Un entretien publié le 13 juin 2024 par l'hebdomadaire Paris Match Belgique et le 15 juin 2024 par le site Paris Match.be
Comment interpréter les résultats des élections du 9 juin en Belgique ? Quelles seront les coalitions possibles ? Les gagnants, les perdants, l’avenir du pays ? Vincent de Coorebyter, professeur à l’ULB en philosophie sociale et politique contemporaine et président du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques), analyse la nouvelle donne politique.
Paris Match. Quel est, selon vous, le résultat le plus marquant de ce scrutin ?
Vincent de Coorebyter. Globalement, c'est le glissement à droite de l'électorat belge. À la Chambre des représentants, si l'on additionne les voix de la droite (N-VA, MR, Open Vld), de l'extrême droite (Vlaams Belang) et des partis issus de la tradition sociale-chrétienne (CD&V, Les Engagés), qu'on peut classer au centre-droit, on arrive à 96 sièges sur 150.
Un message clair de l'électeur ?
Un message de l'électeur, cela n'existe pas. En tant que citoyen, vous ne pouvez en aucune manière indiquer le sens de votre suffrage. Si vous voulez le préciser sur votre bulletin papier, votre vote est annulé. De plus, l'électeur n'anticipe pas le résultat de l'élection et ne participe pas aux négociations qui s'ensuivent. Soyons donc prudents quand on parle de message. Cela dit, les trois partis de gauche ont reculé en Wallonie et les vainqueurs partagent des priorités plus marquées à droite dans les domaines budgétaire, économique et social. Par exemple, la rigueur budgétaire, un accent sur les questions de sécurité, une certaine fermeté à l'égard des chômeurs qui, si l'on se réfère aux programmes de ces partis qui ont gagné les élections, pourraient voir leurs indemnités de chômage interrompues après deux ans. Les gagnants partagent incontestablement ces priorités avec, en plus, côté flamand, une insistance forte sur la question de l'immigration.
Qui sont les grands gagnants des élections ?
Même si cela peut paraître paradoxal dans un contexte général de glissement à droite, je dirais que c'est d'abord Vooruit, du côté flamand.
Les socialistes avant les indépendantistes de la N-VA ?
Oui, parce que si le score de la N-VA est excellent par rapport à ce qu'annonçaient les sondages, il n'en reste pas moins très sensiblement inférieur au résultat qu'elle avait engrangé en 2014. En dix ans, cette formation nationaliste est passée de 32 % à 24 % au Parlement flamand, tandis qu'elle a senti le vent du boulet sur sa droite, avec un Belang qui a tout de même progressé de quatre points et qui, à ce titre, est lui aussi un des vainqueurs de ces élections. J'ajouterais que, contrairement à ce qu'on dit souvent, la N-VA n'est pas un parti dominant, car elle ne représente qu'un Flamand sur quatre. La performance de Vooruit me semble plus impressionnante dans la mesure où c'est un parti traditionnel qui redresse la tête, passant de 10 % à près de 14 %. Du côté flamand, il faut aussi mentionner le PVDA qui gagne trois points, ce qui l'amène au-delà de 8 %. Mais au-dessus de tous les partis précités, les deux plus grands vainqueurs du scrutin sont le MR et Les Engagés. En tête en Wallonie et à Bruxelles, le MR s'est hissé à la place de premier parti francophone, et cela sans être en cartel comme il a pu l'être autrefois avec feu le FDF. C'est un fait historique. Tandis que Les Engagés se démarquent par l'ampleur de leur progression, alors qu'on ne leur donnait pas beaucoup d'espoir de résilience il y a quelques mois encore. C'est une avancée spectaculaire, d'environ 10 %, soit un doublement du score wallon réalisé par le cdH en 2019. Le regain des Engagés est moindre à Bruxelles, mais il est tout de même significatif.
Qui sont les perdants ?
En premier lieu, Ecolo, qui se ramasse une nouvelle fois après une participation gouvernementale. C'est la malédiction des années en "4" (2004, 2014, 2024), après les succès des années en "9" (1999, 2009, 2019), qui avaient emmené Ecolo au pouvoir. C'est un jeu de yo-yo : Ecolo gagne, puis il s'effondre, puis cela recommence. L'histoire n'est peut-être pas finie, mais cette fois, la chute est la plus lourde jamais subie : à la Chambre, Ecolo perd dix sièges.
Et comme pour confirmer que la lisibilité de la politique belge est toujours relativement complexe, la chute des Verts francophones s'accompagne d'un beau score de Groen à Bruxelles…
Bruxelles, c'est très particulier. Le nombre de votes dans le collège électoral flamand est très réduit et Groen a sans doute bénéficié de la présence d'une classe moyenne flamande très ouverte sur les questions d'environnement et les valeurs de la diversité. En plus, à la Région bruxelloise, il y a régulièrement des appels aux francophones pour qu'ils votent pour une liste flamande de manière à faire barrage au Vlaams Belang et à la N-VA. On ne peut exclure que cela ait joué un rôle. Mais cet épiphénomène bruxellois ne suffit pas à gommer la tendance générale pour les Verts, même si elle est moins accentuée en Flandre.
L'écologie politique recule un peu partout en Europe alors que le réchauffement climatique progresse. Ne sera-ce pas un sujet qui passionnera les historiens des générations futures ?
Sans doute, oui. Les problèmes que soulignent les écologistes sont plus aigus que jamais et les enquêtes d'opinion montrent que la population en est plus consciente qu'auparavant. Mais, chez une partie des électeurs, l'idée s'est installée que le combat des écologistes en faveur du climat et de la biodiversité devient trop cher à payer en termes de contraintes, d'interdictions, de taxes, voire qu'il pénalise les intérêts de tel ou tel secteur économique. On pense en particulier aux agriculteurs. Ce point de vue n'est cependant pas dénué de contradictions, car les mêmes électeurs sont demandeurs de politiques environnementales efficaces, notamment après des catastrophes liées au réchauffement climatique comme les inondations qu'on a connues en Wallonie ou en marge d'un scandale comme celui des PFAS. Dans cette mesure, je ne crois pas qu'il convienne d'affirmer que l'acte de décès de l'écologie politique en Belgique vient d'être dressé. Mais une réflexion devra sans doute être menée : les Verts francophones n'ont-ils pas perdu une partie de leur électorat le plus axé sur les questions environnementales ? N'ont-ils pas été pénalisés par des dossiers embarrassants comme le vote majoritaire d'Ecolo à Bruxelles pour le maintien de l'abattage rituel sans étourdissement, la gestion du dossier des PFAS en Wallonie et, au niveau fédéral, la prolongation de deux réacteurs alors que l'objectif historique de ce parti était de sortir du nucléaire ? Par-dessus le marché, à Bruxelles, le plan Good Move les a fortement exposés aux attaques des autres partis francophones.
Mais d'autres partis ont aussi perdu des plumes…
Oui, bien entendu. L'Open Vld, que ce soit aux régionales bruxelloises, flamandes ou encore à l'élection pour la Chambre, a réalisé son plus mauvais score depuis la Seconde Guerre mondiale, payant ainsi sa participation à la Vivaldi. Mais le PS, lui aussi, continue son érosion en Wallonie. En 2019, il avait déjà réalisé son plus mauvais score depuis la Seconde Guerre mondiale. En 2024, c'est de nouveau le cas. Et le constat est du même ordre pour le CD&V.
Faut-il résumer cette tendance à une crise des partis traditionnels ?
C'est tentant mais, en même temps, on constate qu'alors que le PS perd quatre sièges à la Chambre, son alter ego flamand, Vooruit, en gagne quatre. De même, à l'inverse de la déroute de l'Open Vld, le MR réalise un résultat remarquable. Il n'en reste pas moins que, globalement, les trois familles politiques traditionnelles pèsent moins lourd qu'au XXe siècle. Leur érosion est tendancielle, malgré la double exception de 2024 que constituent la victoire des libéraux du côté francophone et le rebond des socialistes flamands.
Le retour du parti centriste en région wallonne n'est-il pas remarquable ?
La "remontada" des Engagés est en effet impressionnante. Reste à voir si les électeurs qui ont voté pour eux ont plébiscité un parti du centre ou du centre-droit. La manière de gouverner des Engagés nous éclairera sans doute, car leur profil programmatique est complexe. On trouve dans leur projet aussi bien des mesures de gauche que de droite, ce qui rend ce parti bien plus inclassable que ne l'étaient le PSC ou le cdH. Les Engagés font du cas par cas, du "dossier par dossier", et c'est d'ailleurs revendiqué depuis leur refondation. Le pari est de se profiler comme un parti non idéologique, pragmatique, qui ne veut pas être résumé à une étiquette ou à une tendance dominante. Il est possible que ce soit ce positionnement inclassable qui ait séduit des électeurs qui, par ailleurs, ont sans doute été attirés par la présence de nombreuses nouvelles têtes venues de la société civile. Plutôt que d'évoquer le retour du centrisme, je parlerais du premier succès d'un parti post-clivages. Autrement dit, d'un mouvement qui cherche à transcender les clivages traditionnels.
On ne peut s'empêcher de penser au "en même temps" d'Emmanuel Macron ?
Maxime Prévot n'avait pas caché son intérêt, il y a quelques années, pour le macronisme. On peut en effet tracer un parallèle avec la stratégie de Macron avant 2022, en un temps où il n'était pas encore si clairement marqué à droite. Lui aussi a émergé en faisant du "hors clivages".
L'abstention a de nouveau été très importante. N'y a-t-il pas là un angle mort pour notre démocratie ?
Il y a des absentéistes (ceux qui ne se déplacent pas jusqu'au bureau de vote) et ceux qui votent blanc ou nul. Ils étaient déjà 17 % en 2019. Sans doute ont-ils été encore plus nombreux en 2024 (on parle d'1,4 million de personnes) car, globalement, ce nombre ne cesse d'augmenter d'élection en élection. C'est un phénomène qu'on constate dans d'autres pays mais en Belgique, il est d'autant plus frappant que le vote reste obligatoire. Et il l'est encore plus dans une configuration où trois scrutins étaient organisés le même jour et qu'existaient donc des motivations puissantes pour voter. C'est là le reflet d'un malaise à l'égard de la démocratie représentative, éprouvé par près d'un cinquième des citoyens qui ne se satisfont pas de l'offre politique existante. Certes, cela n'a aucune traduction concrète dans les parlements, mais vous avez raison de qualifier cela d'angle mort car, à terme, cela pourrait déboucher sur un crash pour notre démocratie. Je suppose qu'on entendra un responsable politique ou l'autre expliquer à quel point ce "non-vote" l'inquiète. C'est un grand classique. Mais en fait, il y a très peu de choses mises en place en Belgique pour répondre à cette désaffection dont les causes sont multiples et partiellement opaques. Je vous disais qu'on ne peut pas retirer du résultat d'une élection un message univoque, mais les non-votes sont encore plus difficiles à déchiffrer. Ce qui est certain, c'est qu'on aurait bien tort de banaliser la chose.
Les nationalistes occupent exactement 50 % des sièges du Parlement flamand : les réformes institutionnelles s'imposeront-elles dans les prochains mois ?
La N-VA a clairement annoncé qu'elle voulait une réforme de l'État conduisant vers le confédéralisme ou, à tout le moins, vers plus d'autonomie pour la Flandre. Bart De Wever a pris soin de le rappeler dans son discours de victoire le 9 juin. Or son parti est quasi incontournable au niveau fédéral : il faudrait en mobiliser beaucoup, y compris parmi les perdants des élections, pour constituer une majorité évitant à la fois la N-VA, le Belang et le PTB-PVDA. Mais en même temps, les formules de gouvernement évoquées au lendemain du scrutin — en particulier une alliance N-VA, MR, Les Engagés, Vooruit et CD&V — n'auront pas la majorité des deux tiers indispensable pour réviser la Constitution. Certes, on peut aussi réformer l'État par des modifications administratives, sans passer par une révision. On a connu cela dans les années 1960, mais ce sont des formules acrobatiques.
Quand Georges-Louis Bouchez se dit ouvert à une plus grande responsabilisation budgétaire des Régions, cela nécessite une majorité des deux tiers ?
S'il s'agit, par exemple, de confier la totalité de la politique de l'emploi aux Régions, cela demande une modification de la loi spéciale. Et donc oui, cela veut dire une majorité des deux tiers à la Chambre comme au Sénat, et une majorité absolue dans chaque groupe linguistique. Or, responsabiliser les Régions sur la question de l'emploi ou du chômage, le président du MR ne s'en cache pas, cela revient à diminuer le montant ou la durée des allocations, sinon la charge financière sera impayable pour la Région wallonne et pour Bruxelles. Il faudra voir si Les Engagés suivront le MR dans cette voie. Mais surtout, il faudrait un accord du PS pour obtenir une majorité des deux tiers, alors qu'il est évident que les socialistes francophones n'accepteront jamais une réforme de ce genre. En termes de réforme de l'État, même partielle, on voit qu'il y a encore loin de la coupe aux lèvres pour ceux qui la souhaitent.
Et si un accord de gouvernement survenait sur le plan socio-économique, tandis que la réforme de l'État serait discutée dans un autre cénacle ?
Cela a déjà été fait, notamment lors du dialogue entre Communautés qui fut jadis institué par Jean-Luc Dehaene. Pour ce faire, il faudrait que les partis qui forment la coalition fédérale soient assez confiants dans le fait que ce dialogue parallèle aboutisse à un résultat pouvant être ensuite approuvé par une majorité spéciale. Il faudrait donc qu'ils trouvent en amont de ce processus un nombre suffisant de partis résolus à se lancer dans une telle aventure. À mon sens, ces conditions ne sont pas réunies du côté francophone.
Souvent évoquée au lendemain des élections, la potentielle coalition N-VA, MR, Engagés, CD&V, Vooruit au fédéral n'a-t-elle pas d'ores et déjà du plomb dans l'aile ?
Cette formule qui disposerait d'une majorité confortable (82 sièges sur 150) semblait plausible puisque Vooruit avait annoncé, avant le scrutin, qu'il était prêt à prendre part à un gouvernement fédéral sans le PS. Mais, de fait, la donne est devenue plus compliquée depuis que les socialistes flamands ont déclaré ne pas vouloir participer à une telle coalition. En même temps, comme ils savent que l'on a besoin d'eux, ils cherchent peut-être à se faire désirer pour mieux pouvoir poser leurs conditions. Sinon, sans eux, les cartes devront être rebattues. Comme le MR et Les Engagés ont annoncé leur volonté de gouverner ensemble partout, il serait logique qu'ils cherchent à éviter une coalition avec le PS à Bruxelles aussi, de manière à créer une véritable rupture. Mais à Bruxelles, cela les obligerait à former un attelage inédit, à quatre partis, avec Ecolo et DéFI. Ce qui paraît compliqué, notamment pour la répartition des postes, et assez gênant, puisqu'il faudrait embarquer ces deux partis qui ont subi une lourde défaite. Donc il faudra peut-être s'entendre avec le PS à ce niveau de pouvoir. Sur ce point, l'incertitude est forte.
Bart De Wever est-il le candidat Premier ministre le plus crédible ?
Oui, c'est la logique de ce scrutin. Pour contourner la N-VA, il faudrait associer un grand nombre de partis, dont certains sont de grands perdants des élections. Ce serait très difficile à défendre d'un point de vue démocratique.
Contourner le leader de la N-VA renforcerait le discours nationaliste flamand ?
En effet, ce serait un argument en or pour mettre le camp nationaliste flamand dans une colère noire et définitive. Écarter la N-VA du pouvoir, comme en 2019, ne semble pas tenable. Je ne vois pas un parti flamand prendre un tel risque. De son côté, De Wever devra veiller à ne pas être trop gourmand sur le plan institutionnel, ce qui pourrait tout faire capoter, ou à tout le moins déboucher sur un processus long et compliqué qui pénaliserait le reste de la politique qu'il désire mener.
L'occasion qui se présente à lui de devenir Premier ministre, ce destin personnel, ne pourrait-il pas l'amener à mettre de l'eau dans son vin ?
Oui, il rêve de cette fonction. Mais en même temps, il est prisonnier des revendications institutionnelles de son parti, tandis que le Vlaams Belang l'attend au tournant pour ramasser la mise lors des prochaines élections s'il déçoit les électeurs indépendantistes. Sa partie va être très délicate.
Au niveau wallon, Georges-Louis Bouchez ministre-président, est-ce la piste la plus évidente ?
Ce serait logique, mais est-ce vraiment son ambition ou son intérêt ? Il pourrait préférer rester dans le rôle de chef d'orchestre tous azimuts qu'il occupe depuis cinq ans.
En termes de crédibilité, n'est-ce pas un enjeu important pour le monde politique d'aboutir rapidement à former des majorités après ces élections ?
C'est toujours un bon signal à envoyer aux électeurs que de former rapidement des majorités et qu'elles soient en plus conformes aux résultats du scrutin, c'est-à-dire avec des partenaires qui ont progressé. Cela donne à l'électeur le sentiment que, même dans un scrutin proportionnel, sa voix a pesé de manière déterminante. À la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, le MR et Les Engagés vont gouverner à deux, ce qui simplifie la carte politique, la rend plus lisible pour les citoyens. À la Région bruxelloise, on entrevoit assez facilement la participation du MR et du PS. Il serait préférable qu'on ne doive pas attendre aussi longtemps qu'en 2019, où on a battu les records de lenteur à presque tous les niveaux de pouvoir.
Cela ne rendrait-il pas service à notre démocratie qu'à tous les niveaux de pouvoir se mettent en place des majorités les plus homogènes possibles sur le plan idéologique ?
Tout à fait. Avec une coalition MR-Engagés à la fois à la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, on a clairement un attelage de centre-droit. Au niveau fédéral, la formule que j'ai évoquée, même si elle inclut Vooruit, serait un gouvernement clairement de centre-droit, avec une ligne directrice lisible. Mais la Belgique politique est un monde compliqué et le raisonnement s'arrête là, vu qu'à Bruxelles on imagine mal une majorité n'incluant pas le PS. Ce sont là les aléas et les limites du scrutin proportionnel, qui peut déboucher sur des coalitions qui manquent de lisibilité.
Différentes enquêtes d'opinion n'ont-elles pas montré qu'il y a une certaine lassitude, voire une irritation par rapport à ces mécanismes qui conduisent à des coalitions parfois improbables, souvent très larges ?
C'est exact. Les citoyens peuvent avoir le sentiment qu'après avoir voté, les décisions sont prises dans leur dos par les partis politiques. On pourrait penser à instiller une dose de scrutin majoritaire dans les Régions. En revanche, au fédéral, ce serait bien plus délicat. On prendrait ainsi le risque de blocages supplémentaires lorsque, par hypothèse, on aurait des majorités clairement marquées à droite d'un côté de la frontière linguistique et à gauche de l'autre côté.
La Belgique n'est-elle pas l'un des pays du monde parmi les plus compliqués à gouverner ?
Oui. Pour deux raisons majeures. Primo, il n'y a pratiquement plus de partis nationaux. Secundo, ceux qui existent encore ne font pas les mêmes scores des deux côtés de la frontière linguistique. Le PTB est nettement plus puissant en Wallonie et à Bruxelles que du côté néerlandophone. En d'autres termes, le nombre d'acteurs politiques est dédoublé. Et en prime, nous avons notre exclusivité mondiale : toutes les portions du territoire comptent deux types d'entités fédérées, à la fois une Communauté et une Région avec, pour les francophones et les Bruxellois, des parlements qui ne sont pas mécaniquement les mêmes. Ajoutons encore à cela les ailes linguistiques du gouvernement bruxellois. Oui, c'est certainement plus compliqué de gouverner en Belgique que partout ailleurs sur le globe.
Bart De Wever est un confédéraliste affirmé, certes un peu en retrait dans ses aspirations à l'indépendance de la Flandre selon ses propos de campagne. Le voir accéder au poste de Premier ministre du gouvernement fédéral, n'est-ce pas tout de même le loup qui entre dans la bergerie ?
Pas forcément en termes de bon fonctionnement d'une politique fédérale sur le plan budgétaire, de la sécurité, etc. On peut l'imaginer mener une politique clairement de droite, avec peut-être une résistance de Vooruit sur certains dossiers comme les soins de santé, mais avec pour mantra l'efficacité, le "goed bestuur", comme le revendiquait déjà le CD&V en Flandre. En revanche, sur le plan institutionnel, c'est bien le loup qui entre dans la bergerie. D'où la question cruciale de ce moment politique : que va-t-il exiger pour que la Flandre devienne plus autonome tout en essayant de former un gouvernement dans un délai raisonnable ? Qu'accepteront ou non ses partenaires francophones ? On n'a pas la moindre réponse pour le moment.
Ne faut-il pas reconnaître à Bart De Wever le mérite d'avoir fermement dit "non" à une alliance avec le Vlaams Belang pendant cette campagne électorale ?
On peut lui reconnaître ce mérite. Mais j'ajouterais "enfin", car cette clarification aurait dû être faite depuis bien longtemps. Par cette attitude ferme quoique tardive, il s'est donné les moyens de faire mentir les sondages, de garder l'ascendant sur le Belang.