DIDIER REYNDERS : « OUI, J’AI L’AMBITION DE DEVENIR PREMIER MINISTRE »
– Entretien publié dans l’hbebdomadaire La Libre Match, le 8 mars 2007 –
«Au prochain scrutin, je serai candidat à la Chambre des réprésentants». «Oui, j’ai l’ambition de devenir un jour Premier ministre,mais pas avant la prochaine législature» «La notoriété, c’est vrai qu’il s’agit un peu d’une drogue»…Voilà quelques phrases fortes de l’entretien-vérité que Didier Reynders a accordé à La Libre Match. Pendant deux heures, le vice-Premier ministre, ministre des Finances et président du MR nous a reçus dans son hôtel particulier du 12, rue de la Loi à Bruxelles. Le ton vif, parfois sarcastique, du chef de file des libéraux annonce une campagne électorale animée.
La Libre Match. Ce 8 mars, c’est la « Journée de la Femme ». En Belgique, un homme gagne en moyenne 20% de plus qu’une femme. Pour le membre du gouvernement que vous êtes depuis huit ans, ce n’est pas un peu la gêne que notre pays connaisse encore une telle discrimination ?
Didier Reynders. La gêne ? Il y a tellement de choses injustes dans ce monde qu’on pourrait être géné tout le temps ! Mais je suis d’accord : cette discrimination, même si elle a eu tendance à diminuer au cours de ces dernières années, doit disparaître. Dans la fonction publique, le principe « travail égal, salaire égal » est d’ailleurs acquis. Les mandataires publics montrent aussi l’exemple : mes collègues vice-Premières gagnent la même chose que moi.
Leur vie, avec leurs enfants, est peut-être plus difficile à gérer sur le plan privé.
Mais moi aussi,j’ai des enfants dont je me suis toujours occupé! Et aujourd’hui,j’ai même un petit- fils pour lequel je me rends disponible. Je souhaite donc à mes collègues et à toutes les femmes qui travaillent d’avoir un conjoint qui a la même attitude que celle qui est la mienne vis-à-vis de mon épouse.C’est évident,il doit être difficilement supportable pour une femme de vivre avec un homme qui ne s’occupe pas des enfants et de l’intendance de manière partagée. Surtout quand cette femme a un boulot à temps plein et encore plus,bien entendu,quand elle occupe une fonction à haute responsabilité.Je conseillerais donc à cette femme-là de commencer par ne pas accepter ce genre de discrimination au sein de son couple.
Le pouvoir politique ne pourrait-il pas imposer aux entreprises qu’elles respectent l’égalité salariale ?
Primo, les partenaires sociaux ont un rôle primordial à jouer dans ce débat.Secundo: la vigilance doit s’exercer au sein de chaque entreprise.Tertio, je plaide pour une plus grande transparence des rémunérations, mais vous savez comme moi que cela reste un sujet assez tabou en Belgique. C’est un problème de mentalité : si on reconnaissait plus fortement la réussite, les gens hésiteraient peut-être moins à révéler ce qu’ils gagnent et on objectiverait plus facilement les inégalités. Ensuite, ce que l’on peut faire de mieux au niveau politique, c’est de prendre toutes les mesures qui facilitent l’accès à la profession et une mixité harmonieuse entre vie de famille et vie professionnelle.
Par exemple ?
Des mesures qui touchent à la garde des enfants, aux transports,à la capacité de prendre des temps de repos ou d’arrêt…
On pourrait commencer par construire plus de crêches…
Mais au fédéral, on a fait des choses dans ce domaine! Une entreprise qui finance des lits en son sein ou dans une crêche publique peut réduire sa fiscalité à concurrence de 6000 euros par lit créé. On a aussi augmenté les montants des réductions d’impôts pour garde d’enfants et, surtout, on a élargi la tranche d’âge des enfants concernés de 3 à 12 ans.
Pour vous permettre d’arriver là où vous êtes, votre femme a-t-elle dû faire des sacrifices ?
Il faudrait lui poser la question.Mais,à mon sens, plutôt que de sacrifice, on doit parler d’un choix commun, partagé. Dès le début de notre relation – c’était en 1979 –, ma femme et moi avions le projet d’avoir plusieurs enfants.Au début des années 1980, mon épouse, qui était avocate, a décidé d’opter pour la magistrature. Elle trouvait là une fonction qui lui semblait tout aussi intéressante sur le plan juridique, mais qui était plus adaptée à une vie de famille. Et nous avons eu quatre enfants. Je vous assure que cela demande beaucoup d’organisation !
De part et d’autre ?
Bien sûr que oui ! Depuis toujours, j’essaie de gérer mon agenda en gardant des plages entières pour ma vie de famille.Les week-ends sont en général très bien dégagés,de même que les périodes de vacances,y compris les vacances scolaires. Ainsi,on ne me voit pas si souvent que cela à toutes les manifestations de section,de fédération et autres dans mon parti.Certains me le reprochent, mais je leur réponds qu’un investissement dans la vie de famille permet de garder un équilibre, de maintenir une vie de couple. Il faut savoir garder un espace pour ses proches et soi-même.
Vous n’allez pas nous faire croire qu’en étant ministre des Finances, vice-Premier et président du MR, vous rentrez tous les soirs à 17 h pour préparer le dîner…
Non, bien entendu. Il faut voir une vie professionnelle et une vie de couple sur la durée. Depuis 1999, je suis à la tête d’un département ministériel très prenant, mais il y a eu aussi des moments où j’ai été parlementaire d’opposition ou chef de groupe à la Chambre ; des périodes où je pouvais m’organiser encore plus facilement que maintenant : quand les enfants étaient en bas-âge, j’étais très présent. C’est vrai que maintenant, ils ont tous grandi.Avec les plus âgés, on se parle plus souvent par téléphone.D’ailleurs, ils sont très heureux qu’on ait une maison de campagne. Quand j’y suis avec ma femme, ils restent à Liège… Ou c’est l’inverse. Désormais, je dois l’avouer, c’est plutôt eux qui sont difficiles à voir le week-end que moi qui ne serais pas disponible !
La « peoplelisation » de la vie politique vous dérange ?
Pas vraiment. J’ai déjà chanté avec ma collègue Milquet dans une émission de variétés caritative. Récemment, j’ai participé à un jeu à la V.r.t. En compagnie d’autres personnalités comme Paul Van Himst et Gilles De Bilde.Tant qu’on ne me demande pas de mettre ma vie privée devant les caméras, il n’y a pas de problème.
Le show permanent de votre collègue socialiste Michel Daerden, c’est donc très bien ?
Ah! là, c’est un autre débat : son rapport à l’alcool aurait dû rester dans la sphère privée. Quelle mauvaise image de marque pour la politique! Mais c’est au PS de jauger des valeurs qu’il véhicule. J’ai lu récemment que le jeune responsable de la rénovation de ce parti –Doutrelepont, c’est cela ? – trouvait que c’était cela, la rénovation. Dont acte,mais moi,je ne voyais pas les choses de cette manière. Je ne m’entends pas trop mal au demeurant avec Daerden et je lui rappelle ce conseil d’ami : « Boire ou conduire une Région,il faut choisir».A son propos,je soulignerais aussi que je ne me mettrais pas avec mes gosses sur la pelouse du jardin pour poser devant les objectifs. Chacun fait ce qu’il veut, mais je ne crois pas que ce genre de médiatisation fasse avancer le débat démocratique.
Nicolas Sarkozy signe la préface d’un livre à paraître qui vous est consacré. C’est un copain ?
C’est un ami. Pas encore un ami de trente ans,mais il y a tout de même vingt ans que l’on se connaît. Bref, on s’apprécie depuis bien avant qu’il n’affiche des ambitions présidentielles.
« Karcher », « racaille » : ces mots font aussi partie de votre vocabulaire ?
Non, parce qu’on n’a pas le même type de problèmes avec les banlieues en Belgique. Cela dit, il ne faut pas exagérer ! J’en parlais encore récemment avec Faudel: dans les banlieues françaises, le mot « racaille » fait sourire. C’est un terme mineur dans la gamme des injures. Il y a en de bien plus forts ; que certains chantent d’ailleurs. En plus, la confrontation très forte suscitée par le scrutin majoritaire en France implique que l’on cherche des mots… Et puis, vous ne soulignez pas ceux de Ségolène Royal.
Lesquels ?
Quand elle dit qu’il faut un encadrement militaire pour les jeunes délinquants récidivistes et qu’elle utilise l’expression de « remettre les familles au carré ».Voilà des termes que je n’oserais pas employer.
L’encadrement militaire des jeunes délinquants, c’est aussi une idée qui a été avancée par un membre de votre parti en la personne d’Armand De Decker…
Oui et elle a provoqué un tollé. Les médias affirmant que c’était…du Sarkozy.C’est la même chose dans le débat sur la responsabilisation des parents. Soyons clair : les enfants délinquants demeurent une minorité et il faut pas faire peser sur toute la jeunesse les fautes de quelques-uns. Mais dans certains cas, on a affaire à des parents totalement démissionnaires. Des gens qui ne se rendent même pas aux convocations du juge de la jeunesse quand leur gosse a commis des faits graves. Ne doit-on pas décider, dans ces cas-là, que les allocations familiales ne vont plus aux parents mais que l’Etat va consacrer cet argent à la réinsertion du jeune concerné ? En Belgique, c’est tout de suite la levée de boucliers. En France, c’est la candidate Royal qui le dit et cela passe comme une lettre à la poste.
En France, le débat politique est souvent plus passionnant…
C’est évidemment l’avantage du scrutin majoritaire. La logique d’affrontement est plus forte, les candidats savent qu’ils ne travailleront certainement pas ensemble. Dès lors, la campagne électorale devient sanglante.Avec de possibles excès de langage.Mais,dans le même temps,c’est plus clair. Je reste demandeur de plus de scrutin majoritaire dans notre pays. En tous cas pour les communales et les régionales, car au fédéral, il y aussi des obstacles communautaires. Avec le scrutin majoritaire, on verrait mieux qui est qui ! Cela mettrait fin à certaines attitudes ambiguës.
Lesquelles ?
S’il y avait un second tour aux régionales ou aux communales, les candidats CDH devraient dire pour qui ils appellent à voter. Oseraient-ils tous appeler à voter pour le PS ? Je crois qu’un tel parti tire un profit démesuré du système actuel. Il a une influence qui ne correspond en rien à son poids réel dans l’opinion.Le CDH préfère évidemment le deuxième tour des présidents de parti. Cela lui permet d’avancer masqué.Tiens, vous vous y connaissez en vampires ?
Pas vraiment, non…
Eh bien, pour éloigner les vampires,on peut brandir un crucifix, mais avec le CDH, cela ne marche pas. Même pas maintenant. L’autre moyen,c’est d’ouvrir la tenture et de laisser la lumière entrer dans la pièce où ils se trouvent.Ce serait cela, également, le scrutin majoritaire. L’obligation de faire des choix, de se positionner. Avant le vote !
Vous êtes de ceux qui estiment possible qu’un Premier ministre puisse de nouveau être francophone ?
Tout à fait.
Vous vous verriez bien dans cette fonction ?
Je suis encore partant pour travailler avec Guy Verhofstadt en restant de préférence dans le même département.Mais je suis encore jeune. Je ne dis pas qu’ensuite…
Ensuite ?
Pour être tout à fait sincère, j’ai toujours retenu la formule de Balladur – même s’il n’a pasréussi. On lui avait demandé quand il avait eu l’idée de devenir candidat aux présidentielles. Il avait répondu : « Quand je suis rentré à Matignon ». En politique, quand vous êtes dans une fonction et qu’il en reste une autre à un échelon supérieur, ce serait malhonnête de prétendre qu’elle ne vous intéresse pas. En ce qui me concerne, je pense que l’échéance pour devenir Premier ministre se présentera après la prochaine législature.Au delà d’une majorité, des compétences de gestion et de l’expérience, il faut aussi une bonne connaissance des deux langues nationales pour exercer cette fonction. Je crois que tout cela est acquis.
Pourquoi faites-vous ce métier ?
Dans ma vie, il y a d’abord eu une rencontre déterminante : celle avec Jean Gol. Ensuite, la découverte d’une forme de pouvoir qui est directe, très personnelle. En politique, même si on participe à une équipe, le produit, c’est soimême. Il y a un sentiment de maîtrise.On avance dans la carrière en même temps que l’on progresse sur le plan individuel. Enfin, il y a la notoriété. A cet égard, je me dis qu’il doit tout de même y avoir quelque chose de conscient ou d’inconscient qui est un peu une drogue. D’ailleurs, certains politiques n’y résistent pas. Je vous ai déjà parlé d’un collègue liégeois…
Michel Daerden ?
Oui, il y en a qui disjonctent un peu. On voit bien, en ce qui le concerne, que quelque chose a dû se déconnecter.
Vous avez envie de laisser une trace ?
Je pense être le seul président des chemins de fer dont les gens ont retenu l’existence. Des années après, on me parlait encore de la S.n.c.b. Aux Finances également, je veux laisser une empreinte et, si possible, prolonger mon mandat pour réaliser des chantiers importants sur la durée. La notoriété, c’est la même chose, elle se construit progressivement. Etape par étape. Je le répète, c’est vrai qu’il s’agit un peu d’une drogue. Je n’aime pas la démagogie. Je n’aime pas quand on dit qu’on fait de la politique pour l’intérêt général, par altruisme. Il n’y a pas en politique que des mères Teresa. Et d’ailleurs, mère Teresa n’a jamais été candidate.
Vous n’êtes donc pas mère Teresa…
Et l’Abbé Pierre non plus.
La notoriété ne vous est jamais montée à la tête ?
Au moment de l’introduction de l’euro,on a fait énormément de communication. C’était excessif. Il aurait fallu mettre des limites. Si je n’y avais pris garde, j’aurais pu me couper des réalités. On était tout le temps en représentation, cela devenait dangereux.
Parfois le sentiment d’être grisé ?
Les moments grisants, c’est surtout quand on est confronté à la notoriété des autres. Par exemple, quand vous montez les marches à Cannes avec l’une ou l’autre star de cinéma. Cela m’impressionne plus que les rencontres politiques. Ca, c’est professionnel, c’est le monde dans lequel je vis. Mais si je me trouve en présence d’Eddy Merckx –il le sait d’ailleurs- je suis comme un gosse, mal à l’aise et intimidé. Parce que quand j’étais gamin, j’étais Eddy Merckx sur mon vélo. J’ai eu aussi la chance de rencontrer une personne qui était en poster dans ma chambre quand j’étais petit : Mark Spitz, l’un des plus grands nageurs de tous les temps. Et puis, je vous l’avoue, quand vous vous retrouvez dans un stade juste à côté d’Adriana Karembeu, c’est tout de même plus impressionnant que d’être au Parlement !
Vous en avez déjà discuté avec votre femme ?
Elle était là. Je peux vous le prouver, j’ai les photos.Mais, bien sûr, dans les journaux, ils n’ont publié qu’une partie du «document». Devinez laquelle…Avec une légende du genre : «Dur métier que celui de ministre».
Ce sera moins amusant dans quelques semaines. Voici bientôt revenu le temps des sempiternelles négociations institutionnelles. On croyait avoir perçu que les partis francophones avaient compris que les Bruxellois et les Wallons en avaient assez…
Tous les Belges en ont un peu assez de ces discussions. Mais si les partis francophones ne sont demandeurs de rien,il ne faut pas moins rester ouvert au dialogue. Si les Flamands veulent telle ou telle réforme,qu’ils nous démontrent simplement que celles-ci seront de nature à améliorer la vie de tous les citoyens.Ainsi, je n’ai pas refusé un débat sur la régionalisation de l’emploi, mais il reste encore à me prouver que, de cette manière, on pourrait mieux aider les chômeurs à revenir sur le marché du travail.Je n’ai pas encore vu d’argument concret.Pour le reste, pas question, évidemment, d’un débat avec des séparatistes qui veulent de l’autonomie pour l’autonomie.
Vu les revendications institutionnelles flamandes, la formation du prochain gouvernement risque de prendre pas mal de temps…
Moi, je dis que l’on peut encore espérer la mise en place d’un gouvernement avant la Fête nationale.
Par quel miracle ?
J’imagine une majorité qui serait d’accord, non pas d’enterrer le débat institutionnel, mais de l’évacuer provisoirement vers des groupes de discussion, notamment au Parlement. Pendant que ces groupes fixeraient un calendrier et avanceraient vers des solutions, le gouvernement pourrait travailler comme l’espèrent les citoyens. Sur l’économique, le social, etc…
On vous voit venir, ce scénario collerait parfaitement bien à un Verhofstadt III…
Bien sûr que je préférerais que cela se passe avec lui.Il a déjà prouvé qu’il était capable d’être pragmatique. Souvenez-vous que l’on a voté le refinancement de la Communauté française avec le soutien du Premier ministre. Yves Leterme avait mis la Périphérie et les facilités sur la table. On en a discuté sans trouver de solution et Guy Verhofstadt a eu le courage politique de monter à la tribune du Parlement pour constater le nonaboutissement des négociations et dire que l’on continuait en mettant cela de côté.
Mais si les résultats imposent le CD&V-NVA à la table des négociations, cela risque de se passer bien moins amicalement…
Là, il me semble assez probable que, bien après les vacances, il n’y aura pas encore de gouvernement. Je garde un espoir ; je connais bien le CD&V, l’ancien CVP…
Ce parti serait prêt à beaucoup pour revenir au fédéral ?
En effet, il faut bien faire la différence entre ce qu’ils disent avant une élection et après. Ils ont déjà retourné leur veste dans le passé.
Pour vous, serait-il possible de monter dans un gouvernement tripartite présidé par Yves Leterme ?
Rien n’est impossible, mais je ne crois pas qu’une tripartite soit une bonne solution. C’est mieux de travailler avec deux partis.Toutefois, cela dépendra aussi de ce que Leterme mettra sur la table. Si le CD&V vient avec les revendications de ses alliés de la NVA,on ne va pas discuter longtemps. Ceux-là, ils ne veulent qu’une chose : la séparation du pays. D’ailleurs, je vois mal le Roi signer la nomination d’un ministre NVA qui, dès le lendemain, travaillerait à le faire disparaître du paysage institutionnel.A vrai dire, je donne 1 chance sur 100 à Leterme de devenir Premier ministre s’il se fait le relais des thèses de la NVA.
On ne l’entend plus beaucoup, Leterme…
Vous avez remarqué ? Il y a une campagne de communication en cours pour polir son image. Pour qu’il paraisse moins arrogant. Voyez tous les «CVP Jongeren » qui remontent au créneau !
Pardon ?
Mais oui ! Tindemans, Martens, Eyskens viennent dire dans tous les journaux que Leterme est tout de même fréquentable, qu’il ferait un bon Premier ministre. Mais lui, on ne l’entend plus. Il y a eu son interview dans Libération, où il s’est montré plus que limite vis-à-vis des francophones, et, depuis, c’est le silence. S’il veut aller dans une majorité, il devra nécessairement arrondir les angles. Et pas un peu ! Il le sait bien.
Le SPF Economie vient de publier des chiffres qui témoignent du fait qu’un Belge sur sept vit en-dessous du seuil de pauvreté. La faute au libéralisme ?
Il faut continuer à lutter contre la pauvreté, mais elle n’est pas la résultante du libéralisme. Historiquement, les libéraux ont été de tous les combats qui ont permis le progrès social : l’économie de marché,le système démocratique,l’ouverture des frontières. Avant la mise en oeuvre de ces idées, la pauvreté dominait.Avant la révolution industrielle et même pendant une partie de celle-ci,vous m’auriez demandé de commenter le fait que, dans nos régions, six personnes sur sept vivaient sous le seuil de pauvreté. Dans beaucoup d’endroits sur la planète,là où les marchés s’ouvrent, la démocratie progresse, la pauvreté et la mortalité infantile recule.L’Afrique, cependant, reste un vrai problème.
Il y a tout de même de nombreuses avancées sociales que l’on doit aux socialistes !
Quand le parti ouvrier a quitté le mouvement libéral, c’était parce qu’il y avait une vraie question ouvrière en Belgique,mais on n’est plus tout à fait à cette époque-là.Aujourd’hui,les libéraux regardent vers l’avant et les socialistes sont conservateurs sur le plan social. Ce conservatisme socialiste n’est pas nouveau. Regardez le vote des femmes en 1948.C’est grâce à notre courant d’idées qu’il a été possible car les socialistes n’y étaient pas favorables. Dans les matières qui touchent à l’éthique, nous sommes aussi beaucoup plus progressistes que le monde catholique.
Dans l’actualité, qu’est-ce qui vous fait dire que les socialistes seraient plus conservateurs que les libéraux ?
Un exemple ? Il y a eu une résistance très forte du PS contre les titres services. Maintenant, c’est la Région wallonne présidée par Elio Di Rupo qui en fait la publicité ! Certaines familles politiques sont conservatrices de fait parce qu’elles sont liées à des piliers. Le syndicat dit non,on ne bouge pas.Moi,je n’ai pas ce problème.Les libéraux ne sont pas plus liés aux uns qu’aux autres. D’ailleurs,il m’arrive d’être en confrontation directe avec le patronat.
Désormais, tous les partis parlent d’environnement. Simple fièvre électorale ?
On en parle depuis longtemps…
Les Ecolos en parlent depuis bien plus longtemps que vous !
J’ai gouverné avec eux pendant quatre ans (ndlr : gouvernement arc-en-ciel entre le 1999 et 2003). Et, à cette époque, on n’a pas pris énormément de mesures. Les Verts étaient plus attachés à la sortie du nucléaire qu’à la rénovation des immeubles ou aux économies d’énergie. Sur le plan fiscal, j’ai pris plus de mesures favorables à l’environnement dans la majorité actuelle que du temps de l’arc-en-ciel. Par exemple, si vous rénovez votre maison, que vous l’isolez et que vous avez recours à des énergies renouvelables, 40 % des travaux jusqu’à 2 600 euros vous sont remboursés en réduction d’impôts. On peut aussi parler des biocarburants qui sont maintenant sur le marché. Il y a désormais des preuves matérielles qu’une bonne partie du réchauffement climatique est lié au comportement humain… Donc, il faut tenter d’inverser. Mais cela ne veut pas dire revenir en arrière,commencer à vivre avec des gros pulls en laine et fabriquer du fromage de chèvre dans le Larzac! Premier axe : il faut que le pouvoir politique oriente les comportements. En informant, mais aussi en freinant.Taxation, coercition : on peut prendre beaucoup de mesures.
Par exemple ?
Les pénalités biodégradables : vous pouvez éviter la taxation si vous vous comportez mieux. Si vous achetez un véhicule moins polluant, vous payez moins de taxes. Les cotisations d’emballage, selon que ce soit plus ou moins polluant, vous payez plus ou moins. Le plus bel exemple, c’est le tabac. On peut éviter la taxe : il suffit d’éviter de fumer. On parle beaucoup de 4×4. En temps que ministre des Finances, j’ai aggravé la fiscalité pour ce type de véhicule. Le 4×4, c’est bien pour rouler en forêt.Pour se promener dans le quartier du Sablon à Bruxelles afin d’épater l’une ou l’autre personne à une terrasse, c’est un peu nul. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que cela épate encore qui que ce soit… Il faut aussi que les gens s’attendent à certaines évolutions. Un jour sans doute, il faudra réserver l’accès aux villes aux véhicules qui polluent moins.Les autres devront être laissés dans des parkings de dissuasion.Vu qu’il y a trop de personnes seules à bord de leur voiture sur les autoroutes, il faudra peut-être réserver une bande aux transports en commun, au covoiturage (trois personnes minimum dans l’auto) et aux véhicules qui polluent le moins.
Second axe ?
Prendre conscience que grâce au défi environnemental, on a devant nous des gisements d’emplois et d’activité économique. Dans de nouvelles formes d’énergies,de nouvelles formes de consommation et de production. Qui aurait cru,il y a trente ans,qu’une société finlandaise allait inonder le monde en G.s.m. ? Qui aurait cru qu’un universitaire dans son garage allait devenir la première fortune du monde en vendant des logiciels ? Aujourd’hui, qui sait ce qui va se passer grâce aux enjeux de développement durable? Le plus évident est d’imaginer qu’il y aura peut-être d’autres moyens de transport. Mais combien d’autres innovations encore ? Il faut donc investir massivement dans la recherche !
La sortie du nucléaire en 2020 est-elle toujours garantie?
Elle est dans la loi.
Vous vous voyez dans une majorité qui changerait cette loi ?
Le seul débat qui pourrait être ouvert, c’est le calendrier de la fermeture. La loi dit qu’on doit assurer la sécurité de l’approvisionnement, qu’on doit diversifier et qu’il soit vérifié à chaque moment qu’il n’y ait pas un cas de force majeure qui fasse que l’on doive décaler dans le temps.
Donc, vous envisagez que les centrales actuelles durent plus longtemps ?
Si on constate que c’est ce qu’il faut faire… Mais l’heure n’est pas encore à ce type de constat. Maintenons plutôt la pression en termes de recherche, y compris dans le nucléaire.On peut imaginer de régler l’actuel problème de sécurité et de déchets.
Avec vous, on n’a pas plus besoin d’Ecolo ?
Si Ecolo veut encore être nécessaire,il va devoir devenir un vrai mouvement politique. Jacky Morael et Jean-Michel Javaux sont des amis. Attention,je ne dis pas cela pour leur porter préjudice. Je pense simplement qu’ils sont pragmatiques et qu’au travers de personnalités comme celles-là, Ecolo pourrait évoluer en s’occupant du développement durable dans tous ses aspects sociaux,économiques et autres.Ce mouvement couvrirait alors tout le champ politique et il deviendrait une formation politique avec laquelle on peut discuter.
Et vous la situez où, cette formation politique écologique ? Entre vous et le PS ?
Pour une bonne part, elle est beaucoup plus au centre de l’échiquier politique que certains militants écolos le croient.
On a parfois eu l’impression que tout le monde court un peu au centre en Belgique. Vous êtes où finalement ?
On n’a pas choisi le mot « réformateur »pour rien. Si vous prenez l’échiquier politique et que vous prenez comme critère la volonté de changer les choses, le MR est le parti le plus progressiste. Et si c’est cela être de gauche, on est tout à fait à gauche ! Sur ce critère, le plus souvent, le PS et le CD&V sont très à droite, dans le sens où ils sont très conservateurs.
Voici donc que le MR serait un parti de gauche ! Cela pourrait faire un titre surprenant pour cet article…
Ce pourrait être le titre de cet entretien si on considère que la gauche,c’est la volonté d’aller de l’avant pour l’intérêt commun,la volonté de faire bouger les choses. Si vous prenez l’axe ordre-désordre, on est probablement plutôt à droite. Quoique… Sur ces thématiques, je constate que pratiquement tout l’échiquier politique est venu nous rejoindre.Si Jean Golrevenait avec ses idées des années 1980, on le taxerait de vrai gauchiste !
Comment cela ?
Depuis qu’il y a eu des socialistes à l’Intérieur ou à la Justice,on a créé des centres fermés,y compris pour mineurs non-délinquants, on a ouvert très largement les cas où des écoutes téléphoniques sont possibles. Quand Jean Gol proposait d’en faire un tout petit peu, on le présentait comme un horrible personnage.
Vous désapprouvez ?
Non.Je veux dire que sur le terrain de la sécurité, nous sommes réalistes et cohérents. En matière économiques et sociale, je me sens aussi porteur de réformes et donc je pourrais aussi être classé très à gauche si je considère le conservatisme des syndicats et même celui des organisations patronales et des classes moyennes dans certains domaines. Si on prend l’axe des libertés individuelles, la volonté de croire en ce que les gens peuvent faire par rapport à une vision collective, je suis plutôt à droite.
La gauche et la droite, cela n’existe plus ?
On ne peut plus dire d’une façon générale que quelqu’un est progressiste. Le PS veut expliquer aux gens que le progrès, c’est le progrès social. Mais si je regarde en Wallonie, par exemple dans le Hainaut, je me demande ce que les socialistes entendent par progrès social. Cela se passe tout de même mieux dans le Brabant wallon qui est plutôt libéral, non ? Alors, est-ce que cette province est libérale parce qu’elle est riche ou est-ce plutôt l’inverse ? Question corrolaire : le Hainaut est-il socialiste parce qu’il est pauvre ou est-il pauvre parce qu’il est dominé par le PS depuis des dizaines d’années ? Indépendamment des affaires, avez-vous vu l’état du logement social ? De grâce, n’y a-t-il pas autre chose à faire dans ce secteur ? Il faut relancer le débat de l’accès à la propriété.Vendre des logements sociaux à ceux qui les occupent en leur donnant des conditions privilégiées. Ce serait autant l’intérêt des locataires que des collectivités locales. Le logement social tel qu’il a été géré par les socialistes, ce n’est pas du progrès social. La vérité, c’est que les populations les plus fragilisées sont victimes de l’immobilisme socialiste.
Autre débat du moment : la fonction royale. Vous dites « pas touche » ?
Elle a toujours évolué et elle évoluera encore, mais nous avons la chance d’avoir un Roi exemplaire. J’utilise un mot que l’on partage, Guy Verhofstadt et moi. Cela fait huit ans que l’on travaille maintenant avec AlbertII et il n’y a absolument rien à lui reprocher. Maintenant, c’est vrai que je me suis souvent demandé pourquoi faire sanctionner par le Roi une loi qui est, de toute façon, votée par le Parlement. C’est une question de formalisme. Mais le rôle du Roi, je ne vois pas pourquoi on le remettrait en cause.
Parce qu’on aurait peur que Philippe ne puisse être un Souverain aussi exemplaire ?
C’est aussi la fonction qui crée l’homme. Des tas de gens se sont révélés à partir du moment où ils ont exercé une fonction. Je trouve que l’on fait un mauvais procès au prince Philippe en tirant des conclusions beaucoup trop hâtives. Ce qu’il m’apparaît surtout, c’est que certains ont tendance à utiliser ce débat à d’autres fins : quand la NVA veut changer la monarchie, c’est tout simplement parce qu’elle n’en veut plus ! Qu’elle ne rêve plus que d’une Flandre indépendante.
Si vous revenez au pouvoir après juin 2007, ce sera dans quelles fonctions ?
Je suis tout à fait prêt à retravailler avec Guy Verhofstadt et je suis candidat à reprendre le portefeuille des Finances pour travailler dans la durée. Mais si je devais faire autre chose, le département des affaires sociales pourrait aussi m’intéresser.
Après les élections de juin, vous resterez président du MR ?
Oui, c’est évident.Et d’ailleurs,je serai encore probablement candidat à cette fonction en 2008.
«JE SERAI CANDIDAT À LA CHAMBRE! »
Vous n’avez toujours pas annoncé où vous allez vous présenter aux prochaines législatives. Alors, la Chambre ou le Sénat ?
C’est décidé, je serai candidat à la Chambre à Liège.
C’est un scoop, cela ! Et peut-on vous demander ce qui motive votre choix ?
Je n’ai pas désiré me lancer dans un combat des chefs pour aller siéger dans une assemblée qui n’a pas le contrôle politique du gouvernement. De plus, l’enjeu des élections dans la région de Liège,comme d’ailleurs dans le Hainaut, me paraît particulièrement fort : va-t-on enfin prendre une orientation différente dans ces provinces qui ont été dominées depuis des dizaines d’années par les socialistes ? Dans le Hainaut, on a vu les pratiques qui sont nées de l’hégémonie socialiste. En Région liégeoise, depuis la mort de Cools, les querelles internes du PS bloquent à peu près tout. Quand on voit comment le PS liégeois tente de relancer sa popularité…