Un dossier publié dans l’hebdomadaire Paris Match Belgique, le 30 novembre 2017
Habiter à la campagne est-il nocif pour la santé ? Et particulièrement, quand on est riverain d’un terrain agricole traité chimiquement ?
Est-ce dangereux pour la santé de vivre à proximité de terrains agricoles traités chimiquement ? Voici des témoignages de riverains recueillis dans les provinces belges du Hainaut, du Luxembourg, du Brabant wallon et de Namur. Ils ne peuvent rester sans suite car ils laissent supposer l’existence d’un grave problème de santé publique. Il est ici question de « rues à cancers », de quartiers semblant prédisposer à certaines pathologies graves. Ces témoins souhaitent que les autorités publiques initient des démarches d’objectivation : certaines maladies se multiplient-elles à cause d’une exposition récurrente aux pesticides utilisés dans le cadre de l’agriculture conventionnelle ? Ce dossier publié dans les pages de l’hebdomadaire #ParisMatchBelgique est désormais en accès libre sur ce site.
« Ici on ne meurt que du cancer »
Avec Charles, nous nous promenons dans la verte avenue d’une ville du Brabant wallon. Belles villas, grands jardins et, tout près de là, en plein milieu de cette zone urbanisée, entouré de nombreuses habitations, un grand terrain agricole sur lequel divers pesticides sont pulvérisés depuis plusieurs décennies. Notre témoin est connu des autorités communales et provinciales, si toutefois elles se souviennent de lui. Cela fait longtemps qu’il dénonce un danger potentiel. Des années, nous dit-il, qu’on le considère tel « un oiseau de mauvais augure ». Cet homme est notamment en contact avec l’équipe d’Inter-Environnement Wallonie où il a rejoint le groupe « Riverains et Pesticides » qui rassemble des citoyens inquiets venus des quatre coins de Wallonie.
Avant de démarrer une visite guidée un peu particulière, Charles nous désigne sa grande maison quatre façades : « Nous nous sommes installés ici au début des années 1970. A l’époque, mon fils avait 3 ans. En 1995, des voisins d’en face sont venus se confier. La femme ne savait presque plus marcher, elle prenait appui sur son mari pour se mouvoir. Ils m’ont dit qu’ils partaient, que madame était malade à cause des pesticides. J’étais dubitatif, je ne voulais pas y croire. Quelques années plus tard, mon fils est tombé malade : 30 ans, une tumeur au cerveau. Il a été opéré par le professeur Brotchi. Ensuite, ma femme a été atteinte d’un lymphome non hodgkinien… Une pathologie dont le lien avec l’exposition aux pesticides est à tel point démontré qu’elle est reconnue comme maladie professionnelle des agriculteurs en France. Ma fille souffre d’asthme, ma petite fille aussi. Là encore, je subodore un lien avec notre environnement. Je ne sais pas le prouver, mais j’ai la conviction que ce terrain agricole tout proche des habitations est la cause de tous nos maux. Comprenez-moi bien, je n’ai rien de personnel contre l’agriculteur. Lui et moi, on se parle. Mais il ne se sent responsable de rien, il se contente d’insister sur le fait qu’il utilise des produits phytopharmaceutiques autorisés par l’Europe. »
Charles nous montre la maison qui se trouve en face de chez lui : « Là, un monsieur est mort d’un cancer généralisé. » Quelques pas et nous voici devant la maison d’un voisin : « Ici vivait Raymond, un ami. A 37 ans, on lui a découvert un cancer de l’estomac. Décédé. » Il nous invite à tourner la tête vers une maison située de l’autre côté de l’avenue : « Roger est mort d’une leucémie. » Quelques mètres plus loin, il désigne une villa : « Ici, Lisette est morte d’une leucémie. » On passe tout de même une maison où il n’y a rien à signaler et puis : « Ici, la dame a un cancer du sein. » Il se retourne : « Oh, j’en ai oublié un. Là-bas ! Un monsieur qui a eu un cancer des testicules. Et là, à 100 mètres sur la droite, le propriétaire est mort d’un cancer généralisé. En face de chez lui, une dame qui venait d’être pensionnée est morte d’un cancer des os. Plus près du champ, une jeune fille a une tumeur au cerveau et son père souffre d’un déficit d’immunité… C’est bien simple : ici, on ne meurt que du cancer, et parfois bien trop jeune. Ce qui relie toutes ces personnes, c’est l’environnement dans lequel elles vivent, près de ce terrain agricole régulièrement pulvérisé. »
Les questions que Charles se pose ont du sens au-delà de la belle avenue où il habite. Dans ce quartier que nous avons visité, bien d’autres rues, bien d’autres immeubles sont encore plus exposés. Y a-t-il là aussi beaucoup de gens malades ? Cela semblerait logique, mais la réponse est du ressort d’une étude épidémiologique, pas d’une investigation journalistique.
Quelques jours plus tard, nous voici dans l’extrême sud de la Belgique, tout près de la frontière luxembourgeoise. Une petite commune tranquille, rurale. Des prairies, des cultures, des vaches. Ici aussi, des habitants s’interrogent. Albert demande à rester anonyme parce qu’il craint un agriculteur du coin qui n’est pas toujours très affable. Il nous invite à monter à bord de son véhicule pour remonter la rue. Sensation de déjà vu : « Là, ici, là encore… » Impressionnant : dans sept maisons qui se suivent sur la droite de cette rue, des habitants sont morts du cancer. Albert fait ses comptes : « Sur une quarantaine d’habitations, on a eu seize personnes atteintes par divers cancers, peut-être plus. Il y a des cas récents. Je dirais un nouveau malade chaque année. Des cancers de l’intestin, du pancréas, du cerveau, du poumon, de la langue, du sein. D’accord, les causes de cette maladie peuvent être multiples. C’est ce qu’on nous dira si on se plaint, nous a prévenu notre médecin, une femme qui a dû elle-même lutter contre un cancer. Mais je ne peux m’empêcher de constater que nous sommes entourés de terrains – des prairies et, un peu plus loin, quelques cultures – où l’on pulvérise des produits depuis de nombreuses années. On le voit, on le sent, parce que ce n’est vraiment pas sans odeurs. En est-on aussi malades ? »
Un peu plus bas dans la même rue, Christian confirme le propos du précédent témoin, en incitant à une prudence de bon aloi : « Oui, il y a eu beaucoup de cancers dans cette rue, mais les habitants ont été touchés à différents organes. Dès lors, je n’oserais affirmer qu’il y aurait une cause unique ou principale. Cela dit, mon médecin de famille – le même que celui évoqué par Albert – a été interpellé lui aussi par la fréquence de ces maladies dans une zone très exiguë, soit une quarantaine de maisons. Comme j’habite ici depuis longtemps et que je connais tout le monde, il m’a demandé d’établir un relevé : j’ai constaté que dix huit personnes y sont décédées du cancer. » Mais « cela s’est passé sur plusieurs années », tempère Christian. Ne pas crier au loup est une chose, faire la politique de l’autruche en est une autre. Les deux témoins sont d’accord sur la nécessité d’objectiver les choses. « J’aimerais tout de même savoir s’il y a un lien entre toutes ces morts », conclut Christian.
Inquiétude encore dans les Hauts Pays, au-delà de Mons. Installée depuis cinq ans dans une maison jouxtant des champs où l’on cultive des pommes de terre, Melissa vit dans un environnement bucolique et adore les animaux. Ânes, poules, canards se promènent sur quelques ares de terre qui offrent une vue imprenable sur un énorme bâtiment de stockage pour tubercules. « Ces terres sont louées à des sociétés flamandes. Elles cultivent de manière très intensive. Il y a entre quinze et vingt pulvérisations de produits phytopharmaceutiques chaque année. Après notre arrivée, il y a cinq ans, nos animaux sont tous tombés malades. Nous avons perdu une trentaine de bêtes. Toutes souffraient de problèmes respiratoires qu’elles n’avaient jamais rencontrés là où nous vivions auparavant. La situation s’est améliorée quand certains espaces proches de chez nous ont été transformés en prairies. Nous avons la conviction que la dégradation de la santé de nos animaux est liée à ce qu’ils répandent sur les champs de patates. »
A quelques kilomètres de là, Dominique nous reçoit dans la maison où il a passé son enfance avec ses frères et sa sœur. Une rangée de modestes bâtisses faisant face, sans haies ou autres protections, à une immense parcelle où, autrefois, il y avait des prairies. Mais depuis une trentaine d’années, les terrains ont commencé à être labourés, les chemins creux ont été supprimés pour augmenter les surfaces et faciliter le passage des engins-pulvérisateurs. Et, outre quelques rotations, on y a souvent cultivé la pomme de terre de manière conventionnelle, comprenez avec un important usage de pesticides. Tous les plus vieux sont morts du cancer dans cette famille. Mais Claude est interpellé par une autre observation : « La plupart de nos enfants ont des problèmes de santé. Le premier fils de l’un de mes frères est né malformé. Le fils d’un autre frère a dû subir deux opérations pour permettre la descente de ses testicules. La fille de ma sœur souffre de troubles de l’attention et fait des crises d’épilepsie. Tout à coup, à quatorze mois d’intervalle, mes deux fils sont devenus diabétiques, alors qu’ils mangent sans excès. Un diabétologue de Bruxelles affirme que cela peut être lié à des facteurs environnementaux. Sont-ce les mêmes causes qui expliquent le nombre important de cancers dans le coin ? Un peu plus loin dans la rue, un de mes amis a perdu son fils qui n’avait que 14 ans : une forme rare de sarcome près du pancréas. On pense tous aux pesticides, mais comment le prouver ? »
L’homme qui a perdu son fils nous parle quelque temps plus tard : « Il est parti en deux ans. C’était un enfant plein de vie, on habitait au milieu des champs, on allait souvent se promener ensemble. Dans le village, deux autres jeunes sont partis trop vite. Des cancers également. Une fille de 12 ans, un garçon de 20 ans. » Un médecin généraliste renforce l’inquiétude : « Dans le village, j’ai constaté cinq cancers du pancréas en deux ou trois ans. Cela m’a semblé anormal. »
Des médecins qui s’inquiètent, il y en a également à Fernelmont, dans la province de Namur. Plusieurs praticiens y suivent de près le combat de Marie-Thérèse Gillet. La lettre ouverte écrite au début de l’année par cette enseignante retraitée a, il est vrai, fait grand bruit dans la presse et a ouvert un débat politique. Les mots que nous citons ressemblent tellement à ceux qui nous ont été dits en d’autres endroits : « Je me fais une obligation d’attirer votre attention sur des pratiques qui mettent en danger la santé des habitants de notre commune », entamait-elle à l’attention des élus locaux. « En cause, les épandages de pesticides. Loin de moi l’idée de chercher des causes simplistes à des problèmes complexes, mais les informations dont je dispose sont inquiétantes. Ces infos sont correctes et malheureusement non exhaustives : sept décès dus à des cancers sont à déplorer en bordure d’un îlot de terres agricoles situé entre Noville et Cortil. Toujours sur le même pourtour, dans un laps de temps d’un an, quatre hommes jeunes, voisins de surcroît, ont été atteints par une infection bactérienne : chez trois d’entre eux, une endocardite a été décelée, leur processus vital a été engagé. Ils ont été soignés, opérés, rééduqués, mais leur confort de vie est lourdement entamé tant les séquelles sont importantes. En ce qui concerne le quatrième, par discrétion, je tairai sa pathologie. Plusieurs autres personnes (au minimum huit, dont deux de moins de 20 ans) ont été et/ou sont actuellement soignées pour des pathologies cancéreuses dans cette même zone. »
Lorsqu’elle nous reçoit, Marie-Thérèse vient d’actualiser le décompte des victimes : 27 pathologies dans la zone suspecte qui, précisons-le, ne comporte que trois rues. 7 cancers du sein, 1 cancer du rein, 1 cancer des intestins, 4 personnes souffrant de déficiences immunitaires, 2 leucémies, 1 Parkinson, 2 cancers de la prostate, 2 autres cancers non identifiés et 2 troubles de croissance. Et de préciser à l’égard de ces derniers qu’ils concernent deux enfants habitant dans un environnement très proche.
« Les citoyens doivent exiger un changement de modèle »
Marie Thérèse Gillet (photo : Ronald Dersin)
C’ est grâce à une dame déterminée que le débat a été enfin lancé en Wallonie. Marie-Thérèse Gillet, cette habitante de Fernelmont, est une combattante. Elle a surmonté un cancer du rein et lutte actuellement contre un cancer du sein. C’est aussi une bûcheuse et une pédagogue. Elle a passé une grande partie de sa carrière à former des enseignants, à leur apprendre à apprendre. « Elle est bien documentée, c’est impressionnant », nous dit Lionel Delvaux, chargé de mission à Inter-Environnement Wallonie (IE-W).
Il ajoute : « Le questionnement qu’elle a lancé pousse les autorités à prendre leurs responsabilités. Il faut plus d’études, on manque cruellement de données sur cet enjeu de santé publique en Belgique. Des enquêtes réalisées à l’étranger indiquent tout de même qu’il y a un impact sanitaire pour les populations de zones rurales fortement exposées aux pesticides. En Californie, par exemple, on collecte beaucoup mieux qu’ici les données relatives aux pulvérisations réalisées par les agriculteurs : qui pulvérise, quand, quels produits, quelles quantités. Ces informations sont rentrées dans une banque de données accessible en ligne. Cela a notamment permis la réalisation d’une recherche qui a mis en évidence des contaminations de riverains sur de longues distances. Des chercheurs ont pu faire le lien entre la substance active, le moment du traitement et l’autisme de certains enfants qui ont été affectés pendant la grossesse de leur maman. »
« Certes, il y a eu une évolution des molécules que l’on utilise en agriculture. Mais la diminution de leur toxicité aiguë s’accompagne d’un questionnement sur leur toxicité chronique. Même si celle-ci est malheureusement très difficile à mesurer, les inquiétudes exprimées par des riverains doivent être entendues et autant que possible, elles doivent être objectivées », renchérit Valérie Xhonneux, spécialiste des questions de santé à IE-W.
C’est aussi l’avis de la parlementaire Ecolo Hélène Ryckmans, qui suit le dossier de Fernelmont depuis de nombreuses semaines : « Quand l’affaire a éclaté, le gouvernement wallon a demandé une première étude, mais celle-ci n’en était pas vraiment une. Ce qui a débouché sur la désignation d’un Comité d’experts qui est silencieux depuis plus d’un an. On ne donne pas de réponses claires aux inquiétudes qui sont exprimées par les citoyens. Dans un tel contexte, on peut comprendre que la crainte s’étende. »
Marie-Thérèse, la combattante, insiste sur le fait que « les fabricants de pesticides ne nous laissent pas le choix. Chaque jour qui passe, malgré nous, on en ingère, on en respire. Leur échapper est devenu impossible. On peut mieux s’en protéger, manger bio, créer des zones tampon autour des champs pour protéger les riverains, les écoles et les crèches, on peut améliorer les systèmes d’épandage et débattre indéfiniment de l’impact des produits chimiques sur les sols, sur l’eau, sur l’air et sur la santé des humains et des animaux… et, pendant ce temps, l’industrie poursuit sa marche lucrative. Cela fait si longtemps que cela dure. En 1962, la biologiste Rachel Carson tirait déjà la sonnette d’alarme dans son remarquable ouvrage “Le Printemps silencieux”. Cinquante-cinq ans plus tard, la Commission européenne est toujours très sensible aux sirènes de Monsanto et consorts. Les citoyens doivent exiger un changement de modèle. Des cultures sans pesticides pour une nourriture et un environnement plus sains. De plus en plus d’agriculteurs en sont eux-mêmes convaincus. J’en connais plusieurs, notamment à Fernelmont ! »
Parmi ceux-ci, nous rencontrons Xavier Anciaux, le créateur des « Jardins d’OO à Noville-les-Bois « Je viens d’une famille d’agriculteurs. Donc, les produits phyto, je connais. Aujourd’hui, ceux qui les utilisent prennent beaucoup de précautions. Ils ont des gants, des masques, les cabines de leurs tracteurs sont pressurisées… Ce n’est évidemment pas pour rien ! » nous dit-il. Mais lui, il a pris l’option de se passer totalement de ces substances chimiques : « Je cultive sans produits, avec l’aide de mon cheval Billy, en respectant la vie qu’il y a dans le sol. Les habitants de Fernelmont et des environs viennent dans mon potager pour choisir les légumes qui les intéressent. C’est ouvert 24 heures sur 24. On ne peut pas faire circuit plus court et récolte plus fraîche. Il n’y a jamais eu de vol ou de dégradation. Tout est basé sur la confiance et cela fonctionne très bien. »
En plus, l’autocueillette sensibilise à la qualité de la nourriture, elle crée un état d’esprit. Une sorte de communauté s’est forgée. Ils se sont baptisés « les mangeurs biopositifs ». « Biopositif, cela signifie produire des aliments tout en augmentant la biodiversité », traduit Xavier. « Outre les habitants, j’ai aussi des chefs cuisiniers parmi mes clients. Sur cinquante ares, je cultive déjà de nombreuses variétés de légumes et les rendements sont deux ou trois meilleurs qu’en conventionnel. En termes de chiffres d’affaires, le résultat est quarante fois supérieur à la production d’une terre céréalière travaillée avec de la pétrochimie ! Aujourd’hui, avec quelques dizaines de personnes, on se prépare à lancer un projet ambitieux, sur trois hectares. Les principes de base restent les mêmes : production locale et biologique. Coopération, partages d’expériences et de savoirs. Outre des légumes, je crois que nous arrivons aussi à produire de la joie de vivre, du partage, des échanges. »
12 % des fermes wallonnes sont déjà passées au bio, soit plus d’une sur dix. En chiffre absolu, cela fait déjà quelques 1 500 exploitations agricoles. D’évidence, un jour viendra où la question des pesticides sera résolue à la source du problème…
Xavier Anciaux, un agriculteur « biopositif » (Photo Ronald Dersin)
En Wallonie, tout le monde respire des pesticides
Les témoignages que nous avons recueillis en diverses localités de Wallonie sont interpellants. Toutefois, il convient de les aborder avec une prudence de Sioux. Ce qui ne revient pas à les nier pour rassurer à bon compte, comme le font certains « pestico-sceptiques », mais à les confronter à des examens scientifiques permettant d’ajuster les mesures de précaution, de protéger autant que faire se peut la population. Encore faut-il que les expertises diligentées par l’autorité soient rigoureuses. Ainsi dans le cas de Fernelmont, le témoignage de Marie-Thérèse Gillet n’est certes pas resté sans suite, mais on aurait pu espérer une approche plus circonstanciée, vu la gravité des suspicions.
Le 10 mars 2016, soit le lendemain de la première médiatisation audiovisuelle de la lettre qu’elle avait écrite deux semaines plus tôt, la directrice générale de la commune écrivait à la Direction de la santé environnementale (DSE) de la Région wallonne pour lui demander de « répondre à la souffrance de la plaignante » et « si nécessaire (sic), faire de nouvelles études à Fernelmont ». Afin aussi de « porter une attention particulière à certains riverains suite à l’atteinte de leur vie privée » et de « rassurer de nombreux habitants inquiets pour leur santé ». Des mots choisis.
En juin 2016, lors d’une séance d’information publique destinée aux habitants de Fernelmont, l’AViQ (Agence pour une vie de qualité), communiquait un rapport se voulant en effet très rassurant. Son argument principal : pour une période limitée à 2004-2013, les données disponibles à la Fondation Registre du cancer (FRC) ne permettaient pas d’observer que Fernelmont s’écarterait de la moyenne wallonne. Seul le mélanome malin est plus présent dans cette localité, mais il ne s’agit pas d’une pathologie en lien avec une exposition aux pesticides. Toutefois, ce rapport de l’administration wallonne a fait l’objet de nombreuses critiques quant à son caractère sommaire.
Celles-ci ont notamment été émises par neuf médecins de Fernelmont, qui lui reprochent son caractère incomplet. En juillet 2016, la tonalité était la même dans une note envoyée à la commune et au gouvernement wallon par le Dr Pascal Veys, chercheur du CRA-W (Centre wallon de recherches agronomiques) : « Le rapport présente de nombreuses lacunes scientifiques ne permettant pas de réaliser l’objectif demandé (…), une révision majeure est requise avant toute évaluation… » Message reçu par le ministre wallon de la Santé de l’époque, Maxime Prévot (cdH), qui, tout en défendant le travail de son administration, décida en octobre 2016 de constituer « un comité scientifique inter-universitaire chargé d’approfondir les travaux de l’AViQ ». Constitué de spécialistes en toxicologie, en oncologie et en épidémiologie, ce nouvel aréopage s’est donné pour priorité de chercher à déterminer s’il y a plus de cancers dans les trois rues signalées à Fernelmont par rapport à d’autres quartiers comparables, cela sur plusieurs années, en tenant compte des personnes décédées, de celles qui ont déménagé etc.
Si ce premier coup de sonde ne devait pas déboucher sur un constat de particularités locales, nous explique-t-on à bonne source, les recherches pourraient déjà s’arrêter là. A l’inverse, une anomalie statistique conduirait à une étude plus fouillée : mode de vie des personnes malades, leurs diverses expositions à des polluants, au domicile, en milieu professionnel, etc. Il est évident que dans le contexte d’une telle recherche, le cas d’un fumeur qui aurait eu un cancer du poumon n’est pas aussi signifiant que celui d’un enfant qui serait touché par une tumeur au cerveau, ou encore que celui d’une femme souffrant d’un lymphome non hodgkinien. Cela dit, il y a encore pas mal de chemin à parcourir… Plus d’un an après leur désignation, les experts n’ont pas encore véritablement commencé leurs travaux ! En cause, des difficultés légales liées à la protection de la vie privée : accès à la banque de données du Registre du cancer, couplage de ces données avec celles du registre national. Mi-novembre 2017, il semble qu’une solution était en vue…
Ce dossier est décidément compliqué : la communication des résultats finaux d’une autre étude se fait attendre. Entamée en octobre 2014 (pour une durée de trois ans…) par des chercheurs du CRA-W et de l’ISSeP (Institut scientifique de service public), elle vise à déterminer la présence de pesticides dans l’air respiré par les Wallons, tant à la ville qu’à la campagne. Sur le site de l’ISSeP, cette étude intitulée « Expopesten » est présentée en ces termes : « Depuis les années 1980, de nombreuses études scientifiques relient l’exposition aux pesticides à des effets sanitaires graves tels que cancers, troubles neurologiques, effets sur les fonctions reproductrices et le développement et perturbation endocrinienne. Il est donc nécessaire de développer les connaissances relatives à l’exposition externe/interne de groupes à risque de par leurs activités professionnelles (…) et leur environnement de vie. (…) En Wallonie, l’eau et l’alimentation font l’objet de contrôles réguliers. Par contre, les concentrations en pesticides ne sont pas mesurées dans l’air ambiant. »
Désormais, c’est fait. Toutefois, la direction de l’ISSeP refuse de communiquer toute information. Elle nous écrit : « Nous vous remercions pour votre intérêt au sujet de notre étude Expopesten. (…) Nous ne pourrons malheureusement pas donner suite à votre demande d’entretien. Le rapport final de cette recherche étant en cours d’écriture, il ne nous est pas autorisé de vous communiquer des informations tant au sujet de la méthodologie que des résultats. » Misère du service public : un certain retard dans la finalisation de cette étude s’expliquerait par le départ d’un collaborateur de l’ISSeP vers le secteur privé. Quoi qu’il en soit, plusieurs sources nous révèlent que les enseignements de la recherche « Expopesten » sont limpides et parfaitement communicables. Ils peuvent se résumer ainsi : dans des proportions comparables à ce qui a déjà été observé en France, en Espagne, au Luxembourg ou encore aux Etats-Unis, tous les habitants de Wallonie respirent quotidiennement un air chargé de pesticides. A la campagne comme à la ville, il n’y a pas moyen d’échapper à ces produits suspects. On peut manger bio ; par contre, il est impossible de respirer bio.
L’établissement d’un degré moyen de contamination de l’air par l’étude « Expopesten » n’est pas de nature à apporter des réponses directes aux questions que se posent les habitants des rues dites « à cancers ». Mais, nous dit une source, ces données pourraient servir de référence dans le cadre d’études comparatives : quelle est, par exemple, la qualité de l’air dans les quartiers suspects ? Se trouve-t-on au-dessus de ce qui été observé par ailleurs ? Des études qui restent à mener…
Est-ce à dire qu’aussi longtemps après le ramdam médiatique autour des « rues à cancers » de Fernelmont, on n’aurait pas progressé d’un iota ? Ce serait sans compter les analyses réalisées sur place par le professeur Bruno Schiffers de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège). Celles-ci ont en effet permis d’objectiver la présence de résidus de 24 pesticides (dont trois sont interdits depuis de nombreuses années) aux abords de la cour de l’école de Cortil-Wodon, située en zone agricole.
Des résultats qui font écho à ceux d’une étude publiée l’année dernière par l’association française « Générations futures ». Elle révélait que les populations vivant dans des zones agricoles cultivées de manière chimique (vignes, vergers et champs) étaient exposées en permanence et jusque dans leur habitation à de très nombreux pesticides suspectés d’être des perturbateurs endocriniens (PE). « Un bain de poussières aux pesticides. Les résultats vont au-delà de ce que nous pouvions imaginer », expliquait l’association : « Entre huit et trente pesticides par habitation ont été détectés dans la poussière des habitations testées (…) 98,16 % de la concentration totale en pesticides concerne les PE ! Parmi les pesticides retrouvés, certains sont interdits en agriculture en France depuis plusieurs années ! La concentration totale de tous les pesticides quantifiés a diminué entre l’été et l’hiver d’une valeur comprise entre -30 % et -95 %, ce qui est à la fois rassurant – la concentration diminue réellement – mais reste inquiétant, car la présence de ces résidus semble demeurer toute l’année. »
Qu’en est-il dans les quartiers que nous avons visités au cours de cette enquête ? Des données de ce type sont objectivables. Mais le seraient-elles que viendraient ensuite les débats de spécialistes, les expertises et contre-expertises débouchant sur le constat qu’il est difficile de prouver un lien entre des expositions à petites doses sur de longue périodes et des maladies observées dans une population. Faut-il pour autant se résigner ? Ou plutôt oser changer de paradigme ? Le professeur Bruno Schiffers (Gembloux Agro-Bio Tech) nous rappelle l’enseignement du philosophe Hans Jonas : « Quand l’homme n’est plus capable de maîtriser tous les effets de sa technologie, quand il n’est plus capable d’appréhender les modifications profondes que peut engendrer cette technologie, il vaut mieux qu’il s’abstienne de faire courir un risque à la société. C’est ce principe de responsabilité qui devrait être la première préoccupation de ceux qui fabriquent ces produits et des gens qui leur donne l’autorisation de les vendre. Pour le moment, on n’en est pas là. On se contente d’un principe de prévention et de précaution dont on voit les limites. Demain, il faudra que le principe de responsabilité trouve à s’appliquer pour l’ensemble des pesticides. En se demandant si ces produits qui conduisent à différentes impasses sont réellement plus bénéfiques que nocifs. »
« On pourrait en savoir beaucoup plus »
Le professeur Benoît Schiffers, chef du laboratoire de phytopharmacie de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège) (Photo : JL Wertz)
Chef du laboratoire de phytopharmacie de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège), le professeur Bruno Schiffers a identifié la présence de résidus de 24 pesticides dans une école primaire de Fernelmont entourée de terrains agricoles.
Paris Match. Notre enquête révèle que, dans plusieurs localités en Wallonie, des habitants dénoncent des situations qui ressemblent fortement à celle de Fernelmont.
Bruno Schiffers. C’est un apport utile au débat, dans la mesure où ces témoignages permettent d’envisager la réalisation d’études comparatives. A ce stade, je ne parlerai évidemment que de mon étude réalisée à Fernelmont. Ce qui se passe dans cette commune est interpellant. J’ai reçu des informations de divers habitants, de médecins également. Il est fait état d’un nombre de problèmes de santé, et pas uniquement de cancers. J’ai donc trouvé intéressant descendre sur le terrain pour y mener quelques observations.
Comment avez-vous procédé ?
Durant l’été 2017, avec l’accord de la commune et de l’agriculteur concerné, j’ai placé des panneaux collecteurs dans la cour de l’école Saint-Martin, à Cortil-Wodon. Un côté de cette cour jouxte un champ de betteraves. D’un autre côté, il y a un champ de froment. A l’avenir, le côté « betterave » devrait être protégé par une haie de miscanthus et, en théorie, le côté froment est moins exposé, puisqu’il y a une route et un talus qui le sépare du champ. De ce côté-là, je m’attendais donc à trouver peu de traces de résidus de pesticides…
Et cela n’a pas été le cas ?
Non, j’ai trouvé autant de résidus de produits de deux côtés de la cour. Vingtquatre substances au total.
Dont trois pesticides qui ne sont plus autorisés depuis plusieurs années, paraît-il ?
En effet, de l’anthraquinone, du chlordane et du linuron. Cela m’a surpris. Je n’ai pas trouvé d’explication satisfaisante à ce propos.
Fut-ce là votre seul étonnement ?
Loin s’en faut. Il faut savoir que lors de la pulvérisation des produits, il y a un phénomène de dérive : des gouttelettes portées par le vent s’échappent de la zone d’épandage. Alors que mes panneaux étaient placés à 90°, j’ai retrouvé des traces de pesticides utilisés pour le froment sur les panneaux placés face au champ de betteraves, et inversement. Autrement dit, les gouttelettes sautent les obstacles ! Cela veut dire que si vous créez une haie d’arbres ou de miscanthus pour intercepter ces gouttes, cela risque de ne pas être suffisant (Le pouvoir organisateur de l’école concernée par l’étude du professeur Schiffers veut endiguer la pollution induite par les pulvérisations par la création d’une zone tampon constituée d’une haie de miscanthus. Mais aussi par un dialogue avec l’agriculteur concerné à propos du calendrier de pulvérisation et des espèces cultivées qui sont plus ou moins demandeuses de produits phyto). Mon autre étonnement a été de récolter les traces de nombreuses molécules qui ne sont pas du tout utilisées en betteraves et en froment. Des résidus de produits que l’on emploie typiquement dans la culture de la pomme de terre et du maïs. Or, dans les environs de l’école, le champ de maïs le plus proche se trouve à 400 mètres. En outre, j’ai constaté la présence d’une énorme mer de pommes de terre à 600 mètres.
Cela traduit une contamination sur une longue distance !
Incontestablement. Une partie de cette pollution est certainement la résultante de phénomènes gazeux. En fonction de la température, des cristaux volent, retombent avec la poussière atmosphérique, la pluie, etc. Je laisserai les considérations techniques aux spécialistes,
mais les quantités que j’ai trouvées via mes panneaux sont certainement une
sous-estimation de la situation réelle.
Le gouvernement wallon envisage d’élargir les zones tampons entre les lieux de pulvérisation et les habitations; On parle de 30 mètres…
Cela a du sens par rapport au phénomène de dérive – les gouttelettes –, mais pas pour ce qui est lié à la pollution de l’air. Mon étude montre bien qu’il y a une pollution diffuse dans les zones rurales.En d’autres termes, ce que j’ai observé au niveau de l’école aurait pu l’être également dans tout le village. Avec, sans doute, dans certains endroits, des facteurs qui renforcent l’exposition des habitants : le sens des vents dominants, la présence d’une cuvette, d’autres circonstances topographiques. L’étude « Expopesten » va bientôt nous renseigner sur la quantité moyenne de résidus de pesticides qui circulent dans l’air wallon, mais il faudrait en savoir beaucoup plus sur les pics d’exposition auxquels sont soumis les habitants des zones rurales, surtout dans les 24 ou 48 heures qui suivent des traitements de terrains agricoles. Dépasse-t-on les limites acceptables ? Ces questions ne sauraient être objectivées sans un travail de terrain. Il reste à accomplir.
Les concentrations que vous avez trouvées dans la cour de l’école sont-elles préoccupantes ?
Elles sont relativement élevées par rapport à ce que l’on peut trouver sur des fruits et légumes. Ces données de contamination doivent cependant être traduites en données d’exposition. Des mesures à plus grande échelle sont nécessaires. A priori, le gouvernement wallon est partant pour soutenir ce type d’étude.
Il y a donc moyen de répondre, au moins en partie, aux questions que se posent les
riverains ?
Il y aura toujours des discussions sur les causes multifactorielles des maladies observées. Mais oui, on pourrait en savoir beaucoup plus ; mieux cerner les niveaux d’exposition potentiels des riverains, mettre au jour des situations de risques qui ne sont pas acceptables. A cette fin, il faudrait élaborer un protocole avec la collaboration des agriculteurs afin de collecter les données relatives à leurs pulvérisations,utiliser des traceurs… Cela permettrait de valider ou d’invalider les modèles prédictifs – autrement dit, les calculs théoriques sans étude in situ – utilisés par les fabricants de pesticides pour évaluer les risques. Cela permettrait enfin aux responsables politiques de prendre les décisions les plus adéquates en termes de santé publique.
La solution la plus simple ne serait-elle pas, in fine, de supprimer le risque ?
De fait, ce serait mieux d’en finir avec ces pesticides. On arrive dans une impasse agronomique car ces produits engendrent des résistances, ils font apparaître ou ressurgir certaines maladies. On arrive à une impasse écologique et environnementale : disparition d’insectes, pollution des sols, pollution de l’air, pollution de l’eau. Et se profile une impasse sanitaire : ces produits ont des effets à long terme sur la santé humaine. Et d’abord pour leurs utilisateurs ! En termes de maladies chroniques, les premiers touchés sont les fermiers, les ouvriers agricoles, mais aussi les fleuristes, qui y sont exposés de manière dramatique. Il y enfin ces constats interpellants sur la santé des riverains, mais là encore, pas pour eux seulement ! On retrouve des traces des pesticides dans les urines de tout le monde ! On arrive aussi à une impasse économique et sociale, parce que tout ce modèle coûte extrêmement cher. La collectivité doit payer les frais d’assainissement de l’eau, les frais de santé engendrés par les maladies chroniques… Si l’on additionnait tous les coûts qu’implique l’utilisation des pesticides, on s’apercevrait que le bénéfice économique qu’on en retire est nul, voire négatif.
Depuis des décennies, lesagronomes se sont-ils égarés ?
Beaucoup d’argent et d’énergie ont été investis dans la recherche en agriculture chimique. Mais c’est ce qu’on demandait à ma génération et à la précédente ! Le leitmotiv, c’était qu’il fallait nourrir les gens. Ensuite, il fallait produire beaucoup, dans le cadre d’une politique agricole commune européenne qui visait essentiellement l’exportation pour faire rentrer des devises. Ainsi, notre continent est devenu un gros exportateur de produits alimentaires, au détriment d’ailleurs des marchés du Sud, dont on a souvent détruit les économies. Je dirais que les agronomes, un peu comme les médecins, ont démontré un savoir-faire : on est arrivé à produire les grandes quantités demandées. En même temps, on n’a pas assez investi dans la compréhension fine de la nature, des interactions entre les plantes et avec leurs parasites, dans le décodage de leurs messages chimiques, dans l’évaluation de l’impact global de ce modèle d’agriculture pour la santé humaine et l’environnement. Toutes choses que l’on fait depuis dix ou quinze ans seulement en se réappropriant le champ de l’agroécologie, de l’agriculturebiologique.
Avec quels espoirs ?
Ils sont énormes. On obtient des rendements en culture biologique qui rattrapent, voire qui dépassent ceux des productions utilisant la chimie. Et pas uniquement dans le maraîchage. Dans certaines variétés de blé, les rendements peuvent être tout à fait comparables à ceux du conventionnel. La vérité est qu’il y a beaucoup de produits phyto qui ne sont pas vraiment nécessaires.
Peut-on envisager que l’agriculture bio nourrisse l’entièreté de la planète ?
Oui, l’agriculture bio peut nourrir le monde. C’est dans le Sud qu’on a besoin le plus de nourriture, et c’est là qu’on utilise le moins de produits phyto : en moyenne 100 grammes à l’hectare, alors que nous en sommes à plus de 4 kg. Ils sont bio et ils mangent ! Il suffit de faire de la bonne agronomie avec de la bonne utilisation de la matière organique, de revenir à des méthodes favorisant la biodiversité, de pratiquer la rotation des cultures… De faire ou refaire avec ce que la nature nous offre, plutôt que contre elle, en somme. Le professeur Philippe Baret de l’UCL a calculé les conséquences d’un passage de la Wallonie au 100 % bio et c’est tout à fait envisageable. Si on tient compte de l’ensemble de la production agricole de la Région, elle équivaut à environ sept fois le besoin en calories de ses habitants. En prenant une hypothèse très pessimiste – une diminution provisoire de rendement allant jusqu’à 40 % pour les pommes de terre et 15 % ou 20 % pour d’autres cultures –, on aurait encore de quoi nourrir cinq fois la population, ce qui implique le maintien de recettes en exportation de produits de qualité. Avec le temps, les rendements augmenteront, car les cultures qui sont faites en agroécologie ou en agriculture biologique sont plus résilientes, elles permettent en plus de faire revenir des variétés qui sont plus rustiques et mieux adaptées au changement climatique. L’objectif prioritaire ne serait plus alors le seul rendement, mais la qualité nutritive et la résistance des plantes aux ravageurs et aux maladies. Il y a déjà tellement d’exemples aujourd’hui ! Tellement d’agriculteurs qui produisent bio et pour lesquels cela se passe très bien. Même l’industrie l’a compris, car elle investit massivement dans la recherche pour mettre sur le marché des produits pharmaceutiques « bio »…
Après la publication de cette enquête, je me suis entretenu avec le ministre wallon de l’Environnement. Des riverains de champs agricoles sont-ils malades à cause des pulvérisations de pesticides ? Cette question de santé publique ne peut pas être éludée. J’ai commandé une étude ciblée » m’a dit Carlo Di Antonio (CDH).
Un entretien publié sur le site Paris Match.be, le 21 décembre 2017.
Paris Match Belgique. Dans plusieurs localités en Wallonie, des citoyens expriment la crainte d’être l’objet d’une contamination liée à l’utilisation de pesticides sur des terres agricoles. Ils évoquent la multiplication de pathologies graves dans certains quartiers proches de champs pulvérisés, des rues à cancers… Comment recevez-vous cette inquiétude ?
Carlo Di Antonio : J’y suis particulièrement sensible ! C’est une crainte que je ne peux qu’entendre et face à laquelle nous ne pouvons pas rester passif évidemment. Il est urgent de réaliser des analyses scientifiques, des études pour confirmer ou infirmer l’existence d’une exposition trop importante de notre population. Les témoignages, de plus en plus nombreux, mais aussi certaines études, laissent à penser que l’exposition des riverains de terrains agricoles aurait pu être sous-estimée. On ne peut pas rester avec des points d’interrogation dans un tel dossier. En tant que ministre de l’Environnement, il est de ma compétence, je dirais même de mon devoir, de financer une recherche pour objectiver la quantité de polluants qui circulent dans l’air à proximité des lieux de pulvérisation. Je veux savoir de manière très précise quelles sont les molécules que l’on retrouve, jusqu’où elles se propagent et avec quelles concentrations. Bien sûr, j’écoute aussi les agriculteurs qui me disent qu’ils utilisent ces produits en respectant la réglementation. Il ne s’agit pas de les accabler mais d’obtenir des réponses scientifiques aux questions légitimes que se pose la population.
A qui avez-vous confié la réalisation de cette étude ?
L’été dernier, le professeur Bruno Schiffers (Gembloux Agro-Bio Tech) a réalisé une première étude dans la commune de Fernelmont où des citoyens ont dénoncé une potentielle contamination. Des panneaux collecteurs placés dans la cour d’une école entourée de terrains agricoles ont démontré la présence de nombreux résidus de pesticides. Je lui ai donc demandé de réaliser une étude plus approfondie sur l’ensemble du territoire wallon. Elle sera entamée au printemps prochain. Un certain nombre de situations, de localités, seront ciblées. Des capteurs d’air et de projection seront placés en bordure des champs, dans des cours d’écoles ou d’autres sites publics. Il s’agira aussi de tenir compte de tous les cas de figure : que se passe-t-il quand il y a des barrières physiques comme des haies, comment influent les conditions climatiques et les pratiques agricoles ? C’est un travail de grande ampleur qui se fera en collaboration avec l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP) et le Centre de recherche agronomique wallon (CRA-W). La méthode et les résultats de ces recherches seront validés par un comité d’accompagnement pluridisciplinaire.
Quand peut-on espérer des résultats significatifs ?
On devrait en disposer dès la fin de l’année 2018.
Vous avez évoqué l’étude réalisée en juin 2017 par le professeur Schiffers à Fernelmont. Elle révélait que certains résidus trouvés dans la cour d’école provenaient de pulvérisations sur des champs situés à 400 ou 600 mètres de distance…
C’est interpellant ! Cela voudrait dire que dans certaines conditions climatiques, les molécules circulent dans l’air sur de longues distances. La confirmation d’un tel constat est de l’un des enjeux majeurs de cette étude. Cela nous compliquerait fort la tâche dans la lutte contre les potentielles pollutions induites par les pulvérisations. La création de zones de recul de 20 ou 50 mètres entre les champs et les habitations ne serait dès lors pas une réponse suffisante. Il faudrait alors prendre des mesures à la source, au niveau des pratiques agricoles pour endiguer cette pollution.
Objectiverait-on une importante exposition dans certains quartiers qu’il y aura encore débat sur la question de savoir si cette exposition est nocive ?
A mon niveau de compétence, il s’agit d’établir le degré d’importance de cette pollution éventuelle. Est-elle beaucoup plus forte dans les zones exposées par rapport au bruit de fond général ? Est-elle supérieure aux doses considérées comme acceptables ? Il s’agit de questions qui ne peuvent être éludées alors que des études démontrent que certaines molécules, même à très faible dose, peuvent avoir un effet de perturbateur endocrinien. Si on détecte des taux importants de certaines substances dans des quartiers, il faudra que l’on puisse réaliser des prises de sang et des analyses médicales. Je demanderai donc la collaboration de ma collègue Alda Greoli, la Ministre de la Santé au sein du Gouvernement wallon.
En marge du dossier de Fernelmont, le gouvernement wallon avait déjà mandaté un comité d’experts constitué de deux oncologues, d’une biologiste, d’un épidémiologiste et d’un toxicologue. Vont-ils collaborer à la nouvelle étude commandée au professeur Schiffers ?
Une réunion est prévue dès la rentrée avec la ministre Alda Gréoli pour voir comment faire le lien entre ces deux démarches qui, évidemment, peuvent être très complémentaires. Si on constate une importante exposition à un polluant X ou Y, il faut qu’on puisse en tirer des enseignements en termes de santé publique. Cela correspond-il à la prévalence plus importante de certaines pathologies dans une zone fortement exposée ?
En Californie, les agriculteurs sont obligés de renseigner les produits qu’ils pulvérisent, à quelle date et en quelles quantités, dans une banque de données en accès libre. Cela a permis à des chercheurs d’observer des corrélations qui interpellent, notamment en ce qui concerne la prévalence de l’autisme dans des populations fortement exposées… En Belgique, les agriculteurs peuvent se contenter de remplir des « carnets phyto » qu’ils conservent dans l’éventualité d’un contrôle. Est-ce suffisant transparent ?
Je suis partisan d’un accès plus général à ces données. L’étude en cours pourrait notamment déboucher sur ce genre de constat : la nécessité d’établir une cartographie permanente de pulvérisations accessible en ligne.
La Wallonie « zéro pesticide », c’est pour quand ?
On évolue dans le bon sens ! L’utilisation des produits phytopharmaceutiques diminue en Wallonie ! Nous avons un Plan de réduction des Pesticides qui prévoit une série d’échéances. Nos forêts sont déjà exemptes de pesticides. Des communes sont déjà « zéro pesticides » comme Montigny-le-Tilleul ou Dour. L’usage du glyphosate n’est plus autorisé pour les particuliers. 12% des agriculteurs sont déjà passés au bio et le Gouvernement wallon octroie d’importantes aides à la transition à ceux qui veulent en finir avec le conventionnel. Il y a un plafond en la matière qui est fixé par l’Europe et nous l’atteignons. On avance aussi dans le dossier des prairies. Ensuite, il faudra voir culture par culture. C’est l’objet d’une étude réalisée par le professeur Philippe Baret de l’UCL. La Wallonie « zéro pesticides », on pourrait y arriver dans 10 ou 15 ans. Toutes les recherches prospectives vont dans le même sens : le recul des solutions chimiques pour protéger les cultures au profit de méthodes biologiques, le retour aussi à des pratiques autrefois mieux maitrisées par les agriculteurs qui ont perdu une partie de leur savoir-faire à cause des produits phyto : rotation des cultures, choix de variétés, agrobiologie, agroforesterie… On va y arriver ! C’est un projet que je défends en tant qu’ingénieur agronomie, en tant que Ministre et en tant que citoyen environnementaliste. La Wallonie a une belle carte à jouer. Nous pourrions être des précurseurs en Europe, nous forger une identité de région qui a mis l’accent principal sur la qualité de ses produits. On pourrait imaginer un label « Wallonie Zéro Phyto » ou quelque chose de ce genre. Il faut anticiper, plutôt de s’accrocher à un modèle condamné à disparaître.
Ce n’est pas le discours que l’on entend au niveau de la Fédération Wallonne des Agriculteurs (FWA)…
De plus en plus d’agriculteurs veulent quitter le conventionnel mais ce n’est pas facile. Au niveau de la FWA, leur syndicat majoritaire, c’est vrai qu’il y a de la résistance. Cette fédération affiche des points de vue très conservateurs et se pose en défenderesse des vieilles pratiques agricoles. Je suis en conflit quasi permanent avec cette fédération. Quand on parle de quitter progressivement les produits phyto, dans un programme sur 20 ans, il y a tout de suite une crispation. Ils se sentent attaqués et ils se retranchent derrière le respect de la réglementation par les agriculteurs. Je suis pourtant persuadé qu’un changement progressif du modèle agricole wallon serait autant profitable pour les agriculteurs que pour les consommateurs.
Il faut aussi compter sur une évolution de l’industrie agro-alimentaire…
Cela doit bouger aussi de côté-là. On en trouve un exemple significatif dans le domaine de la pomme de terre. Les sociétés qui produisent des frites surgelées incitent les agriculteurs à planter de la bintje, soit une variété très sensible aux maladies et qui nécessite de très nombreux traitements. Un changement de variété pourrait déjà résoudre une partie du problème.
Comment réagirez-vous si les études en cours devaient établir qu’il y a un chevauchement entre des zones à forte exposition et des zones à forte concentration de personnes malades ?
J’espère que ce ne sera pas le cas. On serait alors parti pour un nouveau scandale dans le genre de celui de l’amiante. Si c’est cela qui apparaît, la pression de citoyens sera très forte et les agriculteurs devront forcément adapter leurs pratiques : ne plus pulvériser sur un certain nombre de parcelles, s’éloigner de certains quartiers.
On a beaucoup parlé du glyphosate ces derniers temps. Mais n’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ?
Je reste favorable à son interdiction mais ce n’est sans doute pas la molécule la plus dangereuse. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire les recommandations qu’inscrivent les fabricants sur les étiquettes de certains produits insecticides et fongicides. Le débat est loin d’être terminé…
Comment se fait-il que vous soyez si sensible à ce sujet. Vous n’êtes pas militant d’Ecolo…
On m’accuse parfois de cela ! Je suis ingénieur agronome de formation et je connais bien le secteur. Quand on regarde l’historique des produits phyto depuis 30 ans, on constate que nombre d’entre eux ont été retirés du marché parce qu’en définitive, on est arrivé à la conclusion qu’ils étaient dangereux.
Un constat qui s’est toujours fait après usage…
Parfois après 10 ou 20 ans d’usage… Alors, systématiquement l’industrie propose le produit remplaçant sensé être moins problématique. Il faut sortir de ce cycle. Il y a beaucoup trop de chimie dans notre vie. Ma contribution sur le reste de ma mandature sera de générer suffisamment de données et d’études pour démontrer la nécessité d’un changement de modèle agricole. Une vision plus respectueuse du métier d’agriculteur, plus respectueuse des consommateurs et plus respectueuse de l’environnement. Tout est lié.
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