Un entretien publié dans "La Libre Match", le 5 juillet 2007.
La Libre Match est allée à la rencontre de Jean-Michel Javaux sur ses terres à Amay. C’est là que le secrétaire fédéral d’Ecolo profite de rares moments de liberté pour se ressourcer avec son épouse Aurélie et ses deux enfants, Lola (4 ans) et Augustin (3 ans). Un heureux événement est attendu pour le mois d’août. Un petit garçon qui s’appellera Basile. Théo, lui, ne s’est plus montré depuis presque cinq ans, mais ses parents savent qu’il est toujours là. « Dans les nuages, il nous regarde et je lui demande de veiller sur nous. Au matin du 10 juin, je me suis encore rendu là où il repose. Pour qu’il m’aide à voir clair ». Sous ses aspects d’homme tranquille, presque zen, Jean-Michel Javaux a démontré qu’il est un redoutable stratège politique en menant la campagne électorale d’Ecolo d’une main de maître. Il voulait que son parti retrouve un score à deux chiffres à l’occasion de récentes législatives. Pari réussi. Son autre rêve, devenir bourgmestre de sa commune d’Amay, autrefois dominée outrageusement par les socialistes, il l’a également réalisé lors des dernières communales. Aux côtés d’Isabelle Durant et Claude Brouir, «Jean-Mi» est aussi l’homme qui avait misé, en 2003, sur la reconstruction d’un mouvement vert divisé après sa première expérience chaotique du pouvoir dans le gouvernement Arc-en-ciel (1999-2003). 10/10 sur son bulletin. Pourtant, le leader des verts n’a pas la grosse tête.
La Libre Match. Votre habitez rue du Château, une adresse qui fait un peu « Star Ac’ », non ?
Jean-Michel Javaux. (Il entame l’entretien par un énorme éclat de rire). Il suffirait que vous fassiez un petit tour de la maison pour vous rendre compte que mon humble demeure ne dispose pas du confort dont bénéficient les apprentis-chanteurs de T.f.1 !
L’allusion renvoyait plutôt à ce que certains de vos détracteurs disent de vous. Vous seriez une créature médiatique, un être de communication. Plus people que politique, à la limite…
Ah bon ? Permettez-moi de penser que le fait de bien communiquer est plutôt un atout qu’une tare pour un homme politique. C’est quelque chose que j’ai en moi depuis toujours. Pour faire de la politique, il y a un sentiment de base indispensable : il faut aimer les gens. Quand on respecte les autres, c’est déjà le premier pas vers une communication harmonieuse. Voici quelques années, Aurélie et moi étions très impliqués dans les activités du patro d’Ampsin. On aimait ce lieu de mixité sociale irremplaçable dans la commune d’Amay. En développant l’aspect relationnel entre les enfants et vers les parents, on est passé en quelques années de 50 à 111 membres. Donc, je communiquais déjà pas trop mal à l’époque sans être porté par un quelconque phénomène médiatique. Le moteur, c’est de s’inscrire dans des actions auxquelles on croit. La communication, c’est d’abord de la sincérité. Un autre exemple : à la fin de mes études, je suis allé en Ecosse avec deux copains. Eux, ils contemplaient l’architecture et les paysages. Moi, j’ai passé mon séjour à parler avec des gens pour savoir ce qu’ils pensaient de leur vie, de leur pays, etc… Quand je me promène, j’ai une tendance à parler spontanément aux gens. Je sais que, dans la société où nous vivons, cela paraît parfois surprenant, mais je suis comme cela... (Il s’arrête un instant) Cela dit, je ne voudrais pas éluder votre question…
Le côté « Star Ac’ » ? C’était en référence au fait que vous êtes plutôt mignon…
(Il s’adresse à son épouse qui se trouve à ses côtés) Tu vois bien, chérie!
...Plutôt mignon, jeune, et tout est allé très vite pour vous !
Très vite ? J’ai commencé en politique en 1991. Certes, au cours des dernières années, j’ai connu une accélération. Mais, croyez-moi, j’ai aussi ramé. J’ai vécu deux législatures à Amay comme jeune conseiller communal de l’opposition : la première fois, on n’était que deux verts parmi les vingt-trois élus et on en prenait plein la tronche ! Quotidiennement, on était confrontés à l’arrogance de la majorité absolue socialiste. Voire à des propos parfois insultants de certains élus…
Du style ?
Des trucs du genre « Qu’est-ce que vous y connaissez en budget, les gamins ? ». Un peu à l’instar de ce qu’a vécu autrefois une conseillère communale de Charleroi qui se faisait traiter de « grognasse » par des barons rouges, lesquels estimaient qu’elle pouvait déjà « être bien contente » de siéger… Maintenant, je le reconnais, je me suis moi-même posé certaines questions quand on m’a suggéré de mener campagne pour être secrétaire fédéral d’Ecolo en 2003.
Lesquelles ?
Cela se passait six mois après la perte de mon fils aîné Est-ce qu’on me proposait cela par pitié ou parce que cela me permettrait d’utiliser une certaine corde sensible ? Deuxièmement, il y avait mon côté, non pas consensuel, mais « jeteur de ponts ». A l’époque, et depuis un certain temps déjà, c’était très tendu à Ecolo. Un exemple : lors de mon mariage en 1999, Philippe Defeyt et Paul Lannoye étaient invités à l’apéro. Jacky Morael, Isabelle Durant et Jean-Marc Nollet étaient conviés à la soirée... Après la claque absolue des législatives de 2003, je pense que certains voyaient en moi une personne qui allait rassembler et restaurer une sympathie pour le parti...
Mais qui allait seulement assurer un rôle transitoire ?
C’est cela, oui. Pas une personnalité qui serait capable de tracer l’avenir, qui permettrait à Ecolo d’être respecté par les autres partis, les syndicats, les employeurs, etc... Dès lors, j’ai dû triplement travailler pour prouver que je n’étais pas qu’une petite gueule sympa qui passe bien en assemblée ou à la télé. J’ai voulu prouver, avec beaucoup d’application, que je suis un bosseur qui tient à maîtriser ses dossiers en toutes circonstances. Aurélie pourrait vous raconter mes soirées et week-ends très studieux... Bien sûr, je bénéficie aussi d’un travail collectif impressionnant : l’idée que j’exprime au nom d’Ecolo, c’est aussi le fruit d’une réflexion de groupe, d’un travail d’équipe mené dans l’ombre.
Christophe Collignon, votre meilleur ennemi socialiste à Amay, celui qui n’a pas succédé à son papa au poste de bourgmestre à cause de vous, a dit un jour : «Javaux ne fait jamais rien au hasard. Tout est toujours calculé…»
Ces propos m’ont heurté : je n’ai jamais eu de plan de carrière ! Dernièrement, j’ai croisé Christophe sur le marché. Je lui ai dit : «C’est vraiment ce que tu penses ?». Il m’a répondu qu’il fallait bien «trouver quelque chose pour écorner mon image» trop positive à son goût. En vérité, je suis l’antithèse du bonhomme qui a un plan de carrière. Et, pour être tout à fait franc, je suis plutôt «bordélique», pas toujours très bien structuré. Par exemple, un type comme Nollet est une bête de travail quinze fois plus grande que moi ! Je suis plutôt intuitif et très spontané. Il m’est arrivé à de multiples reprises de refuser d’aller à tel ou tel endroit pour dire telle ou telle chose alors qu’on me le conseillait. Cela aurait été très raisonnable mais, simplement, je ne le sentais pas. L’inverse est vrai aussi. Quand j’ai voulu le retour de Jacky Morael, des gens m’ont dit «T’es fou ou quoi ?». Ou encore : «C’est dangereux, tu lui rends un mauvais service». Moi, je sentais que c’était bon pour Ecolo et bon pour lui. Il n’y avait pas de plan. Rien de contrôlé. Seulement le sentiment que c’était juste. Je crois qu’en étant comme cela, je prends des risques, je me mets en situation de danger. Je n’ai vraiment rien à voir avec un calculateur froid, comme le suggère Collignon.
Christophe Collignon et vous, c’est un peu une histoire à la «Highlander». Sans cesse vos routes se croisent et sans cesse vous vous affrontez…
C’est vrai qu’on n’arrête pas de se retrouver. Petits, déjà, on se dribblait sur les terrains de foot. Lui, il portait le maillot d’Amay et moi, celui d’Ampsin. Plus tard, je suis sorti pendant un an avec sa soeur Christine. Lui, il fréquentait ma meilleure amie de l’époque. On avait la même bande de copains, on sortait dans les mêmes endroits, on est même partis en vacances en Espagne et à France...
Parlons un peu de vos origines. Vous êtes, à ce qui paraît, un vrai de vrai Amaytois ?
De fait, j’appartiens à une famille qui est amaytoise depuis sept générations et qui a toujours été active sur le plan local. Mon arrière-grand-père a été bourgmestre social-chrétien d’Amay, mon grand-père a présidé le club de foot alors que celui-ci était en promotion, et mon père organisait des concours de couillon qui rencontraient beaucoup de succès...
Vous avez souvent dit que vous n’étiez pas « accroc » à la politique. Que vous pourriez prendre la décision d’arrêter en quatre minutes, s’il s’agissait de sauvegarder votre équilibre familial…
C’est ce que je pense vraiment. Et d’ailleurs, il a été déjà question que j’arrête quand Théo est parti en 2002. Je ne suis plus allé au Parlement et au parti pendant six mois. J’avais besoin de prendre du recul. Le ressenti de ma famille est essentiel. Si, un jour prochain, il devait être question que j’occupe une autre responsabilité, par exemple dans un gouvernement, je ne me lancerais pas sans l’aval d’Aurélie…
Vous voulez participer à la prochaine majorité ?
Je ne ferme la porte à rien. Toutefois, la participation des verts ne peut être déterminée que par une discussion sur le contenu. On n’en est pas encore là aujourd’hui.
Trois thèmes qui exclueraient toute participation verte ?
Une remise en cause de la sortie du nucléaire, bien sûr. Je souhaite aussi une importante prise en compte de la situation des sans-papiers. Et puis, on ne pourrait participer à un gouvernement qui ne mettrait pas en œuvre un plan massif et global pour le climat. Il faut un ministre fédéral qui ait des compétences transversales, des objectifs chiffrés et des moyens conséquents.
Envie de devenir ce ministre-là ?
Non. Si nous devions monter dans un gouvernement, je préférerais briguer un nouveau mandat au secrétariat fédéral. Ce n’est pas une obsession pour moi d’être ministre.
Beaucoup d’hommes politiques semblent prisonniers de leur personnage. Ne vivant plus qu’au travers de leur fonction, oubliant leurs proches, voire même leur développement personnel au nom d’une ambition. Apparemment, ce n’est pas votre cas ?
Ma femme et ses parents m’ont fait comprendre beaucoup de choses. Je viens d’une famille où les contacts étaient très pauvres. Mon père était absent, ma mère était très malade. Dépendante. C’est vrai qu’on partait en vacances trois semaines par an... Mais cela ne réparait pas certains déficits affectifs. Cela ne remplaçait pas le fait que, pendant toute l’année, on ne mangeait presque jamais tous ensemble. En famille, réunis autour d’une table... Ces vacances ne remplaçaient pas non plus l’impossibilité de se dire des mots simples comme « je t’aime ». On était plus dans le paraître que dans l’être...
Et vous auriez pu vous inscrire dans ce moule…
Oui, ne vivre qu’à travers l’aspect professionnel. Passer à côté de mes enfants, de ma femme. Comme un fantôme. Mais avec Aurélie, j’ai mis les pieds dans une famille très soudée. J’ai rencontré des personnes qui vont à l’essentiel, qui n’oublient pas de dire des mots simples, de poser des gestes tendres qui font finalement le sel de l’existence. Le bonheur est parfois là, à portée de main, dans l’instant présent. Ils m’ont appris à le saisir.
Il paraît que vous avez fait une high school aux Etats-Unis. Exact ?
Oui. J’ai fait mes primaires et mes secondaires dans le catho. Ensuite, je suis parti un an aux Etats-Unis où j’ai fait ma rhéto et cette high school. Ce séjour en Amérique m’a fait beaucoup de bien. D’abord, il m’a permis d’échapper à un climat qui n’était pas évident dans la famille. Et puis, il m’a émancipé. En partant, j’étais tout petit et un peu timide. Je suis revenu avec quinze centimètres et dix kilos de plus. Avec une plus grande gueule aussi. En ayant jaugé également à quel point certaines personnes de ma famille et de mes amis comptaient pour moi.
Après les Etats-Unis ?
Je me suis inscrit à l’ULB. avec l’intention de devenir journaliste de presse écrite. Je «kottais» à Bruxelles. Bien que mon père fut un notable relativement riche, je ne recevais que 500 francs (ndlr : 12,5 euros) par semaine. Cela voulait dire : un repas par jour et revenir en stop, sinon je n’avais plus rien pour le week-end. C’était sans doute un peu sévère mais, dans le même temps, je me dis que de par son éducation et ces limites qu’il m’imposait, mon papa m’a donné de bonnes bases. Donc, j’ai commencé à travailler en semaine dans une grande surface pour améliorer mon quotidien. J’étais dans le rayon « vin ». On m’appréciait dans ce premier job parce que je parlais beaucoup avec les clients. Après l’U.l.b., j’ai encore fait un troisième cycle avant de découvrir… le chômage pendant quatre mois.
Pourtant, vous étiez surdiplômé…
Dans une agence d’intérim, on m’a dit que je n’avais pas d’expérience, que j’étais surqualifié et que j’allais coûter trop cher. Aujourd’hui, cela m’aide à comprendre ce que vivent les jeunes qui écrivent des lettres de motivation sans recevoir de réponse. C’est ce qui me fait dire qu’il faut travailler à créer de l’emploi plutôt qu’à poursuivre les chômeurs !
Vous avez connu les petits boulots ?
Plutôt, oui. Pour ne pas rester inactif, j’ai été collaborateur indépendant d’un institut de sondage. J’ai aussi vendu des bouquins en Flandre et j’ai été brancardier au C.h.u. Ah, oui ! J’ai également vendu des friteuses pendant neuf mois pour une P.m.e. du Brabant wallon... En sachant, je le reconnais, que ces friteuses étaient nulles !
Ce n’est pas la même chose avec Ecolo, espérons-le…
(Rires) Franchement, maintenant, c’est l’inverse. Je suis fier de mon «produit» !
Après les friteuses ?
En 1994, j’ai postulé comme assistant universitaire dans le groupe Ecolo à la Chambre. Mes examinateurs étaient Vincent Decroly, Wilfried Bervoets et Xavier Winkel. J’étais premier à l’écrit et, au moment de l’oral, ils m’ont dit : «Tu es assurément le meilleur, mais on retient un autre candidat qui a une longue histoire avec Ecolo». A l’époque, je venais de perdre ma mère et je venais d’apprendre que mon père avait le cancer. Ça m’a fait mal. Plus tard, j’en ai souri... Tout ça pour dire que je me suis accroché, même à Ecolo. Parce que je croyais à ce que je voulais faire. Ensuite, je suis devenu assistant à mi-temps d’une parlementaire. Salaire : 36 000 francs bruts, soit 29 000 nets (ndlr : environ 725 euros net). Comme quoi, on ne gagne pas nécessairement beaucoup d’argent en faisant de la politique ! A cette époque, mon père est mort. J’ai donc contribué avec ma sœur à payer le home où se trouvait ma grand-mère. C’était la galère.
Moment-clé de votre carrière en 1997 : vous êtes nommé président du Conseil de la Jeunesse d’expression française qui regroupe les 85 organisations de jeunesse et groupements reconnus en Communauté française : scouts, patros, jeunesses syndicales, politiques et musicales ; auberges de jeunesse, infor jeunes, Fédération des étudiants Francophones (FEF) et 155 maisons et centres de jeunes, etc...
En effet, cela a été le tremplin. Dans cette fonction, j’ai rencontré énormément de gens. J’ai pu créer des liens, jeter des ponts, faire entendre un point de vue dans les médias. A l’époque, j’ai aussi beaucoup travaillé en coulisses au Parlement. Notamment avec Vincent Decroly, pour la commission d’enquête sur les disparitions d’enfants ou sur l’« affaire Semira Adamu »...
La suite est plus connue : député, secrétaire fédéral… Mais on ne peut évoquer votre parcours sans parler de Jacky Morael. C’est l’homme qui vous a mis le pied à l’étrier ?
Parfaitement. A la fin de mes études, avec des amis, on avait envie de s’investir en politique. On a envoyé des lettres aux quatre grands partis démocratiques et on a reçu trois briques de programmes mais aussi un coup de fil : de Jacky Morael. Il est même venu passer une soirée avec nous... Nous, on flashait déjà sur le programme, mais on a aussi été épatés par l’accessibilité de la personne la plus connue d’Ecolo à cette époque. Il est revenu à Amay à plusieurs reprises et on a créé la locale. On est devenus amis. On l’est resté. On a beaucoup partagé. Des idées, mais aussi des soutiens mutuels dans l’épreuve. Le sens politique de Jacky, à tout moment, est impressionnant. Son retour a ramené plein de gens vers Ecolo.
S’il ne fallait retenir qu’un seul enseignement du scrutin, ce serait...
Ecolo a gagné, mais j’ai aussi une grande fierté : avoir mis le doigt sur des difficultés ou des errements de certains n’a pas profité à l’extrême droite.
Un regret ?
Que mes enfants ne soient pas en âge de comprendre cette belle victoire. Cela dit, j’ai beaucoup enregistré. Pour plus tard... Je suis vraiment fier de ce qu’on a fait.
Pas de contrecoup après une telle bataille?
Je suis crevé ! Hier soir, on a mis la cassette de «Desesperate housewives». Après un quart d’heure, j’ai plongé. Il n’était que 21 heures...
Dans cette série, vous ressemblez plutôt à qui ?
Je crains que ce soit au mari de Lynette... D’ailleurs, j’ai parfois le sentiment qu’Aurélie, qui est infirmière pédiatrique, travaille déjà plus que moi!
Votre avenir immédiat ?
Surtout ne pas rater l’après-victoire. Assurer la mise en place du groupe parlementaire commun Ecolo/Groen. Organiser de nouveaux états généraux pour maintenir la qualité de réflexion du parti. Pour qu’il soit à l’écoute de la société. Le grand public a voté pour nous en ayant perçu la sincérité de notre combat pour la planète et son développement durable. Il ne faut surtout pas décevoir.
Il y a cinquante ans, personne n’aurait pas imaginé un Parlement accueillant autant d’élus écologistes... Prédiriez-vous qu’un jour, il y aura un Premier ministre vert en Belgique ?
Mais bien entendu ! Là ou je vis, à Amay, personne n’avait imaginé qu’il y aurait un bourgmestre vert. Et je suis là. Ecolo a un bon programme et de plus en plus d’expérience et de réalisme politique... On a appris qu’il fallait aller avec la population plutôt que contre elle.
A 60 ans, vous ferez quoi ?
Je serai encore actif. Et je l’espère à un niveau international. Au niveau européen ou à l’ONU.
A 75 ans ?
Je voudrais pouvoir être assis sur le banc, là, près de chez moi. Regarder mes petits-enfants jouer et me dire que j’aurai été utile à quelque chose dans cette société. Je voudrais pouvoir me dire que mon parcours a eu un sens, même s’il n’a représenté qu’une goutte d’eau par rapport à l’immensité des tâches à accomplir pour améliorer la vie des générations futures.
« Joëlle Milquet se trouve dans une position schizophrénique »
La Libre Match. Après les mamours de Didier Reynders pendant la campagne électorale, c’est aujourd’hui Joëlle Milquet qui vous fait plus que des appels du pied dans l’espoir que la future « orange bleue » soit agrémentée d’un peu de menthe verte. Cela vous met en appétit ?
Jean-Michel Javaux. Malgré son slogan (« C’est l’heure h »), Joëlle Milquet me semble être en parfait décalage horaire... Au moment où nous discutons, il n’y a pas encore de formateur et ce n’est pas elle qui occupera cette fonction. Pour le moment, Ecolo n’a été invité à aucune table de négociations, que ce soit par Leterme ou Reynders. Et, bien sûr, nous n’avons reçu aucune proposition d’entrer dans une majorité. Le cas échéant, on examinera. Il n’y a pas d’exclusive, notre objectif étant prioritairement de rester cohérent en termes de contenu, tant sur le plan écologique que social et économique.
Comment décodez-vous la sortie de la présidente du CDH qui reproche aux Ecolos de ne pas «prendre leurs responsabilités» ?
En psychanalyse, on appelle cela un transfert de responsabilité. C’est elle qui a un problème de responsabilité. C’est elle qui se trouve dans une position schizophrénique et qui ne parvient plus à peser le pour et le contre. Donc, elle essaie de détourner l’attention, de dévier le tir... Son grand frère flamand met une grosse pression communautaire, sa proximité avec Elio Di Rupo et avec le parti socialiste, le fait qu’elle doit envisager de s’allier avec Didier Reynders, son meilleur ennemi pendant la campagne électorale... Tout cela est évidemment compliqué à concilier. Elle doit faire ses choix, en tenant compte aussi, bien évidemment, de l’avis de plusieurs barons de son parti... J’en conviens, ce n’est pas facile pour elle. Mais son tourment ne justifie en rien l’attitude irrespectueuse à l’égard d’Ecolo qu’elle a manifestée dans certaines interviews...
«Théo vit encore avec nous »
La Libre Match. La perte de votre fils a-t-elle changé votre vision de la vie ?
Jean-Michel Javaux. Tout. Vraiment tout. Avant cette épreuve, j’étais beaucoup plus superficiel. Dans le paraître. Je courrais partout, je ne me rendais pas compte de l’importance des moments irremplaçables que l’on passe avec ses enfants. Après la disparition de Théo, je me suis interrogé : combien de soirées n’avais-je pas été là pour le voir, lui parler ? Tout simplement pour l’aimer ? C’est cela, «l’essentiel». Aujourd’hui, pour Lola et Augustin, je fais gaffe à ne plus m’éparpiller. Je sélectionne dans mes amitiés, dans mes obligations professionnelles... Au moment où je vous parle, je viens de renoncer à un débat avec Louis Michel et Laurette Onkelinx. J’irai plutôt à un anniversaire à Batice, chez des proches que je n’ai plus vus depuis trop longtemps. Il faut sentir certaines limites, être bien en soi pour être bien avec tout le monde. Si l’on part de chez soi en sachant ses proches heureux, on réalise de meilleures choses aussi sur le plan professionnel. Le départ de Théo a été également la prise de conscience d’une fragilité. Tout peut s’écrouler en une minute. Le jour où c’est arrivé, j’étais chez mon kiné. Je rigolais avec ce copain. Tout allait bien ! Le téléphone a sonné : «M. Javaux, il faut que vous arriviez. C’est très important… ». J’ai pensé à l’inimaginable, mais je n’y croyais pas...
Qu’était-il arrivé ?
Théo était mort dans son sommeil à la crèche. Il avait 18 mois. Pendant des jours, pendant des semaines, j’ai refusé de l’admettre. Je ne pouvais accepter ! Et puis, on accepte tout de même... Mais cela fait de vous quelqu’un de plus inquiet... Ou peut-être de plus conscient. Des pensées vous viennent plus facilement à l’esprit.
Par exemple ?
Quand Aurélie part avec les enfants en voiture, je me dis qu’il pourrait arriver un accident. J’ai trop bien compris que le bonheur peut s’arrêter en une minute. En une seconde. Qu’il ne faut pas galvauder l’instant présent, mais le vivre intensément. Ce que vous avez vécu, on ne peut pas vous le retirer. C’est d’ailleurs aussi ce que je me suis dit après cette soirée électorale historique. Ce 10 juin 2007, il est là. Il a existé. On l’a vécu !
Alors qu’elle venait de gagner Roland-Garros, Justine a levé les yeux vers le ciel pour penser à ses chers disparus…
Moi, c’est tout le temps... Le 10 juin, avant de partir à Bruxelles, je me suis rendu au cimetière pour parler pendant une demi-heure avec Théo. Pour qu’il m’aide à voir clair. A accepter si, d’aventure, les résultats n’avaient pas été bons. Pour qu’il me guide... Théo vit encore avec nous. Il est là pour la famille, pour son frère et sa sœur. Lola n’est pas l’aînée, c’est la deuxième. Perdre un père ou une mère est très difficile parce qu’on est privé de ses racines. Perdre un enfant, c’est être séparé d’une partie de soi. Un membre vous est arraché. C’est violent. Brutal. On perd sa pudeur. On s’en fout de pleurer devant tout le monde. Tout s’écroule. Ensuite, on se rend compte que beaucoup d’autres gens sont aussi passés par là, mais qu’ils en parlent peu. La mort est tabou dans notre société. La mort des enfants l’est encore plus. J’ai évoqué Théo sur le plateau de Vrebos ; des tas de personnes m’ont écrit pour me remercier. Cela avait libéré quelque chose chez elles ; dans leur famille, on avait osé en reparler. J’écrirai un jour un livre sur la mort, c’est certain.
Le fait d’être croyant vous a aidé dans cette épreuve ?
Moi, oui, cela a renforcé ma foi. Aurélie, non. Elle en veut à Dieu. Désormais, il y a une peur en moi. Une peur de dire ou de faire quelque chose qui aurait des conséquences... Comment dire ? Je ne veux plus prendre le moindre risque qui ferait que cela puisse se reproduire. Je suis toujours croyant. Parfois, je me dis : « Je ne vais pas provoquer Dieu parce que je ne voudrais pas qu’il ennuie un de mes gosses suivants ».
L’avenir immédiat, ce sera aussi un heureux événement ?
En effet, Basile nous rejoindra au mois d’août.