Un article publié par l’hebdomadaire Paris Match Belgique, le jeudi 23 janvier 2020. Désormais en accès libre sur le site de Paris Match Belgique.
Photo : Ronald Dersin.
Les « vieux » d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Bien informés, hyperconnectés, les papys et mamys 2.0 ne se retirent plus du monde comme le faisaient leurs aïeux. Et s’ils s’assemblent, ce n’est plus seulement pour rester entre eux à battre les cartes. Militants, citoyens engagés, ces « vieux » se battent pour eux mais plus encore pour les jeunes, comprenez les vieux de demain. Ils réclament une pension universelle de 1 600 euros net, des maisons de repos financièrement accessibles et mieux contrôlées, la possibilité de jouir d’une retraite épanouissante. Blessés dans leur dignité, ils sont en colère contre un système qui ne leur rend pas ce qu’ils lui ont donné, une longue vie de labeur durant.
A croire certains magazines qui leur sont dédiés, à voir des publicités qui nous les montrent grisonnants mais souriants, retraités mais hyperactifs, souvent encore sportifs et globe-trotters, les vieux d’aujourd’hui sont heureux et en pleine forme. Dans de récentes confessions sur papier glacé, l’essayiste français Pascal Bruckner clamait avec un enthousiasme non feint la prétendue nouvelle devise de l’époque : « Liberté, activité, longévité ! » Il l’explicitait en ces termes : « Grâce aux progrès de la science et de la médecine, nous disposons d’un “bonus” de vingt ans, entre 50 et 70 ans, qui reste l’âge de tous les possibles. » Ces vieux « idéaux » dont on nous entretient existent certainement : ils sont à l’aise financièrement, ont eu une vie professionnelle épanouissante, un métier point trop pénible, ils ont bénéficié d’une situation familiale stable, sans divorce, sans burn out, sans bore out, sans harcèlement et en échappant à tous les autres maux de l’époque. Bien sûr, ils n’ont jamais été chômeurs. Et pour ceux qui furent indépendants, les affaires ont été bonnes. En bref, qu’ils viennent du hasard ou d’ailleurs, les malheurs les ont épargnés. Ou, mieux encore, comme le dit un proverbe presque culpabilisant qui a une allure de slogan, « ce qui ne les pas tués les a rendus plus forts ». Tant sur le plan physique que mental, leur santé est excellente. Sans doute n’ont-ils point trop bu ou fumé. Ils sont propriétaires de leur logement et, toute leur vie, ils ont pu économiser. Cela leur permet de vivre leur dernière tranche de vie dans le confort.
Mais à côté de ceux pour qui la vie est un long fleuve tranquille, il y a tous les autres. Et ils sont très nombreux. Selon une estimation d’Eneo, le mouvement social des aînés, une personne de plus de 65 ans sur trois vit en-dessous du seuil de pauvreté en Belgique. « On en a assez des discours qui font mine d’ignorer cette réalité. Quand l’actuel ministre des Pensions parle des vieux, il évoque Jane Fonda, comme si nous étions tous bien portants et aisés. Mais nous ne sommes pas tous des Jane Fonda. C’est insupportable ! » s’indigne Michel Huisman. Cet homme de 75 ans est un vieux en colère. Son ire a pris forme lors d’un repas entre amis : « On était content d’être ensemble et on rigolait bien. Et puis l’un d’entre nous a jeté un froid : “Vous savez, moi je n’ai que 600 euros de pension.” Bien sûr, son revenu est complété par une allocation sociale, la Grapa (garantie de revenus aux personnes âgées), qui permet d’atteindre les 1 200 euros, mais c’est bien peu pour un isolé. Surtout quand il y a encore un loyer à payer, des frais médicaux. C’est trop peu quand on doit envisager d’aller dans une maison de retraite, où le prix d’entrée minimum est de 1 500 euros. Ne parlons même pas du privé : je vous parle ici du secteur public qui, par ailleurs, n’offre pas assez de places. Bref, cette soirée-là fut finalement consacrée à une grande discussion sur la place des vieux dans la société, sur les pensions trop basses et les maisons de retraite trop chères. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait se bouger. Car le silence entretient l’injustice. Tout passe, si on ne dit rien. Alors, on a décidé de se faire entendre et on ne lâchera pas l’affaire ! »
Michel Huisman (c) Ronald Dersin.
Michel, 75 ans : « Quand les gens vieillissent, il arrive un moment
où ils n’en ont plus rien à f… il Il y a une espèce de force chez les vieux car ils n’ont plus grandchose à perdre »
Ainsi est né, en janvier 2018, un étonnant « Gang des Vieux en colère ». Le nom donne déjà la tonalité. « Nous sommes non violents et nous manifestons avec humour. Parfois, on se déguise pour appuyer nos revendications », complète Danny Degrave, une « gangster » bruxelloise âgée de 75 ans. Pour autant, les responsables politiques auraient bien tort de prendre ces révoltés pour des rigolos. En deux ans d’existence, le Gang revendique déjà plus de 11 000 membres et sympathisants. Il multiplie les réunions de travail, les interpellations et les prises de position. Il a sa page Facebook, son site internet, ses réseaux dans la presse et dans le monde de la culture. Inattendus et diablement efficaces, ces « gangsters » sont aussi très déterminés. « Quand les gens vieillissent, il arrive un moment où ils n’en ont plus rien à f… Il y a une espèce de force chez les vieux car ils n’ont plus grand-chose à perdre. Il n’y a plus de plan carrière ! On va me mettre à la porte alors que je suis déjà aux portes de l’enfer… ou du paradis ? » ironise Michel Huisman. Ce « gangster » souligne la « capacité de rébellion inouïe des vieux » : « Ils sont intouchables. On ne peut pas pousser les vieux au risque de leur casser les os. Les policiers le savent. Ils ne nous molestent pas quand on manifeste. Et nous, on leur offre des fleurs. C’est le “flower power” des vieux en colère, un héritage de 1968. »
Ces vieux en colère offrent des fleurs, mais parfois aussi des couronnes. Comme en mai 2019, lorsqu’ils organisèrent les funérailles de la sécurité sociale devant le Parlement européen à Bruxelles. Ils chantent aussi. « On nous l’avait tout dit-promis, une jolie petite pension… » (air connu). Comme au début de ce mois de janvier, quand ils envahirent par surprise une maison de repos en Région bruxelloise. Ce jour-là, la porte leur avait été ouverte par un résident, Jacques Raket (73 ans), lui-même membre du Gang ; très mobilisé, alors qu’on vient de lui enlever un demi-poumon et qu’il se déplace difficilement. Il dit : « Personnellement, je ne me plains pas de mon sort, le lieu où je vis est bien géré. Mais à deux pas d’ici, dans un home privé, je sais que les gens souffrent. Un jour, j’ai raccompagné une connaissance dans cet endroit où ce malheureux paie un loyer bien plus cher que dans mon home public. Jamais, je ne voudrais être abandonné dans un tel mouroir, où vous n’êtes plus traité comme une personne. » Cela l’amène à souligner l’un des principes fondateurs du Gang, l’altruisme : « Ma situation n’est pas la pire, mais je me mobilise pour les autres. Trop de vieux vivent des situations inacceptables dans ce pays. »
La suite de cet article est désormais en accès libre sur le site de Paris Match Belgique.
Ils manifestent avec humour mais le monde politique aurait bien tort de les prendre pour des rigolos. Les « vieux » du gang sont bien organisés, bien informés et très déterminés. (Photo : Ronald Dersin)
Paul, 65 ans : « Comment assurera-t-on des conditions de vie acceptables pour ces vieux qui seront encore plus nombreux demain ? »
Paul Lhoir (Photo : Ronald Dersin)
Extrait vidéo de l’un des entretiens réalisés lors de ce reportage.
Françoise, 67 ans : « Cette augmentation que le gouvernement accorderait aux pensionnés, elle servirait essentiellement à faire tourner l’économie »
Françoise Michiels (Photo : Ronald Dersin)
Mirko, 71 ans : « Les vieux se documentent, ils connaissent les données de l’équation : il faut 3 milliards pour revaloriser les pensions »
Mirko Popovitch (Photo : Ronald Dersin)
Danny (75 ans) : Avant les élections, on a rencontré la plupart des présidents de parti. Ils nous ont fait des déclarations qui rejoignaient nos revendications. On attend de voir ce qu’il en restera en cas d’accord de gouvernement
Danny Degrave (Photo : Ronald Dersin)
Pol Buisseret (73 ans ) : Même si cela ne fera pas plaisir à l’important lobby des assurances, nous rejetons aussi toute dérive vers un système de pension individuelle et privée. Le droit à une pension se trouve dans la Constitution. Il doit être garanti par l’Etat. Son montant doit être décent. »
Pol Buisseret (Photo : Ronald Dersin).
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Complément
« 1 personne âgée sur 5 estime être maltraitée! » – Le blog de Michel Bouffioux
Anne Moreau Un entretien publié dans l’hebdomadaire belge « Ciné-Télé Revue », le 12 janvier 2006 En Belgique, 20 % des seniors estiment être l’objet de maltraitances! Des chiffres qui font froi…
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