fapp%2Fuploads%2F2022%2F07%2FCF0I5953.jpg)
Nucléaire : la Belgique va-t-elle enfouir ses déchets les plus dangereux ?
Quelques milliers de mètres cubes de déchets hautement radioactifs et/ou à longue durée de vie empoisonnent la vie du gouvernement fédéral. Où et comment les stocker en sécurité alors qu’i…