Il y a 100 ans, il fut le premier coureur de l’histoire du Tour de France à arriver en jaune à Paris (l’intégralité de cet article est en accès libre sur le site de Paris Match Belgique)
Un récit publié par l’hebdomadaire Paris Match Belgique le 4 juillet 2019 et sur le site Paris Match.be, le 8 juillet 2019.
Ils partirent à 67, ils arrivèrent à 10. Il y a 100 ans, un Wallon qui vivait en Flandre gagnait le premier Tour de France de l’après-Première Guerre mondiale. Une course dantesque, trop longue, avec un règlement trop sévère, des vélos trop lourds roulant sur des routes et chemins dégradés par les années de guerre. Cette année-là, Henri Desgrange inventa le maillot jaune pour distinguer le leader du classement général au sein du peloton. Le 27 juillet 1919, au bout de l’enfer, Firmin Lambot, originaire de Florennes, résidant à Anvers, fut le premier coureur de l’histoire du Tour à ramener la tunique d’or à Paris.
Le premier coup de pédale fut donné au milieu de la nuit, le 29 juin 1919, quelques heures à peine après la signature du Traité de Versailles. Un étrange horaire qui ne découragea pas un public nombreux de venir les encourager avant qu’ils se lancent dans une improbable odyssée de 5 560 kilomètres. 67 coureurs au départ. Principalement des Français et des Belges. Autant d’aventuriers qui s’étaient rassemblés vers une heure du matin au Parc des Princes, trépignant d’en découdre, sans doute un peu angoissés par le « calvaire » qui leur était promis. Sous les acclamations, ils enfourchèrent leur lourde monture, 12 kilos à tirer sans dérailleur, alourdis encore par leur imposant chargement fait de boyaux de rechange, d’outils pour réparer eux-mêmes les bris de machine, de deux bidons sur le guidon, d’une besace contenant quelques victuailles. Ils empruntèrent la rue de la Tourelle et puis la route de la Reine, pour se rendre place d’Armes à Boulogne-Billancourt, tout près du pont de Saint-Cloud, qui enjambe la Seine. C’est là que le directeur du journal L’Auto, Henri Desgrange, à bord d’une Brasier décapotable dédiée à la Grande Boucle, donna le signal du départ. Il était 3 heures du matin.
Ainsi recommença le Tour de France en 1919, après quatre ans d’interruption, sans quelques-uns de ses champions des éditions précédentes qui, comme tellement d’autres hommes, avaient servi de chair à canon pendant la Grande Guerre. D’ailleurs, les stigmates de cette folie destructrice, causée par des visions nationalistes obtuses renforcées par l’avidité d’industriels, étaient encore évidents. A Paris, çà et là, des fortifications, des canons rappelaient d’où l’on venait, tandis que les routes de France étaient dans un état lamentable, proche de l’impraticabilité. La plupart des gladiateurs qui pénétraient dans cette arène étaient trop peu entraînés. Nonobstant, les organisateurs de la course l’avaient décidé, ce treizième tour serait plus long que tous les autres précédemment organisés, car il fallait bien passer par l’Alsace et la Lorraine, reprises aux Allemands.

Un portrait de Firmin Lambot réalisé à la veille du départ du Tour 1919 à l’initiative des organisateurs de l’épreuse (photo BNF-Gallica)
« Cette bataille sera rude, mais tant mieux. Plus elle sera dure, plus elle sera splendide »
Henri Desgrange l’avait claironné dans le journal L’Auto, quelques jours avant le départ : « Ce Tour de France 1919 laissera derrière lui, au point de vue difficultés de toutes sortes, tous les Tours de France précédents (…) Cette bataille sera rude, mais tant mieux. Elle fera de nombreuses victimes, tant mieux encore : plus elle sera dure, plus elle sera splendide ». Aussi le règlement de l’épreuve dessinait- il les contours d’un spectacle qui ravirait les producteurs de télé-réalité de notre temps. Le « grand drame de la route » se voulait « terrible », « surhumain », « effarant ». Il promettait « une gloire qui rejaillira éternellement sur celui de nos braves qui se sera adjugé le Tour de France 1919 ». Pour conquérir le Graal, les compétiteurs devaient « faire toute la course sur la même machine » et se voyaient contraints de la réparer eux-mêmes en cas de panne ou de crevaison. Surtout, il était exigé que l’exercice soit totalement solitaire, à l’inverse des épreuves actuelles qui sont fortement influencées par les stratégies d’équipe : « Le coureur du Tour de France est placé dans la situation d’un routier qui part seul à l’entraînement. (…) Il ne peut recevoir aucune aide de qui que ce soit, cette interdiction allant pour lui jusqu’à l’obligation de puiser de l’eau lui-même aux sources ou fontaines qu’il peut rencontrer. La course se dispute sans entraîneurs et suiveurs, ni soigneurs, sauf aux étapes. Le coureur ne peut aider en quoi que ce soit ses camarades ou concurrents et ceux-ci ne peuvent rien accepter de lui ».
Un règlement appliqué à la lettre dès la première étape, Paris-Le Havre, longue de 388 kilomètres. Une distance habituelle à cette époque. Elle est remportée par le belge Jean Rossius après une belle échappée entamée à proximité des falaises d’Etretat et 15 heures 56 minutes d’efforts. Cependant, quelques instants après sa victoire, le Soumagnard apprend que les commissaires le rétrogradent à la dixième place avec 30 minutes de pénalité. Sa faute ? Un geste de solidarité : avoir donné un bidon d’eau à un concurrent en difficulté, le flamand Philippe Thys (vainqueur du tour 1914), lequel, atteint de crampes d’estomac, ne sera pas au départ de la seconde étape.

Comme trente autres coureurs d’ailleurs, épuisés par les routes caillouteuses, la pluie incessante, le froid, les crevaisons à répétition impliquant qu’ils réparent eux-mêmes, les mains gourdes, leurs corps transformés en pathétiques pantins de boue et de souffrance. Imaginerait-on aujourd’hui un cycliste qui roulerait 27 heures pour arriver au bout d’une étape du tour ? Le carolo Hector Heusghem le fit, comme le rappelle Jean-Paul Bourgier dans l’un de ses ouvrages passionnants, rappelant ce que fut le cyclisme à l’époque de ces téméraires aventuriers : victime de multiples incidents mécaniques, le « colosse de Montignies » arriva au Havre le 30 juin à 6 heures du matin. Hors délai, cela va de soi.
Durant la deuxième étape, Le Havre-Cherbourg (364 kilomètres), il pleut pendant 12 heures, vent de face la plupart du temps. Cela provoque une nouvelle hécatombe, de multiples abandons. Cette étape est aussi la première page d’un conte moral comme les grandes épreuves sportives en regorgent. Les frères Pélissier arrivent en tête dans le Cotentin, Henri, l’aîné, devançant Francis. La France exulte. Elle croit déjà tenir son vainqueur bleu-blanc-rouge. Tout à sa joie, Henri Desgrange n’est pas loin de l’embardée. Dans les colonnes de « L’Auto », il évoque un Tour de France créé « par une sélection rigoureuse, impitoyable, une sorte de modèle humain musculaire qui se reproduirait ensuite dans la race, comme on distingue dans les races de chevaux, les qualités de courage, les aptitudes spéciales, les vertus musculaires, qu’un étalon, jadis, vint imprimer à sa descendance« .
« Je suis un pur-sang, mes adversaires sont des chevaux de tombereau… «
A l’issue de l’étape suivante (Cherbourg-Brest, 405 kilomètres), ce sont encore les Pélissier qui l’emportent, Francis ayant cette fois devancé Henri. Et ce dernier, bien trop hâbleur, en rajoute. Peut-être influencé par les considérations du directeur du Tour, il déclare : « Je suis un pur-sang, mes adversaires sont des chevaux de tombereau (…) Je suis le plus fort. » Cette suffisance irrite le peloton. Lors de la quatrième étape (Brest-Les Sables d’Olonne, 412 kilomètres), Henri Pélissier s’arrête à Quimperlé pour resserrer sa direction. Aussitôt ses adversaires démarrent, menant un train d’enfer pour le distancier. La poursuite dure 300 kilomètres, conduisant à l’épuisement moral et physique du compétiteur trop fier. A quelques kilomètres de l’arrivée, Pélissier s’arrête pour boire l’eau que lui donne une paysanne. Il lui dit : « Le Tour de France est un truc de forçat et je vais laisser cela là !« . A orgueil ne manque tourment.

« Alors qu’il roule dans les faubourgs de Valenciennes, porteur du maillot jaune créé par Henri Desgrange lors de la dixième étape, sa fourche se brise. Une fois de plus, Eugène Christophe répare lui-même, perdant 70 minutes sur ses adversaires et tout espoir d’inscrire son nom au palmarès de la Grande Boucle. »
Un abandon de plus, donc. Un renoncement parmi bien d’autres. Dans la nuit du 6 au 7 juillet, ils ne sont plus que dix-huit à prendre le départ de l’étape la plus longue de ce tour dantesque : Les Sables-Bayonne, 482 kilomètres ! Un autre Français occupe désormais, et pour longtemps, la première place du général : Eugène Christophe, 33 ans, surnommé « Le Vieux Gaulois ». C’est une célébrité tragique du peloton. Lors du tour 1913, il avait ému les « sportsmen » français en cassant sa fourche dans la descente du Tourmalet, alors qu’il était leader virtuel du classement général. Courageux, il avait marché avec son vélo sur l’épaule pendant quelque 10 kilomètres jusqu’au village de Sainte-Marie-de-Campan où il avait trouvé une forge pour réparer, perdant quatre heures et ses illusions, mais finissant tout de même. A l’arrache. Dans le tour 1919, Christophe croit légitimement que la roue a tourné : il va enfin gagner !
Tour de France 1919 : le Belge Lambot gagne au bout de l’enfer
Ils partirent à 67, ils arrivèrent à 10. Il y a 100 ans, Firmin Lambot, un Wallon qui vivait en Flandre, gagnait le premier Tour de France de l’après-Première Guerre mondiale. Récit d’une cou…

Firmin Lambot, aux côtés de son épouse, célèbre sa victoire à Paris, le 27 juillet 1919. (Photo : BNF-Gallica)

Paris, le 27 juillet 1919 : tour d’honneur de Firmin Lambot au Parc des Princes. (Photo BNF-Gallica)
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