Un entretien publié par l’hebdomadaire belge Ciné-Télé Revue, le 15 septembre 2005.
50 à 100 litres d’eau au mètre carré ! Dans la seule nuit du samedi 10 au dimanche 11 septembre, le ciel a arrosé la Belgique comme il le fait normalement… en un mois. A la clé, bien sûr, des inondations aux quatre coins du pays. Une fois de plus ! Durant la dernière décennie, il ne s’est pas passé une année sans que des Belges ne se retrouvent les pieds dans l’eau et dans la boue. « Et dans les années à venir cette tendance va certainement se confirmer » prédit Jean-Claude Gérard, professeur de physique atmosphérique à l’Université de Liège. « Même si tous les Etats du monde mettaient tout en œuvre – ce qui est loin d’être le cas…- pour lutter contre les dérèglements climatiques, les effets positifs ne pourront être espérés que vers la fin de ce siècle. Dans l’intervalle, il faudra faire avec. L’enjeu des prochaines années, ce sera donc aussi de s’adapter au changement de climat ». Traduction : ce n’est qu’un début. Dans les prochaines décennies, le ciel nous tombera encore souvent sur la tête!
– Des pluies torrentielles suivies d’inondations, est-ce un scénario auquel les Belges devront s’habituer dans les années à venir?
– Cette augmentation de la pluviosité a été largement anticipée par la communauté scientifique. Elle fait partie des conséquences liées au réchauffement climatique, lui-même causé par l’effet des gaz à effet de serre. A cet égard, il faut savoir que même si les Etats du monde mettaient tout en œuvre – ce qui est loin d’être le cas…- pour lutter contre le réchauffement climatique, les effets positifs ne pourront être espérés que pour le prochain siècle. Dans l’intervalle, il faudra faire avec. En d’autres termes, je crois que les Belges doivent s’attendre à voir se multiplier le type d’évènements extrêmes que l’on a connu ce week-end. La question qui se pose aujourd’hui demeure bien évidemment de savoir comment le monde diminuera sa consommation d’énergies polluantes qui ont pour conséquence de modifier le climat. Mais dans le même temps, pour les prochaines décennies, elle se doublera d’un autre enjeu tout aussi crucial : comment allons-nous faire pour nous adapter à la nouvelle donne climatique ?
Traduction : il y aura sans doute d’autres pluies torrentielles et la question est aussi de savoir comment on va s’y préparer pour qu’il y ait moins d’inondations ?
– Exactement. Il y aura probablement d’autres pluies torrentielles, comme il y aura d’autres hivers sans gel et sans neige. Il y aura probablement d’autres étés caniculaires comme celui de 2003 : quelles mesures seront prises pour éviter une surmortalité dans certaines parties de la population. Va-t-on équiper l’ensemble des hôpitaux et des maisons de repos de système de climatisation ? Ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Pour revenir aux inondations, il faudra penser autrement les politiques d’aménagement du territoire. Notre société est désormais condamnée à s’adapter. Il faut que les gens et même certains politiques, arrêtent de croire que tout va aller mieux demain si l’on pollue moins aujourd’hui. Ce sera plutôt après-demain. Si vous n’avez pas fait de sport pendant dix ans, ce n’est pas en roulant à vélo pendant une après-midi que vous allez trouver une forme olympique… Même en ne polluant plus aujourd’hui, il faudrait plusieurs années pour les gaz à effet de serre qui sont naturellement présent dans l’atmosphère reprennent leur valeur d’équilibre.
– Donc, pour nos contemporains, le mal est fait ?
– Pour les personnes qui vivront au 21ème siècle, certainement. Le climat continuera à se dérégler. Et il faut espérer que des efforts suffisants auront été entrepris durant tout ce siècle qui porteront leurs fruits pour les générations suivantes.
– En attendant, à quel scénario climatique faut-il s’attendre ?
– D’ici à la fin du siècle, il y aura un réchauffement global de 2 à 5°. Mais cette tendance sera répartie d’une manière inégale. Les régions les plus proches des pôles se réchaufferont plus que celles plus proches de l’équateur. Pour ce qui concerne la Belgique, cela se traduira par des hivers plus doux et pluvieux et des étés plus chauds avec, à la fois des séquences de fortes sécheresses et des moments de pluies intenses comme celles que l’on vient de connaître.
– Dit comme cela, un réchauffement de 2 à 5°, cela ne semble pas si grave ?
– Pourtant, en termes de conséquences, c’est énorme. Je vous donne un point de repère. Nous vivons en ce moment une période interglaciaire qui a succédé à la période glaciaire. Tout le monde a entendu parlé de cela à l’école. Mais ce qu’on imagine mal, c’est que la température moyenne de la terre, à l’époque de la période glaciaire n’était pas inférieure de 50° à celle que nous connaissons aujourd’hui; La différence moyenne n’est que de 8° à 10°. Or, l’époque glaciaire, l’endroit où se trouve New-York était encore une banquise et les glaciers descendaient jusqu’au sud du Danemark…
– Donc quelques degrés de plus…
– C’est très significatif! En raison de la fonte des glaciers et de la plus grande évaporation de l’eau, il pleuvra plus souvent. En tous cas, dans certaines régions comme la Belgique car, par ailleurs, il y aura aussi une redistribution. D’autres zones seront plus touchées par des sécheresses prolongées. Ainsi, la désertification du Sahel devrait s’accentuer. On devrait aussi assister à une élévation du niveau des océans. De 20 cm à environ 1 mètre selon les modèles. Cela posera des problèmes considérables dans certaines parties du monde – comme par exemple chez nos voisins hollandais – où des zones d’habitat sont implantées en dessous du niveau –actuel- de la mer.
– La côte belge pourrait-elle être menacée ?
– Face à un océan avec un niveau d’eau plus élevé, elle pourrait être plus exposée en cas d’intempéries et de grandes tempêtes.
– Risque-t-on un jour de connaître en Belgique de phénomènes du type de «Katrina» qui vient de ravager la Louisiane ?
– Du point de vue climatique, on est dans une zone aux risques limités. Les cyclones prennent naissance au large de l’Afrique équatoriale et puis elles traversent l’Atlantique pour s’écraser sur les Etats-Unis, Cuba etc… Pour nous, les principales catastrophes seront des inondations. Et celles-ci risquent d’être plus fréquentes et plus fortes sur tout le continent européen –voir la Roumanie, il y a peu- comme d’ailleurs certains épisodes de sécheresse tels que celui que vient de connaître le Portugal.
– En cause également du réchauffement climatique, des scientifiques estiment qu’un tiers des espèces encore vivantes aujourd’hui pourraient avoir disparu dans les cinquante prochaines années ?
– En effet. Il est évident que ces quelques degrés de différence auront aussi un impact considérable sur la biodiversité. Par exemple, les épicéas qui peuplent nos forets d’Ardennes risquent d’être un beau souvenir pour nos petits enfants. Ces arbres supportent mal les sécheresses d’été et les stress hydriques.
– A contrario, d’autres espèces pourraient croître?
– En Wallonie, on observe notamment l’apparition de libellules qui ne vivaient auparavant que dans des climats méridionaux. D’autres insectes autrefois présents en Afrique commencent à s’installer dans le sud de l’Europe. Ce qui pose des problèmes sanitaires car ils peuvent être vecteurs de maladies qui avaient disparu de notre continent telle la malaria.
– Croyez-vous que les terriens finiront par apporter une réponse à la hauteur du défi climatique qui se présente à eux ?
– Il est évident que les opinions internationales sont de plus en plus conscientes des enjeux. Mais dans le même temps, il faut bien constater que cela ne traduit pas nécessairement par des choix politiques radicaux. Par exemple, le Protocole de Kyoto qui visent à la réduction de l’émission de gaz à effet de serre est en soi largement insuffisant… Tous les scientifiques savent que ce n’est qu’un petit pas fort symbolique. Mais même pour faire ce petit pas en avant, on ne parvient pas à obtenir la ratification de tous les Etats de la planète. En plus, ratifier un document c’est une chose. Mettre réellement un tel plan en œuvre, c’en est encore une autre. Et là, il y a encore moins d’Etats qui sont dans le bon. La Belgique, par exemple, est en retard par rapport à ses engagements de Kyoto.
– Dans un tel contexte, même en étant conscientisé, le citoyen peut se sentir quelque peu impuissant ?
– Dans les démocraties, l’opinion s’exprime aussi au travers des élections, il ne faut tout de même pas l’oublier. De plus, il est faux de croire que l’on ne pourrait rien faire à l’échelle individuelle. La consommation d’un pays, c’est tout de même la somme des consommations individuelles.
– Quelques conseils ?
– Il y a énormément de petits gestes du quotidiens qui peuvent aider à lutter contre le réchauffement climatique. Eteindre la lumière dans les pièces inutilisées, même pour une courte durée, utiliser des ampoules à faible consommation d’énergie, ne pas laisser le chauffage allumé quand on aère la maison, ne pas laisser des appareils électroniques en veille (ordinateurs, tv, chaîne hi-fi…), ne pas utiliser sa voiture pour de courtes distances, conduire de manière souple… Tout le monde connaît ce genre de conseils mais trop de personnes se disent encore que ce n’est pas leur petite contribution qui changera quelque chose. Finalement, bien que comme tout le monde je peste en voyant le prix de mon mazout de chauffage, je me dis que la crise pétrolière présente probablement des aspects positifs. Aujourd’hui, tant les citoyens que les Etats sont pris à la gorge. C’est un contexte qui peut être favorable à une évolution radicale des habitudes et à un renouvellement des sources d’énergie. C’est triste à dire, mais tant qu’il n’y a pas de pression financière, les choses bougent lentement. En économie, nécessité fait loi.
– Renouveler les sources d’énergie, d’accord. Mais par quoi remplaceriez-vous le pétrole ?
– Tout le monde est d’accord pour constater que les éoliennes n’y suffiront pas. Pourtant l’augmentation prévisible des prix pétrolier, ainsi que la pollution qu’ils créent, pousseront nos sociétés à s’écarter de cette source d’énergie. Ce qui repose la question du nucléaire lequel n’est d’ailleurs pas producteur d’effet de serre.
– Vous êtes de ceux qui pensent que la décision de la Belgique de sortir du nucléaire a été prise trop rapidement et manière irréfléchie ?
– Je pense que beaucoup de ceux qui l’ont décidé se rendent compte aujourd’hui que cela devra faire l’objet d’une réévaluation car l’on va bientôt entrer dans une période intermédiaire où il faudra réduire très fortement la consommation de pétrole sans autre vraie solution de rechange que celle du nucléaire. Sauf bien sûr, à réduire drastiquement la consommation d’énergie et à obliger les consommateurs à utiliser des énergies renouvelables. Mais je ne crois pas que l’on soit dans un régime où l’on va envoyer des policiers chez les gens pour surveiller leur thermostat!
En attendant le parlement…
François de Clippele, porte-parole d’Assuralia, l’Union professionnelle des entreprises d’assurances l’admet, «les compagnies d’assurances n’aiment pas plus les inondations que ceux qui en sont directement victimes. D’ailleurs, le dérèglement climatique est un sujet qui est suivi de près par notre organisation professionnelle. On est en contact régulier avec les climatologues». On comprend cette préoccupation alors que, bientôt, le législateur imposera la couverture des risques d’inondation dans tous les contrats d’assurance incendie. Et au rythme où les inondations se succèdent, de très gros montants seront en jeu. Bientôt ? «Ce sera peut-être quelques mois ou dans un an, cela dépendra de la célérité du parlement. Un texte en ce sens a été voté à la chambre des représentants. Le sénat n’a pas utilisé son droit d’évocation. Dès lors, il n’y a plus qu’à mettre en place les arrêtés d’exécution. Malheureusement, pour ceux qui viennent d’être inondés, c’est déjà trop tard», explique le porte-parole d’Assuralia
En attendant, deux cas de figure sont possibles pour les victimes des trombes d’eau de ce week-end. Soit elles ont la chance d’avoir un contrat dans l’une des rares compagnies qui prévoient le risque d’inondation dans leur contrat d’assurance d’incendie. Soit, et c’est l’immense majorité, elles ont contrat plus classique. «Dans cette seconde hypothèse», explique M. de Clipelle, «les assureurs font la distinction entre les dégâts par infiltration par le toit, les gouttières et les murs, et ceux qui ont été causés par débordement. En résumé, tout les dégâts qui viennent du haut sont couvert mais pas ceux qui viennent du bas. En attendant que le législateur impose la couverture «inondation» dans tous les contrats, les victimes doivent donc continuer à s’en remettre à l’intervention du Fonds des calamités.»
Comment y accéder ? La première chose à faire est de dresser une liste des dégâts et de la transmettre à la commune de sa résidence. Celle-ci en prendra acte et transmettra un dossier avec toutes les listes établies par ses administrés au gouverneur de la province. Ayant pris connaissance de l’ampleur générale des dégâts occasionnés, le gouverneur fera une demande de reconnaissance de calamité au ministre de l’Intérieur… Qui portera le dossier devant le conseil des Ministres. Lequel consultera l’Institut Royal de Météorologie (IRM) sur le «caractère exceptionnel de la catastrophe». Le cas échéant, le caractère de «calamité naturelle» sera alors reconnu, ce qui ouvrira la voie à la signature d’un arrêté par le Roi qui devra encore être publié au Moniteur belge.
Ce n’est qu’ensuite que le Fonds des calamités aura la possibilité d’indemniser les sinistrés. «Il s’agit d’une indemnisation basée sur une grille tarifaire «Une chaussure vaut autant, une paire de chaussette, autant. C’est beaucoup moins précis que les évaluations de sinistres faites par les assureurs», précise M. de Clipelle. A ce stade, les victimes des inondations devront introduire leur demande d’indemnisation auprès du gouverneur via un formulaire type. Lequel peut être téléchargé sur le site du ministère de l’Intérieur ou retiré à la commune. Il est très fortement conseillé de joindre des photos au dossier! S’en suivra alors la visite d’un expert à domicile pour estimer les dommages… avant qu’enfin la Caisse nationale des calamités envoie son chèque.
Tout serait plus simple évidemment si le parlement en venait à finaliser la nouvelle loi sur les contrats d’assurance incendie… Lorsque ce sera enfin le cas, chaque contractant payera une prime supplémentaire de 5 euros par tranche de 25.000 euros assurés. Même ceux qui ne risque rien en termes d’inondation. C’est en quelque sorte le prix d’une solidarité qui s’impose.
Numéro vert pour les victimes d’inondation : 0800.94.133. A former entre 8 heures et 17 heures, les jours ouvrables.
- Elon Musk, fragile viriliste tourmenté : « Il finira peut-être comme Howard Hughes »
- Climat, le temps de l’adaptation : « Nous devons bien mieux nous préparer à survivre dans un monde plus chaud »
- Jeunes aidants proches, ces héros invisibles
- Il y a 80 ans, les civils dans le feu de la bataille des Ardennes
- Enfants du divorce : « Plus il y en a, moins on les voit »